CA BESANÇON (1re ch. civ.), 30 octobre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7655
CA BESANÇON (1re ch. civ.), 30 octobre 2018 : RG n° 17/01016
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu qu'en réponse au moyen développé à hauteur de cour par les intimés et pris du caractère abusif de la clause d'indexation, la caisse soutient que la clause litigieuse ne relève pas du régime des clauses abusives puisque le risque de change dans un crédit en devises participe de l'objet du contrat ; Attendu que la clause d'indexation se trouve complétée par d'autres stipulations contractuelles contenues à l'article 11 de la convention (« Dispositions propres aux crédits en devises ») ; que, présentées de façon claire et visible et rédigées en des termes parfaitement compréhensibles, elles informent l'emprunteur des risques liés au changement de parité des devises concernées ; que l'ensemble de ces clauses contractuelles faisant référence à la parité euro/franc suisse participe ainsi de l'objet même du contrat de sorte que la clause litigieuse ne relève pas du régime des clauses abusives en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation pris en son alinéa 7 ; (CJUE, 20 septembre 2017, affaire n° 186/16 - Ruxandra Paula A. C/ Banca R.) ; Attendu qu'il y a lieu, en conséquence de compléter le jugement querellé en déboutant les époux X. de leur demande visant à voir déclarer nulle la clause litigieuse ».
COUR D’APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/01016. N° Portalis DBVG-V-B7B-DZTT. Contradictoire. Audience publique du 25 septembre 2018. S/appel d'une décision du Tribunal de Grande Instance de LONS-LE-SAUNIER en date du 15 mars 2017 [RG n° 15/01069]. Code affaire : 53D. Autres demandes relatives au prêt.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS :
Monsieur X.
né le [date], demeurant [ville]
Madame Y. épouse X.,
demeurant [ville]
Représentés par Maître Bruno G., avocat au barreau de BESANCON et Maître Anne-Sophie R., avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMÉE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL CHAMPAGNOLE MOREZ LES ROUSSES
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège - société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité limitée régie par la Loi du 24.07.1867, du 10.09.1947, de l'ordonnance 58-966 du 16.10.1958, immatriculée au RCS de LONS le SAUNIER n° XXX, dont le siège est sis [adresse] Représentée par Maître Caroline L., avocat au barreau de BESANCON et M Maître e Simon L., avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRATS RAPPORTEURS : Monsieur E. MAZARIN, Président, et Monsieur L. MARCEL, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur E. MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Madame B. UGUEN-LAITHIER et Monsieur L. MARCEL, Conseillers
L'affaire, plaidée à l'audience du 25 septembre 2018 a été mise en délibéré au 30 octobre 2018. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits, procédure et prétentions des parties :
Suivant offre en date du 16 mai 2008, M. X. et son épouse, Mme Y. (ci-après les époux X.) ont souscrit auprès de la société coopérative Caisse de Crédit Mutuel Champagnole Morez (la caisse) un prêt immobilier d'un montant de 280.560 CHF remboursable en 240 mensualités au taux effectif global annuel de 4,065 %.
Considérant que l'évolution de la parité des devises CHF/euro, avait engendré un accroissement de la charge financière de leur crédit, les époux X. ont fait assigner la caisse par acte du 6 novembre 2015 devant le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier aux fins de voir prononcée la nullité des clauses de la stipulation d'intérêts et d'indexation et obtenir en conséquence le prononcé de la déchéance de la banque de son droit aux intérêts.
Par jugement contradictoire rendu le 15 mars 2017 le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier a débouté les époux X. de l'ensemble de leurs prétentions et les a condamnés à payer à la caisse la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration parvenue au greffe le 5 mai 2017 les époux X. ont relevé appel de cette décision et, dans leurs dernières écritures transmises le 16 novembre 2017, ils en poursuivent l'infirmation et demandent à la cour de :
- prononcer la nullité du contrat de prêt et de remettre les parties dans la situation antérieure à l'opération litigieuse,
- déclarer abusive et non écrite la clause d'indexation du contrat de prêt,
- dire que la caisse a manqué à son obligation d'information et de conseil à leur égard et la condamner à leur payer 99.973,80 euros à titre de dommages intérêts en réparation de leurs préjudices,
- dire que le taux effectif global mentionné dans l'offre de crédit est erroné, annuler la clause contractuelle fixant le taux d'intérêt, à défaut, ordonner la déchéance de la caisse de son droit aux intérêts,
- en tout état de cause, condamner la caisse à leur payer 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour sa part, la caisse dans ses dernières écritures, déposées le 30 janvier 2018, la confirmation du jugement critiqué sauf en ce qu'il a jugé que les demandes des époux X. n'étaient pas atteintes par la prescription et demande en outre à la présente juridiction de :
- déclarer irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel la demande de nullité du contrat, subsidiairement de la rejeter,
- condamner les appelants à lui payer 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2018.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
Sur la recevabilité de la demande de nullité du contrat de prêt :
Attendu qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer » ; que l'article 26 de ladite loi précise que lorsque la prescription antérieurement en vigueur est réduite, la nouvelle prescription s'applique à compter du jour de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;
Attendu que dans la présente espèce les époux X. invoquent la nullité du contrat de prêt au motif que la clause dédiée au remboursement du prêt impose à l'emprunteur de rembourser celui-ci en monnaie étrangère ; qu'ils expliquent que le cours légal de la monnaie impose à tout créancier d'une somme d'argent d'en recevoir paiement au moyen d'instruments monétaires libellés dans la monnaie du territoire ; qu'il s'agit d'une règle d'ordre public consacrée tant par la jurisprudence de la Cour de cassation que par celle des juridictions du fond ;
Attendu que la clause litigieuse contenue à l'article 5-3 du contrat dédié au remboursement du crédit stipule : « Tous remboursements en capital, paiements des intérêts et des commissions et cotisations d'assurance auront lieu dans la devise empruntée. La monnaie de paiement est l'euro, l'emprunteur ayant toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leurs prélèvements. Les échéances seront débitées sur tout compte en devises (ou le cas échéant en euros) ouvert au nom de l'un quelconque des emprunteurs dans les livres du préteur » ;
Attendu pour résister à cette prétention des emprunteurs, la banque invoque son caractère nouveau à hauteur de cour, précisant qu'en première instance ceux-ci n'avaient réclamé que la nullité de la clause litigieuse ;
Mais attendu que dès lors que cette prétention vise à obtenir une décision les dispensant de rembourser le prêt dont s'agit, elle n'est pas nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile de sorte qu'elle est recevable ;
Attendu que la caisse expose ensuite, et ce, à juste titre que la clause sus-énoncée est totalement apparente puisqu'elle constitue un élément central du prêt et qu'elle est connue des époux X. depuis la date de signature du contrat ; qu'elle en conclut de façon tout aussi pertinente que la prescription doit courir à l'égard de ce chef de demande à compter du jour de la signature du contrat ; qu'il s'ensuit que l'action en tant qu'elle est fondée sur ce moyen est prescrite et que la demande faite à ce titre est irrecevable ;
Sur la demande de nullité de la clause d'indexation en raison de son caractère abusif :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, pris dans sa rédaction applicable au litige, « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » ; que l'alinéa 7 du même article dispose : « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » ;
Attendu qu'en réponse au moyen développé à hauteur de cour par les intimés et pris du caractère abusif de la clause d'indexation, la caisse soutient que la clause litigieuse ne relève pas du régime des clauses abusives puisque le risque de change dans un crédit en devises participe de l'objet du contrat ;
Attendu que la clause d'indexation se trouve complétée par d'autres stipulations contractuelles contenues à l'article 11 de la convention (« Dispositions propres aux crédits en devises ») ; que, présentées de façon claire et visible et rédigées en des termes parfaitement compréhensibles, elles informent l'emprunteur des risques liés au changement de parité des devises concernées ; que l'ensemble de ces clauses contractuelles faisant référence à la parité euro/franc suisse participe ainsi de l'objet même du contrat de sorte que la clause litigieuse ne relève pas du régime des clauses abusives en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation pris en son alinéa 7 ; (CJUE, 20 septembre 2017, affaire n° 186/16 - Ruxandra Paula A. C/ Banca R.) ;
Attendu qu'il y a lieu, en conséquence de compléter le jugement querellé en déboutant les époux X. de leur demande visant à voir déclarer nulle la clause litigieuse ;
Sur la recevabilité des demandes formées au titre de la clause fixant le taux effectif global :
Attendu que les époux X. invoque la nullité de la clause fixant le taux d'intérêt applicable au prêt ; que subsidiairement ils sollicitent que la banque soit déchue de son droit aux intérêts ; que pour ce faire, ils soutiennent que le TEG mentionné dans le contrat de prêt ne respecte pas la règle de proportionnalité énoncée à l'article R. 313-1 II du code de la consommation et n'intègre pas le coût de l'assurance prétendument facultative ;
Attendu qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui permettent de l'exercer » ;
Attendu qu'en l'espèce, le contrat de prêt indique le taux de période (0,338 %) ainsi que le TEG annuel (4,065 %) ; qu'il suffisait aux époux X. de multiplier par 12 le taux de période pour s'assurer de la régularité du calcul du TEG ; qu'à l'article 5.2. du contrat le coût du crédit est détaillé dans toutes ses composantes ; qu'il est manifeste à la lecture de cette clause que « les cotisations des assurances des emprunteurs optionnelles » ne sont pas incluses dans le coût du crédit ;
Attendu que les époux X. pouvaient donc déceler les prétendues erreurs affectant le TEG dès la conclusion du contrat ; qu'il en résulte que les actions dirigées contre la clause contractuelle fixant le taux d'intérêt applicable au prêt étaient au jour de la saisine de la juridiction de première instance déjà prescrites ;
Sur les manquements de la banque à son obligation d'information :
Attendu que les époux X. font grief à la caisse d'avoir manqué à son obligation d'information, en ne leur expliquant pas précisément les risques inhérents aux crédits souscrits en devises ; qu'en réponse la caisse leur oppose la prescription quinquennale soutenant que celle-ci a couru à compter de la conclusion du contrat ;
Attendu que la prescription d'une action en responsabilité fondée sur l'obligation d'information court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu connaissance avant ; que si les époux X. expliquent n'avoir pris conscience des conséquences du changement de parité des devises sur le coût de leur crédit qu'en 2015 et établissent avoir écrit à la caisse le 21 avril de la même année pour réclamer une renégociation du prêt, ils ne démontrent pas pour autant qu'antérieurement à cette date, le changement de parité n'avait pas eu d'influence défavorable sur le coût du crédit ;
Attendu que les époux X. indiquent dans leurs écritures récapitulatives n° 2 (page 3) que le taux de change n'a cessé de se dégrader de 2008 à 2017 (1 euro / 1,6255 CHF le 27 mai 2008 - 1 euro /1,10084 CHF en juillet 2017 ; qu'il y a lieu d'en déduire que les conséquences d'une parité défavorable se sont nécessairement manifestées dès les premières mensualités de remboursement ; qu'il en résulte que lors de l'introduction de l'instance l'action en responsabilité dirigée contre la caisse pour manquement à son obligation de conseil était prescrite au jour de la saisine de la juridiction de première instance ;
Sur les manquements de la caisse à son obligation de mise en garde :
Attendu qu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste, envers l'emprunteur, dès l'octroi des crédits (Cass. com., du 25 octobre 2017 - n° 16-15.116) ;
Attendu que le contrat de prêt litigieux a été souscrit le 27 mai 2008 ; que l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde engagée par les époux X. le 6 novembre 2015 est dès lors également prescrite ;
Sur la demande de dommages intérêts formée par la caisse :
Attendu que la caisse ne démontre que la procédure diligentée par les époux X. à son encontre revêt un caractère fautif ou procède d'une volonté de lui nuire ; que le jugement critiqué sera par suite confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande ;
Sur les demandes accessoires :
Attendu que le jugement critiqué sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ; que les époux X. qui succombent à hauteur de cour seront condamnés solidairement à payer à la caisse la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel, lesdites condamnations emportant nécessairement rejet de leurs prétentions formées à ces titres ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu le 15 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier sauf dans ses dispositions déboutant la caisse de sa demande de dommages intérêts et relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare irrecevables les prétentions formées par M. X. et son épouse, Mme Y. à l'encontre de la société coopérative Caisse de Crédit Mutuel Champagnole Morez au titre du prêt immobilier souscrit le 16 mai 2008.
Dit que la clause d'indexation insérée dans le contrat de prêt immobilier souscrit le 16 mai 2008 n'est pas abusive et déboute en conséquence M. X. et son épouse, Mme Y. de leur demande tendant à la voir déclarer nulle à ce titre.
Déboute M. X. et son épouse, Mme Y. de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne solidairement sur ce fondement à payer à la société coopérative Caisse de Crédit Mutuel Champagnole Morez la somme de deux mille euros (2.000 euros).
Condamne solidairement M. X. et son épouse, Mme Y. aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Dominique Borowski, greffier.
Le Greffier, le Président de chambre