CA MONTPELLIER (2e ch.), 22 mars 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5542
CA MONTPELLIER (2e ch.), 22 mars 2016 : RG n° 15/01653
Publication : Jurica
Extrait : « L'article D. 442-3 du code de commerce, issu du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, entré en vigueur le 1er décembre 2009, confère à la cour d'appel de Paris le pouvoir exclusif de statuer sur les recours (appels et contredits) formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce et ce, même si la juridiction du premier degré qui a statué ne figure pas sur le tableau de l'annexe 4-2-1 du livre IV du code de commerce. L'inobservation de cette disposition d'ordre public est sanctionnée par une fin de non-recevoir.
En l'espèce, le fait que le tribunal de commerce de Carcassonne, qui n'est pas une des juridictions spécialisées au sens du décret susvisé, ait statué sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Alain Maurel n'a pas pour effet de déroger à la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris. Si les sociétés CLR, Cap Esterias, Olen et Nicolas Chebille sollicitent, dans leur assignation, le paiement des indemnités de préavis et de cessation du contrat d'agence commerciale, elles réclament, en sus, une indemnité forfaitaire pour brusque rupture des relations commerciales. Les moyens de défense et les demandes reconventionnelles développés par la société Alain Maurel tendent à discuter l'imputabilité de la rupture et à remettre en cause le calcul de l'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale, en invoquant les dispositions de l'article L. 442-6-I 2° et 5° du code de commerce.
Il s'ensuit que le contredit formalisé par la société Alain Maurel contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Carcassonne le 16 février 2015 relève du seul pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Paris et n'est donc pas recevable devant la cour de ce siège. »
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 22 MARS 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/01653. Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 FÉVRIER 2015, TRIBUNAL DE COMMERCE DE CARCASSONNE : RG n° 13/2615.
DEMANDERESSES SUR CONTREDIT :
SARL CAVES DU LANGUEDOC ROUSSILLON
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités à son siège social, représentée par Maître Benoît BILLET de la SELARL SOFIDOC, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, assistée de Maître Violaine HENRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Maître Benoît BILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
SARL CAP ESTERIAS
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités à son siège social, représentée par Maître Benoît BILLET de la SELARL SOFIDOC, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, assistée de Maître Violaine HENRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Maître Benoît BILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
SARL OLEN
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités à son siège social, représentée par Maître Benoît BILLET de la SELARL SOFIDOC, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, assistée de Maître Violaine HENRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Maître Benoît BILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
SARL NICOLAS CHEBILLE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités à son siège social, représentée par Maître Benoît BILLET de la SELARL SOFIDOC, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, assistée de Maître Violaine HENRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Maître Benoît BILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
DÉFENDERESSE SUR CONTREDIT :
SARL LES VIGNOBLES ALAIN MAUREL
représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social, représentée par Maître Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, assistée de Maître Aymeric LOUVET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Les parties ont été régulièrement convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception.
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 16 FÉVRIER 2016, en audience publique, Madame Brigitte OLIVE, conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de : Monsieur Daniel BACHASSON, président, Madame Brigitte OLIVE, conseiller, Monsieur Bruno BERTRAND, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRÊT : - contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; - signé par Monsieur Daniel BACHASSON, président, et par Madame Sylvie SABATON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS et PROCÉDURE - MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par acte d'huissier en date 19 septembre 2013, la société Caves du Languedoc Roussillon (la société CLR), la société Cap Esterias, la société Olen et la société Nicolas Chebille ont fait assigner la société Les Vignobles Alain Maurel (la société Alain Maurel) devant le tribunal de commerce de Carcassonne afin qu'au visa des articles 134-11, 134-12 et 134-13 du code de commerce, il soit ordonné à celle-ci de payer à la société CLR une indemnité de 566.478 euros correspondant à deux années de commissions du fait de la rupture du mandat commercial, ainsi qu'une somme de 70.810 euros au titre de l'indemnité de préavis et une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales.
La société Alain Maurel a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Carcassonne au profit du tribunal de commerce de Marseille, en se fondant sur l'article D. 442-3 du code de commerce.
Par jugement contradictoire du 16 février 2015, le tribunal a :
- dit que l'assignation était recevable et qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de ce chef ;
- dit que le tribunal de commerce de Carcassonne est incompétent au profit du tribunal de commerce de Marseille, compétent en matière de concurrence et de ce type de litige ;
- rejeté tous autres chefs de demandes ;
- renvoie les parties à se pourvoir devant ce tribunal ;
- condamne les sociétés demanderesses à payer à la société Alain Maurel la somme de 1.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Les sociétés CLR, Cap Esterias, Olen et Nicolas Chebille ont formé contredit par déclaration reçue au greffe du tribunal de commerce de Carcassonne le 4 mars 2015. Elles concluent à la recevabilité du recours et à l'infirmation du jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de leurs demandes fondées sur la rupture du contrat d'agence commerciale. Elles demandent à la cour de prononcer la disjonction des demandes reconventionnelles relevant de la compétence de la juridiction spécialisée. Elles sollicitent l'allocation d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles soutiennent que :
- la fin de non-recevoir soulevée par la société Alain Maurel sera rejetée puisque la cour d'appel de Paris est compétente pour connaître des seules décisions rendues par les juridictions spécialisées ;
- le contredit formé à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Carcassonne relève de la compétence de la cour d'appel de Montpellier ;
- les demandes d'indemnités ne sont pas fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce mais sur les articles L. 134-1 et suivants du même code relatifs à la rupture du contrat d'agence commerciale ;
- l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ne s'applique pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un agent commercial et son mandant, pour lesquelles la durée du préavis qui doit être respectée est fixée par l'article L. 134-11 du même code, en fonction du nombre d'années d'exécution du contrat ;
- le litige concernant la rupture d'un tel contrat n'est pas soumis à la compétence d'attribution spéciale du tribunal de commerce de Marseille ;
- l'argument selon lequel les demandes reconventionnelles fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce emportent compétence de la juridiction spécialisée sera rejetée dans la mesure où la société Alain Maurel a formulé à dessein de telles demandes devant le tribunal de commerce de Carcassonne pour entraver le déroulement de l'instance ;
- la demande reconventionnelle, étrangère au litige initial et pouvant relever de la compétence d'une juridiction spécialisée, doit faire l'objet d'une disjonction afin que chaque litige soit traité par la juridiction compétente.
* * *
La société Vignobles Alain Maurel a conclu in limine litis à l'incompétence de la cour d'appel de Montpellier pour statuer sur le contredit de compétence au profit de la cour d'appel de Paris, à l'irrecevabilité de ce recours et à la confirmation du jugement. Elle sollicite l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- la cour d'appel de Paris est seule compétente pour trancher un litige mettant en jeu l'application de l'article L. 442-6-I-5e du code de commerce ; cette juridiction est seule investie du pouvoir de statuer sur les contredits formés contre les décisions rendues dans ce type de litige même si ces dispositions ne sont invoquées qu'à titre subsidiaire ;
- ainsi la cour d'appel de Montpellier doit relever la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation de la règle d'ordre public investissant la cour d'appel de Paris du pourvoir juridictionnel exclusif ;
- les sociétés requérantes ont réclamé dans leur assignation, en sus des indemnités de cessation de contrat et de préavis, une indemnité forfaitaire pour brusque rupture des relations commerciales à hauteur de 100.000 euros, ce qui constitue une demande relevant du champ d'application des dispositions légales susvisées ;
- ainsi les demandes se fondent aussi bien sur les dispositions de droit commun relatives à l'agence commerciale que sur la rupture des relations commerciales et les moyens de défense visent à obtenir la réparation de pratiques restrictives de concurrence ;
- les juridictions spécialisées doivent connaître de l'entier litige lorsqu'il est question de demandes relatives au droit commun et au droit de la concurrence ;
- elles sont exclusivement compétentes si le droit des pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence est soulevé comme moyen de défense, ce qui est le cas en l'espèce ; la détermination du tribunal compétent n'étant pas subordonnée à l'examen du bien-fondé des demandes ;
- elle conteste les sommes servant de base au calcul de l'indemnité de cessation de contrat d'agence commerciale réclamée par la société CLR en se prévalant d'avantages financiers qui ne correspondent à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné, au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce et réclame, à ce titre, la restitution d'une somme de 36.524 euros ;
- elle se prévaut reconventionnellement de la cessation brutale de la mise à disposition de la marque « Fruit d'été », ce qui caractérise une rupture brutale des relations commerciales, relevant de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Marseille ;
- la demande de disjonction méconnaît les dispositions de l'article 367 du code de procédure civile en vertu desquelles une telle mesure ne se justifie que dans l'hypothèse d'une absence de connexité ou d'indivisibilité entre les demandes initialement rassemblées en un procès unique ;
- la demande de disjonction ne vise qu'à contourner les dispositions impératives relatives à la compétence exclusive des juridictions spécialisées ;
- il existe un lien de connexité entre la demande principale et les demandes reconventionnelles puisqu'elle conteste l'assiette des commissions perçues, servant de calcul à l'indemnité de rupture en invoquant des pratiques restrictives de concurrence au titre de leur facturation (L. 442-6-I-2° du code de commerce) ;
- la disjonction pourrait aboutir à une contrariété de décisions au détriment de l'administration d'une bonne justice ; la juridiction de droit commun pourrait faire droit à la demande d'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale et à l'indemnité de préavis calculées sur la moyenne des trois dernières années de commissions et la juridiction spécialisée exclusivement compétente pourrait qualifier les facturations de commissions de pratiques restrictives de concurrence, ce qui pourrait constituer une faute grave, excluant toute indemnité de rupture ;
- les demandes des parties qui discutent l'imputabilité et les conséquences de la rupture du contrat et plus largement les liens commerciaux poursuivent le même objet et doivent être jugées ensemble
- le contredit est abusif.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article D. 442-3 du code de commerce, issu du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, entré en vigueur le 1er décembre 2009, confère à la cour d'appel de Paris le pouvoir exclusif de statuer sur les recours (appels et contredits) formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce et ce, même si la juridiction du premier degré qui a statué ne figure pas sur le tableau de l'annexe 4-2-1 du livre IV du code de commerce.
L'inobservation de cette disposition d'ordre public est sanctionnée par une fin de non-recevoir.
En l'espèce, le fait que le tribunal de commerce de Carcassonne, qui n'est pas une des juridictions spécialisées au sens du décret susvisé, ait statué sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Alain Maurel n'a pas pour effet de déroger à la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris.
Si les sociétés CLR, Cap Esterias, Olen et Nicolas Chebille sollicitent, dans leur assignation, le paiement des indemnités de préavis et de cessation du contrat d'agence commerciale, elles réclament, en sus, une indemnité forfaitaire pour brusque rupture des relations commerciales.
Les moyens de défense et les demandes reconventionnelles développés par la société Alain Maurel tendent à discuter l'imputabilité de la rupture et à remettre en cause le calcul de l'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale, en invoquant les dispositions de l'article L. 442-6-I 2° et 5° du code de commerce.
Il s'ensuit que le contredit formalisé par la société Alain Maurel contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Carcassonne le 16 février 2015 relève du seul pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Paris et n'est donc pas recevable devant la cour de ce siège.
Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre des parties.
Les sociétés CLR, Cap Esterias, Olen et Nicolas Chebille supporteront les dépens du contredit exposés devant la cour de ce siège.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Dit que la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur le contredit formalisé par la société Alain Maurel contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Carcassonne le 16 février 2015 ;
Dit que le contredit est irrecevable devant la cour de ce siège ;
Ordonne le retour du dossier de l'affaire au greffier du tribunal de commerce de Carcassonne aux fins de sa transmission, avec le contredit et une copie du jugement, au greffier de la cour d'appel de Paris ;
Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les sociétés CLR, Cap Esterias, Olen et Nicolas Chebille aux dépens du contredit exposés devant la cour de ce siège.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT