CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA ANGERS (ch. A civ.), 2 décembre 2014

Nature : Décision
Titre : CA ANGERS (ch. A civ.), 2 décembre 2014
Pays : France
Juridiction : Angers (CA), ch. civ.
Demande : 14/00254
Date : 2/12/2014
Nature de la décision : Irrecevabilité
Mode de publication : Jurica
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 4981

CA ANGERS (ch. A civ.), 2 décembre 2014 : RG n° 14/00254

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Le législateur a ainsi entendu conférer une compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour juger les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 et de l'article L. 420-2 du code de commerce quelle que soit la nature civile ou commerciale de la juridiction de première instance. Le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie ne constitue pas une exception de compétences mais une fin de non recevoir d'ordre public en application de l'article 125 du code de procédure civile. »

2/ « Maître X. sollicite, en cas d'irrecevabilité, la disjonction des demandes fondées sur ce texte des autres demandes. Les articles 367 et 368 du code de procédure civile permettent au juge d'apprécier souverainement, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, s'il y a lieu d'ordonner la disjonction d'une instance en plusieurs par mesure d'administration judiciaire. En l'espèce, l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande qu'une seule juridiction connaisse de l'ensemble des demandes présentées en cause d'appel par Maître X., étant observé que ses demandes fondées sur le droit de la concurrence apparaissent essentielles dans le litige qui l'oppose à Maître Y. La spécialisation des juridictions qui permet de faire juger cette problématique complexe et technique par des magistrats spécialisés ne doit pas conduire ni à une insécurité juridique ni à une complexité accrue résultant d'un morcellement de la procédure. »

 

COUR D'APPEL D'ANGERS

CHAMBRE A - CIVILE

ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2014

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R. G. n° 14/00254. Décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats d'ANGERS du 27 décembre 2013.

 

APPELANT :

Maître X.

[adresse] Comparant en personne

 

INTIMÉ :

Maître Y.

le [date] à [ville] Comparant en personne, assisté de Maître E., avocat au barreau d'ANGERS

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 14 octobre 2014 à 14 H 00, Monsieur HUBERT, Président de chambre ayant été préalablement entendu en son rapport, devant la Cour composée de : Monsieur HUBERT, Président de chambre, Madame GRUA, Conseiller, Monsieur CHAUMONT, Conseiller, qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur BOIVINEAU

Ministère Public : L'affaire a été communiquée au ministère public.

ARRÊT : Contradictoire ; Prononcé publiquement le 2 décembre 2014 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ; Signé par Louis-Denis HUBERT, Président de chambre et par Denis BOIVINEAU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 30 novembre 2007 dénommé « convention d'occupation précaire », Maître X., ancien juriste d'une organisation syndicale devenu avocat au Barreau d'Angers, et la SCM C. représenté par son gérant, Maître Y. avocat sont convenus que le premier serait domicilié professionnellement à titre gratuit dans les locaux de la seconde à compter du 19 décembre 2007 et qu'il pourrait à ce titre bénéficier de la salle d'attente et de la salle de réunion pour recevoir sa clientèle, utiliser la bibliothèque et fixer une plaque à l'entrée de l'immeuble portant son nom et sa qualité d'avocat.

Le 5 décembre 2007, cette convention a été étendue à la mise à disposition à titre gratuit d'un bureau pour la réception de la clientèle de Maître X. et il a été prévu que chacune des parties pourrait mettre fin à cette convention par lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis de 6 mois.

Invoquant une rémunération inférieure aux minima prévus par la convention collective applicable aux avocats salariés, Maître X. a, par lettre recommandée avec avis de réception du 31 août 2010 adressée à Maître Y., pris acte, à compter du 30 septembre 2010, de la rupture de la relation de travail existant entre les parties depuis le 19 décembre 2007 la qualifiant de contrat de travail.

Maître Y. ayant contesté cette qualification, Maître X. a saisi le Bâtonnier du Barreau d'Angers sur le fondement des articles 142 et suivants du décret 91-1197 du 27 novembre 1991.

Maître X. a relevé appel de la décision arbitrale du Bâtonnier rendue le 11 mai 2011 le déboutant de l'ensemble de ses demandes. À cette occasion, il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à la première phrase du 4e alinéa de l'article 7 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 ainsi libellé : « l'avocat salarié ne peut avoir une clientèle personnelle » ainsi que l'incompatibilité de cette disposition avec le droit dérivé de l'Union. Il a aussi soulevé l'inconventionnalité du même texte.

Par arrêt du 24 avril 2012, la cour d'appel d'Angers a, à titre essentiel, dit n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, rejeté l'exception d'incompatibilité avec le droit dérivé de l'Union, rejeté l'exception d'inconventionnalité et, sur le fond, confirmé en toutes ses dispositions la décision arbitrale du 11 mai 2011 en déclarant irrecevable comme nouvelle la demande en dommages-intérêts présentée par Maître X. sur le fondement de pratiques restrictives de concurrence.

Par arrêt rendu le 24 avril 2013, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Maître X.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 août 2013 reçue à l'Ordre des avocats du Barreau d'Angers le 29 août 2013, Maître X. a saisi Madame le Bâtonnier sur le fondement de l'article 142 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 lui demandant, à titre essentiel,

Avant dire droit,

- de surseoir à statuer dans l'attente tant de la position du procureur de la République d'Angers sur la plainte pour contrefaçon que de la décision de l'Autorité de la concurrence relative à un éventuel abus d'exploitation de sa dépendance économique ;

- d'ordonner la production et la communication par Maître Y. des factures d'honoraires relatifs aux dossiers traités par lui qui sont listés en pages 2 à 10 de ses écritures ;

- d'ordonner toutes autres mesures d'instruction estimées utiles ;

Disant droit,

À titre principal,

- de qualifier la relation ayant existé de janvier 2008 à septembre 2010 de contrat de collaboration libérale au sens de l'article 7 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- de condamner Maître Y. à lui payer les sommes de 21.950,00 euros à titre de rappel de rétrocession d'honoraires, de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de la disproportion manifeste et du déséquilibre significatif ayant existé entre les droits et obligations des parties, et de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né des actes de contrefaçon de ses écrits par Maître Y. ;

Subsidiairement si la relation n'était pas qualifiée de contrat de collaboration,

- de condamner Maître Y. à lui payer la somme de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la disproportion manifeste ou du déséquilibre significatif ayant existé entre les droits obligations des parties ;

Subsidiairement si les actes de Maître Y. n'étaient pas qualifiés d'actes de contrefaçon,

- de condamner Maître Y. à lui payer la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale et de parasitisme opérés par celui-ci à son encontre ;

En tout état de cause,

- de condamner Maître Y. à lui payer la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice constitué par l'abus d'exploitation de sa dépendance économique ;

- d'ordonner l'exécution provisoire en fixant subsidiairement pour les besoins de celle-ci la moyenne des 3 derniers mois de rétrocession la somme de 1.750,00 euros ;

- de condamner Maître Y. à lui payer la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision du 27 décembre 2013, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau d'Angers a

- débouté Maître X. de sa demande tendant à requalifier le contrat liant les parties en un contrat de collaboration libérale, de sa demande de rappel de rétrocession d'honoraires, de sa demande fondée sur l'application de l'article L. 442-6 1 du code de commerce ;

- sursis à statuer dans l'attente de la décision de l'Autorité de la concurrence portant sur l'abus de situation de dépendance économique et dit n'y avoir lieu à provision, débouté Maître X. de sa demande fondée sur l'atteinte au droit de la propriété littéraire et artistique ;

- débouté Maître Y. de sa demande reconventionnelle et laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles dont elle a fait l'avance.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 24 janvier 2014, Maître X. a interjeté appel de cette décision conformément aux articles 179-6, 152 et 16 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991.

Maître X., Maître Y., et le conseil de l'Ordre des avocats du Barreau d'Angers ont été convoqués à l'audience de ce jour par lettres recommandées avec avis de réception du 18 avril 2014.

Les parties ont conclu.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par conclusions en date du 13 octobre 2014 observations écrites complémentaires du 14 octobre 2014 et oralement à l'audience, Maître X., poursuivant l'infirmation de la décision, demande à la cour :

A) Avant-dire droit

- de surseoir à statuer dans l'attente tant de la position du procureur de la République d'Angers sur la plainte pour contrefaçon que de la décision de l'Autorité de la Concurrence relative à un éventuel abus d'exploitation de dépendance économique ;

- d'ordonner la production et la communication par Maître Y. des factures d'honoraires relatifs au dossier que Maître X. a traités et qui sont listés aux présentes écritures ;

- d'ordonner toutes autres mesures d'instruction que la cour estimerait utiles ;

B) Disant droit,

1°) À titre principal,

- de qualifier la relation ayant existé entre Maître Y. et Maître X. entre janvier 2008 et septembre 2010 de contrat de collaboration libérale au sens de l'article 7 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 21.950,00 euros à titre de rappel de rétrocession d'honoraires ;

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la disproportion manifeste ou du déséquilibre significatif ayant existé entre les droits et obligations des parties ;

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né des actes de contrefaçon et des écrits du second opérés par le premier ;

2°) Subsidiairement si par extraordinaire le droit de la concurrence été déclarée inapplicable,

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 70.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation des obligations professionnelles de désintéressement et de modération ;

3°) Subsidiairement si par extraordinaire la relation n'était pas qualifiée de contrat de collaboration,

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la disproportion manifeste ou du déséquilibre significatif ayant existé entre les droits et obligations des parties ;

4°) Subsidiairement si par extraordinaire le droit de la concurrence été déclarée inapplicable et que la relation n'était pas qualifiée de contrat de collaboration libérale,

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 70.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la violation des obligations professionnelles de désintéressement et de modération ;

5°) Subsidiairement si par extraordinaire des actes de Maître Y. n'était pas qualifiée d'actes de contrefaçon,

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale de parasitisme opérés par le premier à l'encontre du second ;

6°) En tout état de cause,

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice constitué par l'abus d'exploitation de ma dépendance économique ;

- de condamner Maître Y. à payer à Maître X. la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner Maître Y. aux entiers dépens ;

- de débouter Maître Y. de ses demandes, fins et conclusions.

Maître X. affirme avoir traité de nombreux dossiers de clients du cabinet Y. et avoir fréquemment aidé d'autres confrères travaillant pour ce cabinet en leur donnant des « coups de main » pour des recherches juridiques. Il sollicite donc la condamnation de Maître Y. à verser aux débats les factures d'honoraires correspondant.

Pour contester l'autorité de chose jugée, il fait valoir qu'il n'est pas obligé de concentrer ses demandes mais seulement ses moyens. Il en déduit que l'autorité de chose jugée ne s'applique qu'au rejet de la qualification de ses relations avec Maître Y. en contrat de travail et des demandes salariales et indemnitaires subséquentes alors qu'il rappelle que la présente instance vise à faire qualifier ces relations de contrat de « collaboration libérale » avec demande de rappel de rétrocession d'honoraires et demandes de dommages-intérêts au titre de pratiques restrictives de concurrence, d'abus d'exploitation de dépendance économique, de contrefaçon ou de concurrence déloyale.

Maître X. conteste aussi se contredire au détriment d'autrui lorsqu'il revendique l'existence d'un contrat de collaboration libérale conformément à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 qui a relevé l'existence de rétrocessions d'honoraires avant de confirmer l'arrêt de la cour d'appel écartant la qualification de contrat de travail.

Il fait valoir qu'il a été payé chaque mois et que son statut de collaborateur libéral lui permettait de se constituer une clientèle personnelle conformément à l'article 18 II de la loi 2005-882 du 2 août 2005.

Sur le fondement de l'article 129 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, de l'article 14.3 du Règlement Intérieur National, et de la décision de l'ordre des avocats au barreau d'Angers du 14 décembre 2006, il revendique, de janvier 2008 à septembre 2010, la somme mensuelle de 1.750,00 euros à titre de rétrocession d'honoraires et sollicite, sur cette base, la condamnation de Maître Y. au paiement de la somme de 21.950,00 euros à titre de rappel (57.750,00 euros dus – 36.400,00 euros perçus).

Maître X. revendique l'application du droit de la concurrence entre avocats exerçant à titre libéral et, notamment, des règles sanctionnant les pratiques restrictives de concurrence prévues aux articles L. 442-1 et suivants du code de commerce, et particulièrement de son article L. 442-6 sur lequel il fonde ses demandes indemnitaires. Il considère que la profession libérale d'avocat est une « entreprise » et que l'avocat est un « producteur » au sens de prestataire de services relevant, en application de l'article L. 410-1 du code de commerce, des règles définies au livre IV de celui-ci applicables à « toutes les activités de production, de distribution et de services. » Il estime que le droit de la concurrence s'applique aux avocats nonobstant l'interdiction qui leur est faite par l'article 111 du décret 91-1197 d'effectuer des actes de commerce, le terme « service commercial » employé par l'article L. 442-6 I 1° du code de commerce devant être interprété au sens large du droit de l'Union Européenne relatif à l'application de l'article 101 du TFUE qui prohibe tous accords entre entreprises, et toutes pratiques concertées ayant pour objet ou effet d'empêcher, de restreindre de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur.

Sur le fondement de l'article L. 442-6 1° et 2° du code du commerce, Maître X. reproche à Maître Y. non seulement de n'avoir pas respecté, pour la première année de collaboration, le minimum fixé par l'Ordre des avocats, mais aussi de lui avoir octroyé des rétrocessions d'honoraires manifestement disproportionnés ou, à tout le moins, significativement déséquilibrées au regard des honoraires générés par son travail au profit de Maître Y.

Il estime à 2,35 le rapport entre les honoraires générés par sa collaboration au profit du cabinet Y. et les honoraires qui auraient dû lui être versés. Sur cette base, il chiffre à la somme de 29.000,00 euros le montant de la rétrocession d'honoraires qui lui est due dans une affaire ayant abouti un arrêt de la cour d'appel d'Angers rendue le 12 mai 2009 et à 23.000,00 euros le montant de cette rétrocession dans une affaire ayant abouti à un jugement du conseil de prud'hommes d'Angers le 14 avril 2011. Il en déduit le caractère manifestement disproportionné des rétrocessions d'honoraires que lui a octroyées le cabinet Y. puisque, pour ces deux seules affaires, il aurait dû percevoir 52.000,00 euros alors que, durant toute la période de collaboration, il n'a perçu que 36.400,00 euros. Afin de pouvoir chiffrer son préjudice, il considère qu'il est indispensable que Maître Y. communique le montant des honoraires perçus dans les affaires auxquelles il a collaboré. Rappelant que l'article 14.3 du Règlement Interne National oblige Maître Y. à mettre gratuitement à sa disposition les moyens matériels nécessaires aux besoins de sa collaboration pendant ses 5 premières années d'exercice, Maître X. estime que les frais résultant de la convention d'occupation précaire ne doivent pas être déduits des sommes qui lui sont dues. Il soutient aussi que la rémunération de sa collaboration libérale ne doit pas être fondée sur le temps de travail qu'il a passé sur les dossiers au profit de Maître Y., la seule considération étant celle de la rentabilité pour ce dernier du travail de son collaborateur.

Soulignant que, à la différence des autres avocats travaillant cabinet Y., ce dernier ne l'a pas fait bénéficier d'un contrat de collaboration écrit, Maître X. demande être indemnisé pour une telle discrimination sur le fondement de l'article 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et de l'article 18 III ter de la loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des qualités moyennes entreprises.

Invoquant l'article 10 du code civil ainsi que les articles 11 et 133 à 142 du code de procédure civile, Maître X. sollicite la production forcée des factures des honoraires perçus par Maître Y. dans les dossiers auxquels il a collaboré, et, à défaut, ils demandent la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 50.000,00 euros.

Si le droit de la concurrence est jugé inapplicable, il demande, à défaut de production des factures d'honoraires, la somme de 70.000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des principes de désintéressement et de modération prévue à l'article 3 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat.

En l'absence de qualification en contrat de collaboration, Maître X. estime que sa demande de dommages-intérêts peut néanmoins prospérer pour violation du droit de la concurrence en raison de la disproportion manifeste ou du déséquilibre significatif ayant existé entre les obligations des parties. Même en cas d'absence d'application du droit de la concurrence, il considère que la responsabilité contractuelle de Maître Y. est engagée sur le fondement de l'article 1147 du code civil pour violation des règles déontologiques et que sur ce seul fondement, la somme de 70.000,00 euros lui est due à titre de dommages-intérêts si Maître Y. ne produit pas les factures d'honoraires.

En tout état de cause, Maître X. demande qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision de l'Autorité de la Concurrence qu'il a saisie pour abus d'exploitation de sa dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce ainsi qu'une somme de 10.000,00 euros à titre provisionnel.

Il reproche aussi à Maître Y. une violation de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle au motif qu'il l'a systématiquement écarté de la signature des lettres et actes dont il était le rédacteur et l'auteur intellectuel en violation de l'article 132 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991. Il rappelle avoir déposé plainte auprès du Procureur de la République sur le fondement des articles L. 335-2 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle et sollicite qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette plainte déposée le 12 août 2013. Il sollicite d'ores et déjà, pour la partie prescrite des infractions dénoncées, la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour confusion constitutive de concurrence déloyale et parasitisme résultant du bénéfice de son travail.

Il s'oppose en outre à la demande reconventionnelle de Maître Y. fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile et demande la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Par conclusions en date du 13 octobre 2014 et oralement à l'audience, Maître Y. demande à la cour,

À titre principal,

Vu les articles L. 442 et D. 442-3, L. 420-7 et R. 420-5 du code de commerce,

- de déclarer l'appel interjeté par Maître X. irrecevable pour le tout ;

en conséquence,

- de le débouter de toutes ses demandes fins et conclusions ;

À titre subsidiaire,

Vu les articles 122 du code de procédure civile et 1351 du code civil,

Vu les principes de concentration des moyens, de loyauté des débats et d'interdiction de se contredire aux dépens d'autrui,

- de dire que les demandes de Maître X. sont irrecevables ;

en conséquence,

- de le débouter de toutes ses demandes fins et conclusions ;

À titre très subsidiaire,

Vu l'article 18 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises,

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce et l'article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 991 organisant la profession d'avocat,

Vu l'article 378 du code de procédure civile,

Vu l'article 4 alinéa 3 du code de procédure pénale,

Vu l'article 1315 du code de civil et l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce,

- de dire qu'aucun contrat de collaboration libérale ne liait Maître X. et Maître Y. ;

- de dire que les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ne sont pas applicables aux relations nouées entre Maître X. et Maître Y. ;

- de dire qu'il n'y a lieu de surseoir à statuer sur aucune des demandes formées par Maître X. ;

- de constater que Maître X. n'établit pas les œuvres signées par Maître Y. dont il serait l'auteur ;

- de dire qu'il n'y avait pas de dépendance économique de Maître X. à l'égard de Maître Y. ;

en conséquence,

- de débouter Maître X. de toutes ses demandes fins et conclusions ;

À titre reconventionnel,

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile l'article 1382 du code civil,

- de dire que Maître X., par une nouvelle action manifestement irrecevable et mal fondée, par la multiplicité des procédures intentées contre Maître Y. sans autre motivation que le ressentiment personnel à son égard, a caractérisé l'abus du droit d'agir en justice ;

en conséquence,

- de condamner Maître X. à une amende civile d'un montant de 3.000,00 euros ;

- de condamner Maître X. à verser à Maître Y. une somme de 5.000,00 euros à titre de dommages-intérêts ;

- de condamner Maître X. à verser à Maître Y. une somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner Maître X. aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision.

Maître Y. précise que Maître X. connaissait ses futures conditions d'exercice pour avoir travaillé du 31 août 2006 au 31 août 2007 en qualité d'avocat au sein de son cabinet. Il indique que, bénéficiant d'une expérience professionnelle antérieure de 8 années en droit social, l'appelant souhaitait créer son propre cabinet à Paris et à Angers, et développer sa propre activité en dehors de toute collaboration libérale ou salariale. Maître Y. ajoute qu'ayant déjà 3 collaborateurs et travaillant déjà dans le domaine du droit social, il n'envisageait pas un nouveau contrat de collaboration. C'est pour ces raisons que n'a été conclue qu'une convention d'occupation à titre précaire en novembre 2007, Maître Y. acceptant de sous-traiter à Maître X., pour lui assurer un chiffre d'affaires minimum, certains dossiers moyennant le règlement de facture d'honoraires établies par Maître X. à hauteur de 1.000,00 euros par mois. Maître Y. souligne que ces accords ont été exécutés sans difficulté pendant 3 ans.

Maître Y. soutient que, en application de l'article D. 442-3 du code de commerce, les demandes principales et subsidiaires de Maître X. sur le fondement des articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce relèvent en de la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris.

À titre subsidiaire, il invoque l'irrecevabilité des demandes de l'appelant pour violation de l'autorité de la chose jugée en application du principe de la concentration des moyens sur le fondement des articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil au motif que le nouveau moyen juridique invoqué au soutien des mêmes demandes n'a pas été présenté lors de l'instance précédemment engagée tendant à la requalification de la relation entre lui et l'appelant en relation salariale. Il considère que cette précédente instance et la présente instance portent sur le même litige entre les mêmes parties et que les deux actions indemnitaires sont de même nature et sont fondées sur les mêmes faits, et que le moyen juridique nouveau tiré de la qualification de contrat de collaboration libérale aurait donc du être invoqué dans la précédente instance.

Au motif que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, Maître Y. soutient aussi que les demandes de Maître X. fondées sur l'existence d'un contrat de collaboration sont irrecevables, l'existence d'un tel contrat étant contradictoire avec celle d'un contrat de travail vainement alléguée dans le cadre de la précédente instance et Maître X. ayant lui-même, précédemment soutenu à plusieurs reprises par conclusions devant la cour d'appel et la Cour de cassation l'inexistence d'un contrat de collaboration libérale.

À titre très subsidiaire, l'intimé soutient l'inexistence d'un tel contrat.

Il affirme que la volonté de Maître X. était d'exercer à titre individuel et qu'en application de l'article 1134 du code de civil, la commune intention des parties lors de la conclusion du contrat en novembre 2007 n'était pas de créer une collaboration libérale. Il relève que l'appelant ne rapporte pas la preuve qui lui incombe en application de l'article 315 du code civil d'avoir travaillé sur les dossiers dont il dresse la liste et à propos desquels il sollicite la communication des factures d'honoraires alors que la majorité de ces dossiers sont des dossiers collectifs ne pouvant être comptabilisée au titre de chacun des salariés demandeurs et qui étaient en cours à l'arrivée de Maître X. Il soutient que ce dernier, en raison du développement de sa clientèle personnelle, ne travaillait qu'occasionnellement pour lui comme en atteste 41 factures qui sont propres à l'appelant.

Maître Y. conteste que l’arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2013 a retenu l'existence d'un contrat de collaboration alors que Maître X. n'a exercé qu'à titre individuel en dehors de tout contrat de travail n'utilisant la convention d'occupation précaire que pour se procurer un domicile professionnel à moindres frais en application de l'article 15 du Règlement Interne National.

L'intimé admet que les avocats sont soumis aux règles de prohibition des pratiques anticoncurrentielles visées par l'article II du livre IV du code de commerce mais conteste l'application entre avocats de l'article L. 442-6 du même code dont l'objet de lutter contre l'abus des déséquilibres dans une relation de partenariat commercial, relation qui est prohibée s'agissant des avocats par des règles déontologiques propres leur interdisant tout acte de commerce en application de l'article 111 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991. En tout état de cause, Maître Y. soutient que l'appelant ne rapporte la preuve ni de l'existence d'un quelconque préjudice ni de l'étendue de celui-ci et qu'il ne peut prétendre à une indemnisation forfaitaire en application des articles 10 du code de civil et 11 du code de procédure civile.

L'intimé s'oppose en outre au sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale en invoquant l'article 4 alinéa 3 du code de procédure pénale et la prescription des faits allégués. Il ajoute qu'en tout état de cause la plainte a été classée sans suite le 30 avril 2014.

Il conteste toute violation des droits de propriété intellectuelle de Maître X. en relevant que ce dernier n'a, de 2007 à 2010, pas revendiqué être l'auteur des actes signés par Maître Y. et qu'il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'il est titulaire sur ces actes du droit de propriété incorporelle d'auteur.

Maître Y. s'oppose aussi la demande de sursis à statuer jusqu'à la décision de l'Autorité de la Concurrence relatif à un abus de dépendance économique qu'il conteste en application de l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce qui ne concerne que l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Il affirme d'une part que ce texte ne peut recevoir application dans les relations entre deux avocats exerçant à titre individuel, d'autre part que Maître X. n'était pas en état de dépendance économique puisqu'il n'existait aucun obstacle juridique contractuel à sa faculté de diversification. Il souligne que la possibilité de sous-traiter ponctuellement à l'appelant certains dossiers moyennant des factures d'honoraires mensuels forfaitaires n'avait pour but que de lui assurer un chiffre d'affaires minimum au début de l'exercice son activité alors qu'il disposait lui-même, par son expérience et ses compétences, des réseaux nécessaires pour créer et développer sa clientèle propre.

Sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et de l'article 1382 du code civil, Maître Y. invoque un acharnement procédural et un abus du droit d'ester en justice et sollicite une amende civile de 3.000,00 euros et la somme de 20.000,00 euros à titre de dommages-intérêts.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité :

L'article L. 442-6 du code de commerce relatif à l'action en responsabilité dirigée contre l'auteur de d'un déséquilibre abusif dans une relation commerciale dispose, aux alinéas 1 et 5 de son paragraphe III : « [...] L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.

[...] Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. »

L'article D. 442-3 du code de commerce issu du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence énonce : « Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre.

La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris. »

L'article L. 420-7 du code de commerce prévoit notamment que les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 « sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétences entre les ordres de juridiction, aux juridictions civiles ou commerciales dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également le siège et le ressort de la ou des cours d'appel appelées à connaître des décisions rendues par ces juridictions. »

L'article R. 420-5 du code de commerce donne à la cour d'appel de Paris compétence exclusive pour l'application de la 2e phrase de l'article L. 420-7 du même code.

Le législateur a ainsi entendu conférer une compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour juger les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 et de l'article L. 420-2 du code de commerce quelle que soit la nature civile ou commerciale de la juridiction de première instance.

Le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie ne constitue pas une exception de compétences mais une fin de non-recevoir d'ordre public en application de l'article 125 du code de procédure civile.

En l'espèce, Maître X. fonde en partie ses demandes sur les articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce. La cour d'appel de Paris est donc exclusivement compétente pour en connaître.

L'appelant ne peut utilement prétendre être privé du droit d'accès à un tribunal puisque les textes ci-dessus rappelés se limitent à désigner des juridictions spécialisées exclusivement compétentes pour connaître de certains domaines du droit et lui permettent ainsi de bénéficier de la compétence accrue de magistrats spécialisés dans le contentieux du droit de la concurrence.

Maître X. sollicite, en cas d'irrecevabilité, la disjonction des demandes fondées sur ce texte des autres demandes.

Les articles 367 et 368 du code de procédure civile permettent au juge d'apprécier souverainement, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, s'il y a lieu d'ordonner la disjonction d'une instance en plusieurs par mesure d'administration judiciaire.

En l'espèce, l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande qu'une seule juridiction connaisse de l'ensemble des demandes présentées en cause d'appel par Maître X., étant observé que ses demandes fondées sur le droit de la concurrence apparaissent essentielles dans le litige qui l'oppose à Maître Y. La spécialisation des juridictions qui permet de faire juger cette problématique complexe et technique par des magistrats spécialisés ne doit pas conduire ni à une insécurité juridique ni à une complexité accrue résultant d'un morcellement de la procédure.

En conséquence, la présente juridiction n'a pas le pouvoir de connaître de l'appel formé contre la décision rendue le 27 décembre 2013 par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau d'Angers.

Maître X. sera tenu au paiement des dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à payer à Maître Y. la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

DÉCLARE irrecevable l'appel diligenté devant la cour d'appel d'Angers par Maître X. à l'encontre de la décision rendue le 27 décembre 2013 par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau d'Angers ;

DÉBOUTE Maître X. de sa demande de disjonction ;

CONDAMNE Maître X. à payer à Maître Y. la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ;

CONDAMNE Maître X. au paiement des entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT

Denis BOIVINEAU              Louis-Denis HUBERT