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CA RIOM (3e ch. civ. et com.), 22 juin 2016

Nature : Décision
Titre : CA RIOM (3e ch. civ. et com.), 22 juin 2016
Pays : France
Juridiction : Riom (CA), 3e ch. civ. et com.
Demande : 15/03067
Date : 22/06/2016
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 24/11/2015
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5652

CA RIOM (3e ch. civ. et com.), 22 juin 2016 : RG n° 15/03067 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'un huissier de justice, tenu d'exercer son ministère toutes les fois qu'il en est requis, reçoit mandat de prêter son concours à la mise à exécution d'une décision de justice, ce mandat s'exerce dans des conditions étroitement définies et tarifées par l'autorité publique. Dès lors et même si une relation contractuelle se noue entre l'huissier de justice et son mandant lorsqu'il se voit remettre un titre exécutoire et que la responsabilité civile de cet officier ministériel est susceptible d'être recherchée s'il a commis une faute dans l'exercice de son mandat, il ne peut, ainsi que l'a considéré le premier juge, être retenu que cette personne se trouve placée dans une situation asymétrique d'infériorité qui est celle du consommateur à l'égard du professionnel, qu'il s'agit d'un rapport de consommation et que les dispositions du code de la consommation, qui relèvent de l'ordre public de protection, s'appliquent à cette relation.

Ainsi, même si l'article préliminaire du code la consommation a conféré une large définition à la notion de consommateur en précisant qu'elle vise toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, cette définition ne peut concerner une personne qui donne mandat à un huissier pour la mise à exécution d'une décision de justice.

Il s'ensuit que les dispositions relatives à l'option de compétence territoriale ouverte à un consommateur, édictées par l'article L. 141-5 du code susvisé, ne peuvent s'appliquer au litige en responsabilité civile professionnelle opposant Monsieur X. à Maître C. et que le jugement déféré doit être infirmé. »

 

COUR D’APPEL DE RIOM

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 22 JUIN 2016

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

CONTREDIT

TF

ARRET N°

DU : 22 Juin 2016

RG N° : 15/03067

FR

Arrêt rendu le vingt deux Juin deux mille seize

Statuant sur CONTREDIT à l'encontre d'un jugement rendu le 10 novembre 2015 par le Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand (RG N° 11-15-000557)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : M. François RIFFAUD, Président, Mme Marie-Madeleine BOUSSAROQUE, Conseillère, M. Philippe JUILLARD, Conseiller

En présence de : Mme Carine CESCHIN, Greffière, lors de l'appel des causes et du prononcé

 

ENTRE :

CONTREDISANT :

Maître C., huissier de justice

Représentant : Me Sophie V.-DE B. de la SCP V. ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

 

ET :

DÉFENDEUR AU CONTREDIT

M. D.

Représentant : Me Anne D., avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

 

DÉBATS : A l'audience publique du 27 avril 2016, M. Riffaud a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 22 juin 2016.

ARRÊT :

Prononcé publiquement le 22 juin 2016, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. François Riffaud, président, et par Mme Carine Ceschin, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS - PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Monsieur X. a, par lettre du 16 janvier 2013, adressé à Maître C., huissier de justice à [ville], la copie exécutoire d'un arrêt rendu le 22 février 2011 par la cour de céans dans le cadre d'un litige relatif à une liquidation de communauté, confirmant un jugement rendu le 20 janvier 2010 par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand ayant fixé sa créance à l'encontre de Madame Y. à la somme de 41.068,70 euros au titre de l'acquisition d'un immeuble et à 19.454,68 euros une récompense due par la communauté. Il n'a pas joint de lettre d'accompagnement à cet envoi.

Considérant qu'il était saisi d'un mandat pour exécution, l'huissier de justice a fait signifier le 22 janvier 2013 à Madame Y. un commandement aux fins de saisie-vente visant les sommes précitées, ainsi que la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par une lettre du 4 février 2013, Monsieur X., produisant un projet d'état liquidatif, a indiqué que seule la somme de 3.000 euros resterait due par Mme Y. et une mainlevée pure et simple du commandement a été signifiée à cette dernière le 21 février 2013.

Néanmoins, le 8 février 2013, Madame Y. avait déjà saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Draguignan pour obtenir l'annulation du commandement et, par jugement du 15 octobre 2013, cette juridiction a :

- constaté qu'il avait été donné mainlevée totale du commandement ;

- constaté en conséquence que la demande de mainlevée était sans objet et a dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de délais de paiement ;

- dit et jugé nul le commandement ;

- condamné Monsieur X. à payer à Mme Y. la somme de 500 euros pour procédure abusive ;

- condamné, le même, à payer à Madame Y. la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A la suite de cette condamnation, Monsieur X. a adressé à Maître C. une demande d'indemnisation en arguant d'une erreur commise par cet huissier de justice quant au montant des sommes réclamées dans le commandement susvisé.

Maître C. n'ayant pas réservé une suite favorable à cette demande, tout comme le président de la Chambre des huissiers, Monsieur X. a, par déclaration au greffe du 11 février 2015 saisi la juridiction de proximité de Clermont-Ferrand afin de voir engager la responsabilité contractuelle de cet huissier de justice.

A l'audience du 4 juin 2015, Maître C. a soulevé in limine litis, l'incompétence territoriale de la juridiction au profit de celle de Draguignan au visa des articles 42 et 46 du code de procédure civile.

Monsieur X. s'est, au principal, opposé à cette exception ; subsidiairement, il a sollicité le renvoi de l'affaire devant la juridiction de proximité de Montélimar.

Par jugement du 10 novembre 2015, le tribunal d'instance de Clermont-Ferrand a :

- déclaré la juridiction de proximité de Clermont-Ferrand compétente territorialement pour trancher le fond du litige ;

- renvoyé l'affaire devant cette juridiction ;

- réservé les dépens.

Par lettre motivée reçue au greffe du tribunal d'instance le 24 novembre 2015, l'avocat de Maître C. a formé contredit à l'encontre de ce jugement.

Par ordonnance du 12 janvier 2016, la première présidente de la cour de céans a fixé la date de l'audience de contredit au 27 avril 2016.

 

Maître C., au visa des articles 45 et 46 et 80 et suivants du code de procédure civile, demande à la cour de bien vouloir :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de Clermont-Ferrand en ce qu'il a déclaré la juridiction de proximité de Clermont-Ferrand compétente pour trancher le litige opposant Maître C. et Monsieur X. ;

- dire que les dispositions relatives au droit de la consommation n'ont pas vocation à s'appliquer à la relation client huissier de justice ;

- dire que l'article L. 141-5 du code de la consommation ne peut recevoir application ;

- dire que seuls les articles 42 et 46 du code de procédure civile sont applicables pour déterminer la compétence territoriale du présent litige ;

- dire, en conséquence que la juridiction de proximité près le tribunal d'instance de Draguignan est seule compétente territorialement pour statuer sur le litige et renvoyer l'affaire à cette juridiction ;

- dire et juger que Monsieur X. ne peut solliciter, à titre subsidiaire, l'application de l'article 47 du code de procédure civile s'agissant d'un litige initié devant la juridiction de proximité de Clermont-Ferrand et pas davantage que le litige soit renvoyé devant la juridiction de proximité près le tribunal d'instance de Montélimar en ce qu'elle n'est pas limitrophe de la juridiction de proximité de Draguignan ;

- condamner Monsieur X. aux entiers dépens afférents à l'incident de compétence et au contredit.

Il rappelle que l'article 42 du code de procédure civile prévoit que la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur et que selon l'article 47 du même code, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.

A cet égard, le demandeur au contredit précise qu'il demeure à Draguignan et que la prestation a été également réalisée dans cette ville.

En conséquence, est territorialement compétent le juge de proximité près le tribunal d'instance de Draguignan.

S'agissant des dispositions de l'article L. 141-5 du code de la consommation, invoquées par son adversaire, Maître C. souligne que la motivation du premier juge, pour soumettre la relation client-huissier de justice, au code de la consommation, se fonde sur un arrêt du 26 mars 2015 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation statuant sur la relation entre un avocat et son client au sujet des honoraires et également sur une réponse de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant en faveur de l'application de la directive des clauses abusives à la relation avocat-client.

Il soutient que la position retenue à l'égard de l'avocat ne peut être transposée à la profession d'huissier de justice qui constitue une profession réglementée agissant en exécution d'une décision des autorités de l'Etat, avec des obligations extrêmement encadrées et surveillées par ces mêmes autorités et par les instances ordinales.

Il ajoute que l'article L. 121-16-1, 7° du code de la consommation exclut du champ d'application de la présente section, « les contrats rédigés par un officier public » et que l'article L. 322-2 du même code exclut du champ d'application du présent titre les « membres des professions juridiques et judiciaires réglementées ».

Enfin, Maître C. estime qu'il n'existe pas de situation d'infériorité entre le client et l'huissier de justice et que le litige en cause ne porte pas sur des honoraires mais sur une mise en cause de sa responsabilité civile professionnelle.

En conséquence, l'article L. 141-5 du code de la consommation ne saurait recevoir application.

 

Monsieur X. conclut, au visa de l'article L. 141-5 du code de la consommation à la confirmation au rejet de l'exception d'incompétence et à la confirmation de la décision déférée.

Subsidiairement, au visa de l'article 47 du code de procédure civile, il sollicite la désignation de la juridiction de proximité de Salon-de-Provence.

Il demande la condamnation de son adversaire aux dépens et à lui payer une indemnité de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que la prestation réalisée par Maître C. peut s'analyser comme constituant une prestation de service et que c'est à juste titre que le tribunal, citant l'article préliminaire du code de la consommation, a retenu le raisonnement qui avait été suivi par la Cour de cassation et la Cour de justice de l'Union européenne, justifié par la situation d'infériorité du consommateur à l'égard du professionnel et l'asymétrie de leur niveau d'information.

Si cette argumentation venait à être rejetée, il demande, en raison de la fonction d'auxiliaire de justice de la partie adverse, le renvoi de l'affaire devant la juridiction de proximité située dans un ressort limitrophe.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application de l'article premier de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 modifiée, les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont, seuls, qualité pour signifier les actes et les exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n'a pas été précisé et ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire.

Leur compétence territoriale est déterminée par le décret n° 56-222 du 29 février 1956 modifié. Ils sont placés sous la surveillance du procureur de la République par l'article premier du décret n° 2007-1397 du 27 septembre 2007 et sous le contrôle de leur chambres régionale et départementale. Leur comptabilité est réglementée.

Les règles qui s'attachent à la délivrance de leurs actes sont fixées par le code de procédure civile, le code des procédures civiles d'exécution et leur statut. Le tarif de ces actes est fixé par le décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'un huissier de justice, tenu d'exercer son ministère toutes les fois qu'il en est requis, reçoit mandat de prêter son concours à la mise à exécution d'une décision de justice, ce mandat s'exerce dans des conditions étroitement définies et tarifées par l'autorité publique.

Dès lors et même si une relation contractuelle se noue entre l'huissier de justice et son mandant lorsqu'il se voit remettre un titre exécutoire et que la responsabilité civile de cet officier ministériel est susceptible d'être recherchée s'il a commis une faute dans l'exercice de son mandat, il ne peut, ainsi que l'a considéré le premier juge, être retenu que cette personne se trouve placée dans une situation asymétrique d'infériorité qui est celle du consommateur à l'égard du professionnel, qu'il s'agit d'un rapport de consommation et que les dispositions du code de la consommation, qui relèvent de l'ordre public de protection, s'appliquent à cette relation.

Ainsi, même si l'article préliminaire du code la consommation a conféré une large définition à la notion de consommateur en précisant qu'elle vise toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, cette définition ne peut concerner une personne qui donne mandat à un huissier pour la mise à exécution d'une décision de justice.

Il s'ensuit que les dispositions relatives à l'option de compétence territoriale ouverte à un consommateur, édictées par l'article L. 141-5 du code susvisé, ne peuvent s'appliquer au litige en responsabilité civile professionnelle opposant Monsieur X. à Maître C. et que le jugement déféré doit être infirmé.

Par dérogation aux règles du droit commun de la compétence territoriale des juridictions, l'article 47 du code de procédure civile permet, lorsqu'un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, au demandeur de saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe. Le même texte prévoit, qu'en cause d'appel, toutes les parties peuvent demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions et, qu'à peine d'irrecevabilité, la demande doit être présentée dès que son auteur a connaissance de ladite cause. La demande de renvoi, qui ne constitue pas une exception de compétence est susceptible d'être présentée à tous les stades de la procédure.

En l'espèce, la question du renvoi devant une autre juridiction ne se pose, en cause d'appel, qu'à raison du contredit formé par Maître C. et il ne peut être reproché à Monsieur X. - qui entendait ne pas exercer son action devant la juridiction devant laquelle cet huissier de justice intervient à titre habituel et même s'il a choisi de l'intenter devant une juridiction incompétente en se fondant de façon erronée sur l'article L. 141-5 précité - de ne la présenter qu'à titre subsidiaire.

Maître C. possédant la qualité d'auxiliaire de justice la demande de renvoi devant une juridiction de proximité autre que celle de Draguignan, lieu d'exercice de ses fonctions, s'impose à la cour qui renverra la cause et les parties devant la juridiction de proximité de Digne-les-Bains.

Monsieur X., qui succombe au contredit, en supportera les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré, statuant sur contredit, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Infirme le jugement déféré ;

Ordonne le renvoi de la cause et des parties devant la juridiction de proximité de Digne-les-Bains ;

Condamne Monsieur X. aux dépens du contredit.

Le greffier,                Le président,

C. Ceschin                 F. Riffaud