CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 13 février 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8165
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 13 février 2019 : RG n° 17/01027
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant que les appelants rappellent les dispositions de l'article L. 132-1 (ancien) du code de la consommation, aux termes duquel dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et celles de la directive 93/13 du 5 avril 1993, ainsi que l'obligation qui est faite aux juges de relever d'office le caractère abusif d'une telle clause ; qu'ils ajoutent que tant la directive que les décisions de la CJCE du 30 avril 2014 et du 20 septembre 2017 insistent sur le fait que l'interdiction d'apprécier le caractère abusif des clauses définissant l'objet principal du contrat porte uniquement sur celles qui sont rédigées de façon claire et compréhensible, ce qui implique que le consommateur non seulement les comprenne à la fois sur le plan formel et grammatical, mais également, soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui découlent pour lui de l'application des stipulations contractuelles ; qu'ils prétendent que la Cour de cassation a non seulement sanctionné le refus des juges des cours d'appel de Paris et de Douai d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause mais qu'elle a clairement retenu l'existence d'une clause abusive en relevant que « toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû et, ainsi, la durée d'amortissement du prêt d'un délai maximum de cinq ans » ; qu'ils allèguent que le risque de change pèse exclusivement sur eux puisque le contrat prévoit que les mensualités mises à leur charge seront susceptibles de se maintenir et/ou d'augmenter, sans plafond, à l'issue de la période initiale de remboursement et pendant une nouvelle période de cinq années, si au terme de la durée initiale du crédit le solde de leur compte n'était pas apuré, alors que la banque elle ne court aucun risque de change au titre du capital prêté puisque sa dette initiale est fondée sur un montant parfaitement déterminé et identifié ;
Considérant que BNP Paribas Personal Finance soutient à titre principal que la demande tendant à constater la présence d'une clause abusive est irrecevable car, d'une part, nouvelle en appel et, d'autre part, prescrite, à titre subsidiaire, que le contrat ne comporte pas de clauses abusives ;
Considérant que les demandes des époux X. tendant à voir déclarées non écrites certaines clauses du contrat Helvet Immo qualifiées d'abusives, ne peuvent être considérées comme des demandes nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile précité, compte tenu des décisions intervenues le 29 mars 2017 (première chambre civile pourvois 16-13.050 et 15-27.231) dans lesquelles la cour de cassation examinant des pourvois relatifs à des affaires où était en cause la même formule de prêt consenti par le même établissement de crédit, a :
- rappelé que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE arrêt du 4 juin 2009Pannon C-243/08) ;
- retenu qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant la cour, que selon le contrat litigieux,
* les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années (pourvoi 16-13050)
* toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû et, ainsi, la durée d'amortissement du prêt (pourvoi 15-27231)
de sorte qu'il lui incombait de rechercher d'office, notamment si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur l'emprunteur et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du consommateur ;
- cassé les arrêts pour violation de la législation sur les clauses abusives ;
Considérant que, conformément à la jurisprudence Pannon, appliquée par la cour de cassation et aux dispositions de l'article L. 141-4 du code de la consommation, devenu l'article R. 632-1 du dit code, transposant la jurisprudence européenne en droit national, le juge doit écarter d'office, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat, après avoir recueilli les observations des parties ;
Considérant qu'il doit être liminairement indiqué que, non seulement, dans les arrêts ci-dessus mentionnés la Cour de cassation n'a pas jugé que les clauses litigieuses étaient abusives mais qu'elle a, dans un arrêt postérieur (1ere civile 3 mai 2018 1713593), rejeté le pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, statuant sur le caractère abusif de clauses contenus dans un contrat Helvet Immo, en ces termes : « après avoir énoncé que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l'article L.132-1, devenu L.212-1 du code de la consommation, ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, l'arrêt relève, d'une part, que la clause litigieuse, en ce qu'elle prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels après paiement des charges annexes du crédit, définit l'objet principal du contrat, d'autre part, que cette clause figure dans une offre préalable qui précise que le prêt contracté est libellé en francs suisses, que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances fixes payées en euros, qu'une telle conversion s'opère selon un taux de change qui est susceptible d'évoluer à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l'allongement ou la réduction de la durée d'amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; qu'ayant ainsi fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses constatations et énonciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef » ;
Considérant que la banque soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription, ce qu'elle est autorisée à faire, en tout état de cause, en application de l'article 123 du code de procédure civile ; que les époux X. n'ont pas répondu sur les fins de non-recevoir ;
Considérant tout d'abord qu'aucun texte en droit français ne prévoit l'imprescriptibilité de l'action tendant à voir réputer non écrite une clause qui serait abusive ;
Considérant que le contrat est soumis, par sa date, aux dispositions de la loi n° 208-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile ;
Considérant que cette loi a eu parmi ses objectifs essentiels, celui de raccourcir le temps et modifier la durée de la prescription jugée le plus souvent excessive, celui d'harmoniser les délais, et d'intégrer les enjeux européens pour rendre le système juridique français plus sécurisé, plus performant et attractif pour les opérateurs économiques et le droit contractuel plus attrayant aux yeux des investisseurs ;
Considérant qu'il y a lieu, notamment, de rappeler que les deux délais de prescription de l'action en nullité absolue et relative ont été unifiés, par cette loi, en un seul délai de 5 ans, de sorte qu'il n'existe plus, du point de vue du délai de la prescription, aucune différence entre l'ordre public de direction et l'ordre public de protection, et de souligner que les conséquences du prononcé de la nullité d'une clause et de la qualification de clause abusive sont identiques, puisque la clause nulle est réputée n'avoir jamais existé ;
Considérant que la cour de Strasbourg a jugé, dans l'arrêt Stubbings et autres contre Royaume-Uni du 22 octobre 1996, (n° 22083/93 et 22095/93) que les délais de prescription poursuivent un but légitime, celui de garantir la sécurité juridique, et que s'ils ne sont pas exagérément courts, ils ne constituent pas une entrave à l'accès au juge ;
Considérant que l'arrêt Cofidis de la CJCE du 21 novembre 2002 (C-473/00) ne consacre pas la thèse du caractère imprescriptible de l'action tendant à faire déclarer non écrite une clause qualifiée d'abusive mais dit simplement qu'il ne peut être opposé à un consommateur, défendeur à l'action intentée par un professionnel, l'exception de prescription, la cour examinant expressément l'hypothèse que le professionnel ait attendu l'expiration du délai de prescription pour agir ;
Considérant en effet que la cour a dit pour droit :
« XXXV. Il apparaît dès lors que, dans les procédures ayant pour objet l'exécution de clauses abusives, introduites par des professionnels à l'encontre de consommateurs, la fixation d'une limite temporelle au pouvoir du juge d'écarter, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, de telles clauses est de nature à porter atteinte à l'effectivité de la protection voulue par les articles 6 et 7 de la directive. Il suffit en effet aux professionnels, pour priver les consommateurs du bénéfice de cette protection, d'attendre l'expiration du délai fixé par le législateur national pour demander l'exécution des clauses abusives qu'ils continueraient d'utiliser dans les contrats.
XXXVI. Il y a donc lieu de considérer qu'une disposition procédurale qui interdit au juge national, à l'expiration d'un délai de forclusion, de relever, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par un consommateur, le caractère abusif d'une clause dont l'exécution est demandée par le professionnel, est de nature à rendre excessivement difficile, dans les litiges auxquels les consommateurs sont défendeurs, l'application de la protection que la directive entend leur conférer.
XXXVII. Cette interprétation n'est pas contredite par le fait que, comme le font valoir Cofidis et le gouvernement français, la Cour a jugé à diverses reprises que des délais de forclusion plus brefs que celui en cause dans l'affaire au principal ne sont pas incompatibles avec la protection des droits conférés à des particuliers par le droit communautaire (arrêts précités Rewe et Palmisani). Il suffit en effet de rappeler que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l'application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599, point 14). Les arrêts précités Rewe et Palmisani invoqués par Cofidis et le gouvernement français ne sont donc que le résultat d'appréciations au cas par cas, portées en considération de l'ensemble du contexte factuel et juridique propre à chaque affaire, qui ne sauraient être transposées automatiquement dans des domaines différents de ceux dans le cadre desquels elles ont été émises.
XXXVIII. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que la protection que la directive assure aux consommateurs s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l'expiration d'un délai de forclusion de relever, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat » ; (souligné par la cour)
Considérant que dans le cas d'espèce, les époux X. sont demandeurs à l'action et non pas défendeurs ;
Considérant en définitive et compte tenu de ce qui précède, qu’il y a lieu de dire que l'action engagée par les époux X. pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d'abusives relève du droit commun des contrats ; qu'elle est donc soumise, comme les demandes, à la prescription quinquennale ;
Considérant que le point de départ du délai est la date de conclusion du contrat, soit le 18 février 2009, date d'acceptation de l'offre de prêt par l'emprunteur ; que le délai quinquennal de prescription a donc expiré le 19 février 2014, de sorte que la demande formulée pour la première fois dans des conclusions régularisées le 14 septembre 2018 est prescrite ;
Considérant ainsi que la fin de non-recevoir tirée de la prescription doit être accueillie et que les demandes formées par les époux X. doivent être déclarées irrecevables ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 13 FÉVRIER 2019