CJUE (3e ch.), 12 février 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 5481
CJUE (3e ch.), 12 février 2015 Affaire C-567/13
Publication Rec. ; site Curia ; Juris-Data n° 2015-004546
Extrait « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale en vertu de laquelle une juridiction locale compétente pour se prononcer sur le recours d’un consommateur visant l’invalidité d’un contrat d’adhésion ne l’est pas pour connaître de la demande dudit consommateur tendant à constater le caractère abusif de clauses contractuelles contenues dans ce même contrat, sauf s’il s’avérait que le dessaisissement de la juridiction locale entraîne des inconvénients procéduraux de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui sont conférés au consommateur par l’ordre juridique de l’Union européenne. Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 12 FÉVRIER 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑567/13, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (Hongrie), par décision du 2 octobre 2013, parvenue à la Cour le 5 novembre 2013, dans la procédure
Nóra Baczó,
János István Vizsnyiczai
contre
Raiffeisen Bank Zrt,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,
avocat général Mme J. Kokott,
greffier M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 novembre 2014,
considérant les observations présentées
- pour le gouvernement hongrois, par Mme M. M. Tátrai et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,
- pour la Commission européenne, par Mme K. Talabér‑Ritz et M. M. van Beek, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Baczó et M. Vizsnyiczai à Raiffeisen Bank Zrt au sujet d’une demande visant à faire constater l’invalidité d’un contrat de crédit immobilier et de la clause compromissoire figurant dans ledit contrat.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13
« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »
4. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive est rédigé comme suit :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
5. L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
6. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la même directive :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit hongrois
Le droit matériel
7. L’article 200 de la loi n° IV de 1959 instituant le code civil (a Polgári Törvénykönyvről szóló 1959. évi IV. törvény, ci-après le « code civil »), dans sa version en vigueur à la date de la conclusion du contrat en cause au principal, prévoit
« (1) Les parties définissent librement la teneur d’un contrat. Elles peuvent déroger d’un commun accord aux règles régissant les contrats si aucune disposition légale ne s’y oppose.
(2) Est nul tout contrat qui enfreint ou contourne une règle de droit, à moins que ladite règle ne prévoie une autre conséquence juridique. Est également nul tout contrat qui est manifestement contraire aux bonnes mœurs. »
8. Aux termes de l’article 209, paragraphe 1, de ce code, « est abusive une condition contractuelle générale ou une clause d’un contrat de consommation qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle dès lors que, en violation des obligations de bonne foi et de loyauté, elle fixe les droits et les obligations des parties découlant du contrat de manière unilatérale et non motivée au détriment de la partie contractante qui n’est pas l’auteur de la clause ».
9. L’article 209/A, paragraphe 1, dudit code prévoit que la partie lésée peut contester une clause contractuelle abusive. Selon le paragraphe 2 de cet article, de telles clauses sont nulles.
10. L’article 227, paragraphe 2, du même code dispose que « tout contrat ayant pour objet une prestation impossible est nul ».
11. En application de l’article 239/A, paragraphe 1, du code civil, une partie peut demander au juge, d’une part, de constater l’invalidité du contrat ou de certaines de ses clauses (invalidité partielle) et, d’autre part, de ne pas se prononcer quant aux conséquences qu’entraîne, en droit, cette invalidité.
12. Selon l’article 213, paragraphe 1, de la loi n° CXII de 1996 sur les établissements de crédit et les entreprises financières (hitelintézetekről és a pénzügyi vállalkozásokról szóló 1996. évi CXII. törvény), dans sa version en vigueur à la date de conclusion du contrat en cause au principal, est nul tout contrat de crédit à la consommation et de crédit immobilier qui omet de mentionner les clauses énumérées dans ladite disposition, parmi lesquelles figurent notamment l’objet du contrat, le taux annuel effectif global ou le montant global des couts liés au contrat.
Le droit procédural
13. Selon l’article 3, paragraphe 2, de la loi n° III de 1952 instituant le code de procédure civile (a polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törveny, ci‑après le « code de procédure civile »), le juge, en l’absence d’une disposition légale contraire, est lié par les conclusions et les arguments juridiques présentés par les parties. Le juge prend en considération les conclusions et les arguments soumis par les parties non pas en fonction de leur dénomination formelle, mais en fonction de leur contenu.
14. En application de l’article 22, paragraphe 1, de ce code, la juridiction locale, soit un járásbíróság (tribunal local), soit un kerületi bíróság (tribunal d’arrondissement), est la juridiction de droit commun. Relèvent, par conséquent, de sa compétence matérielle toutes les affaires que la loi ne réserve pas au törvényszék (tribunal départemental).
15. Conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous k), dudit code, le törvényszék est compétent pour statuer dans des affaires ayant pour objet la constatation de l’invalidité de clauses contractuelles abusives, au titre, notamment, de l’article 209/A du code civil.
16. L’avis 2/2010/VI.28 du collège des juges civils de la Kúria (Cour suprême) relatif à certaines questions de procédure concernant les actions en nullité énonce que le juge a l’obligation de constater d’office un motif de nullité manifeste qui peut être clairement établi sur la base des éléments de preuve disponibles.
17. L’avis 2/2011/XII.12 du collège des juges civils de la Kúria relatif à certaines questions liées à la validité des contrats de consommation précise que la juridiction locale est tenue, dans le cadre de l’examen du recours sur le fond, d’examiner le caractère abusif d’une clause contractuelle soit sur la base d’une exception formulée par la partie défenderesse, soit d’office.
18. En application de l’article 24, paragraphe 1, du code de procédure civile, la valeur du litige se détermine en fonction du montant de la créance ou de la valeur de tout autre droit invoqués dans le recours.
19. En ce qui concerne le calcul de la taxe due pour l’introduction d’un recours civil contentieux, l’article 39, paragraphe 1, de la loi n° XCIII de 1990 relative aux droits et aux taxes (1990. évi XCIII. tv. az illetékekről, ci-après la « loi relative aux droits et aux taxes ») prévoit que l’assiette de cette taxe correspond, sauf disposition contraire de ladite loi, à la valeur de l’objet du litige à la date de l’introduction du recours.
20. L’article 39, paragraphe 3, de la loi relative aux droits et aux taxes dispose cependant
« Lorsque la valeur de l’objet du litige ne peut pas être établie en application des dispositions du paragraphe 1 ci-dessus, [...] l’assiette de la taxe est fixée comme suit
a) devant la juridiction locale, à 350.000 forints hongrois (HUF) dans le cadre des procédures contentieuses [...]
b) devant le törvényszék
- si celle-ci statue en tant que juridiction de première instance à 600.000 HUF dans le cadre des procédures contentieuses [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21. Le 13 septembre 2007, les requérants au principal, Mme Baczó et M. Vizsnyiczai, ont conclu un contrat de crédit immobilier garanti par une hypothèque avec Raiffeisen Bank Zrt, un établissement bancaire de droit hongrois. Ce contrat contenait une clause compromissoire, en vertu de laquelle les litiges nés du contrat de crédit, à l’exception de ceux relatifs aux créances pécuniaires, relèvent de la compétence d’un tribunal arbitral.
22. Le 26 février 2013, les requérants au principal ont introduit, auprès du Pesti Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Pest), un recours visant à faire constater la nullité dudit contrat.
23. Au soutien de leur recours, les requérants au principal ont fait valoir, sur le fondement des articles 239/A, 200, paragraphe 2, et 227, paragraphe 2, du code civil, que le contrat de crédit immobilier auquel ils avaient souscrit était manifestement illicite, contraire aux bonnes mœurs et qu’il avait pour objet une prestation impossible. Ils ont également invoqué le fait que ce contrat répondait à des motifs de nullité prévus à l’article 213, paragraphe 1, de la loi n° CXII de 1996 sur les établissements de crédit et les entreprises financières.
24. À la suite d’une demande de renseignements complémentaires adressée par le Pesti Központi Kerületi Bíróság, les requérants au principal ont également demandé que soit constatée la nullité de la clause compromissoire figurant audit contrat, en application de la directive 93/13, de l’article 209, paragraphe 2, du code civil et de l’avis 2/2011/XII.12 de la Kúria.
25. Compte tenu de ce dernier chef de demande et après avoir qualifié le contrat de crédit immobilier de « contrat d’adhésion », le Pesti Központi Kerületi Bíróság, par une ordonnance du 6 mai 2013, a renvoyé l’affaire devant la Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest), en application de l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile, selon lequel les litiges ayant pour objet la constatation de l’invalidité de clauses contractuelles abusives relèvent de la compétence de la juridiction départementale.
26. Les requérants au principal ont fait appel contre cette ordonnance, demandant que celle-ci soit réformée et que la juridiction locale soit déclarée compétente. À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, à l’appui de leur recours, les requérants au principal contestent avoir demandé, d’une part, la constatation du caractère abusif d’une clause de leur contrat de crédit immobilier et, d’autre part, que leur affaire soit renvoyée à la juridiction départementale.
27. La juridiction de renvoi précise que, en vertu de l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile, le consommateur peut demander la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat d’adhésion, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, seulement devant une juridiction départementale, alors que ce même consommateur, en position de défendeur dans le cadre d’une action engagée par le professionnel devant une juridiction locale, peut faire valoir une exception visant à la constatation du caractère abusif de ladite clause.
28. En fonction des seuils applicables suivant la valeur du litige, une procédure engagée par le consommateur aux fins de la constatation, pour d’autres motifs, de l’invalidité du contrat d’adhésion est pourtant susceptible de relever de la compétence de la juridiction locale. Selon la juridiction de renvoi, il serait judicieux que la juridiction locale puisse se prononcer également sur la demande visant à la constatation de l’invalidité des clauses abusives du même contrat.
29. Enfin, ladite juridiction estime que le renvoi du consommateur devant la juridiction départementale peut mettre celui-ci dans une situation désavantageuse, notamment parce que la règle contenue à l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile entraîne des frais de procédure plus élevés. Une telle situation serait susceptible de compromettre la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 93/13.
30. C’est dans ces conditions que la Fővárosi Törvényszék a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes
« 1) La procédure doit-elle être considérée comme étant désavantageuse pour le consommateur lorsque celui-ci ne peut, dans la requête introduisant une procédure devant le tribunal local aux fins de la constatation de l’invalidité d’un contrat (conditions générales d’affaires), demander également qu’une des clauses de ce même contrat soit déclarée abusive sans que cela emporte compétence de la juridiction départementale (törvényszék)[?] En effet, dans le cadre d’un procès engagé par son cocontractant, le consommateur peut exciper du caractère abusif d’une clause contractuelle devant la juridiction locale, et le renvoi de l’affaire devant la juridiction départementale implique qu’il devra s’acquitter d’une taxe plus élevée.
2) L’équilibre serait-il restauré si le consommateur avait la possibilité, dans le cadre d’une procédure introduite par lui devant la juridiction locale aux fins de la constatation de l’invalidité d’un contrat, d’invoquer également le caractère abusif de certaines clauses de ce contrat, avec pour conséquence que ce même tribunal local serait compétent pour en connaître [?] »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
31. Il résulte d’une lecture combinée des questions préjudicielles et des motifs exposés par la juridiction de renvoi que celle-ci invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité d’une réglementation procédurale nationale avec le droit de l’Union, notamment avec la directive 93/13.
32. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions de droit national ou d’une pratique nationale avec les règles de droit de l’Union, elle a itérativement jugé qu’elle est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant de ce droit qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle conformité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie (voir arrêt Pannon Gép Centrum, C‑368/09, EU C 2010, point 28 et jurisprudence citée).
33. Dans ces conditions, et pour autant que les doutes de la juridiction de renvoi portent sur un possible désavantage que l’application de l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile crée pour le consommateur qui fait valoir des droits tirés de la directive 93/13, il doit être considéré que les questions préjudicielles portent sur l’interprétation de cette directive, notamment de son article 7, paragraphe 1.
Sur le fond
34. Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de procédure nationale en vertu de laquelle une juridiction locale compétente pour se prononcer sur le recours d’un consommateur visant l’invalidité d’un contrat d’adhésion ne l’est pas pour connaître de la demande dudit consommateur tendant à constater le caractère abusif de clauses contractuelles contenues dans ce même contrat.
35. À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile a donné lieu à la demande de décision préjudicielle dans l’affaire qui a conduit à l’arrêt arrêt Jőrös (C‑397/11, EU C 2013 340).
36. Dans ladite affaire, la juridiction de renvoi avait interrogé la Cour, entre autres, sur le point de savoir si la directive 93/13 devait être interprétée en ce sens que la juridiction nationale, saisie d’un litige portant sur la validité de clauses d’un contrat de consommation, pouvait examiner d’office le caractère abusif des clauses en cause et prononcer éventuellement l’annulation du contrat, même si la compétence pour déclarer l’invalidité de clauses contractuelles abusives était attribuée, selon la réglementation nationale, à un autre organe juridictionnel.
37. Au point 53 de l’arrêt Jőrös (EU C 2013 340), la Cour a jugé que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que la juridiction nationale qui a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle doit, dans la mesure du possible, faire application de ses règles de procédure internes de manière à ce que soient tirées toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif de la clause en cause afin de s’assurer que le consommateur ne soit pas lié par celle-ci.
38. Il convient toutefois de préciser que la présente affaire se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt Jőrös (EU C 2013 340) par le fait qu’elle soulève la question de savoir si le consommateur, en tant que partie requérante, devrait avoir la possibilité de faire valoir lui-même, outre l’invalidité d’un contrat relevant du champ d’application de la directive 93/13, le caractère abusif de clauses contractuelles qu’il contient, nonobstant une règle de compétence qui obligerait ce consommateur à présenter un tel chef de demande devant une autre juridiction nationale.
39. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que, dans leurs ordres juridiques nationaux, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
40. En revanche, la directive 93/13 ne contient pas de disposition expresse déterminant la juridiction compétente pour connaître des recours des consommateurs visant à faire constater l’invalidité de telles clauses abusives.
41. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (arrêt Agrokonsulting-04, C‑93/12, EU C 2013 432, point 35 et jurisprudence citée).
42. À ce titre, il ressort également d’une jurisprudence bien établie de la Cour que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts Impact, C‑268/06, EU C 2008 223, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, C‑413/12, EU C 2013 800, point 30).
43. S’agissant, en premier lieu, du principe d’équivalence, il convient de relever que, dans ses observations écrites et lors de l’audience, la Commission européenne a émis des doutes quant à la conformité avec ce principe d’une règle de procédure nationale, telle que l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile, qui confère à la juridiction départementale une compétence exclusive pour statuer sur les recours des consommateurs visant la constatation de l’invalidité de clauses contractuelles abusives. À cet effet, la Commission opère une comparaison entre lesdits recours et ceux engagés par ces consommateurs aux fins de la constatation, pour d’autres motifs, de l’invalidité de clauses contractuelles, dans la mesure où ces derniers recours peuvent, en fonction des seuils applicables suivant la valeur de l’objet du litige, relever de la compétence de la juridiction locale.
44. Il convient cependant de souligner qu’il appartient uniquement au juge national, qui a une connaissance directe des modalités procédurales applicables, de vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels (voir arrêts Asturcom Telecomunicaciones, EU C 2009 615, point 50, et Agrokonsulting-04, EU C 2013 432, point 39).
45. À supposer que les recours de consommateurs visant la constatation de l’invalidité de clauses contractuelles pour des motifs tirés notamment ou exclusivement des règles découlant de la directive 93/13, d’une part, et les recours de consommateurs visant la constatation de l’invalidité de clauses contractuelles pour des motifs tirés exclusivement du droit national, d’autre part, soient semblables, il importe d’examiner si les modalités procédurales desdits recours fondés sur le droit de l’Union sont moins favorables que celles des recours fondés exclusivement sur le droit national.
46. À cet égard, il convient de considérer que la compétence des juridictions départementales pour connaître des recours qui sont introduits pour des motifs tirés du droit de l’Union ne constitue pas nécessairement une modalité procédurale pouvant être qualifiée de « défavorable ». En effet, la désignation de ces juridictions, qui sont moins nombreuses et d’un rang plus élevé que les juridictions locales, peut être de nature à favoriser une administration de la justice plus homogène et spécialisée dans les affaires portant sur les règles qui découlent de la directive 93/13.
47. S’agissant des frais de justice plus élevés que le requérant pourrait exposer devant les juridictions départementales, il ne peut être déduit de cette seule circonstance que l’examen d’une affaire telle que celle au principal devant de telles juridictions porte atteinte au principe d’équivalence. En effet, une telle interprétation reviendrait à mesurer l’équivalence entre la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, d’une part, et la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit national, d’autre part, sous le seul angle des frais, et ce en faisant indûment abstraction des éventuels avantages de la procédure qui est prévue pour les recours fondés sur le droit de l’Union, tels que ceux mentionnés au point précédent.
48. Il résulte de ce qui précède qu’il ne saurait être considéré que l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile méconnaît le principe d’équivalence.
49. En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’effectivité, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que chaque situation dans laquelle se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales (arrêt Pohotovosť, C‑470/12, EU C 2014 101, point 51).
50. S’agissant du recours en cause au principal, il ressort de la décision de renvoi que le dessaisissement de la juridiction locale en faveur de la juridiction départementale serait susceptible d’entraîner des frais supplémentaires pour les consommateurs, en tant que parties requérantes.
51. À cet égard, il convient de rappeler que les règles procédurales relatives à la structure des voies de recours internes, poursuivant un intérêt général de bonne administration de la justice et de prévisibilité, doivent prévaloir sur les intérêts particuliers, en ce sens qu’elles ne peuvent être aménagées en fonction de la situation économique particulière d’une partie (arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, EU C 2013 800, point 38).
52. Afin de respecter le principe d’effectivité, l’organisation des voies de recours internes ne doit toutefois pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, EU C 2013 800, point 39).
53. En l’occurrence, il convient, premièrement, d’observer qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que c’est uniquement dans une situation déterminée et peu fréquente que la compétence matérielle exclusive conférée à la juridiction départementale par l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile est susceptible d’impliquer pour le consommateur, en tant que partie requérante, le paiement d’une taxe plus élevée. En effet, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi à cet égard, tel serait le cas uniquement lorsque la valeur de l’objet du litige ne peut pas être établie, de telle sorte que, en vertu de l’article 39, paragraphe 3, sous b), de la loi relative aux droits et aux taxes, la taxe due pour un recours introduit devant la juridiction départementale correspond en ce cas à un montant forfaitaire.
54. Deuxièmement, il ressort également du dossier soumis à la Cour que les recours introduits auprès d’une juridiction départementale, y compris ceux visant la constatation du caractère abusif de clauses contractuelles, impliquent l’assistance d’un avocat.
55. Cependant, il importe de prendre en considération les mécanismes prévus par la réglementation procédurale nationale visant à compenser les éventuelles difficultés financières du consommateur, comme l’obtention d’une aide juridictionnelle, qui pourraient permettre de compenser les surcoûts en termes de frais de procédure qu’implique le dessaisissement de la juridiction locale en faveur de la juridiction départementale et liés tant à l’imposition d’une taxe plus élevée qu’à la nécessité d’avoir recours à un avocat (voir arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, EU C 2013 800, point 42 et jurisprudence citée).
56. Troisièmement, la Commission soutient que le possible éloignement géographique de la juridiction départementale par rapport au domicile du consommateur peut constituer une entrave à l’exercice de son droit de recours.
57. Il convient toutefois de constater que le dossier soumis à la Cour ne permet pas de constater, sous réserve de vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, que le bon déroulement du procès requiert la comparution du consommateur, en tant que partie requérante, à tous les stades de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, EU C 2013 800, point 41).
58. Quatrièmement, enfin, il importe de souligner que, ainsi que le gouvernement hongrois l’a fait valoir dans ses observations, la finalité de l’article 23, paragraphe 1, sous k), du code de procédure civile est de confier le contentieux relatif aux clauses contractuelles abusives aux juges de la juridiction départementale qui disposent d’une expérience professionnelle plus importante et d’assurer ainsi une pratique uniforme ainsi qu’une protection plus efficace des droits des consommateurs.
59. Par conséquent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale en vertu de laquelle une juridiction locale compétente pour se prononcer sur le recours d’un consommateur visant l’invalidité d’un contrat d’adhésion ne l’est pas pour connaître de la demande dudit consommateur tendant à constater le caractère abusif de clauses contractuelles contenues dans ce même contrat, sauf s’il s’avérait que le dessaisissement de la juridiction locale entraîne des inconvénients procéduraux de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui sont conférés au consommateur par l’ordre juridique de l’Union. Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard.
Sur les dépens
60. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs,
la Cour (troisième chambre) dit pour droit
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle de procédure nationale en vertu de laquelle une juridiction locale compétente pour se prononcer sur le recours d’un consommateur visant l’invalidité d’un contrat d’adhésion ne l’est pas pour connaître de la demande dudit consommateur tendant à constater le caractère abusif de clauses contractuelles contenues dans ce même contrat, sauf s’il s’avérait que le dessaisissement de la juridiction locale entraîne des inconvénients procéduraux de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits qui sont conférés au consommateur par l’ordre juridique de l’Union européenne. Il appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard.
Signatures