CA AMIENS (ch. écon.), 27 juin 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7858
CA AMIENS (ch. écon.), 27 juin 2019 : RG n° 16/06169 ; arrêt n° 235
Publication : Jurica
Extrait : « La société EDS a saisi par acte d'huissier du 29 mai 2015 le tribunal de commerce de Valencienne au visa des articles 1147, 1156 et 1161 du code civil et L. 442-6 du code de commerce de diverses demandes tenant à la condamnation de la société NLMK à lui payer les sommes de 200.000 euros à titre d'indemnité de rupture, 332.080 euros à titre de dommages et intérêts, 40.103,52 euros au titre du rachat du stock, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.
Ce texte qui participe à l'instauration d'une police économique est d'ordre public.
Selon l'article D. 442-3 du même code, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. In fine cet article prévoit que la cour d'appel de Paris est seule compétente pour connaître de l'appel des décisions rendues par ces juridictions. Il ressort du tableau de l'annexe 4-2-1 susvisé que le tribunal de commerce de Tourcoing est seul compétent pour connaître de l'application de l'article L.442-6 dans le ressort des cours d'appel d'Amiens, Douai, Reims et Rouen.
La société EDS soutient que la compétence du tribunal de commerce de Saint-Quentin et à sa suite celle de la cour d'appel d'Amiens ne peuvent plus être discutées en application de l'article 96 ancien du code de procédure civile applicable à la présente espèce. Cet article prévoit que la désignation par le juge qui se déclare incompétent de la juridiction qu'il estime compétente s'impose aux parties et au juge de renvoi.
Cette disposition qui relève du traitement des exceptions d'incompétence ne saurait avoir pour effet de conférer à une juridiction le pouvoir juridictionnel de connaître de l'application de l'article L. 422-6 du même code que le pouvoir réglementaire a réservé à un nombre limité de juridictions dont elle ne fait pas partie et bouleverser ainsi les règles de compétence d'attribution d'ordre public. En conséquence, la désignation du tribunal de commerce de Saint-Quentin par le tribunal de commerce de Valenciennes saisi par la société NLMK d'une exception d'incompétence territoriale ne donne pas le pouvoir juridictionnel au tribunal de commerce de Saint-Quentin de statuer sur l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Le défaut de pouvoir juridictionnel d'une juridiction pour connaître de l'application de l'article L.442-6 du code de commerce a pour effet de rendre irrecevables les demandes formées devant cette juridiction en application de cet article. Les chefs d'une décision émanant d'une juridiction qui n'étant désignée pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce, a cependant statué sur des demandes tendant à l'application de cet article sont frappés de nullité.
La lecture du jugement permet de constater que le tribunal s'est penché sur le contenu des obligations respectives des parties, a statué sur l'imputabilité de la rupture en ayant retenu la faute exclusive de la société NLMK et sur la qualification de la clause de l'article 7, à savoir si elle présente ou non le caractère d'une clause pénale et la possibilité en résultant de réduire ou pas le montant de l'indemnité prévue par cette clause.
Le préjudice réparable sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce étant celui qui résulte de la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même, ceux des chefs précités du jugement qui n'empiètent en aucune façon sur le champ d'application de l'article L. 442-6 ne sauraient être annulés.
En revanche, le jugement comprend un développement intitulé « sur la rupture abusive du contrat » introduit par un attendu ainsi rédigé « le contrat ayant été rompu brutalement, sans aucun préavis, unilatéralement de la part de NLMK, la société EDS est en droit de solliciter le paiement d'une indemnité de rupture abusive, compte tenu que le contrat comporte plusieurs motifs de facturation ».
Le contrat en cause rappelle qu'antérieurement à sa conclusion les parties entretenaient des relations contractuelles depuis l'année 2006. Il existait en conséquence entre les parties une relation contractuelle établie au sens de l'article L.442-6 du code de commerce.
L'attendu ci-avant constitue la seule motivation retenue par le tribunal pour caractériser l'existence d'un abus de la part de la société NLMK dans la rupture du contrat, cette brutalité tenant à l'absence de préavis et au fait qu'elle émane unilatéralement de la société NLMK, critères qui relèvent spécifiquement du domaine de la responsabilité spéciale instituée par l'article L.442-6 du code de commerce.
Le reste du développement sur la rupture abusive étant seulement consacré à la détermination du préjudice en résultant, le tribunal fait ainsi dépendre directement et exclusivement le caractère abusif de la rupture de sa brutalité ;
Il s'ensuit que le tribunal de commerce de Saint-Quentin même s'il ne se réfère pas expressément à l'article L. 442-6 du code de commerce a statué sur un domaine que la loi réserve exclusivement à certaines juridictions dont il ne fait pas partie et il ne pouvait donc pas sans commettre un excès de pouvoir statuer sur la réparation du préjudice.
Les chefs du jugement figurant dans les motifs sous l'intitulé « sur la rupture abusive du contrat » et le chef du dispositif « condamne la société NLMK Colours à payer à la société Emballage diffusion service EDS la somme de 317 464 euros HT » sont en conséquence annulés.
La présente cour n'ayant pas plus que le tribunal de commerce de Saint-Quentin le pouvoir juridictionnel de statuer sur l'application de l'article L.442-6, la dévolution du litige ne peut pas en tout état de cause porter sur les chefs du jugement qui ont été annulés.
Toutefois, les demandes de la société EDS exprimées dans ses dernières conclusions qui seules saisissent la cour étant exclusivement articulées sur les principes de la responsabilité contractuelle instituée par les articles du code civil, sur le fondement desquels les premiers juges étaient déjà saisis, ces demandes sont recevables.
Outre que le principe du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle interdit seulement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle, il s'avère que dans la présente espèce, l'abandon par la société EDS de tout autre fondement à ses demandes que celui qui résulte de la responsabilité contractuelle de droit commun rend inopérant le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société NLMK tenant à l'existence d'un cumul de deux régimes de responsabilité. »
COUR D’APPEL D’AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRÊT DU 27 JUIN 2019