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C. CONSTIT., 22 mai 2015

Nature : Décision
Titre : C. CONSTIT., 22 mai 2015
Pays : France
Juridiction : Conseil constitutionnel
Demande : 2015-468
Date : 22/05/2015
Numéro ECLI : ECLI:FR:CC:2015:2015.468.QPC
Mode de publication : Legifrance
Date de la demande : 13/03/2015
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6583

CONS. CONSTIT., 22 mai 2015 : Décision N° 2015-468/469/472 QPC

Publication : Jurica

 

Extrait : « 19. Considérant que les dispositions contestées encadrent les modalités selon lesquelles les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures de transport avec chauffeur doivent déterminer, lors de la réservation préalable, le prix des prestations qu’elles proposent à leur clientèle ;

20. Considérant qu’en interdisant certains modes de tarification pour la détermination du prix des prestations que les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures avec chauffeur proposent aux consommateurs lors de la réservation préalable, les dispositions contestées ont porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général en lien direct avec l’objectif poursuivi ; qu’il en résulte que, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, les dispositions de l’article L. 3122-2 du code des transports doivent être déclarées contraires à la Constitution ».

 

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

DÉCISION DU 22 MAI 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION ET EXPOSÉ DE LA QPC (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Décision N° 2015-468/469/472 QPC. NOR : CSCX1512314S.

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 mars 2015 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n°376 du 13 mars 2015), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour les sociétés UBER France SAS et UBER BV, par Maître Emmanuelle Trichet, avocat au Conseil d’ État et à la Cour de cassation, et Maître Hugues Calvet, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-468 QPC.

Il a également été saisi le même jour par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 375 du 13 mars 2015), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour les mêmes sociétés, par Maîtres Trichet et Calvet, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3122-2 du même code, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-469 QPC.

Il a enfin été saisi le 3 avril 2015 par le Conseil d’État (décision n° 388213 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour les mêmes sociétés, par Maître Calvet, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports et des articles L. 3122-2 et L. 3122-9 du même code, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-472 QPC.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code des transports ;

Vu le code de la consommation ;

Vu la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations présentées, pour les sociétés requérantes, par Maître Calvet et Maître Trichet, enregistrées les 3 et 10 avril 2015 ;

Vu les observations présentées, pour l’Union nationale des industries du taxi, partie en défense aux deux premières questions prioritaires de constitutionnalité, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 3 et 21 avril 2015 ;

Vu les observations présentées, pour l’Union nationale des taxis, partie en défense, par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et la SCP Lévy-Soussen, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 7 avril 2015 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 7 et 10 avril 2015 ;

Vu les observations présentées, pour l’Union nationale des industries du taxi, partie intervenante à la troisième question prioritaire de constitutionnalité, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 21 avril 2015 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Maître Calvet pour les sociétés requérantes, Maître Françoise Thouin-Palat et Maître Jean-Paul Lévy pour l’Union nationale des taxis, Maître Emmanuel Piwnica pour l’Union nationale des industries du taxi et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 12 mai 2015 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu’il y a lieu de joindre ces questions prioritaires pour statuer par une seule décision ;

 

SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE :

2. Considérant que la liberté d’aller et de venir est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

3. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu’aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ; qu’en l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de cet article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;

5. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;

6. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition ;

7. Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ;

 

SUR L’ACTIVITÉ DE TRANSPORT PUBLIC PARTICULIER DE PERSONNES À TITRE ONÉREUX :

8. Considérant que les dispositions contestées sont issues de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ; que cette loi a modifié le titre II du livre Ier de la troisième partie du code des transports qui est relatif au cadre d’exercice de l’activité de transport public particulier de personnes à titre onéreux ;

9. Considérant qu’en vertu de son article L. 3120-1, ce titre du code des transports est applicable aux prestations de transport routier de personnes effectuées à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places ; que le législateur a distingué, d’une part, l’activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport et, d’autre part, l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que, poursuivant des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, le législateur a réservé la première activité aux taxis, qui l’exercent dans un cadre réglementaire particulier et sont titulaires, dans leur commune ou leur service commun de rattachement, d’une autorisation administrative de stationnement ; que la seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d’autres professions, notamment celle d’exploitant de voiture de transport avec chauffeur ;

 

SUR LE PARAGRAPHE III DE L’ARTICLE L. 3120-2 DU CODE DES TRANSPORTS :

10. Considérant qu’aux termes du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports, dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 susvisée : « Sont interdits aux personnes réalisant des prestations mentionnées à l’article L. 3120-1 et aux intermédiaires auxquels elles ont recours :

« 1° Le fait d’informer un client, avant la réservation mentionnée au 1° du II du présent article, quel que soit le moyen utilisé, à la fois de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule mentionné au I quand il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique sans que son propriétaire ou son exploitant soit titulaire d’une autorisation de stationnement mentionnée à l’article L. 3121-1 ;

« 2° Le démarchage d’un client en vue de sa prise en charge dans les conditions mentionnées au 1° du II du présent article ;

« 3° Le fait de proposer à la vente ou de promouvoir une offre de prise en charge effectuée dans les conditions mentionnées au même 1° » ;

11. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en interdisant aux exploitants de voitures de transport avec chauffeur et à leurs intermédiaires d’informer un client de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule lorsqu’il se trouve sur la voie ouverte à la circulation publique, les dispositions contestées portent atteinte, d’une part, à la liberté d’entreprendre, d’autre part, au principe d’égalité devant la loi et, enfin, au droit de propriété ;

12. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte ainsi sur les dispositions du 1° du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports ;

 

* En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre :

13. Considérant que le législateur a estimé que la possibilité, pour l’exploitant d’un véhicule dépourvu d’une autorisation de stationnement, d’informer à la fois de sa localisation et de sa disponibilité lorsque son véhicule est situé sur la voie ouverte à la circulation publique a pour effet de porter atteinte à l’exercice par les seuls taxis de l’activité, qui leur est légalement réservée, consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport ; qu’en adoptant les dispositions contestées qui prohibent, pour les personnes qu’elles visent, de fournir aux clients cette double information, le législateur, poursuivant des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, a ainsi entendu garantir le monopole légal des taxis qui en découle ; que l’interdiction énoncée par les dispositions contestées, qui s’applique également aux taxis lorsqu’ils sont situés en dehors du ressort de leur autorisation de stationnement en vertu de l’article L. 3121-11 du code des transports, est cependant limitée ; qu’en effet, d’une part, ces dispositions n’interdisent pas aux personnes entrant dans leur champ d’application d’informer le client à la fois de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule lorsque celui-ci ne se trouve pas sur une voie ouverte à la circulation publique ; qu’elles ne leur interdisent pas, d’autre part, d’informer le client soit de la seule localisation soit de la seule disponibilité d’un véhicule lorsqu’il se trouve sur une voie ouverte à la circulation publique ; qu’enfin, elles n’apportent aucune restriction à la possibilité pour les personnes exerçant une activité de transport public particulier de personnes et pour leurs intermédiaires d’informer le client du temps d’attente susceptible de séparer la réservation préalable de l’arrivée d’un véhicule ; qu’ainsi, eu égard, d’une part, à la portée limitée de l’interdiction instituée par les dispositions contestées et, d’autre part, à l’objectif qu’il s’est assigné, le législateur n’a pas porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre des personnes, autres que les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement, exerçant l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable, et de leurs intermédiaires ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre doit être écarté ;

 

* En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :

14. Considérant que les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement et les autres personnes exerçant l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que cette différence de traitement est, eu égard à la prise en compte par le législateur d’une possible atteinte à l’exercice par les seuls taxis de l’activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport, justifiée par des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique ; que la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées est en rapport avec l’objectif poursuivi ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté ;

 

* En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :

15. Considérant que, si les dispositions contestées peuvent avoir pour conséquence de limiter l’usage susceptible d’être fait de technologies permettant d’informer le client, avant la réservation préalable, à la fois de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule par les personnes, autres que les exploitants de taxis situés dans le ressort de leur autorisation de stationnement, exerçant l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de priver les personnes titulaires de leurs droits de propriété sur ces technologies ni de porter une atteinte injustifiée aux conditions d’exercice de leurs droits ; que le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit être écarté ;

16. Considérant qu’il résulte de tout de ce qui précède que les dispositions du 1° du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

 

SUR L’ARTICLE L. 3122-2 DU CODE DES TRANSPORTS :

17. Considérant qu’en vertu de l’article L. 3122-1 du code des transports, les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures de transport avec chauffeur, dans des conditions fixées à l’avance entre les parties, doivent respecter les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la troisième partie du code des transports ; qu’aux termes de l’article L. 3122-2 dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 susvisée : « Les conditions mentionnées à l’article L. 3122-1 incluent le prix total de la prestation, qui est déterminé lors de la réservation préalable mentionnée au 1° du II de l’article L. 3120-2. Toutefois, s’il est calculé uniquement en fonction de la durée de la prestation, le prix peut être, en tout ou partie, déterminé après la réalisation de cette prestation, dans le respect de l’article L. 113-3-1 du code de la consommation » ;

18. Considérant que, selon les sociétés requérantes, les dispositions contestées, en imposant certaines modalités de tarification de leurs prestations par les exploitants de voitures de transport avec chauffeur, portent atteinte à la liberté d’entreprendre des entreprises qui exercent l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; qu’en leur interdisant de pratiquer une tarification horokilométrique, utilisée par les taxis et les véhicules motorisés à deux ou trois roues lorsqu’ils exercent la même activité, ces dispositions porteraient également atteinte à l’égalité devant la loi, d’une part, entre les voitures de transport avec chauffeur et les véhicules motorisés à deux ou trois roues et, d’autre part, entre les voitures de transport avec chauffeur et les taxis ;

19. Considérant que les dispositions contestées encadrent les modalités selon lesquelles les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures de transport avec chauffeur doivent déterminer, lors de la réservation préalable, le prix des prestations qu’elles proposent à leur clientèle ;

20. Considérant qu’en interdisant certains modes de tarification pour la détermination du prix des prestations que les entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle une ou plusieurs voitures avec chauffeur proposent aux consommateurs lors de la réservation préalable, les dispositions contestées ont porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général en lien direct avec l’objectif poursuivi ; qu’il en résulte que, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, les dispositions de l’article L. 3122-2 du code des transports doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

 

SUR L’ARTICLE L. 3122-9 DU CODE DES TRANSPORTS :

21. Considérant qu’aux termes de l’article L. 3122-9 du code des transports dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 susvisée : « Dès l’achèvement de la prestation commandée au moyen d’une réservation préalable, le conducteur d’une voiture de transport avec chauffeur dans l’exercice de ses missions est tenu de retourner au lieu d’établissement de l’exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s’il justifie d’une réservation préalable ou d’un contrat avec le client final » ;

22. Considérant que, selon les sociétés requérantes, les restrictions apportées par ces dispositions à l’exercice de l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable méconnaissent la liberté d’entreprendre et la liberté d’aller et de venir ; qu’elles soutiennent également que la différence de traitement qui en résulte entre les entreprises exploitant des voitures de transport avec chauffeur et les autres personnes exerçant l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable contrevient au principe d’égalité ; qu’enfin, seraient méconnus le principe de nécessité des délits et le principe de la présomption d’innocence dès lors que les dispositions contestées tendent uniquement à protéger le monopole des taxis et qu’elles instaurent à l’encontre des conducteurs de voitures de transport avec chauffeur une présomption de culpabilité ;

 

* En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’aller et de venir :

23. Considérant qu’en imposant au conducteur d’une voiture de transport avec chauffeur, dès l’achèvement de la prestation commandée au moyen d’une réservation préalable, de retourner au lieu d’établissement de l’exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, le législateur a limité la liberté d’entreprendre des personnes, autres que les taxis, exerçant l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que, toutefois, cette limitation est justifiée par des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique ; que, par ailleurs, l’obligation énoncée ne s’applique, d’une part, que si le conducteur ne peut justifier d’une réservation préalable, quel que soit le moment où elle est intervenue, ou d’un contrat avec le client final et, d’autre part, que s’il se trouve dans l’exercice de ses missions ; que, dès lors, eu égard aux objectifs d’ordre public poursuivis, les dispositions contestées apportent à la liberté d’entreprendre une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée ; que le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre doit, en conséquence, être écarté ; qu’il en est de même de celui tiré de l’atteinte à la liberté d’aller et de venir ;

 

* En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :

24. Considérant que l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable au moyen de véhicules automobiles est distincte de l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable au moyen de véhicules motorisés à deux ou trois roues ; que, par suite, le principe d’égalité n’impose pas que l’activité de transport public de particuliers au moyen de véhicules motorisés à deux ou trois roues soit soumise à la même réglementation que celle qui s’applique à l’activité de transport public de particuliers au moyen de véhicules automobiles ;

25. Considérant que l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable au moyen de véhicules automobiles peut être exercée non seulement par les taxis mais également par les voitures de transport avec chauffeur ; que les taxis et les voitures de transport avec chauffeur ne sont pas dans une situation différente au regard de cette activité ; que, par suite, en imposant aux seules voitures de transport avec chauffeur l’obligation de retourner au lieu d’établissement de l’exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, le législateur a traité différemment les voitures de transport avec chauffeur et les taxis ;

26. Considérant, toutefois, que la disposition contestée est justifiée par des objectifs d’ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique ; qu’en ne l’appliquant pas aux taxis dès lors que ceux-ci se trouvent dans le ressort de leur autorisation de stationnement leur permettant d’arrêter leur véhicule, de le stationner ou de le faire circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en quête de clients dans les conditions prévues à l’article L. 3121-11, le législateur n’a pas méconnu le principe d’égalité devant la loi ; qu’en revanche, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte au principe d’égalité devant la loi, exonérer un taxi de l’obligation prévue par l’article L. 3122-9 dès lors qu’il se trouve en dehors du ressort de son autorisation de stationnement ; que, sous cette réserve, la différence de traitement résultant de la disposition contestée est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté ;

 

* En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du principe de nécessité des délits et de l’atteinte à la présomption d’innocence :

27. Considérant que ni les dispositions de l’article L. 3122-9 du code des transports ni aucune autre des dispositions contestées n’institue une sanction ayant le caractère d’une punition ou ne crée une présomption de culpabilité ; que les griefs tirés d’une atteinte aux principes de nécessité des délits et de la présomption d’innocence dirigés contre l’article L. 3122-9 sont inopérants ;

28. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de l’article L. 3122-9 du code des transports, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la réserve énoncée au considérant 26, être déclarées conformes à la Constitution ;

 

SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D’INCONSTITUTIONNALITÉ :

29. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ;

30. Considérant que la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 3122-2 du code des transports prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCIDE :

Article 1er. - L’article L. 3122-2 du code des transports est contraire à la Constitution.

Article 2. - Sont conformes à la Constitution :

- le 1° du paragraphe III de l’article L. 3120-2 du code des transports ;

- sous la réserve énoncée au considérant 26, l’article L. 3122-9 du même code.

Article 3. - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 30.

Article 4. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 mai 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 22 mai 2015.