CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 3 mars 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5561
CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 3 mars 2016 : RG n° 12/22224
Publication : Jurica
Extrait : « La société Callithea soutient qu'elle a depuis 2006 payé à ce titre des factures dont elle s'aperçoit qu'elles ne correspondraient à « aucun service rendu ». Elle aurait ainsi déboursé pendant six ans des sommes, certes relativement faibles (près de 12.000 euros annuels à partir de 2007, de 20.000 euros en 2006) sans plus s'en inquiéter. La société Carrefour Hypermarchés est parfaitement fondée à opposer l'existence d'un contrat de services, tacitement reconductible, auquel a adhéré librement la société Callithea - ce qui n'est pas discuté - et qu'elle a utilisé des années durant sans émettre la moindre protestation, lors qu'elle était en mesure de le dénoncer à chaque échéance ; que tout au contraire elle a souscrit en 2009 un nouveau contrat renouvelable par tacite reconduction. En conséquence le moyen n'est pas fondé. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 5
ARRÊT DU 3 MARS 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 12/22224 (n°, 14 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 octobre 2012 - Tribunal de Commerce de PARIS - 19ème chambre : R.G. n° 2012027628.
APPELANTE :
SAS CALLITHEA
ayant son siège social [adresse], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753, Assistée de Maître Frédéric COULON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0370
INTIMÉES :
SAS CARREFOUR HYPERMARCHÉS
ayant son siège social [adresse], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Stéphane FERTIER de l'AARPI JRF AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075, Assistée de Maître Diego DE LAMMERVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0112
PARTIE INTERVENANTE :
SAS CARREFOUR FRANCE, venant aux droits de la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE
ayant son siège social [adresse], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 6 janvier 2016, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Louis DABOSVILLE, Président de Chambre, chargé du rapport, Monsieur Edouard LOOS, Président, Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Monsieur Louis DABOSVILLE, Président, et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
La Société Callithea a pour activité la production et la commercialisation de produits textiles.
Elle entretient depuis les années 1960 des relations commerciales avec le groupe Carrefour.
Depuis 2006, la Société Callithea fournit à la Société Carrefour Hypermarchés des vêtements femmes, vendus sous la marque Tex, marque appartenant au groupe Carrefour.
Par courrier en date du 3 février 2011, Carrefour Hypermarchés a informé la Société Callithea de sa décision de mettre un terme à leur relation commerciale avec un préavis de 12 mois, expirant le 28 février 2012.
Après une année 2011 émaillée de nombreux incidents, la Société Callithea a saisi la justice pour rupture brutale des relations commerciales établies.
C'est dans ces conditions que la Société Callithea à fait assigner la Société Carrefour Hypermarchés pour réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leur relation commerciale.
Par jugement rendu le 10 octobre 2012, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la Société Carrefour Hypermarchés à payer à la Société Callithea la somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture fautive d'une relation commerciale établie.
- Condamné la Société carrefour hypermarchés à payer à la Société Callithea la somme de 502,32 euros en deniers ou quittance valable.
- Débouté la Société Callithea de sa demande de dommages et intérêts pour mauvaise foi.
- Dit sans objet la demande de nullité de la facture n° 112012 émise par la Société carrefour Hypermarchés.
- Débouté la Société Callithea de sa demande de dommages et intérêts au titre de facturation de services non rendus.
- Condamné la Société Carrefour Hypermarchés à payer à la Société Callithea la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
- Condamné la Société Carrefour Hypermarchés aux dépens.
Vu l'appel interjeté par la Société Callithea, le 7 décembre 2012 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la Société Callithea, le 21 mai 2014 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 octobre 2012 en ce
qu'il a :
* Condamné la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Callithea la somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture fautive d'une relation commerciale établie ;
* Condamné la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Callithea la somme de 502,32 euros en deniers ou quittance valable ;
* Condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Callithea la somme de 5. 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
* Condamné la société Carrefour Hypermarchés aux dépens.
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
* Limité à 24 mois le préavis qui aurait dû être accordé par Carrefour Hypermarchés à Callithea ;
* Dit sans objet la demande de nullité de la facture n°112012 émise par la société Carrefour Hypermarchés ;
- Débouté la société Callithea de sa demande de dommages et intérêts au titre de facturation de services non rendus ;
En conséquence :
- Constater l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés Callithea et Carrefour Hypermarchés ;
- Dire et juger que la rupture de la relation commerciale établie existant entre Carrefour Hypermarchés et Callithea est intervenue partiellement sans préavis puis totalement avec un préavis insuffisant et non respecté, à la seule initiative de la société Carrefour Hypermarchés ;
- Dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés aurait dû respecter un préavis de 48 mois au moins compte tenu des caractéristiques de la relation commerciale et notamment de sa durée ;
- Dire et juger que le comportement de la société Carrefour Hypermarchés à l'égard de la société Callithea a violé son obligation de bonne foi contractuelle ;
- Condamner en conséquence la société Carrefour Hypermarchés au paiement des sommes suivantes en réparation des préjudices subis par la société Callithea du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale :
* 2.427.046 Euros au titre de la perte de marge brute subie par Callithea du fait de la brutalité de la rupture.
* 502,32 Euros au titre de la facture n° 72.670 impayée.
* 59.909,76 euros en remboursement des facturations de services d'aide à la gestion de compte client non effectivement rendus au titre des années 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011.
- 35.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la mauvaise foi de la société Carrefour Hypermarchés.
- Confirmer la nullité de la facture n° 112012 du 5 avril 2012 émise par Carrefour France SAS au nom et pour le compte de Carrefour Hypermarchés pour absence de service.
En tout état de cause,
- Condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à la société Callithea la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; condamner la société Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens.
Sur le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale
L'appelante s'oppose en ce que la date à prendre en compte pour le point de départ du préavis serait une réunion du 22 octobre 2010 au cours de laquelle la Société Callithea aurait été informée du déréférencement, invoquant que si cette réunion a bien eu lieu, il n'a jamais été question d'un déréférencement de Callithea lors de celle-ci.
Sur l'insuffisance de la durée du préavis
L'appelante soutient que le préavis accordé par Carrefour Hypermarchés à Callithea était un préavis de « 12 mois », comme le précise le courrier de résiliation du 3 février 2012.
Elle considère qu'au regard de la durée des relations commerciales liant les deux sociétés et de l'importance financière de ces relations pour Callithea, celle-ci était fondée à bénéficier, pour permettre la réorganisation de son activité sans subir de conséquences financières trop lourdes, d'un préavis minimal de 48 mois correspondant à un préavis de 24 mois doublé en raison du fait que les produits concernés sont commercialisés sous la marque de distributeur TEX appartenant au groupe Carrefour.
Elle précise que comme l'atteste son expert-comptable et son commissaire aux comptes, les ruptures, partielle puis totale, ont eu des conséquences importantes sur son activité et sont de nature à remettre en cause sa viabilité.
L'appelante estime que le délai du préavis aurait dû être porté à 48 mois dans la mesure où cette durée se justifie notamment en raison de la difficulté particulière pour trouver des solutions alternatives et par le fait que les produits textiles étaient fournis au groupe Carrefour sous sa propre marque de distributeur.
L'appelante souligne qu'elle serait aujourd'hui prête à renouer des relations avec le Groupe Carrefour si un accord pouvait être trouvé entre les parties, et qu'elle serait ainsi favorable à la reprise d'un chiffre d'affaires entre le Groupe Carrefour et elle-même, dans des conditions à définir, plutôt qu'à obtenir une indemnisation complémentaire du préjudice qu'elle continue à subir du fait de la rupture.
Sur le non-respect du préavis par la Société Carrefour Hypermarché
L'appelante fait valoir que la Société Carrefour Hypermarchés n'a jamais eu l'intention de maintenir un niveau d'activité équivalent avec la Société Callithea pendant le préavis.
Elle relève que la Société Carrefour Hypermarchés n'a passé qu'une unique commande en 2011, d'un montant limité de 163.560 euros, et ce après de nombreuses relances de sa part.
Elle s'oppose en ce que la Société Carrefour Hypermarchés prétend que le montant du chiffre d'affaire réalisé en 2011 entre les deux sociétés s'élève à 689.000 euros.
L'appelante fait également valoir que la Société Carrefour Hypermarchés n'a pas respecté ses engagements de paiement dans les délais.
Concernant la livraison des marchandises intervenue le 15 mars 2012
L'appelante précise que cette commande n'a été réglée que deux semaines après livraison, soit plus de 45 jours après l'accord de livraison finalement donné par Carrefour Hypermarchés et plus de 5 mois après la date de livraison initialement convenue entre les parties.
L'appelante ajoute que la facture des frais de stockage et de livraison d'un montant de 502,32 euros pourtant acceptée par Carrefour Hypermarchés n'a été réglée que six mois après sa date d'exigibilité.
Concernant le contrat de services d'aide à la gestion des comptes
L'appelante fait valoir que le groupe Carrefour n'a pas, à ce jour, communiqué à Callithea les éléments justificatifs de la réalisation de ces services, lesquels, facturés à partir de 2009 par Carrefour France SAS, au nom et pour le compte de Carrefour Hypermarchés, sont purement fictifs.
Qu'ainsi, la Société Carrefour Hypermarchés ne justifiant aucunement des services rendus à ce titre, elle est en conséquence en droit d'en demander le remboursement pour un montant global s'élevant à 59.909,76 euros HT et résultant des factures suivantes acquittées par Callithea :
- Au titre de l'année 2011 : 6.071,73 euros ; (Pièce n° 57 - facturation sur la base du chiffre d'affaires TTC).
- Au titre de l'année 2010 : 3.178,96 euros ; (Pièce n° 58 - facturation sur la base du chiffre d'affaires TTC).
- Au titre de l'année 2009 : 8.215,66 euros ; (Pièce n° 59 - facturation sur la base du chiffre d'affaires TTC).
- Au titre de l'année 2008 : 11.296,58 euros ; (Pièce n° 60 - Facture du 30 janvier 2009).
- Au titre de l'année 2007 : 11.564,53 euros ; (Pièce n° 56 - Facture du 23 janvier 2008).
- Au titre de l'année 2006 : 19.582,30 euros.
L'appelante soutient que la facture du 5 avril 2012 correspondant à la facturation des services au titre de l'année 2012 doit être considérée comme nulle ainsi que la Société Carrefour Hypermarchés l'a reconnu dans son courrier du 13 juin 2012.
L'appelante relève la présence d'un déséquilibre significatif.
Elle soutient que l'ensemble de ces manquements sont constitutifs d'une faute autonome de la Société Carrefour Hypermarchés, faute de nature à engager sa responsabilité sur la base des dispositions de l'article 1382 du Code civil pour rupture abusive de relation commerciale établie, laquelle indemnisation ne se confond pas avec l'indemnisation pour rupture brutale qui vient sanctionner les conditions particulièrement déloyales ou pour le moins fautive dans lesquelles la rupture est intervenue et le préavis a été mis en œuvre.
Concernant la rupture totale de la relation commerciale intervenue en février 2011 faisant suite à une rupture partielle intervenue en 2009
L'appelante fait valoir que c'est à tort que le Tribunal a pu considérer que la baisse de chiffre d'affaires constaté en 2009 n'est corroborée par aucune pièce dans la mesure où la baisse de chiffre d'affaires a été démontrée et n'est pas contestée par Carrefour Hypermarchés.
L'appelante relève qu'en 2009, la Société Carrefour Hypermarchés avait déjà réduit de manière drastique ses approvisionnements auprès de la Société Callithea, de près de 50 %, sans avoir pris la peine d'en informer préalablement la Société Callithea. Par conséquent, une telle réduction constitue une rupture partielle brutale et sans préavis de relation commerciale et ceci même si la Société Callithea n'a pu, à l'époque des faits, s'en plaindre par écrit.
L'appelante fait valoir qu'après avoir mis fin partiellement et sans préavis à sa relation commerciale avec la Société Callithea en 2009, la Société Carrefour Hypermarchés a mis fin totalement à cette relation commerciale par son courrier du 3 février 2011 et avec un préavis insuffisant et de pure forme, au cours duquel seul un chiffre d'affaires limité a été réalisé.
Sur l'évaluation du préjudice
L'appelante rappelle que la relation commerciale entre les deux sociétés a été rompue brutalement par Carrefour Hypermarchés partiellement en 2007 et en 2009 puis totalement le 3 février 2011 sans aucun préavis si ce n'est de pure forme.
Elle se prévaut d'une évaluation du préjudice financier de la société Callithea sur la base de la perte de marge brute que la société Callithea aurait réalisée par la poursuite de relations commerciales normales, si la société Carrefour Hypermarchés avait mis fin à sa relation commerciale avec la société Callithea.
L'appelante fait valoir que le chiffre d'affaires pris en compte pour évaluer le préjudice subi par la Société Callithea sera donc celui des trois dernières années précédant la rupture, à savoir, les années 2006, 2007 et 2008.
L'appelante soutient qu'au vu des éléments de l'espèce et compte tenu de la durée de la relation et de son poids économique pour Callithea, le préavis de rupture que la société Carrefour Hypermarchés aurait dû respecter peut être estimé à une durée minimale de 24 mois multiplié par deux dans la mesure où Callithea fournissait des produits sous marque de distributeur à Carrefour Hypermarchés. Le préavis qui aurait dû être respecté peut donc être estimé à 48 mois.
L'appelante relève que la marge brute moyenne réalisée avec la société Carrefour Hypermarchés est de 44,16 % en moyenne comme l'atteste leur expert-comptable. Le préjudice subi par la société Callithea du fait de la rupture brutale doit donc être évalué sur la base de 44,16 % du chiffre d'affaires moyen réalisé avant la rupture partielle de la relation commerciale soit :
- 48 (nombre de mois de préavis qui aurait dû être accordé à Callithea) * 117.898 euros HT (chiffre d'affaires mensuel moyen) * 44,16 % = 48 * 52.064 euros = 2.499.062 euros HT. Elle ajoute que de ce montant doit être retranché le montant de la marge brute correspondant à la facture d'un montant de 163.080 euros HT soit : 72.016 euros HT, seule commande effectuée dans le respect d'un préavis. Le préjudice subi par la Société Callithea, du fait de la rupture brutale est donc d'un montant de 2.427.046 euros HT.
L'appelante fait valoir, une rupture brutale partielle de l'ordre de 40 % de son chiffre d'affaires en 2009 ; et une rupture brutale totale de 100 % des 60 % de son chiffre d'affaires restant.
Vu les dernières conclusions signifiées par la Société Carrefour le 9 avril 2014 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
A titre principal,
- Constater que Carrefour Hypermarchés n'a pas partiellement rompu la relation commerciale au cours des exercices 2007 ou 2009,
- Constater que la société Callithea a bénéficié d'un préavis de 16 mois et que ledit préavis a été exécuté par Carrefour Hypermarchés dans des conditions exclusives de toute faute de sa part,
- Constater que Callithea a refusé la proposition de Carrefour Hypermarchés de proroger de 4 mois supplémentaires la durée du préavis,
En conséquence,
- Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Carrefour Hypermarchés sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,
- Dire et juger que Carrefour Hypermarchés n'a pas engagé sa responsabilité à l'occasion de la fin des relations commerciales avec Callithea,
A titre infiniment subsidiaire,
- Constater que Callithea ne rapporte pas la preuve du préjudice dont elle sollicite réparation,
- Constater que les services d'aide à la gestion de compte client facturés par Carrefour à Callithea n'étaient pas « fictifs »,
- Constater que Carrefour Hypermarchés a payé la facture n° 72670 du 30 avril 2012,
- Constater que Carrefour Hypermarchés a procédé à l'annulation de la facture n° 112012 du 5 avril 2012,
En conséquence,
- Débouter Callithea de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- Condamner Callithea à verser à Carrefour Hypermarchés la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner Callithea aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître FERTIER, avocat, conformément à l'article 699 du CPC.
L'intimée fait valoir que la Société Callithea a bénéficié d'un préavis raisonnable exclusif de toute brutalité dans la rupture des relations commerciales,
Elle estime que les fluctuations du niveau de chiffre d'affaires réalisé entre Carrefour Hypermarchés et Callithea au cours des exercices 2007, 2009 et 2010 résultent de la nécessaire adaptation aux tendances du marché et ne sauraient caractériser une quelconque rupture partielle de la relation commerciale.
Sur la fin de la relation commerciale intervenue en 2012 qui a été précédée d'un préavis de 16 mois :
L'intimée soutient que la société appelante ayant clairement été informée le 22 octobre 2010 de la volonté de Carrefour Hypermarchés de ne pas poursuivre la relation commerciale, le préavis a commencé à courir à cette date et le jugement dont appel devra être infirmé sur ce point.
Elle considère que le préavis a été exécuté de bonne foi par Carrefour Hypermarchés.
L'intimée souligne que la Société Callithea a, en effet, rendu impossible le maintien de la relation commerciale avec Carrefour Hypermarchés en :
- initiant la production de marchandises avant même que le résultat des tests PH n'ait été validé par Carrefour Hypermarchés, et sans l'en informer, en violation des pratiques usuelles entre les parties ;
- cherchant à tirer argument de l'attitude conciliante de Carrefour Hypermarchés pour soutenir que ses contestations étaient infondées ;
- déclinant, sans motif valable, la proposition de Carrefour Hypermarchés de proroger le préavis de 4 mois supplémentaires ;
- refusant d'honorer les commandes envisagées par Carrefour Hypermarchés en cours de préavis au motif d'un « contexte de défiance », tout lui en reprochant de ne pas maintenir un niveau de chiffre d'affaires comparable à celui des années précédentes.
L'intimée relève que la Société Carrefour Hypermarchés a débuté son activité le 10 janvier 2006 de sorte que les relations commerciales intervenues entre la Société Callithea et la Société Carrefour Hypermarchés ne peuvent avoir excédé 6 années (du 10 janvier 2006 au 28 février 2012).
Elle considère en conséquence que le préavis de 16 mois octroyé à Callithea par Carrefour Hypermarchés apparaît amplement suffisant, d'autant qu'il a été proposé à Callithea de prolonger le préavis de 4 mois (portant le préavis à une durée totale de 20 mois), ce qu'elle a refusé.
Elle fait valoir que la Société Callithea ne justifie d'aucun préjudice subi.
Concernant le préjudice résultant de la prétendue brutalité de la rupture :
L'intimée précise que la Société Callithéa évalue son préjudice en se fondant sur des données chiffrées (chiffre d'affaires mensuel moyen et marge brute moyenne réalisés avec Carrefour Hypermarchés) qui ne sont étayées par aucun justificatif.
Pour ce qui est du chiffre d'affaires mensuel, l'intimée soutient que la Société Callithéa retient une base d'évaluation erronée : elle considère que la Société Carrefour Hypermarchés aurait partiellement rompu la relation commerciale en 2009 et en déduit que l'indemnité doit être calculée sur la base du chiffre d'affaires moyen de la période 2006-2008. Il en ressort un chiffre d'affaires moyen de 1.414.777 euros (soit 117.989 euros/mois), sensiblement supérieur au chiffre d'affaires moyen pour la période 2007-2011.
Concernant le préjudice résultant de la prétendue mauvaise foi de Carrefour Hypermarchés, l'intimée estime que la Société Callithéa ne justifie pas plus du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la prétendue mauvaise foi de Carrefour Hypermarchés, évalué forfaitairement à la somme de 35.000 euros.
Elle ajoute que la Société Callithéa n'a, pour sa part, eu de cesse de tenter de tirer argument de l'attitude conciliante de Carrefour Hypermarchés pour soutenir que l'acceptation des marchandises litigieuses démontrerait leur absence de défectuosité.
Elle relève que la Société Callithéa prétend qu'elle ne pouvait pas attendre le résultat des tests pour lancer la production compte tenu du délai de livraison qui lui était imposé par Carrefour Hypermarchés, mais ne démontre pas s'être rapprochée de ses interlocuteurs chez Carrefour pour les informer de cette situation et de sa décision de mise en production des marchandises.
L'intimée précise que le refus de livraison de la commande de 170.000 euros passée par la Société Carrefour Hypermarchés début 2011 était justifié par les défauts des marchandises et leur non-conformité aux exigences du groupe Carrefour.
Concernant le préjudice résultant d'une facture impayée et de la prétendue facturation de services non effectivement rendus.
Sur le remboursement de la facture n°72670 impayée
L'intimée précise qu'un incident informatique est survenu chez la Société Carrefour Hypermarchés la veille au soir de la date de livraison de sorte que celle-ci a dû être reportée au lendemain. La Société Carrefour Hypermarchés a accepté de rembourser à la Société Callithéa les frais de livraison et de stockage occasionnés par le report de la prise de livraison de la commande litigieuse et a indiqué à la Société Callithéa à quel interlocuteur adresser sa facture.
Elle fait valoir que la demande de Callithéa, dépourvue d'objet, devra, comme telle, être rejetée.
Sur le remboursement des sommes versées par Callithéa au titre du contrat de services d'aide à la gestion de compte client,
L'intimée souligne que ce n'est que le 24 avril 2012 que la Société Callithéa a informé la Société Carrefour Hypermarchés qu'elle ne procéderait pas au règlement de la facture du 5 avril 2012, faute d'avoir conclu un contrat de service d'aide à la gestion de compte client au titre de l'année 2012.
Elle ajoute que la Société Callithéa a indiqué que ce courrier est demeuré sans réponse alors que Carrefour Hypermarchés lui a adressé en réponse le contrat conclu en 2009 et a indiqué que celui-ci avait été renouvelé par tacite reconduction.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
CELA ETANT EXPOSÉ LA COUR :
Sur la procédure :
Les moyens d'irrecevabilité soulevés initialement par la Société Carrefour Hypermarchés ne sont plus invoqués dans ses dernières conclusions.
Au fond :
Sur les factures :
Le débat sur ce point n'a plus lieu d'être dès lors que, s'agissant tant de la facture n° 72670 du 30 avril 2012 que celle n° 112012 du 5 avril 2012 la société Carrefour Hypermarchés ne remet pas en cause le jugement pour la première et qu'elle a procédé à l'annulation de la facture n° 112012 du 5 avril 2012.
Les demandes de l'appelante qui tout à la fois réclame la confirmation du jugement pour la somme de 502,32 Euros au titre de la facture n° 72.670 et une nouvelle condamnation, lors même que ce point n'est pas discuté, sont sans fondement aucun.
Sur la rupture :
Est en débat la date de la rupture « officielle » du 3 février 2011, dont la société Carrefour Hypermarchés soutient qu'elle mentionne un préavis qui doit remonter, de fait, à une réunion du 22 octobre 2010 au cours de laquelle la Société Callithea aurait été informée du déréférencement de ses produits-et à laquelle la société Callithea oppose l'existence d'une rupture partielle remontant à 2009.
La thèse de la société Carrefour Hypermarchés est cependant en contradiction avec les termes mêmes du courrier du 3 février 2011 dans lequel elle fait référence à la réunion du 3 février 2011 comme ayant traduit un souhait « de mettre fin aux relations commerciales », précisant que ce même courrier « doit être considéré comme faisant débuter un préavis de 12 mois qui marquera le terme des relations commerciales » ; et, en tout état de cause, l'intimée ne prouve aucunement qu'elle ait, à cette occasion, manifesté ne fut-ce que l'hypothèse d'un tel risque.
Il n'est en revanche pas discutable que, par la suite, la société Carrefour Hypermarchés a proposé de porter cette durée à 16 mois et que la société Callithea a refusé cette durée, dès lors qu'elle exigeait 48 mois de préavis.
La société Callithea justifie de cette exigence par la durée des relations qu'elle estime à cinquante années.
Cependant elle ne produit à cet égard que l'attestation de son dirigeant, monsieur X. - laquelle attestation est du reste illisible - et des pièces comptables des années 70 : outre que l'appelante est muette sur les années suivantes, ces documents comportent un tampon « Carrefour » sans qu'il soit établi que l'enseigne ainsi mentionnée ait été elle-même incluse dans la continuité du groupe actuellement en cause, et spécifiquement la Société Carrefour Hypermarchés, dont il n'est pas discuté qu'elle a débuté son activité en 2006 ; le fait pour l'intimée d'avoir mentionné le caractère « historique » de ces relations est à cet égard sans portée réelle.
En tout état de cause, il convient de rappeler que la durée des relations n'est qu'un aspect de la durée du préavis, lequel, la société Callithea ne l'ignore pas, repose également sur d'autres éléments dont, notamment, les capacités de l'entreprise à retrouver des débouchés.
Force est de constater que la société Callithea est sur ce point peu explicite, se contentant d'évoquer, suite à la réorganisation de son activité, de nouveaux marchés (Camaieu, J Riu, Trois Suisses) sans plus s'expliquer sur ce processus, sur le chiffre d'affaires généré, et sur les dates de conclusion des marchés ; en outre aucune situation de dépendance économique n'est ici en cause, l'appelante ne réalisant que 20 % de son chiffre d'affaires avec la société Carrefour Hypermarchés.
Il n'est ainsi pas justifié que les conséquences de la rupture aient imposé le préavis de 48 mois que la société Callithea a toujours revendiqué.
S'agissant de la prise en compte d'une rupture partielle initiée en 2009, la société Carrefour Hypermarchés est fondée à souligner que, à s'en tenir aux propres chiffres de la société Callithea, dès les années 2006 et 2007 une baisse des commandes s'est manifestée (près de 2.000.000 euros de CA en 2006, 1.156.453 l'année suivante) avec une chute en 2009 et les années suivantes ; la société Carrefour Hypermarchés invoque sur ce point les fluctuations du marché et, s'il est exact que le silence ne vaut point privation de contester ultérieurement ces données, il est néanmoins permis de s'interroger sur celui de la société Callithea dans la mesure où, lors de la rupture elle a toujours protesté auprès de la société Carrefour Hypermarchés de la qualité de leurs relations, ce dont elle aurait nécessairement usé - ne fut-ce que par de simples demandes d'explication si ces variations lui avaient paru suspectes ; l'explication tirée d'une crainte de perdre un client n'est pas, sur une telle durée, crédible.
L'existence d'une rupture partielle n'est dès lors pas avérée.
S'évince de ce qui précède que, au regard des barèmes professionnels applicables et dont la société Callithea ne démontre pas que des circonstances spécifiques à son cas en écarteraient l'application, la durée du préavis, portée à 16 mois, était théoriquement acceptable.
Cependant cette constatation ne vaut que pour autant que, ainsi que le soutient la société Carrefour Hypermarchés, ce préavis ait été loyalement respecté.
Or, force est de constater que, ainsi que l'a très clairement démontré le premier juge, tel n'a pas été le cas : au rebours de l'analyse faite par l'intimée, l'appréciation de cette question doit se faire, non au regard des chiffres d'affaires réalisés dans la période du préavis, et qui incluent ainsi des commandes antérieures, mais au vu des nouvelles commandes traduisant la continuité des relations commerciales durant cette période ; or la société Carrefour Hypermarchés ne peut à cet égard arguer que d'une seule commande, d'un montant (170.000 euros) très inférieur à celui des années précédentes ; le litige né ensuite sur les problèmes de qualité ne justifie pas de cette baisse et la société Carrefour Hypermarchés n'a pas à l'époque prétendu être dans l'obligation de suspendre ses commandes pour ce motif.
Les retards allégués de paiement, du reste non démontrés, n'influent pas sur l'appréciation réelle du préavis.
Découle de l'ensemble de ces éléments que la durée du préavis retenue par le tribunal doit être retenue.
Le jugement est en conséquence confirmé sur ce point.
Les dommages et intérêts alloués à titre forfaitaire sur cette base ne peuvent cependant pas être validés.
Il appartient à la société Callithea de fournir les éléments de calcul de son préjudice ; en l'espèce le taux de marge brute avancé par l'appelante (44,16 %) est discuté par la société Carrefour Hypermarchés qui relève à juste titre que l'attestation délivrée par l'expert-comptable de l'intéressée ne permet pas, en l'absence d'autres documents comptables, d'en justifier-ce d'autant que ce document concerne la globalité des activités de la société Callithea, non le domaine spécifique des échanges avec la société Carrefour Hypermarchés.
La cour chiffre, compte tenu de l'activité de la société Callithea et de ces éléments, le taux de marge brute à 20 %.
Le tribunal a par ailleurs parfaitement analysé la nature et les spécificités des activités de la société Callithea et, de même chiffré le chiffre d'affaires retraité des années 2009 et 2010 à la somme de 700 000 euros ; de fait, la prétention de l'appelante de ne retenir que les années 2007 à 2009 n'est pas fondée.
S'en évince que le préjudice de cette dernière se monte, sur la base de 20 % de 700.000 mensuels sur 24 mois à la somme de 336.000 euros.
Le jugement est en conséquence infirmé sur ce point.
S'agissant de la prise en compte du refus de livraison des commandes opposé en 2011 par la société Carrefour Hypermarchés sur le motif d'un défaut de conformité au PH :
Les parties ont échangé sur ce point des analyses contradictoires et le tribunal, par des motifs pertinents que la cour adopte, en a fait une juste appréciation en soulignant les délais très courts imposés à la société Callithea lorsque la société Carrefour Hypermarchés a très soudainement découvert l'existence de divers problèmes importants en terme de qualité et de protection des consommateurs mais dont elle a très rapidement pour les premiers (« vrillage »,«boulochage ») décidé de les accepter « exceptionnellement » et de même pour les seconds, au terme de longues discussions, motif pris d'un souci de ne pas « prolonger inutilement la polémique et compte tenu de l'historique de (nos) relations commerciales ».
Le souci de la société Carrefour Hypermarchés de protéger le consommateur des conséquences d'un risque élevé de PH est louable ; il est cependant regrettable que ce souci se soit manifesté lors de l'exécution du préavis de la société Callithea, motif pris du non-respect de normes dont l'application ne lui avait antérieurement pas été imposée et ce, à la livraison d'une commande exigée dans des délais très courts ; le débat technique censé justifier le refus soudain de cette livraison est sans objet dès lors que la société Carrefour Hypermarchés a en définitive, pour les raisons rappelées ci-dessus, décidé d'accepter la commande et qu'il ne peut être présumé que, ce faisant elle ait pris le risque de sacrifier les intérêts du consommateur en acceptant un taux de PH dangereux.
S'évince de ce qui précède que la société Carrefour Hypermarchés a ainsi admis implicitement que le refus initialement opposé à la société Callithea était à tout le moins excessif.
Cette attitude, génératrice de discussions, analyses coûteuses, de retards et de tensions a nécessairement causé à la société Callithea un préjudice qui justifie en réparation l'allocation de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.
S'agissant de la demande de remboursement des facturations de services d'aide à la gestion de compte client :
La société Callithea soutient qu'elle a depuis 2006 payé à ce titre des factures dont elle s'aperçoit qu'elles ne correspondraient à « aucun service rendu ».
Elle aurait ainsi déboursé pendant six ans des sommes, certes relativement faibles (près de 12.000 euros annuels à partir de 2007, de 20.000 euros en 2006) sans plus s'en inquiéter.
La société Carrefour Hypermarchés est parfaitement fondée à opposer l'existence d'un contrat de services, tacitement reconductible, auquel a adhéré librement la société Callithea - ce qui n'est pas discuté - et qu'elle a utilisé des années durant sans émettre la moindre protestation, lors qu'elle était en mesure de le dénoncer à chaque échéance ; que tout au contraire elle a souscrit en 2009 un nouveau contrat renouvelable par tacite reconduction.
En conséquence le moyen n'est pas fondé.
Aucune considération tirée de l'équité ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au regard de la solution donnée au litige les dépens seront partagés.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Infirme partiellement le jugement.
Statuant à nouveau,
Condamne la Société Carrefour Hypermarchés à payer à la Société Callithea la somme de 336.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture fautive d'une relation commerciale établie.
Condamne la Société Carrefour Hypermarchés à payer à la Société Callithea la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat.
Rejette toutes autres demandes.
Partage les dépens par moitié dont distraction au profit de Maître FERTIER, avocat, conformément à l'article 699 du CPC.
Le Greffier Le Président
B. REITZER L. DABOSVILLE