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CJUE (1re ch.), 16 juillet 2015

Nature : Décision
Titre : CJUE (1re ch.), 16 juillet 2015
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (1re ch.)
Demande : C 539/14
Date : 16/07/2015
Numéro ECLI : ECLI:EU:C:2015:508
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 27/11/2014
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6571

CJUE (1re ch.), 16 juillet 2015 : Affaire C‑539/14

Publication : Site Curia

 

Extrait : « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu en combinaison avec les articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le consommateur, en tant que débiteur saisi dans une procédure de saisie hypothécaire, peut interjeter appel de la décision rejetant l’opposition à l’exécution uniquement lorsque le juge de première instance n’a pas accueilli le motif d’opposition tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, et cela alors même que le professionnel peut, en revanche, faire appel de toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

PREMIÈRE CHAMBRE

ORDONNANCE DU 16 JUILLET 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑539/14, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Castellón (Espagne), par décision du 21 novembre 2014, parvenue à la Cour le 27 novembre 2014, dans la procédure

Juan Carlos Sánchez Morcillo,

María del Carmen Abril García

contre

Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA,

 

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. S. Rodin, A. Borg Barthet, E. Levits et F. Biltgen, juges,

Avocat général : M. N. Wahl,

Greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Ordonnance :

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), lu en combinaison avec les articles 47, 34, paragraphe 3, et 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Sánchez Morcillo et Mme Abril García à Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA (ci-après « Banco Bilbao ») au sujet de l’opposition à la saisie hypothécaire portant sur leur logement.

 

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13 est rédigé comme suit :

« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »

4. L’article 3 de cette directive dispose :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[...]

3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »

5. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 

Le droit espagnol

6. À la suite de l’arrêt Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), le chapitre III de la loi 1/2013, relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social (Ley 1/2013, de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social), du 14 mai 2013 (BOE nº 116, du 15 mai 2013, p. 36373), a modifié le code de procédure civile (Ley de enjuiciamiento civil), du 7 janvier 2000 (BOE nº 7, du 8 janvier 2000, p. 575, ci‑après la «LEC»).

7. La troisième disposition finale du décret-loi 11/2014, portant mesures urgentes en matière de faillite (decreto-ley 11/2014 de medidas urgentes en materia concursal), du 5 septembre 2014 (BOE nº 217, du 6 septembre 2014, p. 69767), a ultérieurement modifié la LEC (ci-après la « LEC modifiée »), afin de « la rendre conforme au récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 juillet 2014 ».

8. L’article 695 de la LEC modifiée, relatif à la procédure d’opposition à la saisie hypothécaire, est rédigé comme suit :

«1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution n’est accueillie que lorsqu’elle est fondée sur les motifs suivants :

(1) l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, [...]

(2) une erreur dans la détermination du montant exigible, [...]

(3) en cas d’exécution visant des biens meubles hypothéqués ou sur lesquels ont été constitués des gages sans dépossession, la constitution, sur ces biens, d’un autre gage, hypothèque mobilière ou immobilière, ou séquestre inscrits antérieurement à la charge qui est à l’origine de la procédure, ce qui devra être démontré par le certificat d’enregistrement correspondant ;

(4) le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou ayant permis de déterminer le montant exigible.

2. En cas d’introduction de l’opposition visée au paragraphe précédent, le greffe du tribunal procède à la suspension de l’exécution et convoque les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître doit intervenir au moins quinze jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entend les parties, examine les documents produits et adopte la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée.

3. La décision faisant droit à l’opposition fondée sur les premier et troisième motifs du paragraphe 1 du présent article entraîne la suspension de l’exécution ; celle faisant droit à l’opposition fondée sur le deuxième motif fixe le montant pour lequel l’exécution doit se poursuivre.

Si le quatrième motif est retenu, le non‑lieu à exécution est prononcé si la clause contractuelle constitue le fondement de l’exécution. Sinon, l’exécution est poursuivie en écartant l’application de la clause abusive.

4. La décision ordonnant le non‑lieu à exécution ou l’inapplication d’une clause abusive ou le rejet de l’opposition pour le motif prévu au paragraphe 1, sous 4), du présent article est susceptible d’un recours en appel.

En dehors de ces hypothèses, les décisions statuant sur l’opposition visée au présent article ne sont susceptibles d’aucun recours et leurs effets sont exclusivement limités à la procédure d’exécution dans le cadre de laquelle elles sont rendues. »

9. L’article 698 de la LEC modifiée dispose :

« 1. Toute réclamation que le débiteur, le tiers détenteur ou tout intéressé pourrait formuler, qui ne serait pas comprise dans les articles précédents, y compris celles relatives à l’annulation du titre ou à l’échéance, au caractère certain, à l’extinction ou au montant de la dette, est tranchée dans le jugement correspondant, sans jamais avoir pour effet de suspendre la procédure judiciaire d’exécution prévue au présent chapitre ou d’y faire échec.

[...] »

10. L’article 552 de la LEC modifiée, qui concerne le recours ouvert en cas de refus d’ordonner l’exécution, prévoit :

« 1. Si le tribunal considère que les modalités et les conditions légalement requises ne sont pas réunies aux fins d’ordonner l’exécution, il rend une ordonnance refusant l’exécution.

Lorsque le tribunal estime que l’une des clauses figurant dans l’un des titres exécutoires visés à l’article 557, paragraphe 1, peut être qualifiée d’abusive, il entend les parties dans un délai de quinze jours. Celles-ci entendues, il statue dans un délai de cinq jours ouvrables, conformément aux dispositions de l’article 561, paragraphe 1, point 3.

2. Il peut être directement fait appel de l’ordonnance rejetant l’exécution, le recours en appel n’étant traité qu’avec le créancier. Celui-ci peut également, s’il le souhaite, solliciter un réexamen de sa demande par la même juridiction avant le recours en appel.

3. Une fois l’ordonnance rejetant l’exécution devenue définitive, le créancier ne peut faire valoir ses droits que dans la procédure ordinaire correspondante, si l’autorité de la chose jugée de l’arrêt ou de la décision définitive sur laquelle la demande d’exécution était fondée n’y fait pas obstacle.»

11. Aux termes de l’article 557 de la LEC modifiée, relatif à la procédure d’opposition à l’exécution fondée sur des titres non judiciaires ou arbitraux :

«1. Lorsque l’exécution est ordonnée pour les titres visés à l’article 517, paragraphe 2, points 4, 5, 6 et 7, ainsi que pour d’autres documents ayant force exécutoire visés à l’article 517, paragraphe 2, point 9, le défendeur à l’exécution ne peut s’y opposer, dans les délais et formes prévus à l’article précédent, que s’il invoque l’un des motifs suivants :

[...]

7° le titre contient des clauses abusives.

2. Si l’opposition visée au paragraphe précédent est formée, le greffe du tribunal suspend l’exécution par mesure d’organisation de la procédure. »

12. L’article 561 de la LEC modifiée concerne l’ordonnance statuant sur l’opposition pour des motifs de fond et est rédigé comme suit :

«1. Après avoir entendu les parties sur l’opposition à l’exécution non fondée sur des vices de procédure et après l’audience qui s’est éventuellement tenue, le tribunal adopte, par ordonnance, aux seules fins de l’exécution, l’une des décisions suivantes :

(1) ordonner la poursuite de l’exécution pour le montant fixé si l’opposition est rejetée dans son intégralité. Si l’opposition était fondée sur une demande excessive et qu’il y est partiellement fait droit, l’exécution est ordonnée pour le montant correspondant.

[...]

(2) déclarer qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’exécution s’il est fait droit à l’un des motifs cités aux articles 556 et 557 ou s’il est considéré que la demande excessive admise conformément à l’article 558 est entièrement fondée ;

(3) si le caractère abusif d’une ou de plusieurs clauses est constaté, l’ordonnance adoptée en précise les conséquences soit en décidant qu’il n’y a pas lieu à exécution, soit en ordonnant l’exécution sans application des clauses considérées abusives.

2. S’il est fait droit à l’opposition à l’exécution, l’exécution est privée d’effet et les séquestres ainsi que les mesures de garantie de l’affectation qui auraient été adoptées sont levés, le défendeur à l’exécution étant de nouveau placé dans la situation antérieure à la mise en œuvre de l’exécution, conformément aux dispositions des articles 533 et 534. Le demandeur à l’exécution est également condamné aux dépens de l’opposition.

3. L’ordonnance statuant sur l’opposition est susceptible d’un recours en appel, lequel ne suspend pas l’exécution si la décision faisant l’objet du recours a rejeté l’opposition.

[...]»

 

Le litige au principal et la question préjudicielle

13. Dans son arrêt Sánchez Morcillo et Abril García (C‑169/14, EU:C:2014:2099), la Cour a déjà interprété l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, dans le cadre du même litige que celui en cause au principal. Les faits du litige au principal ont été exposés ainsi aux points 13 à 18 de cet arrêt :

«13 Il ressort de la décision de renvoi que les requérants au principal ont, le 9 juin 2003, signé avec Banco Bilbao un acte notarié de prêt pour une somme de 300 500 euros avec une garantie hypothécaire portant sur leur logement.

14 Le remboursement de ladite somme venait à échéance le 30 juin 2028, s’échelonnant sur 360 mensualités. Dans l’hypothèse où les débiteurs manqueraient à leur obligation de paiement, Banco Bilbao était autorisée à réclamer le remboursement anticipé du prêt accordé aux requérants au principal. La clause 6 bis du contrat de prêt fixait le taux d’intérêt moratoire à 19 % par an, le taux d’intérêt légal en Espagne étant, au cours de la période concernée par le litige au principal, de 4 % par an.

15 En raison du manquement des requérants au principal à leur obligation de payer les mensualités de remboursement de ce prêt, Banco Bilbao a, le 15 avril 2011, demandé le paiement de la totalité du prêt assorti des intérêts ordinaires et de retard ainsi que la vente forcée du bien immobilier hypothéqué en sa faveur.

16 À la suite de l’ouverture de la procédure de saisie hypothécaire, les requérants au principal ont formé opposition à celle-ci [alléguant le caractère insuffisant du titre présenté et l’incompétence du juge saisi] laquelle a été rejetée par décision du 19 juin 2013 du Juzgado de Primera Instancia nº 3 de Castellón (juge de première instance nº 3 de Castellón). Les requérants au principal ont interjeté appel de cette décision, lequel, ayant été déclaré recevable, a été renvoyé devant l’Audiencia Provincial de Castellón (cour provinciale de Castellón).

17 La juridiction de renvoi expose que, si la procédure civile espagnole permet d’interjeter appel de la décision qui, faisant droit à l’opposition formée par un débiteur, met fin à la procédure de saisie hypothécaire elle ne permet pas, en revanche, au débiteur dont l’opposition a été rejetée d’interjeter appel du jugement de première instance ordonnant la poursuite de la procédure d’exécution forcée.

18 La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la compatibilité de cette réglementation nationale avec l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par la directive 93/13 ainsi qu’avec le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte. Cette juridiction précise que l’ouverture de la voie de l’appel aux débiteurs pourrait s’avérer d’autant plus déterminante que certaines clauses du contrat de prêt en cause au principal pourraient être considérées comme « abusives », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. »

14. L’Audiencia Provincial de Castellón a, dès lors, décidé de poser à la Cour des questions préjudicielles concernant précisément cette problématique.

15. Par l’arrêt Sánchez Morcillo et Abril García (C‑169/14, EU:C:2014:2099), la Cour a répondu que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un système de voies d’exécution, tel que celui en cause au principal, prévoyant qu’une procédure de saisie hypothécaire n’est pas susceptible d’être suspendue par le juge du fond, celui-ci pouvant, dans sa décision finale, tout au plus accorder une indemnité compensatoire du préjudice subi par le consommateur, dans la mesure où ce dernier, en tant que débiteur saisi, ne peut pas faire appel de la décision rejetant son opposition à cette exécution, alors que le professionnel, créancier saisissant, peut exercer cette voie de recours contre la décision ordonnant de mettre fin à la procédure ou déclarant une clause abusive inapplicable.

16. À la suite du prononcé de cet arrêt, le législateur espagnol a modifié, par le décret-loi 11/2014, le paragraphe 4 de l’article 695 de la LEC.

17. Toutefois, la juridiction de renvoi devant laquelle la procédure d’appel s’est poursuivie expose que cette modification permet aux consommateurs d’interjeter appel de l’ordonnance rejetant l’opposition à l’exécution uniquement lorsque le juge de première instance n’a pas fait droit au motif d’opposition tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, alors qu’elle autorise les professionnels à faire appel de toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde.

18. Par conséquent, ladite juridiction continue d’éprouver des doutes quant à la compatibilité d’une telle disposition nationale – qui devrait l’amener à rejeter l’appel interjeté par les requérants au principal – avec l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par la directive 93/13, lue en combinaison avec le principe d’égalité d’armes garanti par l’article 47 de la Charte, ainsi qu’avec les droits au logement et à la vie privée et familiale consacrés, respectivement, aux articles 34, paragraphe 3, et 7 de la Charte.

19. Dans ces conditions, l’Audiencia Provincial de Castellón a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 7 de la [directive 93/13], lu en combinaison avec les articles 47, 34, paragraphe 3, et 7 de la [Charte], doit‑il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition procédurale, telle que l’article 695, paragraphe 4, [de la LEC modifiée], qui, dans la réglementation du recours contre la décision se prononçant sur l’opposition à l’exécution de biens hypothéqués ou gagés, ne permet de faire appel que de l’ordonnance décidant de mettre fin à la procédure, de ne pas appliquer une clause abusive ou rejetant l’opposition fondée sur le caractère abusif d’une clause, ce qui a pour conséquence immédiate que le professionnel saisissant dispose de plus de voies de recours en appel que le consommateur saisi ? »

20. L’Audiencia Provincial de Castellón a demandé, le 27 novembre 2014, que l’affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Selon cette juridiction, l’urgence extraordinaire résulte du fait que la procédure de saisie hypothécaire en cause au principal a pour objet le logement habituel des consommateurs, en leur qualité de débiteurs saisis, ce qui entraîne le risque de perdre ce logement et place lesdits consommateurs ainsi que leurs familles dans une situation particulièrement fragile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur la question préjudicielle :

21. En vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

22. Il y a lieu de faire application dudit article dans la présente affaire.

23. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 93/13, lu en combinaison avec les articles 7, 34, paragraphe 3, et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le consommateur, en tant que débiteur saisi dans une procédure de saisie hypothécaire, peut interjeter appel de la décision rejetant l’opposition à l’exécution uniquement lorsque le juge de première instance n’a pas accueilli le motif d’opposition tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, alors que le professionnel peut, en revanche, faire appel de toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde.

24. À cet égard, il y a lieu de rappeler d’abord que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêts Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 44, ainsi que Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 22).

25. Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

26. À ces fins, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que, dans leurs ordres juridiques, des moyens adéquats et efficaces existent pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel (arrêt Baczó et Vizsnyiczai, C‑567/13, EU:C:2015:88, point 39).

27. Dans ce contexte, la Cour a jugé à plusieurs reprises que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de ladite directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 24).

28. Les procédures nationales d’exécution, telles que les procédures de saisie hypothécaire, sont soumises aux exigences qu’induit cette jurisprudence de la Cour visant la protection effective des consommateurs (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 25).

29. En particulier, la Cour s’est déjà prononcée sur l’interprétation de la directive 93/13 en ce sens que cette dernière s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, tout en ne prévoyant pas, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale (arrêt Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 64).

30. La Cour a également interprété la directive 93/13 en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet au juge de l’exécution, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, ni d’apprécier, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif d’une clause qui est contenue dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire ni d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de l’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision finale du juge saisi de la procédure au fond correspondante, compétent pour vérifier le caractère abusif de cette clause (ordonnance Banco Popular Español et Banco de Valencia, C‑537/12 et C‑116/13, EU:C:2013:759, point 60).

31. Dans cette perspective, la Cour a précisé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, s’oppose à un système de voies d’exécution prévoyant qu’une procédure de saisie hypothécaire n’est pas susceptible d’être suspendue par le juge du fond, celui-ci pouvant, dans sa décision finale, tout au plus accorder au consommateur une indemnité compensatoire pour le préjudice qu’il a subi, dans la mesure où ce dernier, en tant que débiteur saisi, ne peut pas faire appel de la décision rejetant son opposition à cette exécution, alors que le professionnel, créancier saisissant, peut exercer cette voie de recours contre la décision ordonnant de mettre fin à la procédure ou déclarant une clause abusive inapplicable (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 51).

32. Or, la réponse à apporter à la question posée en l’espèce peut être clairement déduite des indications fournies par la jurisprudence de la Cour à ces différents égards, en ce qu’elle concerne, en substance, le point de savoir si la modification législative de l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, intervenue à la suite de l’arrêt de la Cour Sánchez Morcillo et Abril García (C‑169/14, EU:C:2014:2099), n’est pas contraire à l’interprétation de la directive 93/13 résultant dudit arrêt.

33. À ces fins, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante, en l’absence d’une harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de mise en œuvre des recours en appel contre la décision statuant sur la légitimité d’une clause contractuelle, admis dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 31).

34. S’agissant du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité à celui-ci de la réglementation nationale en cause au principal.

35. En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 34).

36. Ainsi, l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent de la directive 93/13 contre l’utilisation des clauses abusives implique une exigence de protection juridictionnelle, consacrée également à l’article 47 de la Charte, que le juge national est tenu de respecter. Cette protection doit valoir tant sur le plan de la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur le droit de l’Union qu’en ce qui concerne la définition des modalités procédurales relatives à de telles actions (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 35).

37. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, à la suite du prononcé de l’arrêt Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), la loi 1/2013 a modifié les articles de la LEC relatifs à la procédure d’exécution des biens hypothéqués ou gagés, en introduisant, à l’article 695, paragraphe 1, de celle-ci, la possibilité pour le défendeur d’opposer aux procédures de saisie hypothécaire le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution.

38. Dans ce contexte, afin de se conformer à l’arrêt Sánchez Morcillo et Abril García (C‑169/14, EU:C:2014:2099), le décret-loi 11/2014 a modifié également le paragraphe 4 de l’article 695 de la LEC.

39. Or, il est constant que cette disposition ainsi modifiée reconnaît effectivement aux consommateurs le droit d’interjeter appel de la décision du juge de l’exécution rejetant leur opposition à la saisie hypothécaire, lorsque l’opposition est fondée sur le caractère abusif, au sens de l’article 3 de la directive 93/13, d’une clause contenue dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire.

40. De ce fait, le régime procédural institué par ladite disposition ainsi modifiée permet au juge de l’exécution d’apprécier, avant la conclusion de la procédure d’exécution et dans le cadre d’un double degré de juridiction, le caractère abusif d’une clause contractuelle qui peut être à l’origine du montant exigible ou constituer le fondement du titre exécutoire et, dans cette dernière hypothèse, permet audit juge de déclarer la nullité même de la procédure de saisie hypothécaire en cours.

41. Par conséquent, à la différence du régime procédural en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Sánchez Morcillo et Abril García (C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 43), une telle disposition nationale n’expose plus ledit consommateur, voire sa famille, au risque de perdre son logement à la suite d’une vente forcée de celui‑ci, dans un contexte où le juge du fond n’est pas en mesure de suspendre la procédure de saisie hypothécaire et où le juge de l’exécution se livre éventuellement et tout au plus à un examen sommaire de la validité d’une telle clause contractuelle sur laquelle le professionnel fonde sa demande.

42. Certes, ainsi qu’il a été relevé par la juridiction de renvoi, l’article 695, paragraphe 4, de la LEC modifiée, tout en reconnaissant au consommateur le droit d’interjeter appel d’une décision qui rejette l’opposition fondée sur le caractère abusif d’une clause contenue dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire, exclut de l’appel les décisions qui rejettent l’opposition, lorsque celle-ci est fondée sur les autres motifs énumérés à l’article 695, paragraphe 1, de la LEC modifiée. Cette juridiction précise, à cet égard, qu’une telle limitation au droit d’interjeter appel n’est en revanche pas opposable au professionnel, qui peut introduire, en tant que créancier saisissant, un recours en appel contre toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde.

43. Toutefois, il suffit de rappeler à cet égard que le champ d’application de la directive 93/13 est limité à la protection des consommateurs contre l’utilisation des clauses abusives contenues dans les contrats qu’ils concluent avec les professionnels.

44. Par conséquent, la problématique relative à la circonstance que les consommateurs ne disposent pas, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, du droit d’interjeter appel de la décision rejetant l’opposition fondée sur des motifs autres que celui tiré du caractère abusif de la clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire ne relève pas du champ d’application de cette directive, et n’est donc pas de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection du consommateur, telle que voulue par celle-ci.

45. Il en découle que l’article 695, paragraphe 4, de la LEC modifiée assure désormais aux consommateurs une action complète et suffisante, qui constitue ainsi un moyen adéquat et efficace, au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, de faire cesser, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, l’application des clauses abusives figurant dans l’acte authentique d’affectation hypothécaire sur la base duquel le professionnel procède à la saisie du bien immeuble mis en garantie.

46. Dans cette perspective, il convient d’ajouter que les caractéristiques de la procédure juridictionnelle se déroulant devant le juge espagnol de l’exécution ne constituent pas non plus, après la modification introduite par le décret-loi 11/2014, un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier les consommateurs en vertu dudit article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu’avec le droit au respect du domicile, garanti par l’article 7 de la Charte, et le principe d’égalité des armes, qui fait partie intégrante du principe de la protection juridictionnelle effective visée à l’article 47 de la Charte (voir arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

47. En effet, il convient premièrement de souligner que le système procédural espagnol de saisie hypothécaire, pris dans son ensemble et tel qu’il est applicable à l’affaire au principal, d’une part, n’expose plus le consommateur au risque d’une perte définitive et irréversible de son logement lors d’une vente forcée avant même qu’un tribunal ait pu apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle sur laquelle le professionnel fonde sa demande de saisie hypothécaire. D’autre part, ainsi qu’il a été constaté aux points 40 et 41 de la présente ordonnance, ce système procédural renforce efficacement le contrôle juridictionnel à cet égard, en prévoyant qu’un juge d’appel peut vérifier, dans le cadre d’un double degré de juridiction, le bien‑fondé de l’examen d’une telle clause accompli par le juge de l’exécution en première instance.

48. De même, s’agissant deuxièmement du respect du principe d’égalité des armes contre l’utilisation des clauses abusives relevant du champ d’application de la directive 93/13, dans le cadre d’une procédure nationale de saisie hypothécaire telle que celle en cause au principal, il importe de constater que, à la suite de la modification de l’article 695, paragraphe 4, de la LEC, ledit système procédural espagnol offre effectivement au consommateur une possibilité raisonnable d’exercer les actions en justice fondés sur les droits tirés de cette directive dans des conditions qui ne le placent plus dans une situation de net désavantage par rapport au professionnel, créancier saisissant (voir, a contrario, arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

49. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire, enfin, de se prononcer sur l’interprétation, sollicitée par la juridiction de renvoi, de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 34, paragraphe 3, de la Charte. En effet, dans la mesure où, contrairement à ce qu’a relevé ladite juridiction, cette disposition de la Charte garantit non pas le droit au logement, mais « le droit à une aide sociale et à une aide au logement » dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 TFUE, une telle interprétation n’est pas pertinente aux fins de la solution du litige au principal.

50. À la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec les articles 7 et 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le consommateur, en tant que débiteur saisi dans une procédure de saisie hypothécaire, peut interjeter appel de la décision rejetant l’opposition à l’exécution uniquement lorsque le juge de première instance n’a pas accueilli le motif d’opposition tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, et cela alors même que le professionnel peut, en revanche, faire appel de toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde.

 

Sur les dépens :

51. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lu en combinaison avec les articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le consommateur, en tant que débiteur saisi dans une procédure de saisie hypothécaire, peut interjeter appel de la décision rejetant l’opposition à l’exécution uniquement lorsque le juge de première instance n’a pas accueilli le motif d’opposition tiré du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, et cela alors même que le professionnel peut, en revanche, faire appel de toute décision ordonnant de mettre fin à la procédure, quel que soit le motif d’opposition sur lequel elle se fonde.

Signatures