6240 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par clause - Accès au juge
- 6146 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Clauses sur l’accès au juge - Clause compromissoire (arbitrage)
- 6149 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Clauses sur l’accès au juge - Clauses attributives de compétence - Compétence territoriale
CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 6240 (28 septembre 2022)
PROTECTION CONTRE LES DÉSÉQUILIBRES SIGNIFICATIFS DANS LE CODE DE COMMERCE (ART. L. 442-1-I-2° C. COM.)
NOTION DE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF - PRÉSENTATION PAR CLAUSE - ACCÈS AU JUGE
Clause compromissoire. La clause compromissoire, pratique très ancienne du monde du commerce, est valable par principe, si elle est conclue entre deux professionnels, et n’est en rien contraire aux principes généraux du droit processuel français, dès lors qu’elle ne réduit pas le droit d'accès à la justice des justiciables professionnels en général, des franchisés en particulier. Insérée dans un contrat d'approvisionnement exclusif ou prioritaire, elle ne constitue nullement une pratique abusive et relève de la liberté contractuelle. CEPC (avis), 22 juin 2004 : avis n° 04-06 ; Cerclab n° 4285 (avis notant cependant que la clause impose de rémunérer les arbitres, ce qui peut avoir des conséquences économiques plus lourdes pour le franchisé que pour le franchiseur, mais estimant que ce problème doit recevoir une réponse économique et sociale pouvant passer par des techniques de mutualisation, voire d'assurance, du risque d'arbitrage, par exemple via des organismes professionnels ; la loi NRE a étendu la possibilité de recours à l’arbitrage). § Sur la situation radicalement différente pour un consommateur, V. Cerclab n° 6146.
Ne crée pas déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'anc. art. L. 442-6-I-2° [L. 442-1-I-2°] C. com. une clause compromissoire en ce qu'elle désigne la loi suédoise comme applicable au contrat et impose de faire trancher les différends par des arbitres conformément à la loi suédoise sur l'arbitrage. CA Paris (pôle 1 ch. 1), 18 mars 2014 : RG n° 12/13601 ; Cerclab n° 4727 (contrat de distribution exclusive de produits de puériculture entre un fabricant suédois et un distributeur français ; rejet de la demande de nullité de la clause formée par le distributeur ; parties ayant utilisé la faculté que leur donnait l’art. 3 de la Convention de Rome ; clause ne contredisant pas, par ailleurs, l’art. 7 de la même convention, ne méconnaissant pas le droit d'accès au juge et ne consacrant pas un déni de justice dans la mesure où le distributeur, société commerciale qui ne peut être assimilée à un consommateur, est en mesure de faire valoir ses droits devant la juridiction arbitrale et dispose, dans le cadre de la reconnaissance en France de la sentence, d'un recours juridictionnel effectif devant les juridictions étatiques), sur appel de T. com. Rennes, 28 juin 2012 : RG n° 2011F00354 ; Dnd.
Sur l’éventuel déséquilibre significatif pouvant découler de l’imposition par le franchiseur au franchisé, dans le cadre d’une clause compromissoire, de faire l’avance d'importants frais d'arbitrage, V. pour l’hypothèse, cette question n’ayant pas été abordée par l’arrêt (non admission sur cette branche) : Cass. civ. 1re, 9 février 2022 : pourvoi n° 21-11253 ; arrêt n° 143 ; Bull. civ. ; Cerclab n° 9634 (cassation de l’arrêt ayant admis l’exception d’incompétence du tribunal de commerce, au profit de la CCI, en dénaturant la clause du règlement d'arbitrage de celle-ci, qui précisait que l’avance pour frais était partagée à parts égales entre le demandeur et le défendeur, et en violant le principe de loyauté procédurale régissant les parties à une convention d'arbitrage, puisque la partie qui sollicitait cette exception était celle qui était à l’origine du retrait de la procédure d’arbitrage, faute d’avoir payé sa part de la provision sur frais), cassant CA Pau (2e ch. civ. sect. 1), 5 novembre 2020 : Dnd.
Clause attributive de compétence territoriale. Dans l’ordre interne, l’art. 48 CPC dispose que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée ». § Sur la situation en droit de la consommation, V. Cerclab n° 6149.
V. dans le cadre de l’ancien art. L. 442-6-I-2°-b) C. com. : ne présente pas de caractère abusif la clause des conditions d’achat excluant l’application de la clause de compétence stipulée dans les « conditions générales de vente » et prévoyant une autre juridiction compétente, sous la seule réserve formulée à l’article 48 NCPC qu’elle ait été spécifiée de manière très apparente et acceptée par un fournisseur ayant la qualité de commerçant. CEPC (avis), 7 juillet 2004 : avis n° 04-04 ; Cerclab n° 4287 (conditions d’achat de distributeurs).
Clause attributive de compétence : tribunal étranger. La CEPC a été saisie d’une question demandant s’il est légal qu’un fournisseur impose à son cocontractant un droit applicable étranger et des juridictions compétentes étrangères alors que l’ensemble de la relation contractuelle est exécuté en France. CEPC (avis), 10 mars 2010 : avis n° 10-06 ; Cepc 10100303 ; Cerclab n° 4284.
La CEPC rappelle que dans ce cas, l’art. 48 CPC ne règle pas cette hypothèse, qui suppose de faire une distinction.
- Le tribunal choisi est celui d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 (en cours de remplacement par la convention dite Lugano II du 30 octobre 2007). Dans ce premier cas, la clause, pour être valable, doit répondre aux conditions fixées par le règlement communautaire n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), art. 23, ou par la convention de Lugano (art. 17 pour Lugano I, 23 pour Lugano II). Selon la CEPC, bien que ces textes ne l’exigent pas expressément, il est très généralement admis que l’une de ces conditions est que la situation ait un caractère international (avis citant notamment Cass. civ. 1ère, 4 octobre 2005 : Bull. civ. I, n° 352 ; Rev. Crit. DIP 2006.413, note M. Audit).
- Le tribunal choisi est celui d’un État tiers à l’Union européenne ou à la convention de Lugano. Dans ce second cas, c’est le droit international privé français commun qui s’applique. La Cour de cassation exige également, pour valider la clause attributive de juridiction à un tribunal étranger, que le litige soit international (V. Cass. 17 décembre 1985, Sorelec : Rev. Crit. DIP 1986.537, note H. Gaudemet-Tallon, jugeant que « les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu’il s’agit d’un litige international … et lorsque la clause ne fait pas échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française »).
En conclusion, la CEPC est d’avis, puisqu’en l’espèce « l’ensemble de la relation contractuelle est exécuté en France », qu’il s’agit d’une situation purement interne et elle ne cesserait pas de l’être si l’un des contractants était une société ayant son siège à l’étranger (v. Civ. 1ère, 4 octobre 2005, précité), ce qui implique l’absence de validité de la clause dans les deux cas.
N’est ni abusive, ni léonine, la clause d’un contrat international de crédit qui laisse au prêteur étranger la possibilité de renoncer à la clause attributive de juridiction au Luxembourg, dès lors qu'elle a été convenue entre professionnels avisés, devant notaire et qu'elle n'ouvre jamais à la banque que la possibilité de choisir l'application des règles de droit interne connues de l’emprunteur. CA Aix-en-Provence (8e ch. C), 24 octobre 2013 : RG n° 11/16324 ; arrêt n° 2013/423 ; Cerclab n° 4501 (N.B. l’arrêt estime auparavant que le contrat a été conclu en qualité de professionnel), sur appel de TGI Grasse (JME), 16 septembre 2011 : RG n° 09/02593 ; Dnd, cassé pour des raisons procédurales par Cass. civ. 1re, 8 juillet 2015 : pourvoi n° 14-14942 ; arrêt n° 803 ; Cerclab n° 5217 (cassation au visa des art. 16 et 783 CPC, pour ne s’être pas prononcé sur des conclusions sollicitant la révocation de l’ordonnance de clôture).
V. pour une clause laissant une option : absence de déséquilibre significatif d’une clause instaurant une compétence non exclusive des juridictions de Hong-Kong. CA Paris (pôle 5 ch. 5), 13 février 2020 : RG n° 16/15098 ; Cerclab n° 8355 (contrat de commercialisation des voyages aériens d’une compagnie chinoise par une agence française de compagnie), sur appel de T. com. Lyon, 22 janvier 2015 : RG n° 2012J1217 ; Dnd.
Clause imposant une intervention en justice. Crée un déséquilibre significatif le troisième alinéa d’une clause qui stipule que « chaque partie s'engage à intervenir dans toute procédure ou instance qui viendrait à être engagée par un tiers au contrat, pour faire valoir sa position sur celui-ci tel qu'il a été négocié et conclu ». T. com. Paris (1re ch. A), 20 mai 2014 : RG n° 2013070793 ; Cerclab n° 6972 (contrats entre un distributeur et ses fournisseurs ; arguments : 1/ symétrie purement formelle ; 2/ clause inutile puisque le distributeur dipose déjà du droit d’intervention forcée de l’art. 331 CPC, s’il y a un intérêt à sa présence - N.B. la clause pourrait être interprétée comme tentant de supprimer cette condition ; 3/ clause pouvant à l’inverse, en raison de sa généralité, jouer pour les recours non contentieux où le CPC n’est pas applicable ; 4/ s’il est difficile de voir l’avantage que peut en retirer le fournisseur, il peut subir des désavantages ; 5/ la rédaction très générale, sans aucune exception, limite ou prise en compte de circonstances particulières, rend la clause déséquilibrée et restreint en outre la liberté fondamentale de chaque partie d'agir en justice, consacrée par l'art. 6 § 1 Conv. EDH, dont le corollaire est le droit de ne pas agir en justice : s'il n'est pas contestable que la libre disposition du droit d'agir, ou de ne pas agir, en justice implique, par nature, la possibilité d'en disposer conventionnellement et de conclure des accords sur la façon d'en user dans des circonstances définies, encore faut-il que cette convention ait été librement consentie et non imposée par « soumission » ou contrainte). § N.B. Le jugement a refusé de lier le sort des trois alinéas, alors que l’obligation d’intervenir prévue par le troisième, annulé, prenait clairement sens dans les deux précédents qui déterminaient le contenu de l’intervention en obligeant le fournisseur a déclarer qu’il avait conclu sans pression. Selon un des membres interrogés du distributeur, « il s'agit de renforcer ainsi l'idée que, nous sommes dans un schéma contractuel voulu et signé de bonne foi ». L’ensemble constituait une tentative avérée, bien que maladroite, d’échapper à une réglementation d’ordre public en se préconstituant la preuve qu’une de ses conditions n’était pas remplie.
Renonciation au bénéfice d’une décision de justice. Constitue une tentative de soumettre les fournisseurs à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties contrairement à l'ancien art. L. 442-6-I-2° [L. 442-1-I-2°] C. com., engageant sa responsabilité, le fait pour un distributeur d’obtenir des fournisseurs qu’ils s’engagent à ne pas faire valoir les droits dont ils disposent à la suite d’une décision de justice ayant condamné le distributeur à restituer les sommes indûment perçues au titre de transactions annulées. T. com. Paris (1re ch.), 22 novembre 2011 : RG n° 2011/058173 ; Cerclab n° 4253 ; Juris-Data n° 2011-032798 ; Contr. conc. consom. 2012/4, comm. n° 93, obs. N. Mathey ; Concurrences 2012/1, p. 132, obs. J.-L. Fourgoux ; Lettre distrib. 2011/12, p. 1, obs. M.-P. Bonnet-Desplan (le jugement indique qu’in fine, l’État ne pourrait conserver les sommes obtenues et serait obligé de les restituer au distributeur ; comportement établi en raison notamment de l’envoi de courriers très similaires par les fournisseurs), suite de CA Versailles (12e ch. sect. 1), 29 octobre 2009 : RG n° 08/07356 ; Cerclab n° 4332 ; Juris-Data n° 2009-05907 ; Contr. conc. consom. 2010/2, comm. n° 44, note M. Malaurie-Vignal (nullité de la transaction conclue entre un distributeur et ses fournisseurs, par laquelle le premier avait exigé des seconds le versement de plusieurs millions d’euros en réparation d’une prétendue discrimination dont il aurait été victime au regard des tarifs pratiqués par ces fournisseurs avec une autre enseigne), sur renvoi de Cass. com., 8 juillet 2008 : pourvoi n° 07-16761 ; Cerclab n° 3534 ; D. 2008, 3046, note M. Bandrac ; D. 2010, pan. p. 2892, obs. D. Ferrier ; JCP G 2008. 1. 218, n° 18, obs. M. Chagny ; JCP E 2008, n° 30, p. 8, note A.-M. Luciani ; JCP E 2009, 1739, obs. G. Decocq ; Contr. conc. consom. 2008, comm. 237, note M. Malaurie-Vignal ; Rev. Lamy conc. 2008, 43, obs. M. Behar-Touchais ; Lettre distrib. 2008-7/8, p. 1, obs. J. Raynard, cassant CA Versailles (12e ch. sect. 2), 3 mai 2007 : RG n° 05/09223 ; Cerclab n° 3986 ; D. 2007, p. 1656, obs. E. Chevrier ; JCP E 2007, 2303, n° 9, obs. G. Decocq et 2429, note Kœring, sur appel de T. com. Nanterre, 15 novembre 2005 : Dnd.