CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 février 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8101
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 6 février 2019 : RG n° 18/21919
Publication : Jurica
Extrait : « Le 31 août 2017, la société France Brevets a notifié à la société Mobilead la résiliation du contrat en ces termes : « Depuis, le 18 avril 2014, « le niveau d'inventivité du programme de Patent Factory MobiLead n'a malheureusement pas été à la hauteur de nos attentes. En effet, en quatre ans, sur les 21 idées d'invention issues de la Patent Factory Mobilead, seules trois d'entre elles ont pu faire l'objet de demandes de brevet et être déposées en 2015 et 2016. Or, le programme requiert un nombre plus important d'idées d'invention et de dépôts de brevets pour fonctionner. En conséquence, nous considérons qu'il est à la fois dans l'intérêt de France Brevets et dans celui de Mobilead de mettre un terme à ce programme de Patent Factory. Aussi nous vous informons de notre volonté de résilier le contrat cité en référence à compter du 30 novembre 2017. A compter de cette date, les frais et obligations afférents aux brevets ne seront plus supportés par France Brevet. (...) ».
La résiliation, même si elle contient un reproche de défaut d'inventivité, n'a pas été mise en œuvre pour faute de la société Mobilead, mais sur le fondement de l'article 7.3 du contrat prévoyant la résiliation pour convenance personnelle (sans motif) de la « licensing entity » (France Brevets) : « [France Brevets] dispose du droit de mettre fin au Contrat après chaque Réunion Trimestrielle en notifiant sa décision par écrit à [MobiLead] dans les 30 jours suivant chaque Réunion Trimestrielle ».
La société Mobilead ne peut qualifier la clause en question d’« obligation contractée sous une condition potestative », car il s'agit d'une faculté de mettre un terme au contrat sans condition : l'exécution du contrat ne dépend donc pas d'un événement qu'une seule partie a le pouvoir de faire survenir ou d'empêcher. En conséquence, l'article 1174 ancien du code civil, invoqué par la société appelante, aux termes duquel « toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige » ne trouve pas à s'appliquer.
S'agissant de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, réprimant le déséquilibre significatif, il prévoit qu’« est interdit le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de : (…) soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto. La preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés.
La mise en œuvre de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce suppose l'existence d'un rapport de force entre les cocontractants ayant permis à l'un d'eux de soumettre ou de tenter de soumettre son partenaire commercial, lors de la conclusion du contrat, à des obligations manifestement déséquilibrées ; si les contrats d'adhésion ne permettent pas a priori de négociations entre les parties, il incombe néanmoins à la partie qui invoque l'existence d'un déséquilibre significatif de rapporter la preuve qu'elle a été soumise, du fait du rapport de force existant, à des obligations injustifiées et non réciproques.
Or, en l'espèce, il résulte de la relation des faits par la société France Brevets, étayée par des échanges de courriels entre les parties, que les termes du contrat ont été négociés par les deux sociétés.
Les négociations entre les sociétés France Brevets et Mobilead ont duré plus de trois mois, de janvier à avril 2014, au cours desquels le projet de contrat a été amendé à plusieurs reprises à la demande de chacune des parties (pièce 3.3, 3.4, 3.6, 3.7, 3.8, 3.10), les dernières modifications ayant été apportées au projet de contrat après un déjeuner du 3 avril 2014, réunissant les deux parties, à la suite de quoi le contrat a été signé le 18 avril 2014 (pièces FB 3.9, 3.11. et 3.12).
La société Mobilead a d'ailleurs elle-même reconnu « être en phase » avec le projet négocié (pièce 3.6 de FB) et a relancé plusieurs fois la société France Brevets pour procéder à sa signature (pièce 3.8 de FB).
La rédaction du contrat en anglais n'était pas de nature à empêcher M. X., de la société Mobilead, de comprendre la portée des clauses, celui-ci s'exprimant lui-même dans cette langue. La dissymétrie entre les parties ne démontre pas en soi l'absence de négociations effectives.
Au surplus, la portée de la clause litigieuse doit être appréciée dans son contexte. Or, la société France Brevets relève à juste titre que la faculté de résiliation pour convenance était également ouverte à la société Mobilead, selon les dispositions de l'article 9.3 du contrat.
En vertu de cet article : « 9.3 [MOBILEAD] a le droit de résilier le Contrat moyennant l'envoi d'une notification écrite à [FRANCE BREVETS]. En tout état de cause, [FRANCE BREVETS] a le droit de percevoir une compensation raisonnable pour une telle résiliation. Les Parties discuteront de bonne foi d'une indemnité raisonnable versée à [FRANCE BREVETS] dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de la notification de résiliation susmentionnée. Pour déterminer cette compensation, les Parties examineront, entre autres, le degré de réalisation par [FRANCE BREVETS des objectifs (Annexe 3) à la date de cette résiliation, les coûts effectivement encourus par [FRANCE BREVETS] en vertu du Contrat, les Revenus de Licence collectés par [FRANCE BREVETS] à la date de la résiliation, la perte de chance pour [FRANCE BREVETS] de tirer des revenus de licence futurs du Contrat. Pour plus de clarté, les Parties prendront en considération les paramètres susmentionnés pour déterminer une rémunération équitable dans les circonstances, mais rien dans les présentes ne doit être interprété de façon à conclure que l'incidence financière cumulative de ces paramètres servira de base à une telle détermination. Si les Parties ne parviennent pas à s'entendre sur une indemnité raisonnable dans les soixante (60) jours précités à compter de la date de la notification de la résiliation par [MOBILEAD], la détermination de cette compensation doit être soumise par la Partie la plus diligente à E. & Y., sous réserve que, toutefois, si (i) E. & Y. a un conflit d'intérêts, n'accepte pas une telle nomination ou est autrement incapable de remplir ses obligations en vertu des présentes et (ii) [MOBILEAD] et [FRANCE BREVETS] ne peuvent s'entendre sur la nomination d'un cabinet comptable indépendant reconnu pour remplacer E. & Y. cinq (5) jours après la fin du délai de soixante (60) jours fixé ci-dessus, ce cabinet comptable indépendant soit nommé par le Président du Tribunal de Commerce de Paris par voie de référé à la demande de [MOBILEAD] ou de [FRANCE BREVETS]. En tout état de cause, le cabinet comptable désigné devra (i) limiter son examen à la détermination d'une indemnité raisonnable d'après les circonstances, ii) se conformer au principe du contradictoire, et (iii) dans les trente (30) jours de la présentation de ce différend, rendra une décision finale et contraignante quant au(x) sujet(s) en litige. Les honoraires et les débours du cabinet comptable susmentionné seront supportés à parts égales par [MOBILEAD] et [FRANCE BREVETS]. ».
La société Mobilead rappelle qu'elle ne pouvait exercer ce droit qu'à la condition d'indemniser la société France Brevets, rendant ainsi les deux facultés de résiliation non symétriques.
Mais la société France Brevets démontre que cette asymétrie résulte de l'économie générale du contrat, imposant en premier lieu un investissement de France Brevet. En effet, selon le contrat, la société France Brevets avançait l'intégralité des frais liés à la création, la gestion, la défense et la valorisation du portefeuille de brevets de la société Mobilead pour les besoins du programme, en contrepartie d'une rémunération future sur les redevances à payer par les potentiels licenciés de la technologie développée dans le cadre du contrat. Mais cette rémunération, destinée à rembourser la société France Brevets des frais précités, n'était susceptible d'intervenir que dans un second temps, si le portefeuille de brevets produisait de telles redevances, donc si les brevets présentaient pour le marché un intérêt industriel.
Aussi, compte tenu du risque encouru par la société France Brevets d'investir dans le portefeuille de brevets de son contractant, il était impératif de prévoir expressément le paiement d'une « compensation raisonnable », si la résiliation du contrat venait à intervenir unilatéralement et à la discrétion de la société Mobilead, avant tout paiement au titre des licences du portefeuille de brevets. C'est ainsi que l'article précité prévoit que « Pour déterminer cette compensation, les Parties examineront, entre autres, le degré de réalisation par [France Brevets des objectifs (Annexe 3) à la date de cette résiliation, les coûts effectivement encourus par [France Brevets] en vertu du Contrat, les Revenus de Licence collectés par [France Brevets] à la date de la résiliation, la perte de chance pour [France Brevets] de tirer des revenus de licence futurs du Contrat ».
Aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties ne résulte donc de la clause litigieuse.
Dès lors, il y a lieu d'approuver le tribunal en ce qu'il a considéré que les clauses 7.3 et 9.3 du contrat étaient « la conséquence de la caractéristique particulièrement aléatoire et incertaine des activités d'innovation » et en ce qu'il a jugé que la clause 7.3 était régulière au regard de l'article L. 442-6, I, 2 ° du code de commerce. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 6 FÉVRIER 2019