CA REIMS (ch. civ. sect. 1), 22 novembre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6549
CA REIMS (ch. civ. sect. 1), 22 novembre 2016 : RG n° 15/00642
Publication : Jurica
Extrait : « L'appelante soutient que cet article est constitutif d'une clause abusive en ce qu'elle créé un réel déséquilibre entre les deux parties au contrat, la société Initial s'assurant pendant les quatre années du contrat le règlement intégral de ses prestations et ce, quelle que soit la qualité de son service.
Celle-ci ne précise pas le fondement juridique sur lequel elle s'appuie, mais il s'entend que, s'agissant de relations commerciales entre deux professionnels qui sont des partenaires commerciaux, la société Hôtel Crystal ne peut invoquer que l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce qui réglemente depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 la clause du contrat qui créé « un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Or, l'article D. 442-3 du code de commerce donne une compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour traiter des litiges fondés sur l'article L. 442-6 du même code. La société Hôtel Crystal est donc irrecevable à soulever ce moyen devant cette cour. »
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE SECTION 1
ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/00642.
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 17 février 2015 par le tribunal de commerce de REIMS,
SAS HOTEL CRYSTAL
COMPARANT, concluant par Maître Pascal G., avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
Société INITIAL
COMPARANT, concluant par Maître Emmanuel L., avocat au barreau de REIMS, et ayant pour conseil la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL, avocats au barreau du VAL-DE-MARNE.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur MARTIN, président de chambre, Madame MAUSSIRE, conseiller, Madame BOUSQUEL, conseiller
GREFFIER : Madame NICLOT, greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS : A l'audience publique du 3 octobre 2016, où l'affaire a été mise en délibéré au 22 novembre 2016,
ARRÊT : Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2016 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Madame NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Suivant contrat du 20 juin 2011, la SAS Hôtel Crystal, qui exploite un hôtel à [adresse], a souscrit auprès de la société Initial un contrat pour la fourniture et l'entretien de l'ensemble des draps équipant les chambres de cet hôtel moyennant un abonnement mensuel de 432,86 euros TTC.
Il était prévu un contrat de quatre ans renouvelable par tacite reconduction.
L'article 11 du contrat liant les parties prévoyait également qu'en cas de résiliation anticipée, l'indemnité devait être égale à la moyenne des factures d'abonnement établies depuis les douze derniers mois multipliée par le nombre de semaines ou de mois restant à courir jusqu'à l'échéance du contrat.
La SAS Hôtel Crystal, se plaignant des retards récurrents dans la livraison des draps, a rompu de manière anticipée ce contrat en juillet 2013.
La société Initial a réclamé le règlement des factures impayées.
Par ordonnance du 31 mars 2014, le président du tribunal de commerce de Reims a enjoint à la société Hôtel Crystal de payer à la société Initial la somme de 38.975,25 euros.
Il a été formé opposition à cette ordonnance.
Par décision du 17 février 2015, le tribunal de commerce :
- a mis à néant l'ordonnance,
- a condamné la société Hôtel Crystal à payer à la société Initial :
* la somme de 8.041,92 euros au titre de la clause résolutoire
* la somme de 1.857,81 euros au titre de la facture n° 64XX6
* la somme de 1.851,01 euros au titre de la facture n° 65YY718
- l'a condamnée à verser la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté la société Initial de sa demande au titre de la clause pénale,
- a débouté la société Hôtel Crystal de sa demande de dommages et intérêts,
- a condamné celle-ci aux dépens.
Le tribunal a considéré que la société Hôtel Crystal avait résilié de manière unilatérale le contrat suite aux problèmes de livraison de linge propre et qu'elle n'avait jamais mis en demeure la société Initial pour lui rappeler ses obligations, de sorte que celle-ci était en droit de solliciter l'indemnité résolutoire prévue au contrat mais que celle-ci devait s'analyser comme une clause pénale qu'il convenait de réduire à la somme de 8.041,92 euros (calculée sur six mois, délai de dénonciation habituel en la matière).
Par déclaration du 17 mars 2015, la société Hôtel Crystal a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions du 16 juin 2015, elle demande à la cour :
- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Reims en date du 17 février 2015,
Et statuant à nouveau,
- de dire et juger que le contrat de prestation de services signé le 20 juin 2011 a été résilié aux torts exclusifs de la société Initial compte-tenu de ses carences,
- de dire et juger que le contrat du 20 juin 2011 liant les parties ne mentionne qu'une prestation pour un montant de 301,92 euros HT,
- de dire et juger que la société Initial ne fournit aucun avenant signé par les parties modifiant les conditions du contrat multiservices signé le 20 juin 2011 par les parties,
- de débouter en conséquence la société Initial de l'ensemble ses demandes, fins et conclusions en paiement,
- de dire et juger à titre subsidiaire que pour le cas où une indemnité résolutoire calculée sur six mois serait laissée à sa charge, celle-ci ne pourra excéder la somme de 1.811,52 euros,
- en toute hypothèse, de dire et juger abusive la clause n° 11 du contrat du 20 juin 2011 évoquée par la société Initial au soutien de sa demande en paiement,
- de dire et juger que la société Initial est seule à l'origine de la rupture anticipée du contrat et de la condamner en conséquence à lui payer une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et économique subi,
- de condamner la société Initial à lui payer une indemnité de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter la société Initial de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
- de condamner la société Initial aux entiers dépens avec, pour ceux d'appel, faculté de recouvrement au profit de Maître Pascal G., avocat à la cour, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient que c'est à juste raison qu'elle a résilié de manière anticipée le contrat, rupture qui n'est due qu'aux carences de la société Initial à respecter les termes de la prestation de services.
Elle expose également que l'article 11 du contrat doit être considéré comme constituant une clause abusive dans la mesure où la société Initial s'assure pendant quatre ans le règlement intégral de ses prestations et ce, quelle que soit la qualité de son service, de sorte qu'elle crée un déséquilibre significatif des obligations respectives des parties.
Elle ajoute que ce contrat est particulièrement inéquitable puisqu'aucune solution n'est offerte au souscripteur du contrat qui ne peut faire constater judiciairement la défaillance du prestataire à respecter ses obligations, ce qui n'empêche pas la société prestataire d'exiger le règlement de la totalité des mois restant à courir jusqu'à l'échéance du contrat.
Par conclusions du 24 septembre 2015, la société Initial, ayant formé appel incident, demande à la cour :
- de confirmer le jugement en son principe de condamnation de la société Hôtel Crystal,
- de l'infirmer pour le surplus,
- de constater que celle-ci ne justifie pas de manquements de la société Initial dans l'exécution de sa prestation ni l'en avoir informée,
- de condamner la société Hôtel Crystal à lui payer la somme de 37.124,24 euros en règlement des factures,
- de la condamner à lui payer la somme de 5.568,64 euros au titre de la clause pénale,
- de la condamner à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux dépens avec distraction,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du code civil.
Elle soutient :
- que la société Hôtel Crystal ne s'est jamais plainte avant son courrier d'opposition d'un quelconque manquement de sa part dans l'exécution de la prestation et que rien ne permettait de justifier de l'existence de problèmes dans les livraisons, de sorte que le contrat ne peut être résilié aux torts de la société Initial, et ce d'autant qu'en cours de procédure, la société Hôtel Crystal lui a adressé le 12 septembre 2014 un courrier pour que celle-ci reprenne l'exécution du contrat,
- que l'article 11 des conditions générales contractuelles n'a aucun caractère abusif puisqu'il n'interdit pas, sur le fondement des articles 1184 et 1147 du code civil, d'obtenir la résiliation du contrat en cas de défaillance d'une partie à ses obligations,
- que la société Hôtel Crystal ne peut justifier d'aucun préjudice puisqu'elle avait trouvé un nouveau prestataire avant l'envoi de son courrier de résiliation,
- que les premiers juges ont qualifié à tort l'indemnité de résiliation de clause pénale dans la mesure où la résiliation anticipée du contrat par le client ne constitue pas une inexécution des obligations contractuelles mais une contrepartie à l'arrêt du contrat de manière anticipée.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La résiliation anticipée du contrat par la société Hôtel Crystal :
La société Initial était chargée depuis le 20 juin 2011 de l'entretien de l'ensemble des draps de lit équipant les chambres de l'hôtel Crystal.
Il apparaît, à l'examen des nombreuses attestations qui sont versées aux débats par d'autres hôteliers de la place confrontés au même problème, que la société Initial a été défaillante dans la réalisation de ses prestations en ne respectant ni les délais de livraison, ni les quantités de draps qui devaient être livrées.
Pour autant, le contrat signé entre les parties imposait à la société Hôtel Crystal en son article 2 des conditions générales, de porter réclamation auprès du loueur par écrit dans les deux jours ouvrables suivant la livraison.
Il n'est pas contestable que la société Hôtel Crystal n'a jamais adressé à la société Initial de lettre par laquelle elle se serait plaint de la qualité des prestations de son cocontractant.
Dans ces conditions, le courrier du 17 juillet 2013 par lequel elle a mis fin brutalement au contrat deux ans avant son échéance en refusant les livraisons à compter du 19 juillet 2013, soit seulement deux jours après, est constitutif d'une rupture fautive de celui-ci.
Le caractère non abusif de l'article 11 des conditions générales :
Cet article est ainsi libellé :
RESILIATION ANTICIPEE DU CONTRAT - CLAUSE RESOLUTOIRE
En cas de non-paiement d'une facture échue ou en cas d'infraction à l'une quelconque des clauses du présent contrat, la présente convention sera résiliée de plein droit, huit jours après mise en demeure adressée par le loueur par lettre recommandée avec accusé de réception demeurée infructueuse.
Dans cette hypothèse et sans préjudice de dommages-intérêts complémentaires, le client dont le contrat aura été résilié devra :
- payer une indemnité égale à la moyenne des factures d'abonnement service établies depuis les douze derniers mois multipliée par le nombre de semaines ou de mois restant à courir jusqu'à l'échéance du contrat,
- payer au loueur le stock initial des articles personnalisés ou exclusivement affectés, conformément à la clause 12 du présent contrat,
- restituer au loueur les autres articles mis à sa disposition dans le délai d'une semaine ; à défaut, ils seront facturés au client comme s'ils avaient été perdus.
Le client qui procéderait à la résiliation unilatérale du contrat serait astreint aux mêmes pénalités et clause de compensation que celles prévues en cas de résiliation du contrat dans le présent article.
L'appelante soutient que cet article est constitutif d'une clause abusive en ce qu'elle créé un réel déséquilibre entre les deux parties au contrat, la société Initial s'assurant pendant les quatre années du contrat le règlement intégral de ses prestations et ce, quelle que soit la qualité de son service.
Celle-ci ne précise pas le fondement juridique sur lequel elle s'appuie, mais il s'entend que, s'agissant de relations commerciales entre deux professionnels qui sont des partenaires commerciaux, la société Hôtel Crystal ne peut invoquer que l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce qui réglemente depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 la clause du contrat qui créé « un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Or, l'article D. 442-3 du code de commerce donne une compétence exclusive à la cour d'appel de Paris pour traiter des litiges fondés sur l'article L. 442-6 du même code.
La société Hôtel Crystal est donc irrecevable à soulever ce moyen devant cette cour.
La nature juridique de cette clause :
Le tribunal de commerce a considéré que cette clause pouvait s'analyser comme une clause pénale et que le juge avait donc la possibilité de la modérer.
La clause pénale, aux termes de l'article 1226 du code civil, est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution.
Elle sanctionne donc contractuellement le manquement d'une partie à ses obligations.
La clause contestée, dont il y a lieu de rappeler qu'elle se dénomme « résiliation anticipée du contrat-clause résolutoire » et non « clause pénale » - cette disposition ayant été également prévue par les parties pour sanctionner le non-paiement des factures -, est une indemnité de résiliation qui vise à déterminer à l'avance les conséquences d'une rupture anticipée du contrat.
Les parties se sont engagées dans un contrat à durée déterminée d'une durée de quatre années et la société Hôtel Crystal a accepté les termes du contrat dans sa globalité, notamment la disposition suivant laquelle elle serait redevable d'une indemnité si elle résiliait de manière anticipée le contrat.
La clause objet du litige est donc la contrepartie de l'arrêt brutal du contrat prévu à durée ferme et non la sanction du manquement d'une partie à ses obligations et elle a pour but de maintenir l'équilibre financier du contrat entre les parties.
Elle ne peut dès lors s'analyser comme une clause pénale.
La décision sera infirmée de ce chef.
La société Hôtel Crystal est redevable en vertu de cette clause de la somme de 38.975,25 euros suivant décompte du 18 mars 2014 de laquelle il convient de déduire celle de 1.851,01 euros correspondant à l'abonnement de juillet 2013 qui a été réglée.
Elle sera donc condamnée à payer à la société Initial la somme de 37.124,24 euros avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (article L. 441-6 du code de commerce), et ce, à compter du 19 mars 2014, date à laquelle elle a accusé réception de la lettre de mise en demeure adressée par la société Initial.
La capitalisation des intérêts, qui est de droit par application de l'article 1154 du code civil, sera également ordonnée.
La clause pénale :
Le montant de la clause pénale prévue à l'article 7-4 du contrat en cas de non-paiement - 15 % du montant des sommes dues - apparaît manifestement excessif compte-tenu des pénalités auxquelles la société Hôtel Crystal a par ailleurs été condamnée.
Son montant sera réduit à 1 euro.
La demande de dommages et intérêts formée par la société Hôtel Crystal :
Celle-ci ayant rompu abusivement le contrat ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour avoir subi un préjudice économique dont l'existence n'est par ailleurs pas avérée.
L'article 700 du code de procédure civile :
La décision sera confirmée sur ce point.
L'équité justifie qu'à hauteur d'appel, il ne soit pas fait droit aux demandes formées à ce titre.
Les dépens :
La décision sera confirmée.
L'appelante succombe en ses demandes ; elle sera condamné aux dépens avec recouvrement direct par application de l'article 699 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Infirme le jugement rendu le 17 février 2015 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a considéré que la clause prévue à l'article 11 du contrat s'analysait comme une clause pénale.
Statuant à nouveau ;
Déclare irrecevable le moyen soulevé par la société Hôtel Crystal tiré du caractère abusif de la clause prévue à l'article 11 du contrat.
Dit que cette clause s'analyse comme une clause de résiliation anticipée du contrat ;
En conséquence, condamne la société Hôtel Crystal à payer à la société Initial la somme de 37.124,24 euros avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage et ce, à compter du 19 mars 2014.
Ordonne la capitalisation des intérêts pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus pour une année entière.
Condamne la société Hôtel Crystal à payer à la société Initial la somme de 1 euros au titre de la clause pénale.
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions.
Y ajoutant ;
Déboute les parties de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Hôtel Crystal aux dépens avec recouvrement direct par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président
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