TGI TOULOUSE, 6 juillet 1993
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 797
TGI TOULOUSE, 6 juillet 1993 : RG inconnu
(sur appel CA Toulouse, 6 décembre 1995 : RG n° 4197/93 ; arrêt n° 664)
Extraits : 1/ « Il convient de noter que si le [COMPTOIR] soutient que le bon de commande litigieux a été retiré du marché en mars 1991, en produisant aux débats un bon dont il n'est pas contesté qu'il est conforme à la loi, force est de constater que le [COMPTOIR] ne justifie pas ni de la date de mise en service de ce bon ni de la destruction de l'ancien bon critiqué. Le défendeur ne s'explique d'ailleurs pas sur l'argument tiré par l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir de l'envoi de ce seul bon lors de l'étude réalisée puis publiée par cet organisme, envoi qui n'aurait pu qu'être accompagné des réserves d'usage si le nouveau bon de Commande dont l'utilisation est à ce jour invoquée était alors en cours d'impression ou de diffusion auprès des concessionnaires. Le [COMPTOIR] n'établit donc pas qu'à la date de l'assignation le 29 octobre 1991, le bon litigieux n'était plus en usage et le moyen tiré de l'irrecevabilité sera en conséquence rejeté.
A titre surabondant, il faut rappeler que si selon l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 sur l'action collective des organisations de consommateurs, les associations mentionnées à l'article 1er peuvent demander à la juridiction civile d'ordonner le cas échéant sous astreinte, la suppression des clauses abusives dans les modèles de convention habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs, la notion de « modèles de conventions habituellement proposés » doit nécessairement s'entendre des contrats de masse conclus ou en cours, interprétation seule conforme à l'esprit de la loi du 5 janvier 1988 votée dans le souci d'une meilleure protection des consommateurs, aucun argument de texte ne permettant en outre, de limiter le champ d'application de cette loi aux seul contrats conclu dans l'avenir. »
2/ « - Déclare illégale la clause du bon de commande du [COMPTOIR] attribuant compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse ;
- Dit que sont abusives les clauses de ce bon aux termes desquelles :
1°) compétence est attribuée à la juridiction commerciale en cas de contestation,
2°) Toute commande ne devient définitive qu'après accord de la Direction,
3°) Il est bien entendu qu'un retard ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni donner droit aux dommages et intérêts ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TOULOUSE
JUGEMENT DU 6 JUILLET 1993
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DEMANDEUR (S) :
UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS UFC QUE CHOISIR
DÉFENDEUR :
SARL COMPTOIR GÉNÉRAL D'AMEUBLEMENT TEISSEIRE INTERNATIONAL
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans le courant de l'année 1991, l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir a publié dans son mensuel d'information une étude comparative des prestations proposées par des vendeurs-installateurs de cuisine parmi lesquels le COMPTOIR GENERAL D'AMEUBLEMENT TEISSEIRE INTERNATIONAL.
Par acte du 29 octobre 1991, l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir a assigné le [COMPTOIR] afin de le voir condamner à supprimer de ses contrats, modèles de contrats et bons de commande les clauses compromissoires, celles supprimant le droit du consommateur à réparation en cas de manquement du vendeur à ses obligations de livrer dans les délais et enfin, celles soumettant la conclusion du contrat à l'approbation du vendeur.
L'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir fonde sa demande sur les dispositions de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 et rappelle qu'une abondante jurisprudence a déjà condamné le type de clause employé par le défendeur.
Elle soutient que le [COMPTOIR] ne justifie pas du fait que ses contrats auraient été remplacés par un nouveau modèle conforme à la loi et relève le caractère spécieux du raisonnement du défendeur qui ne saurait voir valider les clauses illégales ou abusives contenues dans les contrats déjà conclus ou en cours.
Elle expose que la clause attributive de compétence au Tribunal de Commerce est manifestement abusive compte tenu de la qualité de commerçants des juges consulaires, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la Commission des Clauses
Abusives dans sa recommandation du 24 février 1979. Elle soulève par ailleurs l'illégalité pure et simple de la clause attribuant compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse, illégalité admise par le [COMPTOIR] qui ne l'a cependant pas supprimé de ses contrats depuis 1975.
Elle invoque la non conformité à l'article 2 du décret du 24 mars 1978 de la clause relative à l'absence de sanction du manquement du vendeur à son obligation de délivrance, clause qui figure dans les deux types de contrats utilisés par le défendeur pour les installations de cuisine et la vente de meubles. Elle conclut à l'illégalité de cette clause que ce soit pour le contrat de vente pur et simple ou pour le contrat prévoyant l'installation de cuisines, improprement qualifié contrat d'entreprise par le défendeur.
Enfin, elle soutient que le [COMPTOIR], commerçant, est en état de pollicitation permanente et qu'est abusive et condamnée par la Commission des Clauses Abusives la clause de confirmation des commandes.
Elle stigmatise enfin la mauvaise foi du [COMPTOIR] qui prétend ne pas devoir supprimer de ses contrats des clauses déjà condamnées par la commission susvisée et, sollicitant l'interdiction des clause concernées sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée, elle réclame les sommes de 130.000 francs à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice collectif subi par les consommateurs et de 6.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le [COMPTOIR] réplique qu'un nouveau bon de commande a remplacé l'ancien au mois de mars 1991. Il conclut à l'irrecevabilité de l'action, l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 ne visant que les modèles de convention « habituellement proposés » ce qui exclut les contrats déjà conclu et le contrat visé par la demanderesse n'étant plus en vigueur.
Sur le fond, il fait valoir que les recommandations de la Commission des Clauses Abusives n'ont pas de valeur réglementaire.
Il conteste le caractère abusif de la clause de confirmation de commande par la direction qui n'est qu'un élément du traitement de la commande puisqu'elle traduit simplement l'avis de réception de celle-ci et la confirmation par le service technique du siège que la commande prise par le service commercial est techniquement réalisable.
S'il admet que la clause de limitation du droit à réparation par le vendeur en cas de manquement à ses obligations est contraire à l'article 2 du décret du 24 mars 1978, il soutient que ce texte ne vise que les contrats de vente et non ceux de louage d’ouvrage qu'il met en œuvre.
Il soutient en conséquence que cette clause n'est ni illicite ni abusive.
Il conteste enfin le caractère compromissoire de la clause attributive de compétence, aucun texte n'interdisant de manière expresse de déroger aux clauses de compétence d’attribution et le Tribunal de Commerce étant compétent pour les actes mixtes. Enfin, il fait valoir que la mention attribuant compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse a été insérée avant la promulgation du Nouveau Code de Procédure Civile et qu'elle était valide avant 1975. Il indique au surplus que réalisant la majorité de ses ventes dans la région toulousaine, le préjudice éventuel subi par le consommateur est très minime.
Il conclut en conséquence au débouté, l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir n'apportant de surcroît aucune preuve du préjudice subi par les consommateurs. Il réclame les sommes de 30.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 8.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
[...]
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la recevabilité :
Il convient de noter que si le [COMPTOIR] soutient que le bon de commande litigieux a été retiré du marché en mars 1991, en produisant aux débats un bon dont il n'est pas contesté qu'il est conforme à la loi, force est de constater que le [COMPTOIR] ne justifie pas ni de la date de mise en service de ce bon ni de la destruction de l'ancien bon critiqué. Le défendeur ne s'explique d'ailleurs pas sur l'argument tiré par l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir de l'envoi de ce seul bon lors de l'étude réalisée puis publiée par cet organisme, envoi qui n'aurait pu qu'être accompagné des réserves d'usage si le nouveau bon de Commande dont l'utilisation est à ce jour invoquée était alors en cours d'impression ou de diffusion auprès des concessionnaires. Le [COMPTOIR] n'établit donc pas qu'à la date de l'assignation le 29 octobre 1991, le bon litigieux n'était plus en usage et le moyen tiré de l'irrecevabilité sera en conséquence rejeté.
A titre surabondant, il faut rappeler que si selon l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988 sur l'action collective des organisations de consommateurs, les associations mentionnées à l'article 1er peuvent demander à la juridiction civile d'ordonner le cas échéant sous astreinte, la suppression des clauses abusives dans les modèles de convention habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs, la notion de « modèles de conventions habituellement proposés » doit nécessairement s'entendre des contrats de masse conclus ou en cours, interprétation seule conforme à l'esprit de la loi du 5 janvier 1988 votée dans le souci d'une meilleure protection des consommateurs, aucun argument de texte ne permettant en outre, de limiter le champ d'application de cette loi aux seul contrats conclu dans l'avenir.
Sur le fond :
L'article 35 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 dispose « Dans les contrats conclu entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets pris en Conseil d'État après avis de la Commission instituée par l'article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif. »
La première clause litigieuse est ainsi libellée :
« Toute commande ne devient définitive qu'après accord de la Direction ».
Cette clause donne au seul professionnel un délai de réflexion supplémentaire après la conclusion du contrat. Son but, non avoué le plus souvent, est en fait de vérifier la solvabilité du cocontractant. Si le [COMPTOIR] invoque des contraintes techniques pour la justifier, force est de constater que sa qualité de professionnel ne l'autorise pas à faire supporter par le consommateur les contraintes inhérentes à sa profession. Par ailleurs, un commerçant est en état d'offre de vente permanente et un contrat est parfait par l'accord des parties sur la prestation demandée et le prix de celle-ci. Dès lors, cette clause est manifestement abusive en ce qu'elle suspend la validité du contrat à l'accord de la Direction sans accorder, corrélativement au consommateur un délai pour se rétracter lui-même de son engagement. Elle a d'ailleurs été classée comme clause abusive par la résolution 80-03 de la Commission des Clauses Abusives. Il sera en considération de l'ensemble de ces éléments fait droit à la demande de l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir visant à faire juger cette clause comme abusive dans le bon de commande du [COMPTOIR].
La deuxième clause est ainsi libellée :
« Nous nous efforçons de toujours les respecter les délais de livraison, mais il est bien entendu qu'un retard ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni donner droit aux dommages et intérêts. »
Comme l'admet le [COMPTOIR], cette clause est contraire à l'article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, selon lequel dans les contrats de vente conclus entre des professionnels d'une part et d'autre part des non-professionnels ou consommateurs est interdite comme abusive au sens de l'alinéa 1er de l'article 35 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque des obligations.
Si ce texte vise effectivement le seul contrat de vente, force est de constater que rien n'établit que le bon de commande litigieux ne concerne pas la vente simple de meubles.
Par ailleurs, si l'objet du présent litige n'est pas de qualifier juridiquement le contrat passé entre le consommateur et le [COMPTOIR], vendeur-installateur de cuisines, force est de constater que la clause susvisée est contraire à l'article 1142 du Code civil selon lequel « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ».
Cette clause confère donc un avantage excessif au professionnel par rapport à la théorie générale des obligations contractuelles, d'autant que le délai de livraison annoncé constitue un élément important du choix du consommateur et qu'on ne saurait admettre qu'un acheteur soit tenu par le contrat sans limitation de temps alors qu'il peut avoir un besoin urgent des meubles commandés qu'un autre fournisseur pourrait lui livrer dans des délais plus rapides.
Ce type de clause a été stigmatisé par la Commission des Clauses Abusives dans ses résolutions 80-05 et 80-06.
Il sera, en considération de l'ensemble de ces éléments fait droit à la demande de l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir visant à faire juger cette clause comme abusive dans le bon de commande du [COMPTOIR]
La troisième clause est ainsi libellée :
« De convention expresse en cas de contestation, le Tribunal de Commerce de Toulouse est seul compétent ».
Le défendeur ne conteste que la clause attributive de compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse soit illégale et ce n'est pas sans une mauvaise foi certaine qu'il soutient qu'elle n'a pu avoir que peu de conséquences eu égard au caractère régional de sa clientèle. Il convient de relever par ailleurs que soutenant avoir une politique commerciale à l'écoute des consommateurs, le [COMPTOIR], a cependant maintenu cette clause depuis 16 ans, le Nouveau Code de Procédure Civile promulgué en 1975 ayant interdit ce type de clause antérieurement admise.
Pour ce qui est de la compétence de la juridiction commerciale, il convient de rappeler que le commerçant demandeur doit assigner le non-commerçant devant le Tribunal Civil et que seul le non-professionnel demandeur peut à son choix agir devant le Tribunal Civil ou devant le Tribunal de Commerce. Si certaines décisions judiciaires admettent la validité de la clause attribuant compétence au Tribunal de Commerce pour des actes mixtes, il convient cependant de considérer qu'une telle cause constitue une dérogation aux règles normales de compétence dont le consommateur peut sous-estimer l'importance ; il s'agit donc là d'une clause conférant un avantage excessif au professionnel et elle doit être considérée comme abusive ; ayant d'ailleurs été ainsi qualifiée par la recommandation 79-02 de la Commission des Clauses Abusives.
Il convient en conséquence de faire droit à l'ensemble des demandes de l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir en ce qui concerne les clauses litigieuses et le [COMPTOIR] sera condamné à les supprimer de ses bons de commande dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et passé ce délai sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée.
[...]
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi :
- Rejette le moyen d'irrecevabilité de la demande ;
- Déclare illégale la clause du bon de commande du [COMPTOIR] attribuant compétence au Tribunal de Commerce de Toulouse ;
- Dit que sont abusives les clauses de ce bon aux termes desquelles :
1°) compétence est attribuée à la juridiction commerciale en cas de contestation,
2°) Toute commande ne devient définitive qu'après accord de la Direction,
3°) Il est bien entendu qu'un retard ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande, ni donner droit aux dommages et intérêts ;
- Ordonne avec exécution provisoire la suppression de ces clauses du bon de commande litigieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et passé ce délai sous astreinte de 1.000 francs par infraction constatée ;
[...]