CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 6 janvier 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5493
CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 6 janvier 2016 : RG n° 14/03007
Publication : Jurica
Extrait (exposé des faits) : « La société coopérative agricole du Riberacois (ci-après désignée la SCAR) est cliente depuis de longues années, pour la fourniture d'aliments pour bétail, de la SA Sanders Périgord (ci-après désignée Sanders) laquelle lui achète des céréales. La SCAR détient par ailleurs une participation dans le capital de Sanders. Invoquant une rupture brutale des relations contractuelles, Sanders a fait assigner la SCAR devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en paiement de diverses sommes à titre indemnitaire. La SCAR a elle-même invoqué une brusque rupture et a formé des demandes reconventionnelles sur le même fondement. »
Extrait (motifs) : « Il n'est pas contesté qu'il existait entre les parties une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ».
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 6 JANVIER 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/03007. (Rédacteur : Catherine BRISSET, conseiller). Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 mai 2014 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (5e chambre ; R.G. n° 12/01883) suivant déclaration d'appel du 21 mai 2014.
APPELANTE :
SA SANDERS PERIGORD,
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par Maître Jacques HORRENBERGER, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Jean-Pierre DEPASSE, avocat plaidant au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE AGRICOLE DU RIBERACOIS (SCAR),
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par Maître Flore ANDREBE de la SELARL ARPEGES CONTENTIEUX, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 novembre 2015 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Catherine BRISSET, conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Catherine FOURNIEL, président, Jean-Pierre FRANCO, conseiller, Catherine BRISSET, conseiller,
Greffier lors des débats : Marceline LOISON
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La société coopérative agricole du Riberacois (ci-après désignée la SCAR) est cliente depuis de longues années, pour la fourniture d'aliments pour bétail, de la SA Sanders Périgord (ci-après désignée Sanders) laquelle lui achète des céréales. La SCAR détient par ailleurs une participation dans le capital de Sanders.
Invoquant une rupture brutale des relations contractuelles, Sanders a fait assigner la SCAR devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en paiement de diverses sommes à titre indemnitaire. La SCAR a elle-même invoqué une brusque rupture et a formé des demandes reconventionnelles sur le même fondement.
Par jugement du 13 mai 2014, le tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté Sanders de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que seule la SCAR établissait une rupture brutale des relations commerciales.
Sanders a relevé appel de la décision le 21 mai 2014.
Dans ses dernières écritures du 13 octobre 2015, Sanders conclut à la réformation du jugement et à la condamnation de la SCAR au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et brutale des relations commerciales outre celle de 10.000 euros pour agissement déloyal et celle de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, elle sollicite une mesure d'expertise.
Elle fait valoir qu'alors que les années précédentes démontraient une augmentation régulière des commandes, il y a eu une baisse très importante en 2011-2012. Elle invoque une stratégie délibérée de rompre les relations contractuelles pour s'orienter vers un autre fournisseur sans respecter le délai de prévenance. Elle précise que la baisse d'achat de céréales était liée à l'attitude préalablement fautive de la SCAR de sorte qu'elle n'ouvre pas droit à dommages et intérêts.
Dans ses dernières écritures du 22 octobre 2015, la SCAR fait valoir qu'il ne peut y avoir de comparaison des commandes avec la période 2010-2011 qui présentait des caractères exceptionnels. Elle s'explique sur la répartition de ses achats entre le conditionnement en vrac ou en sacs et ajoute que Sanders n'a pas tenu compte des échanges avec les services commerciaux portant sur la politique tarifaire, n'a pas même tenté une reprise des relations commerciales mais a directement saisi la juridiction. Elle soutient que le délai de prévenance a été respecté dans les faits même s'il n'a pas été formalisé. Elle estime que l'appelante ne justifie pas d'un préjudice et s'oppose à toutes les demandes. Subsidiairement, elle considère que la référence à un délai de préavis d'un an est disproportionnée et doit être réduite à six mois. Elle invoque la brusque réduction des achats de céréales par Sanders laquelle ne pouvait se faire justice à elle-même. Elle s'explique sur le préjudice, demande la réformation du jugement sur ce point et la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 21.822 euros à ce titre outre celle de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour agissement déloyal. Sur la mesure d'expertise, elle considère que ceci viendrait suppléer la carence de l'appelante dans l'administration de la preuve mais que s'il était désigné un tel expert sa mission devrait être étendue à son propre préjudice. Elle invoque une compensation entre les créances réciproques des parties et demande enfin la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 29 octobre 2015.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il n'est pas contesté qu'il existait entre les parties une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce.
S'il n'y a certes pas lieu de distinguer selon le conditionnement des aliments pour bétail fournis par Sanders il n'en demeure pas moins que la fourniture de produits en vrac n'est pas venue compenser la diminution de produits conditionnés en sac. Ainsi, même en excluant la saison 2010-2011 dont il est invoqué le caractère exceptionnel par l'intimée, il apparaît qu'il existe bien une diminution très importante des produits commandés par la SCAR à Sanders. En effet, des tableaux établis par la SCAR il résulte que la saison 2011-2012 ne fait pas apparaître une augmentation significative des commandes en vrac. Il existe une diminution si on prend en compte la saison précédente et une très légère augmentation si on l'exclut. En outre et contrairement aux affirmations de l'intimée si les commandes en vrac avaient certes légèrement augmenté il ne s'agissait pas d'une compensation avec la baisse des commandes en sac puisque certaines années font même apparaître une augmentation en parallèle des commandes pour chaque conditionnement. Parallèlement on constate une véritable chute de la commande en sacs de sorte que le volume total est inférieur de 40 % à celui de l'exercice 2009-2010 pour lequel il n'est invoqué aucun caractère exceptionnel. Or, si Sanders pouvait anticiper une chute par rapport à l'année 2010-2011 puisque celle-ci présentait une hausse si manifeste qu'elle procédait à l'évidence des circonstances climatiques, elle pouvait anticiper un retour à la normale constitué par les années précédentes.
La SCAR admet d'ailleurs cette chute et l'explique en indiquant avoir eu recours à un autre fournisseur. Si elle invoque les prix pratiqués par Sanders qu'elle considère finalement comme non compétitifs, il n'en demeure pas moins que le fait d'avoir eu recours à un nouveau fournisseur impliquant une baisse de 40 % des commandes constitue bien une rupture partielle de relations commerciales établies. Une telle rupture est évidemment possible mais doit être précédée d'un préavis écrit lequel tient compte à la fois de la durée de la relation commerciale, des usages du commerce et des accords interprofessionnels. La SCAR ne prétend pas avoir adressé un tel préavis écrit. Elle invoque uniquement, sans d'ailleurs en rapporter la preuve, des négociations avec le service commercial. Cependant, en dehors même de cette question de preuve, le préavis écrit est une exigence de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce étant observé que la SCAR se contente de soutenir que le préavis aurait été respecté dans les faits sans être formalisé mais ne précise pas même à quelle date ce préavis aurait couru.
On se situe donc bien dans un cas de brusque rupture des relations contractuelles engageant la responsabilité de la SCAR. C'est en réalité le préjudice invoqué par Sanders qui pose difficulté.
Tout d'abord, Sanders invoque la nécessité d'un préavis d'une année compte tenu de l'ancienneté des relations contractuelles sans même invoquer les usages propres à ce secteur d'activité. Elle allègue d'une perte de marge brute de 50 % sans produire ses comptes annuels pour l'exercice considéré puisque les derniers éléments comptables produits sont ceux relatifs à l'exercice clôturé le 31 décembre 2011. Ils ne permettent donc pas de déterminer quel est le préjudice qui a été la conséquence de la rupture des relations imputable à la SCAR pour l'exercice 2011-2012. Ils le permettent d'autant moins que le chiffre d'affaire global demeurait en progression en 2011 par rapport à 2010 et que les commandes de la SCAR n'ont jamais été d'un niveau tel qu'elles impliquent un état de dépendance économique.
Sanders n'établit donc pas la réalité de son préjudice de sorte qu'il ne peut être fait droit à sa demande indemnitaire. Il n'y a pas davantage lieu d'ordonner une expertise celle-ci ne pouvant suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve. Or, il appartenait à tout le moins à l'appelante d'étayer sa demande indemnitaire par des éléments chiffrés autre que purement prospectifs.
Il n'est pas démontré que la brusque rupture qui pouvait générer un préjudice indemnisable qu'il appartenait à l'appelante d'établir se soit doublée d'un comportement déloyal qui aurait généré un préjudice distinct.
Pour ces motifs substitués à ceux du premier juge, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Sanders de ses demandes.
À titre reconventionnel, la SCAR avait elle-même invoqué une brusque rupture des relations contractuelles imputable à Sanders et formulé une demande indemnitaire accueillie par le premier juge.
Il est manifeste que suite à la diminution brutale des commandes par la SCAR Sanders a elle-même diminué de manière très importante ses commandes de céréales. Elle ne le conteste d'ailleurs pas mais invoque l'attitude préalablement fautive de son cocontractant. La SCAR considère que Sanders ne pouvait se faire justice à elle-même.
Toutefois, dès lors qu'il existait une attitude préalablement fautive de la SCAR sous forme d'une brusque rupture des relations contractuelles, ceci constituait une inexécution par la SCAR de ses propres obligations de nature à justifier la rupture mise en place par Sanders de sorte que la SCAR ne peut prétendre à l'existence d'un préjudice de sorte que sa demande reconventionnelle était mal fondée. Le jugement sera de ce chef réformé.
Chacune des parties succombant en ses prétentions il n'apparaît pas inéquitable qu'elle conserve à sa charge les frais non compris dans les dépens exposés tant devant les premiers juges qu'en cause d'appel. Le jugement sera réformé sur ce point.
Les dépens resteront à la charge de Sanders qui avait initié la procédure.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SA Sanders Périgord de ses demandes,
Le réforme pour le surplus,
Déboute la société coopérative agricole du Riberacois de l'ensemble de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de la SA Sanders Périgord et dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats de la cause
Le présent arrêt a été signé par Madame Catherine FOURNIEL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.