CA AIX-EN-PROVENCE (2e ch.), 5 novembre 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 5342
CA AIX-EN-PROVENCE (2e ch.), 5 novembre 2015 : RG n° 14/24336 ; arrêt n° 2015/359
Publication : Jurica
Extrait : « La clause d'arbitrage de l'article 23 de l'accord du 4 février 2005 est ainsi entièrement nouvelle malgré presque 5 mois de négociations, et le fait que cet accord n'a été signé ni par la société TUX ni par la société SONOMED ni par la société B-K MEDICAL caractérise incontestablement une absence de volontés de ces 3 personnes de recourir à l'arbitrage, ce qui rend cette clause manifestement nulle et inapplicable au litige comme l'a retenu à bon droit le Tribunal de Commerce ; est donc exclue la mise en œuvre du « principe compétence / compétence » par l'arbitre, lequel ne pouvait être saisi vu l'absence de tout engagement contractuel sur une clause d'arbitrage ; le versement de la somme de 100.000 euros le 10 décembre 2004 par la société B-K MEDICAL à la société TUX caractérise certes un commencement d'exécution de leur relation contractuelle, mais est antérieur à cet accord qui ne lui est donc pas applicable non plus que sa clause.
L'action de la société TUX a été effectivement engagée en référence globale à l'accord du 4 février 2005, mais seules les clauses de ce dernier autres que celle d'arbitrage avaient déjà fait l'objet de discussions et d'acceptations et liaient les parties, ce qui justifie cette référence qui ne concernait nullement la clause litigieuse. »
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT SUR CONTREDIT
ARRÊT DU 5 NOVEMBRE 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/24336. Arrêt n° 2015/359. Décision déférée à la Cour : Contredit à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de CANNES en date du 27 novembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2013f00245.
DEMANDERESSES EN CONTREDIT :
Société B-K MEDICAL APS,
demeurant [adresse], représentée par Maître Alexandre BAILLY, avocat au barreau de PARIS
Société ANALOGIC CORPORATION,
demeurant [adresse], représentée par Maître Alexandre BAILLY, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDEUR AU CONTREDIT :
Maître Didier CARDON, es qualité de liquidateur judiciaire de la Société TUX ULTRASOUND SAS
demeurant [adresse], représenté par Maître Sylvain ROSTAGNI, avocat au barreau de GRASSE
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 21 septembre 2015 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de : Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président, Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller, Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2015
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2015, Signé par Madame Christine AUBRY-CAMOIN, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS - PROCÉDURE - DEMANDES :
La française SAS TUX ULTRASOUND, qui a une filiale la société norvégienne SONOMED AS., a mis au point en 2004 un pack d'imagerie ultrasonore portant le nom « SonoPC ».
La société danoise B-K MEDICAL APS ayant pour directeur général Monsieur Y. s'occupe de diagnostic ultrason, et a pour maison-mère la société états-unienne ANALOGIC CORPORATION.
À partir de septembre 2004 des négociations ont commencé entre les sociétés TUX et SONOMED d'une part, les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC d'autre part, avec échange d'un certain nombre de courriels, en vue de l'élaboration d'un contrat de licence. Le 10 décembre un versement de 100.000 euros a été fait par la société B-K MEDICAL à la société TUX.
Une version d'un accord de développement et de licence en anglais sur 13 pages entre d'une part la société B-K MEDICAL, et d'autre part la SAS TUX ULTRASOUND et la société SONOMED, datée du 4 février 2005 mais non signée, stipule dans sa traduction française : « 23. LITIGES : (...) tout litige découlant ou lié au Contrat sera tranché définitivement par l'arbitrage, conformément aux Règles de l'Institut d'Arbitrage de Copenhague. Le lieu de l'arbitrage sera Copenhague et le droit danois sera applicable ».
Après cette date les discussions ont continué jusqu'au 10 mars 2005, jour où la société B-K MEDICAL a annoncé à la société TUX que la société ANALOGIC et elle ne pouvaient finaliser leur « deal ».
La SAS TUX ULTRASOUND a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 29 mars 2005, et la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 3 juin 2008 ; cette liquidation judiciaire a été reprise par jugement du 30 mars 2010, et clôturée à nouveau pour insuffisance d'actif par jugement du 27 mars 2012. Une seconde reprise de la procédure de liquidation judiciaire a été ordonnée par jugement du 17 décembre 2013 désignant Maître Didier CARDON en qualité de liquidateur.
Les 16 mai et 3 juin 2013 la société TUX prise en la personne de son mandataire liquidateur Maître CARDON a fait assigner respectivement la société B-K MEDICAL et la société ANALOGIC CORPORATION, à titre principal en rupture abusive et déloyal de leur relation contractuelle concrétisée par l'accord du 4 février 2005 et en dommages et intérêts, et à titre subsidiaire en rupture abusive, brutale et unilatérale des pourparlers et en dommages et intérêts ; le Tribunal de Commerce de CANNES, par jugement du 27 novembre 2014 retenant que la version définitive du projet de contrat n'a jamais été signée, et que le contrat invoqué par les défenderesses n'est jamais entré en vigueur entre les parties :
* a dit l'exception d'incompétence [soulevée par celles-ci au profit du Tribunal Arbitral] recevable mais non fondée ;
* s'est déclaré compétent ;
* (...) ;
* a réservé les dépens.
La société B-K MEDICAL APS et la société ANALOGIC CORPORATION ont régulièrement formé contredit le 12 décembre 2014, et par conclusions n° 2 du 21 septembre 2015 soutiennent notamment que :
- la lettre d'intention de la société B-K MEDICAL est du 5 octobre, et la société TUX a transmis le projet de contrat le 4 février 2005 ;
- cette société fonde son action sur ce projet qu'elle estime être entré en vigueur entre les parties ; la question de l'opposabilité ou non de la clause compromissoire relève de la compétence exclusive de l'arbitre, même si le litige est de nature précontractuelle ;
- le Tribunal de Commerce n'a pas caractérisé la nullité ou l'inapplicabilité manifestes de la clause compromissoire ;
- l'absence d'entrée en vigueur du projet de contrat ne fais pas échec à la compétence exclusive de l'arbitre pour statuer sur l'existence, la validité, l'opposabilité et l'étendue de cette clause ; seul le Tribunal Arbitral est compétent pour statuer sur ces points ; la société TUX elle-même cite le projet de contrat comme fondement contractuel de sa demande, et l'a communiqué ;
- le principe de l'estoppel est inapplicable ;
- la société TUX les a assignées en responsabilité contractuelle sur le fondement d'un contrat tout en occultant les dispositions de celui-ci qui lui sont défavorables (application de la loi danoise et compétence du Tribunal Arbitral) ;
- les accusations de cette société sont dénuées de fondement ; il n'existe aucune fraude ni aucun déséquilibre significatif de nature à faire échec à la compétence du Tribunal Arbitral ;
- la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de CANNES pour la procédure collective de la société TUX est limitée aux contestations nées de celle-ci, ce qui n'est pas le cas du litige contractuel initié par cette société ;
- les demandes de la société TUX sont contractuelles à titre principal et délictuelles à titre subsidiaire, ce qui ne peut rendre la clause compromissoire manifestement inapplicable ;
- cette société a clairement posé le projet de contrat comme le seul fondement contractuel de sa demande.
Les [deux] auteurs du contredit demandent à la Cour, vu les articles 76, 80 et suivants ainsi que 1148 du Code de Procédure Civile, de :
- constater :
* que la société TUX se fonde à titre principal sur le projet de contrat (au motif qu'il serait entré en vigueur) pour mettre en jeu leur responsabilité contractuelle ;
* l'existence d'une clause compromissoire dans ce projet ;
* que le Tribunal Arbitral a seul compétence pour statuer sur sa compétence au regard des demandes principales et subsidiaires de la société TUX ;
- infirmer le jugement et statuant à nouveau :
* se déclarer incompétente au profit du Tribunal Arbitral visé par l'article 23 du projet de contrat et constitué conformément aux règles de l'Institut d'Arbitrage de COPENHAGUE ;
* débouter la société TUX de l'intégralité de ses demandes ;
* leur donner acte qu'elles réservent leurs droits sur le fond du dossier et souhaitent conclure au fond dans l'hypothèse où le contredit serait rejeté, en application de l'article 76 du Code de Procédure Civile ;
- condamner la société TUX au paiement de la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile soit 10.000 euros chacune.
Par conclusions la SAS TUX ULTRASOUND prise en la personne de son mandataire liquidateur Maître Didier CARDON répond notamment que :
- « SonoPC » correspond à ce que recherchent les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC ;
- la première a versé les 100.000 euros le 10 décembre 2004 sans attendre la finalisation des accords écrits, dont la société TUX ne doute plus ; les termes de la relation contractuelle convenue entre cette société et la société TUX ont bien été validés par elles, et l'obligation de paiement de la société B-K MEDICAL a reçu un début d'exécution ; les négociations se sont poursuivies concernant le détail de la rédaction du contrat jusqu'au 4 février 2005, date à laquelle les parties s'accordent sur les principaux termes de leur accord définitif ; la rupture brutale par la société B-K MEDICAL le 10 mars a été annoncée contre toute attente ;
- au regard du principe de l'estoppel les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC se contredisent manifestement car elle expose d'une part ne pas être liées par le projet de contrat du 4 février 2005 avant l'acceptation du conseil d'administration de la première, et d'autre part se fonder sur lui pour écarter la compétence de la Cour ;
- le schéma contractuel mis en place par la société ANALOGIC est abusif et déséquilibré ; cette société savait que la clause d'arbitrage ne ferait pas l'objet d'une négociation dans l'immédiat ; cette clause peut être jugée abusive lorsqu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties, ce qui est le cas puisque la société TUX a de faibles moyens et doit aller plaider hors de son pays et dans une langue étrangère ;
- à titre infiniment subsidiaire le Tribunal de Commerce de CANNES est compétent parce que la liquidation judiciaire de la société TUX qu'il a prononcée résulte de la rupture brutale de ses relations avec les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC ; le présent litige est directement lié à cette liquidation judiciaire ;
- à titre très infiniment subsidiaire la clause d'arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable, les divers courriers antérieurs au 4 février 2005 ne la s prévoyant pas.
La concluante demande à la Cour, vu les articles 42 et suivants, 74 à 76 et 80 du Code de Procédure Civile, 1131, 1133, 1147 et 1382 du Code Civil, L. 442-6 du Code de Commerce, de confirmer le jugement, et de condamner ses 2 adversaires in solidum au paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de Maître CARDON es-qualité.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE L’ARRÊT :
Le Code de Procédure Civile prescrit :
- « À peine de nullité, la convention d'arbitrage est écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale » (article 1443) ;
- « Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable » (article 1148 alinéa 1).
La clause datée du 4 février 2005 mais non signée [« l'arbitrage, conformément aux Règles de l'Institut d'Arbitrage de Copenhague. Le lieu de l'arbitrage sera Copenhague et le droit danois sera applicable »] est muette quant au tribunal arbitral, lequel n'a donc par définition pas été saisi.
Il n'est pas possible de déterminer si le projet de contrat du 4 février 2005 stipulant la clause d'arbitrage au Danemark a été rédigé par les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC, ou par la société TUX ; cependant le fait qu'il n'ait été signé par aucune des parties que sont la société B-K MEDICAL, la société TUX et la société SONOMED exclut le consentement de celles-ci, et oblige à examiner les documents antérieurs pour y trouver éventuellement mention de cette clause.
La société TUX et son liquidateur judiciaire soulignent avec raison que ladite clause d'arbitrage n'est inscrite en 2004 :
- ni dans l'accord de confidentialité du 13 septembre ;
- ni dans celui du 15 septembre mentionnant les lois et juridictions de l'Etat du Massachusetts (USA) ;
- ni dans la lettre de la société B-K MEDICAL du 5 octobre qui ne mentionne que les lois du Danemark ;
- ni dans les lettres de la même des 6 et 7 décembre ;
et de plus cette clause n'a jamais été, dans les divers courriels échangés entre par les sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC et la société TUX tout au long des années 2004 et 2005, ne serait-ce que discutée ou même envisagée.
La clause d'arbitrage de l'article 23 de l'accord du 4 février 2005 est ainsi entièrement nouvelle malgré presque 5 mois de négociations, et le fait que cet accord n'a été signé ni par la société TUX ni par la société SONOMED ni par la société B-K MEDICAL caractérise incontestablement une absence de volontés de ces 3 personnes de recourir à l'arbitrage, ce qui rend cette clause manifestement nulle et inapplicable au litige comme l'a retenu à bon droit le Tribunal de Commerce ; est donc exclue la mise en œuvre du « principe compétence / compétence » par l'arbitre, lequel ne pouvait être saisi vu l'absence de tout engagement contractuel sur une clause d'arbitrage ; le versement de la somme de 100.000 euros le 10 décembre 2004 par la société B-K MEDICAL à la société TUX caractérise certes un commencement d'exécution de leur relation contractuelle, mais est antérieur à cet accord qui ne lui est donc pas applicable non plus que sa clause.
L'action de la société TUX a été effectivement engagée en référence globale à l'accord du 4 février 2005, mais seules les clauses de ce dernier autres que celle d'arbitrage avaient déjà fait l'objet de discussions et d'acceptations et liaient les parties, ce qui justifie cette référence qui ne concernait nullement la clause litigieuse.
Enfin la Cour retient que :
- d'une part le litige est distinct de la liquidation judiciaire de la société TUX même s'il peut en être la cause, et par suite ne relève pas de la compétence du Tribunal de Commerce de CANNES saisi de cette procédure collective ;
- d'autre part que les relations contractuelles consistaient en une licence du pack « SonoPC » de la société TUX en faveur des sociétés B-K MEDICAL et ANALOGIC, ce qui implique leur exécution même partielle au siège de la première situé à MOUGINS soit dans le ressort du Tribunal de Commerce de CANNES.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCISION :
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Confirme le jugement du 27 novembre 2014.
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile condamne in solidum la société B-K MEDICAL APS et la société ANALOGIC CORPORATION à payer à Maître Didier CARDON es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS TUX ULTRASOUND une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Rejette toutes autres demandes.
Condamne in solidum la société B-K MEDICAL APS et la société ANALOGIC CORPORATION aux dépens du contredit.
Le GREFFIER. Le PRÉSIDENT.