CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA DOUAI (ch. 2 sect. 1), 3 décembre 2015

Nature : Décision
Titre : CA DOUAI (ch. 2 sect. 1), 3 décembre 2015
Pays : France
Juridiction : Douai (CA), 2e ch. sect. 1
Demande : 14/03789
Date : 3/12/2015
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 18/06/2014
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 5421

CA DOUAI (ch. 2 sect. 1), 3 décembre 2015 : RG n° 14/03789

Publication : Jurica

 

Extrait : « Attendu précisément que c'est à tort que la société H&2M conteste l'opposabilité de cette clause ; qu'en effet, la société H&2M est mentionnée en tant que destinataire sur le connaissement et a donc la qualité de partie ; qu'elle conteste également la validité de la clause ; que toutefois les arguments qu'elle développe ne peuvent être retenus ; qu'en effet, les dispositions de l'article 1150 du Code civil ne peuvent être utilement invoquées en l'espèce, le délai de transport litigieux ne pouvant être imputé à un dol ou à une faute lourde ou intentionnelle du transporteur mais résultant d'une avarie survenue sur un dispositif de grutage équipant le port de destination ; qu'une telle clause est par ailleurs parfaitement licite puisque, contrairement à ce que soutient H&2M, elle n'a pas pour effet de permettre au transporteur d'échapper à une obligation essentielle du contrat de transport maritime, le délai d'acheminement ne constituant pas une telle obligation à défaut d'engagement explicite sur un délai impératif, condition en l'espèce non remplie ; qu'enfin, les dispositions invoquées du code de la consommation relatives aux clauses abusives sont sans application en l'espèce ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 3 DÉCEMBRE 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 14/03789. Jugement (N° J201300002) rendu le 7 mai 2014 par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE.

 

APPELANTE :

Société ENTREPRISE H&2M

Immatriculation au registre du Commerce de Moroni (Union des Comores) ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître Gérald MALLE, avocat au barreau de LILLE, substitué par Maître FRANCOIS, associé

 

INTIMÉES :

SA SCHENKER

agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié audit siège, ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître Patrick DELAHAY, avocat au barreau de DOUAI, Assistée de Maître Christophe NICOLAS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître Kolia BARRIAL, collaborateur

SA CMA CGM,

prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège ASSIGNÉE EN INTERVENTION FORCÉE le 29.10.2014 à signification remise à personne habilitée, ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître Dominique LEVASSEUR, constitué aux lieu et place de Maître Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI, Assistée de Maître MICHALEK, avocat au barreau de PARIS

 

DÉBATS à l'audience publique du 7 octobre 2015 tenue par Philippe BRUNEL magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marguerite-Marie HAINAUT

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Philippe BRUNEL, Conseiller faisant fonction de Président, Sandrine DELATTRE, Conseiller, Stéphanie ANDRE, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Philippe BRUNEL, Conseiller faisant fonction de Président et Marguerite-Marie HAINAUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 septembre 2015

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu le jugement du tribunal de commerce de Lille - Métropole en date du 7 mai 2014 qui, saisi par la société Desmazières et la société Entreprise H&2M (la société H&2M), en leur qualité d'expéditeur et de destinataire, de demandes de condamnation à l'égard de la société Schenker à laquelle la société Desmazières avait confié le transport de 30 tonnes de plans de pommes de terre depuis Le Havre jusqu'à Moroni (Comores), au paiement d'une somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du retard dans l'acheminement de ces marchandises, a jugé la société Desmazières irrecevable en ses demandes et rejeté la demande de la société H&2M au motif que le retard relevait des aléas du transport maritime et que le délai global n'avait pas été déraisonnable, la date de livraison initialement estimée ne présentant pas de caractère impératif ;

Vu la déclaration d'appel de la société H&2M en date du 18 juin 2014 ;

Vu les dernières conclusions de la société H&2M en date du 9 septembre 2015 demandant l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté sa demande et sollicitant la condamnation de la société Schenker, soit au titre de la responsabilité de plein droit qu'elle encourt par application des articles L. 132-2 et suivants du code de commerce en tant que commissionnaire, soit au titre de sa responsabilité pour manquement à son devoir de conseil, à lui payer la somme de 7.800 euros correspondant au montant du rabais qui a dû être consenti au ministère de l'agriculture comorien, auquel les marchandises étaient destinées ; la société appelante estime en particulier que le délai réel d'acheminement soit 78 jours ne peut être considéré comme raisonnable alors que la durée en avait initialement été fixée à 36 jours, la panne d'un dispositif de grutage invoqué pour expliquer ce retard ne constituant pas un élément exonératoire ; la société H&2M conteste par ailleurs que puisse lui être opposée l'exonération de responsabilité qui aurait été stipulée dans les conditions générales de transport de la société CMA, une telle clause devant être selon elle réputée non écrite au motif qu'elle contrevient aux dispositions de l'article 1150 du Code civil, qu'elle vide de toute substance une obligation essentielle du contrat et serait abusive au regard des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de la consommation ; à titre subsidiaire la société appelante soutient que si cette exonération de responsabilité devait être considérée valable, le commissionnaire serait responsable pour avoir manqué à son obligation de conseil en faisant souscrire un contrat de transport maritime ne prévoyant pas de délais de livraison impératif et prévoyant une exonération de responsabilité ;

Vu les dernières conclusions de la société Schenker en date du 20 mai 2015 demandant la confirmation du jugement ; elle estime que le transporteur maritime n'est pas responsable en cas de retard lorsqu'aucun délai spécifique n'a été stipulé et qu'en l'espèce, le donneur d'ordre ne lui a jamais demandé un engagement sur une date de livraison précise, les délais figurant sur la cotation et la facture étant dans ces conditions seulement indicatifs ; elle estime également que le retard constaté en l'espèce n'a pas été déraisonnable et indique que les conditions générales du transporteur maritime excluent toute responsabilité en cas de retard et que ces conditions sont opposables à la société H&2M qui figure sur le connaissement en tant que destinataire ; elle conteste l'analyse faite par la société H&2M quant à la validité de la clause exonératoire en faisant valoir que le délai d'acheminement ne constitue pas une obligation essentielle du contrat de transport maritime ; elle estime en conséquence que sa responsabilité en tant que commissionnaire ne peut être retenue du fait du transporteur puisque celui-ci en application de ses conditions générales n'est pas responsable ; elle soutient enfin n'avoir commis aucune faute personnelle, aucune instruction du donneur d'ordre ne lui ayant été donnée quant au respect d'un délai d'acheminement impératif ; à titre subsidiaire elle fait valoir que la société H&2M ne rapporte pas la preuve de son préjudice et sollicite la garantie du transporteur ;

Vu les dernières conclusions de la société CMA-CGM en date du 21 mai 2015, appelée en garantie par la société Schenker, demandant la confirmation du jugement en ce qu'il avait estimé qu'aucun délai de livraison n'avait été convenu, les dates figurant sur les documents de transport n'ayant qu'une valeur indicative et que la durée de l'expédition n'était pas anormale ; à titre subsidiaire, elle soutient que la société H&2M ne rapporte pas la preuve de son préjudice ni du lien de causalité entre celui-ci et le délai de transport ; elle soutient enfin que la demande de garantie présentée à son égard par la société Schenker doit être rejetée dès lors qu'aucun délai n'avait été convenu de façon impérative et que, en toute hypothèse, ses conditions générales excluent toute responsabilité résultant d'un retard ; elle estime à ce titre que les arguments avancés par la société H&2M pour contester l'application de cette clause exonératoire de responsabilité ne sont pas pertinents ;

Vu l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2015 ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Attendu que les éléments de fait ont été complètement et exactement énoncés dans le jugement déféré auquel la cour entend en conséquence renvoyer à ce titre ; qu'il sera seulement rappelé que la société Desmazières, vendeur de plants de pommes de terre à la société H&2M établie à Moroni (Comores), s'est rapprochée de la société Schenker, commissionnaire de transport, pour l'organisation du transport de 30 tonnes de plants de pommes de terre au départ du Havre ; que le transport maritime a été confié par la société Schenker à la compagnie CMA ; que la marchandise a été chargée au port du Havre le 29 février 2012 ; qu'elle devait être déchargée au port de Moroni le 4 avril 2012 ; qu'en définitive, la marchandise a été déchargée au port de Moroni et livrée à son destinataire le 16 mai 2012 ; que c'est dans ces conditions que les sociétés Desmazières et H&2M ont assigné la société Schenker devant le tribunal de commerce de Lille en indemnisation du préjudice résultant du retard dans l'acheminement ; que la société Schenker a alors appelé en garantie la compagnie CMA-CGM ; que le tribunal de commerce a rendu le jugement déféré ;

Attendu que la société H&2M recherche la responsabilité de la société Schenker du fait du retard dans la livraison de la marchandise ; que celle-ci a la qualité de commissionnaire et que sa responsabilité peut ainsi être mise en cause soit du fait du transporteur qu'elle s'est substituée, en l'espèce la société CMA-CGM, soit en raison de sa faute personnelle ;

 

Sur la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur substitué :

Attendu qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient la société H&2M, aucun délai impératif n'a été mis à la charge du transporteur ; qu'en effet, le seul document auquel se réfère la société appelante à ce titre est une facture établie par la société Schenker à l'ordre de la société Desmazières ; que l'indication qui y est portée « 28 février 2012 /4 avril 2012 » correspond respectivement aux dates estimées de départ et d'arrivée (ETD/ETA) ; qu'elle ne saurait compte tenu de son caractère estimatif avoir valeur d'engagement contractuel ; qu'aucun autre document produit ne fait apparaître un engagement du commissionnaire ou du transporteur quant à une date précise d'arrivée ;

Attendu que, à défaut d'engagement contractuel sur une date d'arrivée ou de livraison, il peut seulement être exigé du transporteur maritime le respect d'un délai normal ou raisonnable ; qu'à supposer que le délai constaté pour la réalisation du transport litigieux à savoir 78 jours ne puisse être considéré comme normal ou raisonnable au regard des circonstances de fait et alors qu'un commissionnaire concurrent approché par la société Desmazières mentionnait un délai de mer de 50 jours environ, force est de constater que les conditions générales du contrat de transport conclu avec la société CMA-CGM stipulent une exonération de responsabilité pour les dommages résultant d'un retard ; que, même si la photocopie du connaissement produite aux débats est une photocopie partielle ne faisant pas apparaître l'ensemble des conditions générales du transporteur, la stipulation d'une telle clause revêt un caractère systématique s'agissant des connaissements établis par CMA-CGM ; qu'en toute hypothèse, la société H&2M dans ses conclusions ne conteste pas réellement que cette clause exonératoire soit en l'espèce applicable mais qu'elle lui soit opposable ;

Attendu précisément que c'est à tort que la société H&2M conteste l'opposabilité de cette clause ; qu'en effet, la société H&2M est mentionnée en tant que destinataire sur le connaissement et a donc la qualité de partie ; qu'elle conteste également la validité de la clause ; que toutefois les arguments qu'elle développe ne peuvent être retenus ; qu'en effet, les dispositions de l'article 1150 du Code civil ne peuvent être utilement invoquées en l'espèce, le délai de transport litigieux ne pouvant être imputé à un dol ou à une faute lourde ou intentionnelle du transporteur mais résultant d'une avarie survenue sur un dispositif de grutage équipant le port de destination ; qu'une telle clause est par ailleurs parfaitement licite puisque, contrairement à ce que soutient H&2M, elle n'a pas pour effet de permettre au transporteur d'échapper à une obligation essentielle du contrat de transport maritime, le délai d'acheminement ne constituant pas une telle obligation à défaut d'engagement explicite sur un délai impératif, condition en l'espèce non remplie ; qu'enfin, les dispositions invoquées du code de la consommation relatives aux clauses abusives sont sans application en l'espèce ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces observations que la responsabilité du commissionnaire ne peut être retenue du fait du transporteur qu'il s'est substitué ;

 

Sur la responsabilité du commissionnaire de son fait personnel :

Attendu que l'appelante fait grief à la société Schenker de n'avoir pas prévu dans le contrat de transport un délai de livraison impératif et d'avoir permis au transporteur de stipuler une clause exonératoire de responsabilité en cas de retard ; que toutefois, il ne résulte d'aucun des documents produits que le donneur d'ordre, la société Desmazières, aurait attiré l'attention du commissionnaire sur la nécessité de prévoir une date de livraison impérative ; que, s'il résulte d'un courriel produit en pièces numéro cinq par la société H&2M adressé par elle le 2 février 2012 à la société Desmazières qu'elle a attiré l'attention de cette société sur « la nécessité de trouver une compagnie qui assurera le transport le plus direct possible de façon à avoir une livraison sur Moroni impérativement en mars » force est de constater qu'une telle exigence, à supposer qu'elle ait pu être satisfaite, n'apparaît pas avoir été retransmise au commissionnaire ; qu'il ne peut être attendu de celui-ci qu'il attire lui- même l'attention du donneur d'ordre, professionnel de la vente de plans et semences, sur l'opportunité de prévoir un tel délai au regard de la nature de la marchandise transportée ; que, par ailleurs, la clause exonératoire de responsabilité en cas de retard prévue en l'espèce par les conditions générales du transporteur revêt un caractère parfaitement usuel ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces observations que la responsabilité du commissionnaire ne peut être retenue de son fait personnel ;

Attendu dans ces conditions que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu qu'il serait inéquitable que la société Schenker conserve à sa charge le montant des frais irrépétibles engagés pour les besoins de la présente instance ; que la société H&2M sera condamnée à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il serait également inéquitable que la société CMA-CGM conserve à sa charge le montant de tels frais ; que la société Schenker sera condamnée à lui payer la somme de 2.500 euros à ce titre ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Entreprise H&2M à payer à la société Schenker la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Schenker à payer à la société CMA-CGM la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Entreprise H&2M aux dépens qui pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER         LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT

M.M. HAINAUT      P. BRUNEL