CA PARIS (pôle 2 ch. 2), 11 septembre 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 7421
CA PARIS (pôle 2 ch. 2), 11 septembre 2015 : RG n° 14/07081 ; arrêt n° 2015-215
Publication : Jurica
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 2 CHAMBRE 2
ARRÊT DU 11 SEPTEMBRE 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/07081. Arrêt n° 2015-215 (7 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 mars 2014 - Tribunal de Grande Instance de Paris - R.G. n° 13/01186.
APPELANTE :
ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DE SOLIDARITÉ DU TOURISME (APST)
agissant en la personne de son représentant légal, Représentée et assistée par Maître Frédéric S. de l'Association S.F. AARPI, avocat au barreau de [adresse]
INTIMÉ :
COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DU CENTRE TECHNIQUE DES INDUSTRIES MÉCANIQUES (CETIM)
pris en la personne de son représentant légal, Représenté par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assisté de Maître Aude D., avocat au barreau de PARIS, toque : K041
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 juin 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, chargée d'instruire le dossier. Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère, Madame Isabelle CHESNOT, conseillère.
Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marie-Sophie RICHARD, conseillère, pour la présidente empêchée et par Madame Malika ARBOUCHE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Le comité d'établissement du Centre Technique des Industries Mécaniques (le CE du CETIM) a conclu avec l'agence de voyages dénommée Société Vertycal Voyages, le 27 mai 2010, un ensemble de contrats ayant pour objet l'organisation de trois voyages au Sri-Lanka aux mois d'avril et mai 2011 au profit des salariés du CETIM et a versé à cette société plusieurs acomptes pour un total de 62.760 euros. La société Vertycal Voyages a fait l'objet d'une liquidation judiciaire prononcée par jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 mai 2011 et la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif a été prononcée par jugement du 3 avril 2012, de sorte que la créance que le CE du CETIM avait déclarée le 24 mai 2011 au passif de la procédure collective n'a pu être réglée.
Le CE du CETIM a parallèlement sollicité, par courrier du 5 mai 2011, la garantie financière de l'Association Professionnelle de Solidarité du Tourisme (l'APST) à laquelle la société Vertycal Voyages était adhérente. Le mandataire liquidateur de la société Vertycal Voyages, Maître Y.-T., a également appelé l'APST en garantie par courrier du 31 mai 2011.
L'APST ayant refusé sa garantie, le CE du CETIM l'a assignée par acte d'huissier en date 9 janvier 2013 devant le tribunal de grande instance de Paris et a réclamé sa condamnation, aux termes de ses dernières écritures, à lui payer la somme de 62.760 euros au titre de sa garantie financière, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 mai 2011, outre une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 13 mars 2014, le tribunal de grande instance de Paris a condamné l'APST à verser au CE du CETIM la somme de 62.760 euros au titre de sa garantie, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2011 et celle de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, et a rejeté le surplus des demandes.
Il a considéré que l'immatriculation du CE au registre tenu par Atout France ne lui conférait pas la qualité de professionnel du tourisme et que la présomption qui pouvait en résulter était renversée par l'analyse des opérations effectuées par le CE qui n'avait reçu aucune rémunération et qui n'était intervenu que comme intermédiaire entre l'agence de voyages et les salariés, consommateurs finaux, devant ainsi bénéficier de la garantie financière prévue à leur profit.
L'APST a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 28 mars 2014.
[*]
L'APST, suivant conclusions signifiées le 27 juin 2014, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que le CE du CETIM, en sa qualité de professionnel du tourisme, ne peut bénéficier de la garantie financière que l'APST apportait à la société Vertycal Voyages et de condamner le CE du CETIM à lui rembourser la somme de 66.503,79 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2014, et à lui verser une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que sa garantie bénéficie aux clients consommateurs confrontés à l'ouverture d'une procédure collective du professionnel adhérent, mais que le CE du CETIM a choisi de s'immatriculer, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 2009, au registre des opérateurs de voyage comme organisme apportant son concours aux opérations de tourisme ; que c'est à tort que le tribunal a considéré que cette immatriculation ne conférait pas ipso facto au CE du CETIM la qualité de professionnel, en contradiction avec la volonté du législateur telle qu'elle ressort des débats parlementaires, le registre des immatriculations ayant pour objet de réunir tous les opérateurs du tourisme professionnel, élément de transparence vis-à-vis des consommateurs ; que le CE possède ainsi, en vertu de l'article L. 211-18 du code du tourisme, un représentant légal justifiant de l'aptitude professionnelle, une garantie financière et une assurance de responsabilité civile professionnelle.
Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que le CE du CETIM, contrairement aux espèces jurisprudentielles citées par l'intimé, a conclu les contrats de voyage, a reçu les inscriptions des salariés et a payé les acomptes à la société de voyages ; que, si la cour d'appel de Paris a admis en 2003 la garantie de l'APST dans une affaire où le CE s'était entremis dans la vente des prestations touristiques, la situation doit être appréciée de manière différente depuis la loi du 22 juillet 2009 qui a gommé toute différence entre les opérateurs de tourisme ayant une gestion commerciale et ceux qui poursuivent un but non lucratif ; que le CE du CETIM se trouve dans la même situation qu'un agent de voyages ayant réservé un voyage auprès d'un tour-opérateur pour ses clients.
Elle ajoute que le mécanisme de la subrogation légale ou conventionnelle n'est pas applicable car le CE n'est pas un tiers à l'égard des ressortissants qui ont eu pour vendeur le CE du CETIM et non la société Vertycal Voyages ; qu'en outre, la spécificité de la garantie financière des opérateurs de tourisme interdit le recours au mécanisme de la subrogation et ne bénéficie qu'au seul client consommateur à qui les prestations de tourisme sont délivrées, ce à quoi ne peut prétendre le professionnel intermédiaire quand bien même il aurait payé le prix de prestations pour le compte du client consommateur.
Le CE du CETIM, en l'état de ses écritures signifiées le 7 août 2014, demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner le CE du CETIM à lui verser une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient qu'il a agi comme simple intermédiaire ou mandataire transparent entre les salariés et l'agence de voyage, sans percevoir aucune rémunération, nonobstant son immatriculation auprès d'Atout France ; qu'il ne peut être considéré, dans le silence de la loi de 2009, comme un professionnel du tourisme du seul fait de cette immatriculation qui ne peut constituer qu'une présomption qui peut être renversée et qu'il appartient à l'APST de faire la preuve pleine et entière de sa qualité de professionnel du tourisme.
Il souligne à cet égard qu'il n'était pas tenu légalement de procéder à son immatriculation, l'organisation de voyages n'étant qu'une partie infime de ses missions ; qu'il n'a pas compétence pour organiser des voyages, raison pour laquelle il en confie l'organisation à un opérateur et qu'il ne réalise aucun bénéfice sur l'organisation des voyages pour lesquels les salariés versent le solde du prix en sus de la rétribution de l'employeur. Il cite un arrêt de la cour d'appel de Paris de 2003 ayant retenu, dans un cas similaire, que le CE était intervenu comme mandataire des salariés, ainsi que des arrêts de la Cour de cassation.
Il ajoute qu'il a remboursé à chacun des salariés ayant souscrit au voyage organisé l'acompte qu'il avait versé et que ceux-ci l'ont subrogé dans leurs droits et actions à l'encontre de la société Vertycal Voyages, de sorte qu'il est bien fondé à agir en qualité de subrogé contre l'APST ; qu'à supposer que le CE ait agi pour son propre compte en remboursant les salariés, le mécanisme de la subrogation conventionnelle peut cependant être retenu dès lors que « celui qui s'acquitte d'une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier d'une subrogation conventionnelle s'il a, par son paiement et du fait de cette subrogation, libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette. » et la spécificité de la garantie financière des opérateurs de tourisme n'interdit pas le recours au mécanisme de la subrogation.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 mai 2015.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant que le CE du CETIM a conclu, le 27 mai 2010, avec la société Vertycal Voyages trois contrats de voyage de groupe à destination du SRI LANKA du 9 au 21 avril 2011, du 18 au 30 avril 2011 et du 4 au 16 mai 2011 ; qu'il était prévu que le prix par personne était établi sur la base d'un groupe de 40 participants, le nombre minimum étant fixé à 20 personnes, et que la liste nominative des participants serait communiquée à la société Vertycal Voyages au plus tard 45 jours avant le départ ; que le CE du CETIM devait verser pour chaque contrat un premier acompte correspondant à 10 % de la somme globale le jour de la signature (soit 7.160 euros pour les deux premiers voyages et 6.600 euros pour le troisième voyage), un second acompte du même montant fin septembre 2010 et un troisième acompte fin novembre 2010, le solde devant être réglé 35 jours avant le départ après ajustement en fonction du nombre réel de participants ;
Qu'il est avéré que le CE du CETIM a versé les acomptes dus au titre des trois contrats pour un montant total de 62.760 euros ; que la société Vertycal Voyages n'a pas pu honorer ses engagements contractuels et a fait l'objet d'un jugement la plaçant en liquidation judiciaire le 17 mai 2011 ;
Que c'est dans ces circonstances que le CE du CETIM a sollicité la garantie financière de l'APST auprès de laquelle la société Vertycal Voyages était adhérente pour obtenir le remboursement des acomptes versés et que l'APST lui a opposé sa non-garantie au motif que sa garantie bénéficie exclusivement aux consommateurs qui ont versé directement des fonds à une agence de voyage mais ne peut profiter au comité d'établissement qui constitue un professionnel du tourisme ;
Considérant que la loi du 22 juillet 2009 a prévu l'immatriculation de tous les opérateurs de voyage tels que définis par l'article L. 211-1 du code du tourisme sur un registre unique tenu par le groupement d'intérêt économique ATOUT France ; que ces dispositions concernent toutes les personnes physiques ou morales apportant leur concours aux opérations consistant en l'organisation ou la vente de voyages, quelles que soient les modalités de leur rémunération, et englobent les associations ou les organismes sans but lucratif qui réalisent ces opérations en faveur de leurs membres ; que l'article L. 211-18 prévoit à cet égard que ces personnes doivent justifier, à l'égard de leurs clients, d'une garantie financière suffisante spécialement affectée au remboursement des fonds reçus au titre des forfaits touristiques ;
Que le tribunal de grande instance a justement considéré que le CE du CETIM s'était immatriculé en application de ces dispositions et que son immatriculation à ATOUT FRANCE était bien obligatoire dès lors qu'il ne pouvait prétendre à la dérogation prévue par l'article L 211-18 III concernant « les associations ou organismes sans but lucratif qui n'ont pas pour objet l'organisation de voyages et qui ne se livrent à ces opérations qu'à l'occasion de leurs assemblées générales ou de voyages exceptionnels liés à leur fonctionnement, et qu'ils organisent pour leurs adhérents ou leurs ressortissants. » ; qu'en effet, le CE du CETIM offre à ses membres une activité voyages ainsi présentée dans son livret d'accueil : « Le CE propose régulièrement aux salariés du CETIM des sorties et voyages de thème et de durée variés, allant de la simple journée ou du week-end à vocation familiale jusqu'à des destinations touristiques lointaines d'une à deux semaines (chaque année pour les « petits voyages » à durée et coût limité, ou tous les deux ou trois ans pour les « grands voyages ») » ;
Qu'il doit être retenu, en lecture des dispositions de la loi et des obligations faites à toute personne immatriculée au registre ATOUT FRANCE de justifier d'une garantie financière, d'une assurance de responsabilité professionnelle et de conditions d'aptitude professionnelle, que le CE du CETIM doit être considéré, nonobstant le caractère non rémunéré de son intervention dans l'organisation et la vente des voyages, comme un professionnel du tourisme et non comme un simple consommateur ;
Que cette qualité le prive de la possibilité de bénéficier de la garantie financière due, en application de l'article L. 211-18, aux clients de l'opérateur de voyage, ce qui s'entend du client consommateur et non du professionnel de l'activité touristique ;
Considérant que c'est en vain que le CE du CETIM soutient qu'il n'a agi en l'espèce que comme simple intermédiaire ou mandataire transparent entre la société Vertycal Voyages et les salariés du CETIM ; qu'en effet, force est de constater en lecture des contrats souscrits par le CE que celui-ci était le seul co-contractant de la société Vertycal Voyages, que le nombre et a fortiori l'identité des voyageurs n'étaient pas connus, qu'il a versé les acomptes prévus au bénéfice de la société Vertycal Voyages indépendamment des acomptes versés par les salariés inscrits pour participer au voyage et qu'il s'est d'ailleurs dénommé lui-même « agence» dans lesdits contrats ; que le CE du CETIM a par ailleurs distribué, sous son propre logo, le descriptif du voyage en proposant un prix de 1.625 euros par personne (au lieu de 1.790 euros prévu dans les contrats) avec des modalités de règlement différentes de celles prévues dans les contrats et qu'il avait ainsi reçu, à la date de l'annulation du voyage, une somme totale de 137.610 euros de la part des clients inscrits aux trois voyages qu'il proposait, alors même qu'il n'avait versé à la société Vertycal Voyages qu'une somme de 62.760 euros ;
Considérant que le CE du CETIM invoque à titre subsidiaire la subrogation conventionnelle à son profit dans les droits des salariés ayant souscrit à l'un des voyages organisés au SRI LANKA et produit à cet effet les reçus signés par les salariés en contrepartie du remboursement des acomptes versés au CE et reconnaissant à ce dernier le droit d'exercer pour son propre compte toutes les voies de droit et actions consécutives à ce paiement ;
Mais que l'article 1250-1° du code civil prévoit la subrogation conventionnelle dans les droits du créancier lorsque ce dernier reçoit paiement d'un tiers et le subroge dans ses droits et actions contre le débiteur et qu'il dispose que la subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement ; que force est ici de constater, d'une part que le CE du CETIM n'a pas la qualité de tiers dès lors qu'il apparaît qu'il a remboursé aux salariés les sommes dont il était lui-même redevable à leur égard au titre des acomptes reçu, au-delà et indépendamment de ceux versés par lui à la société Vertycal Voyages, d'autre part qu'il ne peut être subrogé dans des droits dont les salariés ne disposent pas personnellement à l'égard de la société Vertycal Voyages et que les reçus ne mentionnent d'ailleurs pas expressément une subrogation du CE du CETIM dans les droits des salariés contre cette société ;
Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et de débouter le CE du CETIM de toutes ses demandes à l'encontre de l'APST ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de remboursement par le CE du CETIM des sommes perçues en exécution du jugement, la présente décision qui infirme le jugement constituant un titre de restitution suffisant, étant ajouté que les intérêts sur la somme ainsi due courront à compter de la signification de l'arrêt qui vaut mise en demeure de payer ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et déboute le CE du CETIM de toutes ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le CE du CETIM aux dépens de première instance et à ceux d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Pour la présidente empêchée