CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 9 janvier 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 9091
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 9 janvier 2019 : RG n° 17/09617
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Sur l'exception de prescription partielle des demandes de la société Financière d'Aguesseau : Pour solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré prescrite sa demande portant sur les factures des 15 mars et 15 septembre 2009 ayant donné lieu à un paiement antérieur au 1er décembre 2009 pour un montant total de 160.000 euros, la société MJ Synergie, ès-qualités, fait valoir que la fraude des intimées résultant de l'existence de prestations fictives de coopération commerciale ayant pour but exclusif de contourner la loi LME par l'instauration de marges arrières, a eu pour conséquence de suspendre la prescription quinquennale, à tout le moins pendant la durée de la relation commerciale qui a pris fin le 1er janvier 2013.
Les intimées répliquent que du fait de la prescription quinquennale de l'action en remboursement d'une facture dont le point de départ est la date de son établissement, la société Mj Synergie, ès-qualités, qui les a assignées le 1er décembre 2014, ne peut solliciter la restitution des sommes versées avant le 1er décembre 2009, c'est-à-dire des sommes versées au titre des factures des 15 mars et 15 septembre 2009, soit 160.000euros (40.000 euros + 120.000 euros). S'agissant du moyen tiré de la fraude, elles se réfèrent d'une manière générale aux causes légales de suspension de la prescription et notamment aux articles 2234 et suivants du code civil.
Ceci étant exposé, à supposer avérée la fraude susceptible de suspendre le cours de la prescription quinquennale que la société Mj Synergie, ès-qualités, invoque, il n'en demeure pas moins que cette suspension aurait cessé au jour de la découverte de cette fraude par la société Espas, le délai de prescription courant à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or, la société Mj Synergie, ès-qualités, s'abstient de préciser à quelle date elle a eu connaissance de cette fraude et partant, celle du point de départ de la prescription. Il apparaît qu'à la lecture des factures en cause, elle aurait pu ou aurait dû s'apercevoir des éléments dont elle déplore l'existence dans la présente instance, comme constituant des critères permettant de présumer le caractère fictif des prestations (non-respect des conditions de forme, absence de mentions permettant d'identifier la réalité et la consistance des services rendus...) Par suite, le point de départ de la prescription se situe au jour de l'émission des factures et, à tout le moins, au jour du paiement de ces factures par la société Espas (30 jours à compter de leur établissement). La société Mj Synergie, ès-qualités, ayant assigné par exploit du 1er décembre 2014, elle ne peut solliciter la restitution des sommes versées antérieurement au 1er décembre 2009, soit la somme totale non contestée de 160.000 euros correspondant aux factures des 15 mars et 15 septembre 2009. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef. »
2/ « Au regard des articles L. 442-6, I, 1°, et III, L. 441-6, L. 441-7 et L. 441-3 du code de commerce dans leur version applicable, il incombe aux sociétés intimées d'une part, de justifier la spécificité des services rendus au titre de la coopération commerciale et payés par la société Espas, en ce qu'ils donnent droit à un avantage particulier au fournisseur en stimulant la revente de ses produits et qu'ils doivent par conséquent aller au-delà des simples obligations résultant des opérations d'achat-vente et d'autre part, de démontrer la réalité de ces services, laquelle ne peut résulter du seul fait que les factures aient été payées sans réserve. »
3/ « Ceci étant exposé, c'est par de justes motifs que la cour adopte, aucun élément de fait ou de droit de nature à les remettre en cause n'étant produits en appel, que les premiers juges ont considéré que la société Mj Synergie ès-qualités ne rapportait pas la preuve d'une soumission ou d'une tentative de soumission conduisant à un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
En effet, il ressort des pièces produites que dans le cadre de l'établissement des accords commerciaux, les parties ont mené de véritables négociations au cours desquelles la société Financière d'Aguesseau a été en mesure de faire valoir son point de vue sur les services proposés et les taux de rémunération dès lors que notamment, :
- dans le cadre de l'accord de 2009, elle a obtenu la suppression d'une clause de reprise des invendus souhaitée par la société EMC, ce dont elle l'a remerciée (« Nous vous remercions de nous avoir déjà répondu positivement à notre demande dans votre réponse du même jour.. ») en lui confirmant les motifs de son refus (ses prix ne tiennent pas compte d'un retour éventuel, elle a recours à un factor, cela compromettrait gravement l'équilibre financier de son entreprise (lettre recommandée du 6 février 2009 pièce intimées n° 6),
- dans le cadre de l'accord de 2011, elle a obtenu une baisse significative du « total remises » qui est passé de 23 % à 22,1 %, et qu'une ristourne de 1 % pour la mise en place d'une opération commerciale spécifique ne s'applique qu'au seul profit de l'enseigne Casino, à l'exclusion des autres enseignes.
Il est donc établi que les conditions contractuelles étaient discutées entre les parties et que la société Financière d'Aguesseau était en mesure d'obtenir que des modifications, non négligeables, y soient apportées.
En outre, les premiers juges ont justement relevé que la société financière d'Aguesseau qui achetait les produits qu'elle distribuait et pouvait ainsi en apprécier le prix de revient, ne produisait aucun élément permettant d'évaluer dans quelle mesure les remises consenties l'obligeaient à un effort économique susceptible de caractériser le déséquilibre économique qu'elle invoquait. La cour observe qu'elle n'en produit pas plus en appel et qu'en outre, elle n'établit pas, ni même n'allègue, avoir contesté précédemment les ristournes consenties entre 2010 et 2012, ses premières contestations datant de décembre 2014. Enfin, il convient de relever, comme le soulignent à raison les sociétés intimées, la bonne connaissance du marché de la société Financière d'Aguesseau, qui fournissait les principaux grands distributeurs (notamment la société Carrefour), et était parfaitement en mesure d'apprécier les taux de rémunérations consentis par rapport aux services rendus.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas démontré que les sociétés intimées aient imposé ou tenté d'imposer à la société Financière d'Aguesseau des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Mj Synergie, ès-qualités, de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
Enfin, il ne ressort d'aucune des pièces produites que la société Financière d'Aguesseau ait été soumise par les sociétés intimées à la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales établies de sorte que la société Mj Synergie, ès-qualités, sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée sur le fondement de l'article L. 442-6-I-4° du code de commerce. »
4/ « Sur la demande de publication : Eu égard à la nature et à l'importance de l'affaire, et au caractère particulièrement pédagogique de l'arrêt à intervenir, la société Mj Synergie, ès-qualités, sollicite également l'autorisation de publier la décision à intervenir en entier ou par extraits dans 2 journaux quotidiens et 3 magazines hebdomadaires au choix de la demanderesse et aux frais des sociétés Casino et AMC dans la limite globale de 20.000 euros HT. Mais, des mesures de publication n'apparaissent pas nécessaires pour assurer une plus ample réparation du dommage. Par suite, la société Mj Synergie, ès-qualités, sera débouté de la demande formée à ce titre. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 9 JANVIER 2019