CA PARIS (pôle 1 ch. 1), 7 avril 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 7364
CA PARIS (pôle 1 ch. 1), 7 avril 2015 : RG n° 15/00512
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant, en deuxième lieu, qu'il appartient aux arbitres, sous le contrôle du juge de l'annulation, d'appliquer les règles d'ordre public ; que la seule circonstance que de telles dispositions régissent le fond du litige n'a pas pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage, dès lors que, par leur nature, les demandes des parties ne sont pas inarbitrables ;
Considérant que si les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce attribuent de manière impérative à certains tribunaux et, en appel, à la seule cour de Paris, la connaissance des pratiques restrictives de concurrence, et si le premier de ces textes offre aux juges la faculté de solliciter l'avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales, de telles dispositions ont pour objet d'adapter les compétences et les procédures judiciaires à la technicité de ce contentieux mais non de le réserver aux juridictions étatiques ; que la circonstance que l'article L. 442-6 du code de commerce investisse le ministère public et le ministre chargé de l'Economie d'une action autonome devant les juridictions étatiques aux fins de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence par la cessation des pratiques illicites et l'application d'amendes civiles n'a pas davantage pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage pour trancher les litiges nés, entre les opérateurs économiques, de l'application de ce même texte ;
Considérant que l'action dirigée par une partie à l'encontre de son co-contractant, aux fins d'indemnisation du préjudice qu'elle prétend résulter de pratiques commerciales abusives et de la rupture abusive de relations établies n'étant pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, la clause compromissoire n'apparaît pas manifestement inapplicable en l'espèce ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 1 CHAMBRE 1
ARRÊT DU 7 AVRIL 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/00512 (5 pages). (CONTREDIT) Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 décembre 2014 - Tribunal de Commerce de PARIS – R.G. n° 2014000740.
DEMANDERESSE AU CONTREDIT :
SELAFA MJA Mandataire judiciaire prise en la personne de Maître F. L. ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Société AÉRONAUTIQUE ET TECHNOLOGIES EMBARQUÉES (ATE)
représentée par Maître Frédéric B., avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D1998, assistée de Maître Olivier D., avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P 504
DÉFENDERESSES AU CONTREDIT :
SAS AIRBUS HELICOPTERS anciennement dénommée EUROCOPTER
prise en la personne de ses représentants légaux, représentée par Maître Luca DE M. de la SELARL P.-DE M. - G., avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018, assistée de Maître Antoine T. de la SCP F. T. P. ET ASSOCIES, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P0010
Société AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND GMBH anciennement dénommée EUROCOPTER DEUTSCHLAND GMBH Société de droit allemand
prise en la personne de ses représentants légaux, représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477, assistée de Maître Dominique B. de la SELURL DB AVOCAT, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P0341
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 3 mars 2015, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de : Monsieur ACQUAVIVA, Président, Madame GUIHAL, Conseillère, Madame DALLERY, Conseillère, qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SAS AERONAUTIQUE ET TECHNOLOGIES EMBARQUEES (ATE) a conclu en décembre 2008, avril 2009 et juillet 2010 trois contrats avec la SAS EUROCOPTER, devenue AIRBUS HELICOPTERS, le premier et le troisième étant également signés par EUROCOPTER DEUTSCHLAND GmBH, devenue AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND GmBH, filiale d'EUROCOPTER.
Le 21 février 2012, le tribunal de commerce de Paris a ouvert le redressement judiciaire d'ATE.
Le 1er juin 2012, l'administrateur judiciaire a engagé une action en responsabilité contre AIRBUS HELICOPTERS sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce devant le tribunal de commerce de Marseille qui s'est dessaisi au profit du tribunal de commerce de Paris.
La liquidation judiciaire d'ATE ayant été prononcée le 27 novembre 2012 et un plan de cession d'actifs arrêté par jugement du 20 décembre 2012, la SELAFA MJA, prise en la personne de Mme L., a repris l'instance en qualité de liquidateur, et demandé au tribunal de condamner AIRBUS HELICOPTERS à supporter intégralement l'insuffisance d'actifs alors estimée à 17.549.043 euros.
Par acte signifié le 28 février 2014, la SELAFA MJA, ès qualités, a assigné AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND GmBH en intervention forcée pour obtenir sa condamnation solidaire avec AIRBUS HELICOPTERS à supporter l'insuffisance d'actifs.
Par un jugement du 15 décembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a ordonné la jonction des deux procédures, s'est déclaré incompétent en considération de la clause compromissoire stipulée par les trois contrats et a prononcé sur les frais de procédure.
La SELAFA MJA, ès qualités, a déposé le 19 décembre 2014 des conclusions de contredit. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, y compris sur les frais irrépétibles, et de dire le tribunal de commerce compétent. Elle soutient en premier lieu que les parties adverses ont acquiescé à la compétence des juges consulaires :
- AIRBUS HELICOPTERS en n'introduisant aucun recours contre l'ordonnance du juge commissaire du 30 octobre 2013 qui a sursis à statuer sur la déclaration de créance de cette partie jusqu'à l'obtention d'une décision définitive du tribunal de commerce dans le cadre du litige pendant devant cette juridiction sur l'action en responsabilité exercée par le liquidateur,
- AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND, après que le juge commissaire s'est déclaré d'office incompétent par ordonnance du 11 décembre 2013, ainsi qu'AIRBUS HELICOPTER, en s'abstenant de saisir un tribunal arbitral pour faire apprécier leurs créances ;
La contredisante prétend en deuxième lieu que la clause d'arbitrage est manifestement inapplicable à un litige fondé sur l'article L. 442-6 du code de commerce en raison de la compétence spécialement reconnue à des juridictions étatiques spécialisées, ainsi que de la spécificité d'une procédure qui prévoit l'action du ministre des finances et autorise le prononcé de sanctions pécuniaires. La contredisante soutient, enfin, qu'admettre la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence la priverait d'un droit d'accès au juge compte tenu de son impécuniosité.
AIRBUS HELICOPTERS et AIRBUS HELICOPTERS DEUTHSCHLAND concluent chacune à la confirmation du jugement, au rejet des prétentions adverses et à la condamnation de la SELAFA MJA, ès qualités, à payer 15.000 euros à la première et 5.000 euros à la seconde en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI :
Considérant qu'ATE et AIRBUS HELICOPTERS sont liés par trois contrats conclus en décembre 2008, avril 2009 et juillet 2010, le premier et le troisième étant également signés par AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND ; que ces conventions contiennent la même clause qui stipule le recours à l'arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce internationale pour régler tous les différends découlant du contrat ou en relation avec lui, y compris les questions concernant son existence, sa validité ou son achèvement ;
Considérant que, par le jugement entrepris, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction arbitrale pour statuer sur une action indemnitaire engagée par les mandataires judiciaires d'ATE sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce pour pratiques commerciales abusives, et rupture abusive des relations établies ;
Considérant, en premier lieu, que les parties à une convention d'arbitrage ont la faculté de renoncer à son bénéfice ; que cette renonciation peut être implicite, dès lors qu'elle est certaine et non équivoque ; qu'elle peut notamment se déduire de la saisine des tribunaux étatiques par l'une des parties, à condition qu'il s'agisse d'une demande au fond qui aurait dû être soumise à l'arbitrage, ou de l'acquiescement à une telle saisine ;
Considérant, en l'espèce, qu'une procédure collective ayant été ouverte à l'encontre d'ATE, AIRBUS HELICOPTERS et AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND ont procédé à la déclaration de leurs créances ;
Que le juge commissaire a rendu le 30 octobre 2013 une ordonnance de sursis à statuer sur l'admission de la créance d'AIRBUS HELICOPTERS jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prononcée dans le cadre du litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris relativement à l'action indemnitaire engagée par ATE ;
Que s'agissant de la créance d'AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND, le juge commissaire s'est déclaré d'office incompétent par une ordonnance du 11 décembre 2013 ; que la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 20 janvier 2015, a infirmé cette ordonnance et sursis à statuer « jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur la juridiction compétente sur l'action en réparation engagée par la SELAFA MJA, ès qualités, à l'encontre notamment de la société déclarante » ;
Considérant qu'ATE soutient qu'AIRBUS HELICOPTERS, en n'interjetant pas appel de l'ordonnance du juge commissaire du 30 octobre 2013, AIRBUS HELICOPTERS et AIRBUS HELICOPTERS DEUTSCHLAND en n'engageant pas la procédure arbitrale, ont adopté une posture procédurale qui constitue un acquiescement à la compétence du tribunal de commerce, nonobstant leur contestation expresse de cette compétence ;
Mais considérant que les deux défenderesses au contredit, dont les déclarations de créances, exigées par des dispositions d'ordre public régissant les procédures collectives, ne préjugeaient pas de la compétence pour trancher le fond du litige, et qui, tant devant le juge commissaire que devant le tribunal de commerce, se sont prévalues de la clause compromissoire, ne peuvent être regardées comme ayant renoncé de façon non équivoque au bénéfice de cette stipulation du fait qu'elle ont accepté qu'il soit sursis à statuer dans la procédure de vérification de créances jusqu'à la décision du tribunal de commerce et qu'elles n'ont pas engagé la procédure arbitrale ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il appartient aux arbitres, sous le contrôle du juge de l'annulation, d'appliquer les règles d'ordre public ; que la seule circonstance que de telles dispositions régissent le fond du litige n'a pas pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage, dès lors que, par leur nature, les demandes des parties ne sont pas inarbitrables ;
Considérant que si les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce attribuent de manière impérative à certains tribunaux et, en appel, à la seule cour de Paris, la connaissance des pratiques restrictives de concurrence, et si le premier de ces textes offre aux juges la faculté de solliciter l'avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales, de telles dispositions ont pour objet d'adapter les compétences et les procédures judiciaires à la technicité de ce contentieux mais non de le réserver aux juridictions étatiques ; que la circonstance que l'article L. 442-6 du code de commerce investisse le ministère public et le ministre chargé de l'Economie d'une action autonome devant les juridictions étatiques aux fins de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence par la cessation des pratiques illicites et l'application d'amendes civiles n'a pas davantage pour effet d'exclure le recours à l'arbitrage pour trancher les litiges nés, entre les opérateurs économiques, de l'application de ce même texte ;
Considérant que l'action dirigée par une partie à l'encontre de son co-contractant, aux fins d'indemnisation du préjudice qu'elle prétend résulter de pratiques commerciales abusives et de la rupture abusive de relations établies n'étant pas de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, la clause compromissoire n'apparaît pas manifestement inapplicable en l'espèce ;
Considérant, en troisième lieu, que l'inapplicabilité manifeste de la convention d'arbitrage ne saurait davantage se déduire de l'impécuniosité alléguée par ATE et du déni de justice qui résulterait, selon elle, de son incapacité à faire face au coût de la procédure d'arbitrage, dès lors qu'il incombe au tribunal arbitral d'assurer l'accès au juge, la sanction d'un éventuel manquement à ce devoir ne pouvant intervenir qu'a posteriori ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le contredit doit être rejeté et le jugement entrepris, confirmé ;
Considérant que la SELAFA MJA, qui succombe, sera condamnée, ès qualités, à payer la somme de 5.000 euros à chacune des défenderesses ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Rejette le contredit.
Confirme le jugement.
Condamne la SELAFA MJA, prise en la personne de Mme L., ès qualités de liquidatrice judiciaire de la SAS AERONAUTIQUE ET TECHNOLOGIES EMBARQUEES, aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à chacune des deux défenderesses au contredit.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT