CA PARIS (pôle 1 ch. 2), 14 décembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 7300
CA PARIS (pôle 1 ch. 2), 14 décembre 2017 : RG n° 16/21155 et n° 16/21157
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Mais la cour retiendra que, dans les deux affaires ayant donné lieu aux ordonnances attaquées, le juge spécialement désigné pour statuer sur les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce a été saisi par deux sociétés commerciales sur le fondement de cet article de demandes de condamnation d'autres sociétés commerciales à rétablir sous astreintes des prestations d'abattage de dindes, un accès à un local dont dépend l'alimentation de l'une d'entre elles au réseau de distribution d'électricité et l'application d'une convention de traitement d'eaux usées au motif que ces prestations avaient été interrompues brutalement dans le cadre d'une action de groupe concertée. Ces affaires ont donc vocation à relever du champ d'application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Les ordonnances attaquées, par conséquent, seront infirmées en ce que le premier juge s'est déclaré incompétent pour en connaître en qualité de juridiction spécialement désignée à l'article D 442-3 du code de commerce. »
2/ « En vertu de l'article 568 du code de procédure civile, la cour, lorsqu'elle infirme une ordonnance de référé qui a mis fin à l'instance et que les parties ont conclu au principal, peut évoquer le litige.
Dans l'affaire examinée, les appelantes demandent à la cour, premièrement, de dire que les SASU Le Clézio Abattoir, le Clézio Industrie et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. ont rompu brutalement et sans un préavis suffisant leurs relations commerciales établies en stoppant tous les abattages de dindes et en coupant tout accès à l'électricité et à l'épuration des eaux. Cette demande ne saurait être accueillie pour les motifs suivants.
En vertu de l'article L. 642-IV du code de commerce, le juge des référés, si les conditions prévues par l'article 872 ou l'article 873 du code de procédure civile sont remplies, peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratique abusives ou toute autre mesure provisoire. Il a ainsi le pouvoir d'ordonner des mesures positives, en cas d'urgence en l'absence de contestation sérieuse ou afin de faire cesser un trouble manifestement illicite ou de prévenir un dommage imminent. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l'existence d'une rupture abusive au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce lorsqu'une telle demande a cette unique finalité. Il sera dit, par conséquent, n'y avoir lieu à référé sur cette demande. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 1 CHAMBRE 2
ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/21155 et 16/21157, les deux procédures jointes sous le seul R.G. n° 16/21155 (17 pages). Décisions déférées à la Cour : Ordonnance du 17 octobre 2016 - Président du tribunal de commerce de RENNES - R.G. n° 2016R00124 (R.G. n° 16/21155) et Ordonnance du 17 octobre 2016 - Président du tribunal de commerce de RENNES - RG n° 2016R00126 (R.G. n° 16/21157).
APPELANTES :
SASU TDI
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège, N° SIRET : XXX
SASU SMV DISTRIBUTION
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège ZI - [...], N° SIRET : YYY
Représentées par Maître Audrey K., avocat au barreau de PARIS, toque : C0942, Assistées par Maître Eva D. substituant Maître Mathieu M., avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
SAS LE CLEZIO INDUSTRIE
représentée par son représentant légal domicilié ès qualités au siège, N° SIRET : ZZZ
SASU LE CLEZIO ABATTOIR LCA
représentée par ses représentants légaux domiciliés ès qualités au siège, N° SIRET : WWW
SAS SOCIÉTÉ DE TRAITEMENTS DES EAUX DU MOULIN DE SAINT CARADEC LCA
représentée par son représentant légal domicilié ès qualités au siège, N° SIRET : VVV
Représentées par Maître Patricia H. de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, Assistées par Maître Antoine C. de la SELAS BCW & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 novembre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Bernard CHEVALIER, Président, et Mme Véronique DELLELIS, Présidente de chambre, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Bernard CHEVALIER, Président, Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère, Mme Véronique DELLELIS, Présidente de chambre, Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. Bernard CHEVALIER, président et par M. Aymeric PINTIAU, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le contexte historique et les relations entre les sociétés en cause
La SARL SMV Distribution fédère des groupements de producteurs de dindes afin d'organiser leur abattage dans un abattoir puis de commercialiser les produits transformés à destination de grossistes, de la grande distribution, d'usines de salaison et de conserveries en France et à l'étranger.
La SAS TDI assure la transformation des dindes après leur abattage au profit de la SARL SMV Distribution.
Depuis plusieurs années, la SARL SMV Distribution confie à la SAS Le Clezio Abattoir une quantité hebdomadaire de dindes à abattre.
Jusqu'en 2013, la société TDI et l'abattoir Le Clezio ont appartenu au groupe Even à raison de 50 % pour la première et de 100 % pour le second. Ils exercent leurs activités dans des locaux contigus et avec une imbrication de leurs équipements.
Ainsi, un tableau de l'installation électrique de la société TDI se trouve dans un local situé au milieu de l'abattoir Le Clézio et les deux usines partagent le même système d'adduction et d'épuration des eaux. Une convention de rejet des eaux usées a été conclue en 1999, par laquelle la société Le Clézio acceptait de recevoir et de traiter les eaux usées de la société TDI.
A la suite d'un dépôt de bilan des abattoirs le Clezio en février 2013 et de reprises, la SAS TDI appartient désormais au même groupe que la SARL SMV Distribution.
Depuis 2014, les locaux dans lesquels la SAS Le Clezio Abattoir exerce ses activités appartiennent à la SAS Le Clezio Industrie.
La consommation d'eau de la SAS TDI est facturée à celle-ci par la SASU Le Clézio Abattoir.
L'épuration de ses eaux usées est facturée à la SAS TDI par la SASU société de traitement des eaux du Moulin de S. C., créée en 2014 par le groupe Le Clezio avec pour objet le traitement des eaux usées de l'ensemble industriel du site.
La genèse du litige
Par lettre en date du 14 avril 2016, la SASU Le Clézio Abattoir a informé la société SMV Distribution de l'application d'une nouvelle grille tarifaire et lui a demandé un nouveau tonnage hebdomadaire minimum.
La société SMV Distribution a refusé ces nouvelles conditions. La SASU Le Clézio Abattoir a continué les abattages mais a appliqué la nouvelle grille tarifaire.
Par lettre en date du 19 avril 2016, la SASU société de traitements des eaux du Moulin de S. C. a informé la société TDI qu'elle cesserait le traitement des eaux en provenance de celle-ci le 30 septembre 2016.
Par courrier en date du 22 avril 2016, la SAS Le Clézio Industrie a mis en demeure la société TDI de déplacer le tableau électrique général basse tension se trouvant dans ses murs avant le 30 septembre 2016.
Une médiation a été organisée mais elle a pris fin au mois d'août 2016 sans accord des parties.
Par courrier en date du 4 août 2016, la SAS Le Clézio Industrie et la SASU société de traitements des eaux du Moulin de S. C. ont réitéré leurs demandes concernant le local contenant les installations électriques et le traitement des eaux.
Le 3 octobre 2016, le raccordement au réseau de distribution d'électricité et l'accès au système d'épuration des eaux de la société TDI ont été coupés et les abattages des dindes de la SASU SMV Distribution ont été annulés par la SASU Le Clézio Abattoir.
L'affaire 16/21155
Par acte du 21 septembre 2016, la SAS TDI et la SARL SMV Distribution ont fait assigner la SAS Le Clezio Abattoir et la SASU société de traitement des eaux du Moulin de S. C. devant le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes.
Elles ont demandé à cette juridiction de :
- dire que la SASU Le Clézio Abattoir et la société de traitements des eaux du Moulin de S. C. ont rompu brutalement et sans un préavis suffisant les relations commerciales établies avec la SASU TDI, s'agissant de la mise à disposition du local électrique et de l'accès au système d'adduction et d'épuration de l'eau
- dire qu'elles abusent de leur droit de propriété dans la seule volonté de nuire à la société TDI en la menaçant de la priver de tout accès à l'électricité et à l'eau ;
- désigner un expert judiciaire avec pour mission, en substance, d'évaluer et préconiser les travaux de mise en place d'un système électrique et d'un système de traitement des eaux et d'apprécier les responsabilités et préjudices ;
- ordonner le rétablissement sous 8 jours de l'accès de la société TDI au tableau électrique et aux transformateurs situés dans les locaux de la société Le Clézio et le maintien de ces équipements ainsi que l'exécution forcée de la convention conclue en 1999 avec cette dernière ;
- dire que, en cas d'interruption totale ou partielle de l'accès au tableau électrique ou au système d'adduction et d'épuration d'eau, la société Le Clézio et la société de traitements des eaux du Moulin de S. C. seront condamnées à une astreinte de 75 000 euros par incident constaté ;
- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ;
- condamner la société Le Clézio Abattoir et la société de traitements des eaux du Moulin de S. C. chacune à leur régler à chacune la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 octobre 2016, le président du tribunal de commerce de Rennes s'est déclaré incompétent, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, a rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société TDI aux dépens.
Le premier juge a fondé sa décision sur les motifs suivants : aucune demande n'est formée par la société SMV Distribution à l'encontre de la société Le Clézio Abattoir ; cette dernière n'est pas le prestataire de la fourniture d'électricité ni de la fourniture et du traitement des eaux qui semblent être, respectivement, la société Le Clézio Industrie et la société de traitements des eaux du Moulin de S. C. ; en ce qui concerne la convention de fourniture et de traitement de l'eau, la convention conclue par TDI avec la société Le Clézio prévoyait qu'il pouvait y mettre mis fin par lettre recommandée avec demande d'avis de réception avec un préavis de six mois ; la relation entre la société TDI et la société de traitements des eaux du Moulin de S. C. remonte au protocole de cession du 9 janvier 2014 qui prévoyait qu'une résiliation pourrait intervenir dans un délai raisonnable à défaut de conclusion d'un avenant ; aucun avenant n'est produit et la convention a été dénoncée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 avril 2016, de sorte que rien ne démontre le caractère brutal de la rupture ; il appartient aux parties de saisir le juge du fond.
L'affaire 16/21157
Par acte du 4 octobre 2016, la SAS TDI et la SARL SMV Distribution ont fait assigner la SAS Le Clézio Industrie devant le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes auquel elles ont demandé, sur le fondement des articles 872, 873, 145 du code de procédure civile, 1382 et 183 du code civil et L. 442-6-I 5° et L. 442-6 IV du code de commerce, de :
- prononcer la jonction des deux instances ;
- dire que la SAS Le Clézio Industrie a rompu brutalement et sans préavis suffisant les relations commerciales établies avec la SASU TDI, en stoppant tous les abattages de dinde et en coupant tout accès à l'électricité et à l'épuration des eaux ;
- dire que la SAS Le Clézio Industrie abuse de son droit de propriété dans la seule volonté de nuire à la société TDI en la menaçant de la priver de tout accès à l'électricité et à l'eau ;
- ordonner une expertise avec pour mission, en substance, de se prononcer sur la faisabilité technique et administrative du déplacement des transformateurs et du tableau électrique basse tension (TGBT), de chiffrer les conséquences financières de l'arrêt des abattages et de la coupure d'électricité et de l'épuration des eaux le 3 octobre 2016 ainsi que de l'utilisation forcée de moyens de secours pour l'électricité et l'épuration et déterminer les préjudices subis par la société TDI ;
- ordonner sous astreinte, dans l'attente du rapport de l'expert et d'un jugement définitif restant à intervenir, la reprise des abattages ainsi que le rétablissement de l'alimentation électrique et d'un accès libre au local électrique dans les 24 heures de l'ordonnance à intervenir ;
- ordonner le maintien des transformateurs et du tableau électrique de la société TDI dans les locaux de la société Le Clézio Industrie et l'exécution forcée de la convention conclue en 1999 avec la société Le Clezio ;
- dire qu'en cas d'interruption, totale ou partielle, de l'abattage de dindes, de l'accès au tableau électrique, de la fourniture d'électricité ou de l'accès au système d'adduction et d'épuration de l'eau, la société Le Clézio Industrie sera condamnée à régler à la société TDI, à titre d'astreinte, la somme de 75.000 euros par incident constaté ;
- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ;
- condamner la société Le Clézio Industrie à leur payer à chacune la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 octobre 2016, le président du tribunal de commerce de Rennes a débouté les SASU TDI et SMV Distribution de leur demande de jonction, s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, a débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société TDI aux dépens.
Le premier juge a dit n'y avoir lieu à jonction au motif que la SAS Le Clézio Industrie n'a aucune relation contractuelle ni commerciale avec la SASU SMV Distribution et qu'il n'y a aucun lien apparent entre le litige avec la société TDI relativement au local électrique et celui opposant la SASU SMV Distribution à la SAS Le Clézio Abattoir à propos du prix demandé pour l'abattage des dindes. Il a exposé ensuite que le seul lien entre la SASU TDI et la SAS Le Clézio Industrie est l'acte du 24 février 2014 par lequel TDI a cédé à Le Clézio Industrie des biens immobiliers ; aucune servitude n'est prévue dans cet acte, aucune convention de fourniture d'électricité n'est produite et une simple mise à disposition d'un local ne constitue pas une relation commerciale établie relevant de l'article L. 442-6 du code de commerce ; en outre, cette mise à disposition de ce local à la SASU TDI a été dénoncée par la SAS Le Clézio Industrie le 22 avril 2016, avec un préavis de presque 6 mois, de sorte que n'est pas rapportée la démonstration du caractère « brutal et sans préavis écrit» de la rupture.
Par déclarations en date du 24 octobre 2016, la SASU TDI et la SASU SMV Distribution ont fait appel de ces deux ordonnances.
La procédure au fond
Par actes du 25 novembre 2016, la SAS TDI et la SARL SMV Distribution ont fait assigner la société Le Clézio Industrie, la société Le Clézio Abattoir et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. devant le tribunal de commerce de Rennes sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce.
Elles ont demandé à cette juridiction de :
- dire que la société Le Clézio Abattoir a rompu brutalement et sans préavis suffisant les relations commerciales établies s'agissant de l'abattage des dindes de la société SMV Distribution ;
- dire que la société traitement des eaux du Moulin de S. C. a rompu brutalement et sans préavis suffisant les relations commerciales établies s'agissant de l'accès à l'épuration des eaux usées et dire qu'elle a également de ce chef abusé de son droit de propriété ;
- dire que la société Le Clézio Industrie a abusé de son droit de propriété en coupant unilatéralement l'électricité ;
- dire que les différentes sociétés du groupe Le Clézio ont agi de manière concertée en vue de nuire aux sociétés TDI et SMV Distribution et afin d'imposer les nouveaux tarifs d'abattage ;
- condamner solidairement les sociétés Le Clézio Industrie, Le Clézio Abattoir, la société traitement des eaux du Moulin de S. C. à leur régler la somme de 150.000 euros au titre du préjudice de réorganisation causé par la cessation des abattages ;
- condamner solidairement les sociétés Le Clézio Industrie, Le Clézio Abattoir, la société traitement des eaux du Moulin de S. C. à régler à la société TDI les sommes de
* 59.293,80 euros au titre du coût de la reconstruction du local électrique,
* 68.517,78 euros au titre du coût de location et de fonctionnement des groupes électrogènes,
* 20.416 euros au titre du coût de la mise en place et du fonctionnement de l'épuration de secours,
- condamner solidairement les sociétés Le Clézio Industrie, Le Clézio Abattoir, la société traitement des eaux du Moulin de S. C. à leur payer à chacune la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par jugement en date du 18 juillet 2017, le tribunal de commerce de Rennes a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SAS Le Clézio Industrie et la SASU société de traitements des eaux du Moulin de S. C. et s'est déclaré compétent pour connaître du litige.
Ce jugement a fait l'objet d'un contredit qui est pendant devant la cour.
Les demandes et les moyens et arguments des parties dans le cadre de l'appel contre les ordonnances de référé du 17 octobre 2016
Les appelantes
Au terme de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 23 octobre 2017, identiques dans les affaires 16/21155 et 16/21157 en ce qui concerne leurs dispositifs et la quasi-totalité de leurs motifs, la SAS TDI et la SARL SMV Distribution demandent à la cour, sur le fondement des articles 145, 367, 872 et 873 du code de procédure civile, des articles 1382 et 1383 du code civil, des articles L. 442-6-I-5° et L. 442-6-IV du code de commerce, de :
- réformer chaque ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- prononcer la jonction de l'instance engagée à l'encontre de la SAS Le Clézio Industrie avec celle engagée à l'encontre des SASU Le Clézio Abattoir et société de traitement des eaux du Moulin de S. C. ;
- dire que le président du tribunal de commerce de Rennes était parfaitement compétent et que la cour est compétente pour connaître du dossier ;
- évoquer directement l'affaire sans renvoi au président du tribunal de commerce de Rennes ;
- dire que les SASU Le Clézio Abattoir, le Clézio Industrie et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. ont rompu brutalement et sans un prévis suffisant les relations commerciales établies avec les sociétés TDI et SMV Distribution, en stoppant tous les abattages de dindes et en coupant tout accès à l'électricité et à l'épuration des eaux ;
- désigner un expert judiciaire, ayant la possibilité de se faire assister du sapiteur de son choix, avec pour mission de :
- se rendre siège de la SASU TDI, Le Moulin de S. C. à [ville T.], entendre les parties et tous sachants, se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- examiner les caractéristiques techniques du système d'épuration nécessaire à la SASU TDI ainsi que la faisabilité technique et administrative de la création d'un nouveau système d'épuration des eaux usées ;
- préconiser les travaux nécessaires à la mise en place d'un système d'épuration des eaux usées en chiffrant leur coût et leur durée ;
- chiffrer précisément les conséquences financières de l'utilisation d'un système d'épuration de secours et déterminer les préjudices subis par la SASU TDI ;
- de manière générale, fournir tout élément technique et de fait et faire toute constatation permettant à la juridiction qui sera le cas échéant saisie d'apprécier les responsabilités encourues et les préjudices subis,
- mettre l'avance de frais et honoraires de l'expert à la charge des sociétés Le Clézio Abattoir, Le Clézio Industrie et de traitement des eaux du Moulin de S. C. ;
- condamner solidairement les sociétés Le Clézio Abattoir, le Clézio Industrie et de traitement des eaux du Moulin de S. C. à rétablir dans les 24 heures de l'ordonnance rendue la mise à disposition ainsi qu'un accès libre et sans entrave au système d'épuration des eaux usées ;
- dire que, en cas d'interruption totale ou partielle de l'accès au système d'épuration des eaux usées, les sociétés Le Clézio Abattoir, le Clézio Industrie et société de traitement des eaux du Moulin de S. C. seront condamnées solidairement à régler à la SASU TDI, à titre d'astreinte, la somme de 75.000 euros par incident constaté et se réserver la faculté de liquider l'astreinte ordonnée ;
- rejeter les demandes adverses ;
- condamner solidairement les sociétés Le Clézio Abattoir, de traitement des eaux du Moulin de S. C. et Le Clézio Industrie à leur payer à chacune la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
La SAS TDI et la SARL SMV Distribution ont fait valoir en substance les éléments suivants :
- la jonction des deux dossiers doit être ordonnée car les litiges sont liés, comme le démontrent la chronologie des lettres d'avril 2016, la simultanéité des coupures du 3 octobre 2016 avec la cessation des abattages, les échanges entre les parties et la médiation ;
- dans l'affaire 16/21155, la société SMV Distribution, dans ses conclusions prises devant le tribunal de commerce de Rennes, a fait une demande de rétablissement de l'abattage à l'encontre de la SASU Le Clézio Abattoir LCA ; c'est à tort que le juge de première instance a retenu qu'aucune demande n'était faite à cet égard et qu'il a occulté cette question centrale ;
- la cessation des abattages des dindes de la société SMV Distribution à compter du 30 septembre 2016 alors que les relations de celle-ci avec la société Le Clézio datent de plus de 17 ans constitue une rupture brutale et manifeste de ces relations commerciales ;
- de même, la convention conclue en 1999 en vertu de laquelle la société Le Clézio s'est engagée à recevoir contre rémunération les eaux usées de la société TDI ne pouvait être rompue sans un préavis raisonnable de 17 mois, quelques mois ne pouvant suffire pour construire un nouveau réseau et une nouvelle centrale d'évacuation ;
- cette rupture de la convention de traitement des eaux usées par la société traitement des eaux du Moulin de S. C., tout comme l'interdiction d'accès au local électrique par la société Le Clézio Industrie alors qu'aucune de ces mesures ne se justifiaient constituent des mesures de représailles du groupe Le Clézio contre la société TDI à la suite de la rupture des relations commerciales de la société Le Clézio Abattoir avec la SMV Distribution ;
- une expertise doit être ordonnée afin de déterminer les travaux et les autorisations nécessaires à la mis en place d'un nouveau système d'épuration des eaux usées, ainsi que son coût ;
- les trois intimées doivent être condamnées solidairement à rétablir l'accès de TDI au réseau de traitement des eaux usées.
Les intimées
Dans l'affaire 16/21155, la SAS Le Clézio Abattoir et la SAS société du traitement des eaux du Moulin de S. C., par conclusions transmises par voie électronique le 18 septembre 2017, demandent à la cour, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, et des articles 145, 368, 872 et 873 du code de procédure civile, de :
à titre liminaire :
- constater que les actes introductifs d'instance ne formulent aucune demande à l'encontre de la SASU Le Clézio Abattoir et ne portent que sur une rupture de convention de prestation de services entre les SASU TDI et SAS Le Clézio Industrie d'une part et la SASU TDI et la SASU société de traitement des eaux du Moulin de S. C. d'autre part ;
- dire et juger que les faits et circonstances des seules prestations de services susvisées ne relèvent manifestement pas de pratiques restrictives de concurrence définies limitativement par l'article L. 442-6 du Code de commerce, mais du droit commun des contrats ;
- dire et juger que le débat juridique des pratiques restrictives de concurrence entre la SARL SMV Distribution et la SASU Le Clézio Abattoir n'a aucun lien avec les demandes en justice des appelantes, qui consistent à attaquer des personnes morales distinctes pour obtenir des prestations de services (épuration des eaux) ou l'accès à un local électrique dénoncé, avec préavis, par leurs cocontractants ;
- dire et juger que les demandes de la SASU TDI sont, en tout état de cause, contraires au principe de relativité des conventions posées par l'article 1165 du code civil ;
- dire et juger que les SASU SMV Distribution et TDI ne sauraient valablement être admises à « rectifier le tir de leur procédure judiciaire mal emmanchée » par une demande de jonction entre la présente instance et celle, parfaitement distincte, qui les opposent à la SAS Le Clézio Industrie ;
- dire et juger en effet que la jonction a déjà été refusée par le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes, cette décision caractérisant une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours ;
- dire et juger par ailleurs qu'une jonction aurait nécessairement pour effet de priver l'ensemble des parties d'un double degré de juridiction compte tenu de la possibilité désormais pour les appelantes de rediriger leurs demandes et griefs à l'égard d'entités qui n'avait pu se défendre en première instance contre celles-ci ;
- en conséquence, confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes, juridiction spécialisée pour connaître des pratiques restrictives de concurrence, incompétent pour statuer ;
au fond et à titre principal :
- constater que les sociétés SMV Distribution et TDI ont saisi le juge du fond d'une procédure en indemnisation des mêmes situations qu'elles invoquent devant la cour au soutien de leur demande d'expertise in futurum ;
- dire et juger que les sociétés SMV Distribution et TDI sont irrecevables à solliciter une expertise en prévision d'une action de fond qu'elles ont déjà engagée et qui relève par conséquent désormais de la seule compétence du tribunal d'ordonner, dans le cadre d'un incident ou dans le cadre d'un jugement avant dire droit ;
- constater par ailleurs que les sociétés SMV Distribution et TDI n'ont eu aucun mal à chiffrer les préjudices qu'elles invoquent dans le cadre de leur procédure de fond en indemnisation, cette réalité confirmant au besoin l'inutilité de la mesure ;
- débouter les SASU SMV Distribution et TDI de leur demande d'expertise ;
à titre subsidiaire :
- rappeler que l'article L. 442-6 du code de commerce définit les pratiques restrictives de concurrence comme étant également la soumission d'un partenaire à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (article L. 442-6-I-2°) ;
- dire qu'il existe manifestement une contestation sérieuse sur le fait de savoir qui, de la SAS TDI, de la SARL SMV Distribution ou de la SASU Le Clézio Abattoir subit une pratique restrictive de concurrence ;
- constater que, depuis plusieurs mois, la SASU Le Clézio Abattoir avait indiqué à la SARL SMV Distribution qu'à défaut de lui confier des volumes significatifs les prix ne pourraient être maintenus ;
- enjoindre à la SASU TDI de produire les tonnages de découpes de volailles intervenues depuis le 30 septembre 2016 afin de constater la moyenne de ces volumes du premier semestre 2016 et les comparer avec les volumes depuis le 3 octobre 2016 ;
- dire que les demandes de la SASU TDI sont, en outre, contraires au principe de relativité des conventions posées par l'article 1165 du code civil ;
- en conséquence des manifestes contestations sérieuses, se déclarer incompétent et renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond et, dès lors, débouter les sociétés TDI et SMV Distribution de l'ensemble de leurs réclamations ;
à titre plus subsidiaire encore :
- juger encore qu'il ne peut être fait application des dispositions de l'article L. 442-6 IV pour réparer des situations anciennes qui font déjà l'objet de demandes d'indemnisation devant le juge du fond sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ;
- dire et juger qu'en tout état de cause la SASU TDI a été dûment prévenue, à tout le moins depuis le mois d'avril 2016, de la volonté de ses partenaires de mettre fin à des conventions de prestations de service pour l'échéance du 30 septembre 2016 ;
- constater que la résiliation de la convention entre la SASU TDI et la SASU société de traitement des eaux du Moulin de S. C. était contractuellement prévue depuis plus de deux ans et que la SASU TDI a fait le choix de ne rien entreprendre pour s'organiser, de quelque manière que ce soit ;
- dire que la SASU Le Clézio Abattoir n'a pas violé le moindre contrat ni avec la SASU TDI, avec laquelle elle n'entretient aucune relation commerciale, ni avec la SARL SMV Distribution et encore moins s'agissant d'un transformateur électrique ou d'une station de traitement des eaux ;
- juger que les sociétés SMV Distribution et TDI sont pleinement responsables des situations qu'elles décrivent, pour en avoir eu connaissance plusieurs mois auparavant et pour n'avoir pourtant entrepris aucune démarche tendant à y remédier, et ce nonobstant l'existence de solutions techniques qu'elle communiquent elles-mêmes dans leur acte introductif d'instance et une fois encore devant la cour ;
- dire que les situations décrites et affirmées par les sociétés TDI et SMV Distribution ne sont constitutives d'aucun trouble « manifestement illicite » ;
- en conséquence, débouter les sociétés SMV Distribution et TDI de l'ensemble de leurs réclamations ;
- condamner les sociétés SMV Distribution et TDI à payer chacune la somme de 5.000 euros à chacune des sociétés intimées et à supporter les dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par Maître H. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SAS Le Clézio Abattoir et la SAS société du traitement des eaux du Moulin de S. C. ont fait exposer en résumé ce qui suit :
- la demande de jonction doit être rejetée aux motifs que la SARL SMV Distribution n'a fait aucune demande dans son acte introductif d'instance contre elles ; elle n'a évoqué la cessation des abattages que dans le second acte introductif d'instance dirigé contre la société Le Clezio Industrie ; elle se saurait rattraper cette erreur par le biais d'une demande de jonction, refusée par le premier juge par une décision non susceptible de recours ; en outre, les conclusions du 7 octobre 2016 dont les appelantes se prévalent n'ont pas été soutenues oralement, le premier juge ayant limité les débats à la question de sa compétence ;
- le fait d'invoquer l'article L. 442-6 du code de commerce ne suffit pas à rendre la juridiction spécialisée en matière de rupture abusive de relations commerciales compétente alors que le siège social de toutes les intimées se trouve dans les Côtes-d'Armor, que les relations contractuelles désignent Saint-Brieuc et qu'il n'existe pas de pratique restrictive de concurrence ;
- s'agissant du contrat liant la société TDI à la société de traitement des eaux du Moulin de S. C., le protocole de cession daté du 9 janvier 2014, signé par la société TDI, prévoit qu'il pourra être résilié de plein droit moyennant le respect d'un préavis d'une durée raisonnable ; en outre, la société de traitement des eaux du Moulin de S. C., exclusivement dédiée à l'épuration des eaux de l'abattoir Le Clézio, n'opère sur aucun marché et n'exerce pas d'activité concurrentielle relevant de l'article L. 442-6 du code de commerce ; par ailleurs, TDI a été avertie de la résiliation du contrat à compter du 30 septembre 2016 par lettre du 19 avril 2016 ; enfin, TDI n'a pas respecté son obligation de communiquer le relevé de la nature et du volume de ses rejets ;
- la demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est irrecevable en appel dès lors que le juge du fond est déjà saisi ; dans l'affaire examinée, les appelantes ont engagé leur action au fond par assignation du 27 novembre 2016 ; en outre, elles ont chiffré leurs réclamations sans demander de mesure d'instruction ;
- subsidiairement, le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la reprise d'un contrat qui n'est plus exécuté depuis plus d'un an ;
- plus subsidiairement, les conditions des articles 872 et 873 du code de procédure civile ne sont pas satisfaites, faute d'urgence et de trouble manifestement illicite et de l'existence de contestations sérieuses, la pratique restrictive de concurrence étant à rechercher dans les exigences de la société SMV Distribution à l'égard de la société Le Clézio abattoir.
Dans l'affaire n° 16/21157, la SAS Le Clézio Industrie, par conclusions transmises par voie électronique le 18 septembre 2017, demande à la cour, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce et des articles 145, 368, 872 et 873 du code de procédure civile, de :
à titre liminaire :
- dire que les faits et circonstances de l'exécution d'une servitude d'occupation d'un local ou la suppression d'une tolérance de bon voisinage ne relèvent manifestement pas de pratiques
restrictives de concurrence définies limitativement par l'article L. 442-6 du Code de commerce mais du droit commun des contrats ;
- juger que la SAS Le Clézio Industrie n'a jamais eu pour activité d'abattre des dindes, la situation de cessation des abattages invoquée indistinctement par les sociétés SMV Distribution et TDI ne pouvant lui être imputée ;
- dire que les demandes de la SASU TDI sont, en tout état de cause, contraires au principe de relativité des conventions posé par l'article 1165 du code civil ;
- dire par ailleurs qu'il n'appartient pas à la cour d'appel de corriger les « turpitudes procédurales initiales des appelantes » en prononçant une jonction qui leur permettrait opportunément de rediriger leurs griefs et prétentions à l'égard des entités concernées, ces dernières n'ayant pu se défendre en première instance utilement ;
- en conséquence, rejeter la demande de jonction ;
- dire que les juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence sont incompétentes pour statuer sur le présent litige ;
au fond et à titre principal :
- dire que les appelantes sont irrecevables à solliciter sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile une expertise alors qu'elles ont déjà saisi le juge du fond d'une procédure en indemnisation des griefs qu'elles allèguent et qu'elles ne semblent avoir eu aucun mal à chiffrer elles-mêmes directement ;
- débouter les sociétés SMV Distribution et TDI de leurs demandes d'expertise ;
- juger qu'en tout état de cause la SASU TDI a été dûment prévenue, à tout le moins depuis le mois d'avril 2016, de la volonté de ses partenaires de mettre un terme à la tolérance d'occupation d'un local pour l'échéance du 30 septembre 2016 ;
- dire que les sociétés SMV Distribution et TDI sont pleinement responsables des situations qu'elles décrivent, pour en avoir eu connaissance plusieurs mois auparavant et n'avoir pourtant rien entrepris, alors que des solutions techniques, qu'elles communiquent elles-mêmes dans leurs actes introductifs d'instance et encore une fois devant la cour, existaient ;
- dire que les situations décrites et affirmées par les sociétés SMV Distribution et TDI ne sont constitutives d'aucun trouble manifestement illicite ;
- juger par ailleurs que, compte tenu du temps écoulé, les situations décrites et affirmées par les sociétés SMV Distribution et TDI s'imposent à la cour d'appel qui ne saurait désormais les réparer, en tout état de cause, par la mise en œuvre des dispositions spécifiques du IV de l'article L. 442-6 du Code de commerce, a fortiori alors que les appelantes ont d'ores et déjà engagé une action spécifique aux fins d'indemnisation des préjudices qu'elles allèguent ;
- en conséquence, débouter les sociétés SMV Distribution et TDI de l'ensemble de leurs réclamations ;
- condamner les sociétés SMV Distribution et TDI à lui payer chacune la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par Maître H. conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
La SAS Le Clézio Industrie a fait soutenir en substance les éléments suivants :
- la demande de jonction ne peut être acceptée parce qu'elle a été rejetée par le premier juge dont la décision sur ce point n'est pas susceptible de recours et qu'elle ne serait pas conforme à une bonne administration de la justice, tant il est vrai que les griefs invoqués par les appelants concernent des entités différentes, ont été mal dirigés et ne relèvent pas de l'article L. 442-6 du code de commerce ;
- la juridiction spécialisée est incompétente au motif que l'intimée a son siège social dans les Côtes-d'Armor, que les lieux de la situation dénoncée s'y trouvent aussi et qu'il n'existe pas de pratique restrictive de concurrence ;
- la seule demande exprimée dans l'assignation est une réclamation de TDI en rétablissement du branchement électrique mais il n'existe aucune relation commerciale entre cette société et l'intimée ; en outre, la SASU TDI a signé les actes de vente notariés par lesquels la SAS Le Clézio Industrie a acquis l'usine et ne peut donc indiquer ne pas savoir qui est propriétaire de celle-ci ; par ailleurs, la SASU TDI a été informée bien en amont du fait qu'elle devait trouver une solution pour le local électrique ;
- la demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est irrecevable car le juge du fond est saisi ; dans l'affaire examinée, les appelantes ont engagé leur action au fond par assignation du 27 novembre 2016 ; en outre, elles ont chiffré leurs réclamations sans demander de mesure d'instruction ;
- il n'y a pas de trouble manifestement illicite dès lors que les sociétés TDI et SMV Distribution ont été averties en temps utiles et qu'elles sont seules responsables de la situation qu'elles dénoncent ;
- le juge des référés ne saurait ordonner la reprise de contrats dont la résiliation a pris effet ou d'une simple tolérance de bon voisinage.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande de jonction :
Certes, le premier juge a refusé de faire droit à la demande de jonction des deux affaires ayant donné lieu aux ordonnances rendues le 17 octobre 2016 et, en vertu de l'article 368 du code de procédure civile, cette décision est une mesure d'administration judiciaire non susceptible de recours.
Il n'en demeure pas moins que la cour, en application de l'article 367 du même code, peut à la demande des parties ou d'office ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant elle s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble.
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'appel enregistré au rôle de la cour sous le n° 16/21157, la SAS TDI et la SARL SMV Distribution ont fait assigner la SAS Le Clézio Industrie sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° afin de voir juger que cette dernière a rompu brutalement et sans préavis suffisant les relations commerciales établies avec la SAS TDI en stoppant tous les abattages de dinde et en coupant tout accès à l'électricité et à l'épuration des eaux.
En cause d'appel, elles demandent à la cour de condamner solidairement la SAS Le Clézio Abattoir, la SAS Le Clézio Industrie et la SAS de traitement des eaux du Moulin de S. C. à rétablir dans les 24 heures de l'ordonnance rendue la mise à disposition ainsi qu'un accès libre et sans entrave au système d'épuration des eaux usées.
L'argumentation des requérantes, dans les deux affaires en examen, consiste à soutenir que la société Le Clezio industrie a menacé d'interdire puis interdit à la SAS TDI l'accès au local contenant le compteur électrique de cette dernière et privé celle-ci d'électricité dans le cadre d'une action concertée avec les autres sociétés du groupe Le Clézio visant à faire pression sur la société SMV Distribution, société faisant partie du même groupe que TDI, dans le litige l'opposant à la SAS Le Clézio Abattoir. Elles font également valoir que le rôle précis des trois sociétés intimées dans les ruptures des contrats qu'elles dénoncent comme relevant de l'article L. 442-6 du code de commerce sont indéterminés.
Au vu des demandes des requérantes, de leur argumentaire et du fondement juridique de leur action, l'instance engagée par la SAS TDI et la SARL SMV Distribution contre la SAS Le Clézio Industrie, sans préjuger en rien de ses chances de succès, présente un lien avec celle introduite contre les SASU Le Clézio Abattoir et société de traitement des eaux du Moulin de S. C., de sorte qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction de l'affaire 16/21157 avec l'affaire 16/21155.
Sur les demandes fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce :
L'article L. 442-6-I du code de commerce dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
Selon l'article L. 442-6 III, cinquième alinéa, les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribuées aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. Selon l'article D 442-3 du code de commerce, le tribunal de commerce de Rennes est compétent pour connaître des affaires dans le ressort des cours d'Angers, Caen, Poitiers et Rennes. La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par celles désignées à l'article D. 442-3, précité, est la cour de céans.
Aux termes de l'article L. 442-6 IV, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratique abusives ou toute autre mesure provisoire.
Le juge des référés ne peut ordonner les mesures prévues par ce texte que si les conditions prévues par les articles 872 et 873 du code de procédure civile sont remplies.
Selon l'article 872, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
En vertu de l'article 873, il peut, dans ces mêmes limites et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pur prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les deux ordonnances attaquées, le premier juge a limité les débats aux audiences du 11 octobre 2016 à la seule question de sa compétence en tant que juridiction spécialement désignée pour connaître des litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Il a estimé, dans chacune de ces deux ordonnances, que le litige ne relevait pas de sa compétence mais de la juridiction de droit commun en vertu de l'article 42 du code de procédure civile au motif que les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ne trouvaient pas à s'appliquer.
A cet égard, il a indiqué, dans l'ordonnance rendue au contradictoire des SAS Le Clézio Abattoir et société de traitement des eaux du Moulin de S. C., que le caractère brutal de la rupture de la convention liant cette dernière à la société TDI n'était pas démontré.
Il a exposé, dans l'ordonnance rendue au contradictoire de la société Le Clézio Industrie, qu'une simple mise à disposition d'un local ne saurait constituer une relation commerciale établie relevant de l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce et, à supposer qu'une convention à cet effet ait été conclue, que la rupture brutale de celle-ci n'était pas démontrée.
Mais la cour retiendra que, dans les deux affaires ayant donné lieu aux ordonnances attaquées, le juge spécialement désigné pour statuer sur les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce a été saisi par deux sociétés commerciales sur le fondement de cet article de demandes de condamnation d'autres sociétés commerciales à rétablir sous astreintes des prestations d'abattage de dindes, un accès à un local dont dépend l'alimentation de l'une d'entre elles au réseau de distribution d'électricité et l'application d'une convention de traitement d'eaux usées au motif que ces prestations avaient été interrompues brutalement dans le cadre d'une action de groupe concertée.
Ces affaires ont donc vocation à relever du champ d'application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Les ordonnances attaquées, par conséquent, seront infirmées en ce que le premier juge s'est déclaré incompétent pour en connaître en qualité de juridiction spécialement désignée à l'article D 442-3 du code de commerce.
En vertu de l'article 568 du code de procédure civile, la cour, lorsqu'elle infirme une ordonnance de référé qui a mis fin à l'instance et que les parties ont conclu au principal, peut évoquer le litige.
Dans l'affaire examinée, les appelantes demandent à la cour, premièrement, de dire que les SASU Le Clézio Abattoir, le Clézio Industrie et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. ont rompu brutalement et sans un préavis suffisant leurs relations commerciales établies en stoppant tous les abattages de dindes et en coupant tout accès à l'électricité et à l'épuration des eaux.
Cette demande ne saurait être accueillie pour les motifs suivants.
En vertu de l'article L. 642-IV du code de commerce, le juge des référés, si les conditions prévues par l'article 872 ou l'article 873 du code de procédure civile sont remplies, peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratique abusives ou toute autre mesure provisoire.
Il a ainsi le pouvoir d'ordonner des mesures positives, en cas d'urgence en l'absence de contestation sérieuse ou afin de faire cesser un trouble manifestement illicite ou de prévenir un dommage imminent.
Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l'existence d'une rupture abusive au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce lorsqu'une telle demande a cette unique finalité.
Il sera dit, par conséquent, n'y avoir lieu à référé sur cette demande.
Les appelantes demandent à la cour, deuxièmement, de condamner solidairement la SAS Le Clézio Abattoir, la SAS le Clézio Industrie et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. à rétablir dans les 24 heures de l'ordonnance rendue la mise à disposition ainsi qu'un accès libre et sans entrave au système d'épuration des eaux usées.
Cette demande doit être comprise en ce qu'elle est présentée au seul profit de la société TDI, dont les eaux usées étaient recueillies par la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. jusqu'au 3 octobre 2016.
Il ne ressort pas des conclusions des appelantes que la SARL SMV Distribution ait jamais bénéficié d'une telle prestation et qu'elle puisse avoir intérêt à former une telle demande.
Il résulte ensuite des débats et des pièces du dossier les éléments suivants :
- le traitement des effluents rejetés par la société TDI a fait l'objet d'une convention conclue par celle-ci avec la société Le Clézio en date du 25 mai 1999 ; cette convention prévoyait à son article 8 qu'il pouvait être mis fin à celle-ci par chacune des parties au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception sous réserve que soit respecté un préavis de 6 mois ;
- la société Le Clezio, partie à ce contrat, a fait l'objet de reprises en 2014 à la suite desquelles le traitement des eaux usées du site industriel sur lequel se trouvent les usines de la société TDI et de la SAS Le Clezio Abattoir a été confié par la société repreneuse à la SAS société de traitement des eaux du Moulin de S. C. ;
- dans le cadre de la reprise de la société Le Clezio, il a été prévu dans le cadre d'une convention à laquelle la société TDI a été partie, en ce qui concerne la « convention d'utilisation par TDI des installations de traitement des eaux usées appartenant à la société en date du 16 novembre 2000 », que les parties se rencontreront et s'efforceront, au plus tard à la date de réalisation, de conclure un avenant actualisant cette dernière sur la nature et le volume des flux traités pour le compte de TDI et le prix facturé à celle-ci ; il était stipulé encore que, à défaut d'accord sur cet avenant d'actualisation, la convention pourrait être résiliée de plein droit à l'initiative de la société moyennant le respect d'un préavis écrit d'une durée raisonnable ;
- par lettre en date du 19 avril 2016, la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. a informé la SAS TDI de sa décision de mettre un terme au traitement des eaux usées de cette entreprise à compter du 30 septembre 2016 ;
- le 3 octobre 2016, l'accès de la société TDI au système d'épuration des eaux de la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. a été coupé.
Certes, dans la lettre précitée, la société de traitement de eaux du Moulin de S. C. justifie sa décision par « la nécessité de préserver la compétitivité de [ses] entreprises face à la baisse d'activité de la filière dinde », ce qui corrobore l'affirmation de la société TDI selon laquelle cette décision est en lien avec le litige opposant la SARL SMV Distribution à la SAS Le Clézio Abattoir.
Pour autant, il ne saurait être déduit avec l'évidence requise en référé des éléments de fait précités que, à compter de la reprise du groupe Le Clézio en 2014 et compte tenu de l'absence de conclusion d'un avenant redéfinissant les termes de la convention relative au traitement des effluents de la société TDI, cette dernière était fondée à penser que ladite convention, qui avait été conclue dans un contexte particulier, lorsqu'elle appartenait à raison de 50 % au même groupe que l'abattoir Le Clezio et au regard de l'imbrication des deux usines, avait vocation à se poursuivre.
Elle ne démontre pas non plus avec l'évidence requise en référé que, dans ce contexte, le délai de préavis de plus de cinq mois observé par la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. pour mettre un terme à la convention qui les liait était manifestement insuffisant.
Ainsi, il ressort des pièces 54 et 115 de son dossier que la société TDI a attendu le 3 octobre 2016 pour déposer une demande d'autorisation et de convention spéciale de déversement des eaux usées autres que domestiques auprès du maire de [ville L.] et le mois d'avril 2017 pour faire réaliser une étude d'acceptabilité de ses rejets préalablement épurés dans le milieu naturel.
En l'état de ces considérations, la demande de la SAS TDI visant à voir condamner solidairement la SAS Le Clézio Abattoir, la SAS le Clézio Industrie et la société de traitement des eaux du Moulin de S. C. à rétablir dans les 24 heures de l'ordonnance rendue la mise à disposition ainsi qu'un accès libre et sans entrave au système d'épuration des eaux usées ne saurait être accueillie comme étant dépourvue de contestation sérieuse au sens de l'article 872 du code de procédure civile ou justifiée afin de mettre fin à un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873 du code de procédure civile.
Il sera dit, par conséquent, n'y avoir lieu à référé de ce chef.
Sur la demande d'expertise :
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Les intimées soutiennent que cette demande est irrecevable au motif que le juge du fond a été saisi par les appelantes mais l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'apprécier à la date de la saisine du premier juge.
Dans les affaires en examen, le juge du fond n'était pas saisi lorsque les société TDI et SMV Distribution ont demandé au juge des référés du tribunal de commerce de désigner un expert judiciaire avec pour mission, en substance, d'évaluer et préconiser les travaux de mise en place d'un système de traitement des eaux et d'apprécier les responsabilités et préjudices.
La demande des appelantes à cette fin est donc recevable.
Il leur appartient encore d'établir qu'elles ont un motif légitime à voir ordonner cette mesure d'instruction.
Il ressort de leur assignation des intimées devant le juge du fond que la société TDI a fait à l'encontre de celles-ci une demande de condamnation en paiement de la somme de 20.416 euros au titre du coût de la mise en place et du fonctionnement de l'épuration de secours. La société TDI n'a donc pas demandé à ce juge de surseoir à statuer sur le préjudice causé par la rupture de la convention de traitement de ses eaux usées jusqu'au dépôt du rapport de l'expert qu'elle a demandé au juge des référés puis à la cour de commettre. Elle a estimé qu'elle disposait des éléments suffisants pour évaluer son préjudice et en demander réparation.
En l'état de cette considération, les appelantes et en particulier la société TDI ne démontrent pas qu'elles ont un intérêt légitime à voir ordonner l'expertise qu'elles réclament.
Il sera dit également n'y avoir lieu à référé de ce chef.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Les appelantes, dont les demandes sont rejetées, devront supporter les dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du même code.
Maître H. pourra recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 dudit code.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
ORDONNE la jonction de l'affaire 16/21557 avec l'affaire 16/21555 ;
INFIRME les ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes le 17 octobre 2016 ;
Statuant à nouveau et évoquant le litige au principal,
DIT n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS TDI et la SARL SMV Distribution ;
Les CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel ;
DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et que Maître H. pourra recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT