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CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 19 septembre 2017

Nature : Décision
Titre : CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 19 septembre 2017
Pays : France
Juridiction : Reims (CA), ch. civ. sect. 1
Demande : 16/00626
Date : 19/09/2017
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 3/03/2016
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2017-019176
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7037

CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 19 septembre 2017 : RG n° 16/00626 

Publication : Jurica

 

Extrait : « L'article L. 131-2 du code la consommation sur la protection des consommateurs contre les clauses abusives ne s'applique pas aux contrats de fourniture de biens ou services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par celui qui se prévaut de ces dispositions.

En l'espèce, la fourniture d'une ligne téléphonique à une personne exerçant une activité libérale a un rapport direct avec cette activité professionnelle, puisque c'est par l'utilisation de cette ligne téléphonique que les clients prennent rendez-vous avec le professionnel. D'ailleurs, le contrat conclu entre les parties qui est intitulé « Abonnement au service téléphonique applicables aux professionnels » et la demande en indemnisation de perte de chiffre d'affaires causée par l'interruption de cette prestation de service pendant 14 jours démontrent bien le caractère direct du rapport entre l'abonnement téléphonique souscrit par M. X. et son activité professionnelle.

Dès lors, M. X. ne peut valablement être délié de cette clause limitant le champ de son indemnisation, aucun de ses deux moyens n'apparaissant fondé. Or, sa demande d'indemnité porte exclusivement sur ses pertes de chiffre d'affaires, alors que ce type de préjudice est exclu par l'article 12.1 précité des conditions générales. Par conséquent, le jugement déféré qui a débouté M. X. de sa demande d'indemnisation de son préjudice d'exploitation ne pourra qu'être confirmé sur ce point. »

 

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE PREMIÈME SECTION

ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2017

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/00626.

 

APPELANT :

d'un jugement rendu le 12 février 2016 par le tribunal de grande instance de CHARLEVILLE-MEZIERES,

Monsieur X.

COMPARANT, concluant par Maître Franck D., avocat au barreau des ARDENNES

 

INTIMÉES :

SA ORANGE

COMPARANT, concluant par la SCP L. F. R.-J. T., avocats au barreau des ARDENNES

SAS FREE

COMPARANT, concluant par Maître Virginie B., avocat au barreau de CHÂLONS EN CHAMPAGNE, et ayant pour conseil Maître Laurent D., avocat au barreau de PARIS

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, Madame Catherine LEFORT, conseiller, Madame Florence MATHIEU, conseiller

GREFFIER : Madame NICLOT, greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS : A l'audience publique du 19 juin 2017, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 septembre 2017,

ARRÊT : Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2017 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Madame NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Exposé du litige :

Le 11 février 2011, dans le cadre de son activité professionnelle de podologie pédicure, M. X. a souscrit auprès de la société France Telecom un contrat d'abonnement téléphonique.

Le 2 novembre 2012, sa ligne a été coupée à la suite d'une demande de dégroupage total formée par la société Free. La ligne a été rétablie le 15 novembre 2012.

Par courrier du 9 septembre 2013, M. X., par l'intermédiaire de son assureur protection juridique, a demandé à la société France Telecom d'indemniser son préjudice financier résultant de l'indisponibilité de sa ligne téléphonique.

Par courrier du 16 octobre 2013, la société France Telecom a dénié sa responsabilité.

Par acte d'huissier délivré le 22 janvier 2014, M. X. a fait assigner la société France Telecom devant le tribunal de grande instance de Charleville Mézières au visa de l'article 1134 du code civil.

Par acte d'huissier délivré le 18 mars 2014, la société Orange venant aux droits de la Sas France Telecom a fait assigner en garantie la société Free.

Ces deux instances ont été jointes.

M. X. a demandé au tribunal de condamner la société Orange :

- à lui payer la somme de 15.629 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'exploitation,

- à lui payer la somme de 2.000 euros pour résistance abusive,

- à lui payer la somme 2.000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.

La société Orange a demandé au tribunal de :

A titre principal,

- débouter M. X. de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- condamner la société Free à la garantir du paiement de toute somme prononcée à son encontre,

- condamner solidairement M. X. et la société Free au paiement de la somme de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles,

- les condamner solidairement aux dépens.

La société Free a demandé au tribunal de :

- débouter la société Orange de ses demandes et la mettre hors de cause,

- condamner tout succombant aux dépens,

- condamner tout succombant à lui payer la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

 

Par jugement du 12 février 2016, le tribunal de grande instance de Charleville Mézières a :

- débouté M. X. de toutes ses demandes,

- mis la société Free hors de cause,

- dit n'y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. X. aux entiers dépens de l'instance.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que le préjudice allégué par M. X. portait exclusivement sur une perte de son chiffre d'affaire, alors que la réparation de ce genre de dommages est exclue par les conditions générales du contrat d'abonnement téléphonique.

 

Par déclaration d'appel enregistrée le 3 mars 2016, M. X. a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 1er juin 2016, il demande à la cour de réformer en tous points la décision entreprise et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger que la société Orange venant aux droits de la société France Telecom est responsable du préjudice qu'il a subi, à titre professionnel, du fait de la coupure intempestive de sa ligne téléphonique,

- dire et juger que la société Orange a commis une faute lourde exclusive de l'application des dispositions de l'article 12.1 des conditions générales d'abonnement.

A titre subsidiaire,

- constater que les dispositions de l'article 12.1 des conditions générales d'abonnement sont contraires aux dispositions des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de la consommation,

- en conséquence, dire et juger que ces dispositions sont nulles et de nul effet,

- en conséquence, condamner la société Orange à lui payer la somme de 15.629 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- voir statuer ce que de droit quant à l'appel en garantie formé par la société Orange à l'encontre de la société Free,

- condamner la société Orange à lui payer la somme de 3.000 euros suivant les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Orange aux entiers dépens, dont distraction au profit de son avocat, Maître D.

A l'appui de son appel, il expose :

- qu'une clause limitative de responsabilité doit être écartée en cas de faute lourde commise par le débiteur de l'obligation, ce qui est le cas en l'espèce car la société Orange n'a opéré aucune vérification suite à la demande de dégroupage qui lui a été adressée à tort par Free, alors qu'il existait une erreur manifeste entre l'adresse et le numéro de téléphone objet du dégroupage,

- que la clause excluant l'indemnisation des préjudices professionnels est abusive, d'autant qu'elle vise à exclure totalement le droit à indemnisation du client et contredit la portée essentielle de l'obligation de la société Orange, qui consiste à fournir des services téléphoniques à ses clients.

- qu'il ressort clairement de l'attestation de son centre de gestion qu'il a bien subi une perte de chiffre d'affaires directement liée à la coupure de sa ligne téléphonique.

 

Par conclusions déposées le 11 juillet 2016, la société Orange demande à la cour de :

- dire M. X. irrecevable et mal fondé en son appel, de l'en débouter,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à condamner M. X. au paiement d'une indemnité de 4.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant le tribunal et la cour,

- A titre subsidiaire, condamner la société Free à la garantir du paiement de toute somme qui serait prononcée à son encontre,

- condamner solidairement M. X. et la société Free au paiement de la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. X. et la société Free aux entiers dépens dont distraction au profit de son avocat, la Scp L. F. R. - Jacques T.

Elle fait valoir :

- qu'elle ne conteste pas la réalité de la résiliation de la ligne de M. X. et donc de la suspension des services qu'elle lui fournissait, mais qu'il n'a nullement été victime d'une quelconque négligence de sa part ;

- que dans le cas d'un dégroupage total, le contrat d'abonnement téléphonique est automatiquement résilié et Orange n'a plus de lien contractuel avec le client ; que c'est ce qu'il s'est passé pour M. X. : dès la réception de la demande par les services de l'EGO (entité de gestion opérateurs), elle est dans l'obligation de procéder au dégroupage immédiat de la ligne ;

- qu'aucun nom d'abonné ne doit figurer sur le fichier informatique, seuls les numéros concernés lui parviennent ; que l'Arcep a prohibé tout contrôle préalable de sa part sur l'existence, la régularité et les conformités du mandat établi entre le client et l'opérateur tiers ;

- que M. X. a donc été victime d'une transcription erronée de ses coordonnées téléphoniques par Free pour l'un de ses clients ;

- qu'elle a scrupuleusement observé le cadre légal élaboré par l'Arcep et n'avait plus de droit sur la ligne sauf si M. X. formulait sa recréation par le biais d'une annulation de dégroupage en fournissant un mandat explicite aux fins de retour ;

- que c'est la demande de dégroupage formée par Free qui a entraîné la résiliation du contrat Orange et l'écrasement de la ligne, de sorte qu'il appartient à la société Free d'assumer la responsabilité des préjudices subis par M. X.

 

Par conclusions déposées le 28 juillet 2016, la société Free demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause et débouté la société Orange de ses demandes de garantie,

- condamner la société Orange à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Orange aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

- que si une faute lourde est retenue contre la société Orange, seule cette dernière doit en assumer les conséquences,

- que M. X. ne peut invoquer la protection des consommateurs contre les clauses abusives car il a agi en professionnel et non en consommateur,

- que la société Orange ne peut se dédouaner de sa responsabilité envers son client, car elle disposait des éléments utiles pour se rendre compte que le dégroupage sollicité ne concernait pas la ligne de M. X.,

- que la société Orange a en outre tardé à rétablir la ligne de M. X.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Vu les dernières écritures déposées par M. X., la société Orange et la société Free,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30 mai 2017.

 

Sur l'obligation d'Orange d'indemniser son client :

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise, et elles doivent être exécutées de bonne foi.

M. X. produit lui-même aux débats le contrat qu'il a conclu le 11 février 2011 avec France Telecom, contrat composé des conditions particulières et des conditions générales, lesquelles sont intitulées : « Abonnement au service téléphonique applicable aux professionnels - édition du 29/05/2009 ».

Les conditions générales du contrat produit par M. X. comportent un article 12.1 ainsi rédigé :

« France Telecom est responsable de la mise en place des moyens nécessaires au bon fonctionnement du réseau et du service téléphonique jusqu'au point de terminaison.

(...)

Lorsque la responsabilité de France Telecom est engagée à la suite d'une faute de sa part, la réparation ne s'applique qu'aux seuls dommages directs, personnels et certains que le client a subis, à l'exclusion expresse de la réparation de tous dommages et/ou préjudices indirects et immatériels, tels que les préjudices financiers, les préjudices commerciaux, les pertes d'exploitation et de chiffre d'affaires, les pertes de données ».

M. X. demande à être délié de cette clause limitant le type de préjudice indemnisable en invoquant la faute lourde de la société Orange et, subsidiairement, le caractère abusif de ladite clause.

Il appartient à M. X. de démontrer l'existence de la faute lourde qu'il allègue à l'encontre d'Orange. Or, il ressort des pièces versées aux débats que la faute qui est à l'origine du dégroupage erroné de la ligne téléphonique de M. X. est imputable à la société Free. En effet, c'est cette dernière qui a communiqué à France Telecom le numéro de téléphone de M. X., afin que cette ligne téléphonique soit écrasée au profit de son client (M. D.). La société Free s'est manifestement trompée dans la saisie du numéro de téléphone, en saisissant celui de M. X. au lieu de celui de son client, M. D. France Telecom n'ayant pas l'obligation d'effectuer un contrôle a priori sur les demandes de dégroupage émanant d'opérateurs tiers, aucune faute lourde ne peut lui être reprochée.

L'article L. 131-2 du code la consommation sur la protection des consommateurs contre les clauses abusives ne s'applique pas aux contrats de fourniture de biens ou services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par celui qui se prévaut de ces dispositions.

En l'espèce, la fourniture d'une ligne téléphonique à une personne exerçant une activité libérale a un rapport direct avec cette activité professionnelle, puisque c'est par l'utilisation de cette ligne téléphonique que les clients prennent rendez-vous avec le professionnel. D'ailleurs, le contrat conclu entre les parties qui est intitulé « Abonnement au service téléphonique applicables aux professionnels » et la demande en indemnisation de perte de chiffre d'affaires causée par l'interruption de cette prestation de service pendant 14 jours démontrent bien le caractère direct du rapport entre l'abonnement téléphonique souscrit par M. X. et son activité professionnelle.

Dès lors, M. X. ne peut valablement être délié de cette clause limitant le champ de son indemnisation, aucun de ses deux moyens n'apparaissant fondé. Or, sa demande d'indemnité porte exclusivement sur ses pertes de chiffre d'affaires, alors que ce type de préjudice est exclu par l'article 12.1 précité des conditions générales. Par conséquent, le jugement déféré qui a débouté M. X. de sa demande d'indemnisation de son préjudice d'exploitation ne pourra qu'être confirmé sur ce point.

M. X. ne peut reprocher à la société Orange d'avoir résisté abusivement à sa demande d'indemnisation puisque cette société était fondée à rejeter cette demande. Il sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et le jugement sera également confirmé sur ce point.

Il apparaît équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais de justice tant taxables qu'irrépétibles, de première instance et d'appel (le jugement déféré sera donc réformé en ce qu'il a condamné M. X. aux dépens).

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel recevable,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. X. aux dépens de l'instance et, statuant à nouveau sur ce point,

Laisse à chaque partie la charge des dépens qu'elle a engagés en première instance,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LAISSE à chaque partie la charge des dépens engagés par elle à hauteur d'appel.

Le greffier                 Le président