CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA CHAMBÉRY (2e ch.), 25 octobre 2018

Nature : Décision
Titre : CA CHAMBÉRY (2e ch.), 25 octobre 2018
Pays : France
Juridiction : Chambery (CA), 2e ch.
Demande : 17/01567
Date : 25/10/2018
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 10/07/2017
Décision antérieure : CASS. CIV. 1re, 20 janvier 2021
Décision antérieure :
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 7690

CA CHAMBÉRY (2e ch.), 25 octobre 2018 : RG n° 17/01567 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Il est d'abord inexact de prétendre qu'aucun texte n'encadre les modalités de calcul du taux d'intérêt conventionnel, dans la mesure où l'article R. 313-1 et son annexe, devenu l'article R. 314-3 du code de la consommation, concernant le calcul du TEG et donc celui des intérêts conventionnels qui en constituent l'élément principal, dispose expressément que ce calcul doit être réalisé sur la base d'une année de 365 ou 366 jours. La permanence de cette référence inchangée au travers des décrets des 10 juin 2002, du 1er février 2011, entrée en vigueur le 1er mai 2011 et donc applicable aux trois crédits objets du litige et du décret du 29 juin 2016 tranche avec la volatilité du droit positif que tente de suggérer la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie. Il n'est pas inutile de rappeler que les dispositions du code de la consommation de la consommation sont d'ordre public et que la qualité de consommateur des époux X. et Y. est acquise.

Les deux parties invoquent les positions prises par la Cour de cassation, or cette dernière a largement pris parti pour la prohibition de l'année dite lombarde, ainsi l'arrêt du 19 juin 1993 n° 12-16651, n'est pas isolé puisque réitéré par une décision du 17 juin 2015 n° 14-14326 disposant que le taux conventionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l'année civile dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel. La Cour de cassation n'a pas modifié cette position concernant les prêts immobiliers consentis à des consommateurs. La commission des clauses abusives a, dans le cadre d'une recommandation n° 05-02 du 20 septembre 2005, condamné le recours à l'année de 360 jours.

Le principal argument avancé par le Crédit Agricole pour défendre son calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours est la possibilité pour les parties, au nom de l'autonomie de la volonté qui est de règle en matière contractuelle, de stipuler une base de calcul des intérêts autre que l'année civile, mais le moyen est particulièrement inopérant en l'espèce d'une part parce qu'il a été rappelé que les dispositions du code de la consommation sont d'ordre public, mais surtout parce que concernant les deux prêts les plus importants, ceux consentis le 25 août 2011 chacun pour des montants de 158.000 euros soit 180.647,40 CHF, ne stipulent pas le recours à l'année lombarde sur la base de laquelle la banque a calculé les intérêts en l'absence de toute clause contractuelle le prévoyant.

Quelle qu'en soit l'incidence financière, il s'agit, en l'espèce, non pas de sanctionner une simple erreur de calcul, mais une absence de consentement des emprunteurs au véritable coût du crédit, les privant de la possibilité de comparer de manière pertinente les prêts proposés avec d'autres offres concurrentes.

La nullité de la clause d'intérêt avec substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel n'apparaît dès lors nullement disproportionnée. »

 

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 17/01567. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 1er juin 2017, R.G. n° 16/00423.

 

Appelante :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE

dont le siège social est sis [adresse] prise en la personne de son représentant légal, assistée de Maître Hélène R., avocat au barreau d'ANNECY

 

Intimés :

M. X.

né le [date] à [ville],

et

Mme Y. épouse X.

née le [date] à [ville],

demeurant [adresse], assistés de la SELARL CABINET D'AVOCATS W., avocat postulant au barreau d'ANNECY, Maître Cécile M., avocat plaidant au barreau de GRENOBLE

 

COMPOSITION DE LA COUR : Lors de l'audience publique des débats, tenue en rapporteur, sans opposition des avocats, le 19 juin 2018 par Monsieur Franck MADINIER, Conseiller, qui a entendu les plaidoiries, avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffier, en présence de Fahima K.

Et lors du délibéré, par : - Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président, - Monsieur Franck MADINIER, Conseiller, qui a rendu compte des plaidoiries, - Monsieur Philippe LE NAIL, Vice-Président Placé.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie a consenti aux époux X. et Y. différents prêts immobiliers en devises destinés à financer la construction de leur résidence principale dont :

- une offre de prêt n° 4XX80 du 25 août 2011 d'un montant de la contre-valeur en CHF de la somme de 158.000 euros soit 180.647,40 CHF, à taux révisable (taux indicatif de 2,4267 %), remboursable en 300 mensualités,

- une offre de prêt n° 4YY81 du 25 août 2011 d'un montant de la contre-valeur en CHF de la somme de 158.000 euros soit 180.647,40 CHF, à taux révisable (taux indicatif de 1,6567 %), remboursable en 300 mensualités,

- une offre de prêt n° 4ZZ23 du 31 août 2011 d'un montant de la contre-valeur en CHF de la somme de 44.615 euros, soit 53.391,52 CHF, à taux révisable (taux indicatif de 2,0750 %), remboursable en 300 mensualités.

Ces offres ont fait l'objet d'un acte notarié reçu le 7 février 2012.

Se plaignant de ce que le calcul des intérêts était réalisé, pour chacun de ces trois prêts, sur la base de l'année bancaire de 360 jours, dite année lombarde, et non sur la base de l'année civile, les époux X. et Y. ont saisi le tribunal de grande instance d'Annecy qui par jugement assorti de l'exécution provisoire du 1er juin 2017 a :

- déclaré nulle la stipulation d'intérêts des trois prêts,

- dit que le taux d'intérêt légal de l'année 2011, en vigueur à la date de souscription des prêts, à savoir 0,38 %, devait être substitué aux taux d'intérêt conventionnel des trois prêts,

- condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à verser aux époux X. et Y., avec intérêts de droit à compter du 29 février 2016, les sommes de :

* 2.581,65 CHF au titre du prêt n° 4ZZ23 d'un montant de 53.391,52 CHF,

* 11.058,37 CHF au titre du prêt n° 4XX80 d'un montant de 180.167,40 CHF,

* 6.574,75 CHF au titre du prêt n° 4YY81 d'un montant de 180.167,40 CHF.

- dit que le Crédit Agricole devait établir de nouveaux tableaux d'amortissement conforme à la substitution du taux d'intérêt,

- débouté les époux X. et Y. de leur demande des dommages et intérêts, mais leur a octroyé la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le Crédit Agricole aux dépens.

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, par déclaration au greffe de la cour du 10 juillet 2017, a fait appel de l'ensemble des dispositions du jugement, excepté en ce qu'il a débouté les époux X. de leur demande de dommages et intérêts.

 

Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2018, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie demande à la Cour de réformer le jugement déféré, excepté en ce qu'il a débouté les époux X. de leur demande de dommages et intérêts, de condamner, en conséquence, les époux X. et Y. à lui restituer la somme de 19.850,37 euros qu'elle leur a réglée le 18 août 2017, de dire que le tableau d'amortissement initial sera rétabli à compter de février 2016 et de leur allouer la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que le rapport d'expertise de monsieur Z. est dénué de force probante faute d'avoir été établi contradictoirement, qu'aucune disposition légale encadrerait les modalités de calcul du taux d'intérêt conventionnel, que l'autonomie de la volonté permet de convenir d'un taux d'intérêt sur une base autre que l'année civile, que la Cour de cassation n'a censuré le calcul des intérêts sur la base de l'année lombarde de 360 jours que pour les prêts relais, que certaines cour d'appel ne censureraient pas le recours à l'année lombarde en raison du faible impact pour l'emprunteur.

La sanction applicable ne serait pas automatique, elle relèverait du pouvoir discrétionnaire du magistrat et l'annulation de la clause d'intérêt serait disproportionnée, seul une déchéance partielle des intérêts pourrait être envisagée.

 

Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 décembre 2017, les époux X. et Y. demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré, sauf à leur allouer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dispositions d'ordre public de l'annexe de l'article R. 313-1 du code de la consommation relative au calcul du TEG impliquerait le calcul des intérêts sur la base de l'année civile, la commission des clauses abusives le recommanderait également et la Cour de cassation censurerait le recours à l'année lombarde qui constituerait une cause automatique de nullité de la clause d'intérêt quelque soit son incidence financière dans la mesure où ce qu'elle sanctionne n'est pas une erreur de calcul des intérêts mais une pratique opaque de la banque ne permettant pas aux emprunteurs de connaître avec précision le coût du crédit et de comparer, en pleine connaissance de cause, différentes offres.

Différentes cours d'appel, y compris celle de Paris, annuleraient la stipulation du recours à une année de 360 jours.

Le rapport de monsieur Z. constituerait un moyen de preuve parfaitement pertinent dans la mesure où il a été débattu à l'occasion de l'instance et que le Crédit Agricole n'en contesterait pas les conclusions.

L'annulation de la clause d'intérêt ne serait pas disproportionnée dans la mesure où elle sanctionnerait l'absence de consentement des emprunteurs au coût global du crédit.

 

La clôture de l'instruction est intervenue le 4 juin 2018.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la valeur probante du rapport d'analyse financière de monsieur Z. :

Les époux X. et Y., ayant indiscutablement la qualité de consommateur, ont fait procéder, de manière non contradictoire, à une analyse financière par monsieur Z., conseil d'entreprise et analyste en mathématiques financières, concernant les trois prêts immobiliers précédemment détaillés consentis par le Crédit Agricole pour la construction de leur résidence principale, mais cette circonstance n'interdit pas aux intimés de se prévaloir de cette étude, ni à la cour d'en apprécier la valeur probante dans la mesure où elle a été versée aux débats dès la première instance, permettant aux parties d'en débattre tant devant le tribunal que devant la cour durant deux ans et dix mois.

Or, force est de constater que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie, qui en a eu le temps et les moyens en sa qualité d'établissement de crédit professionnel et qui conclut longuement, conteste le principe du recours à ce mode de preuve, mais ne contredit à aucun moment les constatations et les conclusions du dit rapport que ce soit par ses propres analyses qu'elle avait tout loisir de développer aux cours des instances ou par l'établissement d'analyse par des sachants.

Il est donc établi que dans le cadre des trois crédits litigieux, le Crédit Agricole a procédé aux calculs des intérêts sur la base d'une année de 360 jours, dite année bancaire ou année lombarde et non sur la base de l'année civile de 365 ou 366 jours, alors, au surplus, que si les conditions générales du prêt du 31 août 2011 le prévoient expressément, les deux prêts du 25 août 2011, les plus importants quant à leur montant, ne le stipulent pas.

 

Sur l'illicéité du calcul des intérêts annuel sur la base de 360 jours :

Il est d'abord inexact de prétendre qu'aucun texte n'encadre les modalités de calcul du taux d'intérêt conventionnel, dans la mesure où l'article R. 313-1 et son annexe, devenu l'article R. 314-3 du code de la consommation, concernant le calcul du TEG et donc celui des intérêts conventionnels qui en constituent l'élément principal, dispose expressément que ce calcul doit être réalisé sur la base d'une année de 365 ou 366 jours.

La permanence de cette référence inchangée au travers des décrets des 10 juin 2002, du 1er février 2011, entrée en vigueur le 1er mai 2011 et donc applicable aux trois crédits objets du litige et du décret du 29 juin 2016 tranche avec la volatilité du droit positif que tente de suggérer la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie.

Il n'est pas inutile de rappeler que les dispositions du code de la consommation de la consommation sont d'ordre public et que la qualité de consommateur des époux X. et Y. est acquise.

Les deux parties invoquent les positions prises par la Cour de cassation, or cette dernière a largement pris parti pour la prohibition de l'année dite lombarde, ainsi l'arrêt du 19 juin 1993 n° 12-16651, n'est pas isolé puisque réitéré par une décision du 17 juin 2015 n° 14-14326 disposant que le taux conventionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l'année civile dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel.

La Cour de cassation n'a pas modifié cette position concernant les prêts immobiliers consentis à des consommateurs.

La commission des clauses abusives a, dans le cadre d'une recommandation n° 05-02 du 20 septembre 2005, condamné le recours à l'année de 360 jours.

Le principal argument avancé par le Crédit Agricole pour défendre son calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours est la possibilité pour les parties, au nom de l'autonomie de la volonté qui est de règle en matière contractuelle, de stipuler une base de calcul des intérêts autre que l'année civile, mais le moyen est particulièrement inopérant en l'espèce d'une part parce qu'il a été rappelé que les dispositions du code de la consommation sont d'ordre public, mais surtout parce que concernant les deux prêts les plus importants, ceux consentis le 25 août 2011 chacun pour des montants de 158.000 euros soit 180.647,40 CHF, ne stipulent pas le recours à l'année lombarde sur la base de laquelle la banque a calculé les intérêts en l'absence de toute clause contractuelle le prévoyant.

Quelle qu'en soit l'incidence financière, il s'agit, en l'espèce, non pas de sanctionner une simple erreur de calcul, mais une absence de consentement des emprunteurs au véritable coût du crédit, les privant de la possibilité de comparer de manière pertinente les prêts proposés avec d'autres offres concurrentes.

La nullité de la clause d'intérêt avec substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel n'apparaît dès lors nullement disproportionnée.

Le Crédit Agricole ne conteste pas en lui-même le calcul des sommes qu'il a été condamné à restituer aux époux X. et Y. suite à la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé de ce chef.

 

Sur les dommages et intérêts :

Les époux X. et Y. sollicitent l'allocation de 5.000 euros de dommages et intérêts mais ils n'établissent pas de préjudice qui ne soit pas réparé par la restitution d'intérêts dont ils ont bénéficié ou par l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

 

Sur les demandes annexes :

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie sera condamnée à payer aux époux X. et Y. la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Elle supportera également les dépens exposés en appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à dire qu'il n'y a plus lieu à assortir la condamnation de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie d'avoir à établir de nouveau tableau d'amortissement d'une astreinte puisque le jugement a intégralement été exécuté par la banque.

Déboute, en conséquence, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie de l'intégralité de ses autres prétentions.

Y ajoutant,

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à payer aux époux X. et Y. la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie à supporter les dépens exposés en appel et autorise maître Wilfried W., avocat, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Ainsi prononcé publiquement le 25 octobre 2018 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Franck MADINIER, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffier.