CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 15 juin 2018

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 15 juin 2018
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 4 ch. 1
Demande : 16/23962
Date : 15/06/2018
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 7603

CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 15 juin 2018 : RG n° 16/23962

Publication : Jurica ; Legifrance

 

Extrait : « Cette clause, concernant en particulier les intempéries, la découverte d'anomalies dans le sous-sol et le retard de livraison imputable à une entreprise telle ERDF, n'a nullement pour objet ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n'est pas abusive ; elle ne peut davantage être critiquée en tant que les parties s'en remettent, pour certains événements, à une attestation d'architecte pour établir la cause de la suspension. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 4 CHAMBRE 1

ARRÊT DU 15 JUIN 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/23962 (6 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 octobre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/00791.

 

APPELANTE :

Madame X.

née le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représentée par Maître Sandrine R. de la SCP Société Civile Professionnelle d'avocats H. & associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R285

 

INTIMÉE :

SCI RIVAY WILSON

prise en la personne de ses représentants légaux, N° SIRET : YYY, ayant son siège au [adresse], Représentée et assistée sur l'audience par Maître Alain P., avocat au barreau de PARIS, toque : D1014, substitué sur l'audience par Maître Quentin L., avocat au barreau de PARIS, toque : D1014

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Dominique DOS REIS, Présidente, Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, Madame Christine BARBEROT, Conseillère, qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : M. Christophe DECAIX

ARRÊT : CONTRADICTOIRE - rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Dominique DOS REIS, Présidente, et par Christophe DECAIX, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par acte authentique du 14 novembre 2011, la SCI Rivay-Wilson a vendu en état de futur achèvement à Mme Y. veuve X. un appartement et un emplacement de stationnement dans le volume n° 6 soumis au statut de la copropriété d’un immeuble à édifier [adresse], moyennant le prix de 700.000 euros TTC. Le bien qui devait être livré au plus tard le 30 décembre 2012, a été mis à disposition le 25 février 2014. Par acte extrajudiciaire du 23 décembre 2014, Mme X. a saisi le tribunal en indemnisation du préjudice découlant du retard de livraison réclamant 75.810,33 euros au titre du préjudice matériel, subsidiairement 43.411,16 euros, et 10.000 euros au titre du préjudice moral.

C'est dans ces conditions que le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 19 octobre 2016, a :

- dit que le retard de livraison imputable à la SCI Rivay-Wilson est de 116 jours,

- condamné la SCI Rivay-Wilson à payer à Mme X. une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

- débouté Mme X. du surplus de sa demande,

- condamné la SCI Rivay-Wilson à payer à Mme X. une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la SCI Rivay-Wilson aux dépens.

 

Par dernières conclusions du 26 juin 2017, Mme X., appelante, demande à la Cour de :

- vu les articles 1134, 1147 et 11498 du code civil ;

- débouter la SCI Rivay-Wilson de ses demandes ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SCI Rivay-Wilson ;

- le réformer pour le surplus ;

- condamner la SCI Rivay-Wilson à lui payer une somme totale de 75.810,33 euros à titre de dommages et intérêts ;

- subsidiairement, au cas où serait admise une cause légitime de retard au titre des anomalies du sous-sol :

- condamner la SCI Rivay-Wilson à lui payer une somme totale de 43.411,16 euros à titre de dommages et intérêts ;

- dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

- condamner la SCI Rivay-Wilson à lui payer « la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts supplémentaires, en réparation du préjudice moral » ;

- condamner la SCI Rivay-Wilson à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Rivay-Wilson aux dépens ;

- « ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, sans provision ni caution ».

 

Par dernières conclusions du 25 avril 2017, la SCI Rivay-Wilson prie la Cour de :

- vu les articles 1103, 1104 du code civil ;

- vu l'adage selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un retard fautif de livraison de 116 jours lié au raccordement électrique de l'immeuble au réseau ERDF et en ce qu'il a alloué 2.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral à Mme X. ;

- statuant à nouveau :

- dire que le retard de livraison indemnisable est de 24 jours tout au plus ;

- dire que les clauses de suspension du délai de livraison ne sont pas abusives ni contraires à l'article L. 132-1 du code de la consommation ;

- dire non sincères les justificatifs produits à l'appui du préjudice matériel allégué qui n'est pas démontré ;

- dire que nul préjudice n'est démontré et débouter Mme X. de ses demandes ;

- condamner Mme X. à lui payer une somme complémentaire de 2.500 euros au titre des frais d'appel de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

Sur les causes légitimes de retard :

Les moyens soutenus par Mme X. au soutien de leur appel principal et par la SCI Rivay-Wilson au soutien de son appel incident ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

L'acte énonce une liste de causes légitimes de suspension du délai de livraison en pages 25 et 26 :

« - les intempéries prises en compte par les Chambres Syndicales Industrielles du Bâtiment ou la Caisse du Bâtiment et des Travaux Publics, empêchant les travaux ou l'exécution des « Voies et Réseaux Divers » (V.R.D) selon la réglementation des chantiers du bâtiment. Seules les valeurs de la station météo la plus proche de l'immeuble éditées par Météo France seront prises en compte, les parties déclarant, dès à présent d'un commun accord, s'en rapporter à un certificat établi sous sa propre responsabilité par le maître d'œuvre d'exécution de l'opération.

- la grève [...]

- retard résultant de la liquidation des BIENS, l'admission au régime du règlement judiciaire, du redressement judiciaire, de la liquidation judiciaire ou la déconfiture des ou de l'une des entreprises [...]

- retard provenant de la défaillance d'une entreprise (la justification de la défaillance pouvant être fournie par le VENDEUR à l'ACQUEREUR, au moyen de la production du double de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le Maître d'œuvre du chantier à l'entrepreneur défaillant)

- retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante [...]

- retards provenant d'anomalies du sous-sol (telle que présence de source ou résurgence d'eau, nature du terrain hétérogène aboutissant à des remblais spéciaux ou des fondations particulières, découverte de site archéologique, de poche d'eau ou de tassement différentiel, tous éléments de nature à nécessiter des fondations spéciales ou des reprises ou sous-œuvre d'immeubles avoisinants) et, plus généralement, tous éléments dans le sous-sol susceptibles de nécessiter des travaux non programmés complémentaires ou nécessitant un délai complémentaire pour leur réalisation.

- injonctions administratives ou judiciaires de suspendre, de limiter ou d'arrêter les travaux [...].

- retards imputables aux compagnies cessionnaires de fournitures d'énergie et de ressources ou mission de service public (E.D.F. - G.D.F.- P.T.T. - Compagnie des Eaux, etc...)

- retards de paiement de l'acquéreur [...]

- les retards dans l'exercice par l'ACQUEREUR de ses choix des matériaux et éléments d'équipement laissés à son initiative [...]

- la résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ;

- [...] les troubles résultant d'incendies ou inondations.

Ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier.

Dans un tel cas, la justification de la survenance de l'une de ces circonstances sera apportée par le VENDEUR à l'acquéreur par une lettre du Maître d'œuvre.

Le tout sous réserve des dispositions des articles L. 261-11 du Code de la construction et de l'habitation et 1184 du Code civil. »

Cette clause, concernant en particulier les intempéries, la découverte d'anomalies dans le sous-sol et le retard de livraison imputable à une entreprise telle ERDF, n'a nullement pour objet ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n'est pas abusive ; elle ne peut davantage être critiquée en tant que les parties s'en remettent, pour certains événements, à une attestation d'architecte pour établir la cause de la suspension.

S'agissant des intempéries, dès lors que l'architecte a établi une attestation démontrant le bien-fondé d'une suspension du délai de livraison d'un mois, le tribunal doit être approuvé d'avoir retenu une telle cause justificative de retard pour cette même durée.

S'agissant de la découverte d'anomalies du sous-sol, le jugement entrepris doit être approuvé d'avoir retenu une cause légitime de retard de 9 mois de livraison et d'avoir écarté toute faute du constructeur-vendeur à ce titre. En effet, l'attestation du maître d'œuvre de réalisation du chantier, le groupe RJ et Scyna 4, relate valablement la nécessité pour l'entreprise de gros œuvre et le BET de reprendre leur étude, après la prise de possession des ouvrages existants conservés et réutilisés pour le projet, compte tenu des découvertes que venait de faire cette entreprise de gros œuvre, par reconnaissance, à titre de précaution, de certains puits de béton insuffisamment fondés. Cette découverte a entraîné l'abandon de la méthode du « Up & Down » consistant à superposer les tâches d'infrastructure et de superstructure, afin de ne pas surcharger les puits de béton. Il est établi que la reprise des études, leur validation, l'étaiement, les reprises en sous-œuvre des puits « cyclopéens » l'abandon du « Up & Down » et l'abandon du phasage initialement retenu a engendré un retard légitime de 9 mois. Nulle insuffisance des études préalables n'a été démontrée par Mme X. Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

S'agissant du retard de trois mois pour le raccordement au réseau électrique imputé par la SCI Rivay-Wilson à ERDF, le tribunal doit également être approuvé d'avoir retenu qu'était imputable à la carence du maître d'ouvrage le retard entre le 27 septembre 2012, date de la demande initiale de raccordement, qui a donné lieu par retour à une relance pour pièces manquantes de la part d'ERDF et le 18 avril 2013, date du courriel du maître d'ouvrage fournissant enfin les éléments demandés. Il n'est pas établi qu'ERDF n'aurait pas respecté ses conditions tarifaires pour n'avoir pas soumis de devis avant le 10 juillet 2013 et il n'est pas démontré en particulier qu'elle aurait dû adresser ce devis par retour à partir du 19 avril 2013, date de l'envoi du dossier complet par lettre recommandée par le maître d'ouvrage. En conséquence, le retard de trois mois invoqué comme légitime par le vendeur, qui ne peut valablement soutenir qu'il visait une livraison en septembre 2013 et qu'ERDF n'a pas respecté ses conditions tarifaires de raccordement en 16 semaines à compter du 18 avril 2013, ne peut être retenu. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Les causes légitimes de retard atteignent donc 10 mois seulement ; elles sont à imputer sur le retard global allant du 30 décembre 2012 (selon les écritures de la SCI Rivay-Wilson) au 25 février 2014. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que les causes légitimes de suspension du délai de livraison avaient été en l'espèce de 10 mois.

 

Sur le préjudice :

Le jugement entrepris doit être confirmé d'avoir retenu que Mme X. ne rapportait pas la preuve de la réalité de la dépense de chambres d'hôtels en dépit des factures fournies au nom d'une SARL La C., non mentionnées acquittées, les explications selon lesquelles le montant de ces factures aurait été déduites de son compte courant d'associée dans ladite société n'étant étayées que par une attestation irrégulière en la forme et établie par un prétendu professionnel de l'expertise comptable qui ne livre pas le nom du signataire censé le représenter. Ce document précise d'ailleurs expressément qu'il ne constitue ni un audit, ni un examen limité, ni une présentation des comptes et qu'il n'a pas même pour objectif de donner une assurance sur les comptes annuels de la société. Ces éléments de preuve sont dépourvus de force probante, comme les factures revêtues du cachet de cette même entreprise comptable.

Le préjudice matériel invoqué n'est donc pas caractérisé.

S'agissant du préjudice moral, qui existe certainement par le fait du retard conséquent rendant difficile toute prévision de déménagement, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il en a limité le montant à la somme de 2.000 euros ; la Cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer ce montant à la somme de 8.000 euros.

 

Sur les autres demandes :

Le jugement sera confirmé sur les dépens et sur le montant de l'indemnité de procédure alloué à Mme X.

La SCI Rivay-Wilson versera à Mme X. une somme complémentaire de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en plus de supporter la charge des dépens d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris :

- en ce qu'il a retenu que le retard global de livraison entre le 30 décembre 2012 et le 25 février 2014 était justifié par des causes légitimes atteignant la durée de dix mois,

- en ce qu'il a débouté Mme X. de sa demande au titre du préjudice matériel,

- en ce qu'il a retenu l'existence d'un préjudice moral,

- en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,

Pour le surplus :

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI Rivay-Wilson à payer à Mme X. une somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral,

Statuant à nouveau sur ce point, condamne la SCI Rivay-Wilson à payer à Mme X. une somme de 8.000 euros au titre de son préjudice moral,

Y ajoutant :

Condamne la SCI Rivay-Wilson à verser à Mme X. une indemnité complémentaire de 2.000 euros au titre de l'artucle 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCI Rivay-Wilson aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

Le Greffier,               La Présidente,