CA RENNES (2e ch.), 15 mai 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8421
CA RENNES (2e ch.), 15 mai 2020 : RG n° 16/09691 ; arrêt n° 245
Publication : Jurica
Extrait : « Le contrat, formalisé par « attestation de vente » du 3 mai 2011, énonce que M. Z. a cédé sans contrepartie financière à « Mo. Y., Pl. W. et X. Sophie » une chienne de race lévrier whippet, les parties étant convenues que l'animal serait « placé » chez M. Y. et Mme X. mais resterait « en propriété avec l'éleveur qui en disposera pour notamment l'emmener en exposition ou la faire reproduire ». Il ne peut donc s'analyser que comme une cession de droits de propriété sur l'animal dont le cédant et les cessionnaires deviennent ainsi copropriétaires, la cession par M. Z. d'une partie de ses droits de propriété ainsi que de la jouissance de la chienne ayant pour contrepartie, non financière, d'obliger M. Y. et Mme X. à la lui représenter à des fins de participation à des expositions et de reproduction, dans le cadre de son activité d'éleveur canin.
[…] Cependant, la clause litigieuse, telle qu'elle a été précédemment reproduite, doit s'analyser comme conférant au cédant, demeuré copropriétaire de l'animal, un droit général de représentation en vue, « notamment », de participation à des concours ou de reproduction, sans que les cessionnaires puissent s'opposer à l'un ou l'autre de ces usages.
[…] Il résulte cependant du dossier qu'un chiot de race lévrier Whippet a une valeur marchande de 830 à 1.000 euros, de sorte que la cession de sa copropriété et de sa jouissance par un éleveur professionnel sans contrepartie pécuniaire et avec, pour les cessionnaires non professionnels, la seule obligation de le représenter à des fins de participation à des expositions et de reproduction ne crée pas, en soi, de déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives des parties. Il n'en serait ainsi qu'en cas d'abus par l'éleveur de l'usage de son droit de représentation, mais le recours au juge serait toutefois, dans ce cas, de nature à faire cesser cet abus, lequel n'est pas caractérisé en l'espèce.
Cette clause, qui ne saurait s'interpréter comme interdisant à M. Z. d'user de son droit de représentation de l'animal en vue de sa reproduction au seul motif qu'il en a jusqu'alors uniquement fait usage en vue de sa participation à des expositions canines, est donc valable et opposable à M. Y. et Mme X.
M. Z. ne peut donc prétendre que le contrat lui-même serait nul pour défaut de cause, du fait de l'absence de toute contrepartie à la cession. Il ne saurait davantage obtenir l'annulation du contrat au seul motif de l'inexécution par ses cocontractants de leur obligation de représentation de l'animal, cette circonstance n'étant pas de nature à affecter les conditions de formation du contrat. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 15 MAI 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/09691. Arrêt n° 245. N° Portalis DBVL-V-B7A-NSGK.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre, rédacteur, Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller, Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère
GREFFIER : Madame Marlène ANGER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 3 mars 2020
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 15 mai 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTS :
Madame X.
née le [date] à [ville], [adresse], Représentée par Maître Sylvie P. de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES, Assistée de Maître Arnault B., Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
Monsieur Y.
né le [date] à [ville], [adresse], Représenté par Maître Sylvie P. de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES, Assisté de Maître Arnault B., Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
INTIMÉ :
Monsieur Z.
né le [date] à [ville], [adresse], Représenté par Maître Laurette C., avocat au barreau de SAINT-MALO (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon attestation de vente du 3 mai 2011, M. Z., éleveur canin, a cédé sans contrepartie financière à « Mo. Y., Pl. W. et X. Sophie » une chienne de race lévrier whippet dénommée « F. », les parties étant convenues que l'animal serait « placé » chez M. Y. et Mme X. mais restait « en propriété avec l'éleveur qui en disposera pour notamment l'emmener en exposition ou la faire reproduire ».
Prétendant que M. Y. et Mme X. avaient refusé de lui remettre l'animal à compter de 2013 en dépit d'une lettre recommandée avec accusé de réception de mise en demeure du 24 mars 2013, M. Z. a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 24 octobre 2013, a estimé que sa demande se heurtait à des contestations sérieuses.
Puis, par acte du 1er septembre 2014, il les a fait assigner au fond devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo en annulation du contrat de vente, restitution de l'animal et en paiement de dommages-intérêts.
M. Y. et Mme X. ont conclu au rejet des prétentions adverses en invoquant la nullité de la clause de représentation de l'animal et l'exception d'inexécution.
Par jugement du 21 novembre 2016, le premier juge a :
- débouté M. Z. de sa demande d'annulation de la vente,
- constaté la validité de la clause d'obligation de représentation de l'animal,
- condamné M. Y. et Mme X. au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouté M. Z. de sa demande de réparation du préjudice moral,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné solidairement M. Y. et Mme X. aux entiers dépens,
- condamné M. Y. et Mme X. à verser à l'avocat de M. Z., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, une indemnité de 800 euros.
[*]
M. Y. et Mme X. ont relevé appel de cette décision le 22 décembre 2016, pour demander à la cour de :
- réformer le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté M. Z. de sa demande d'annulation de la vente,
- débouter M. Z. de ses demandes,
- condamner M. Z. au paiement d'une indemnité de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. Z. aux dépens de première instance et d'appel.
[*]
Ayant formé appel incident, M. Z. demande quant à lui à la cour de :
- à titre principal, dire que la vente est nulle,
- en conséquence, ordonner à M. Y. et Mme X. de restituer la chienne F. ainsi que son carnet de vaccination, au plus tard huit jours après la signification de l'arrêt et sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
- condamner M. Y. et Mme X. au paiement d'une somme de 15.000 euros en règlement des prestations dont ils ont bénéficié,
- subsidiairement, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la validité de la clause particulière de représentation de l'animal et condamné M. Y. et Mme X. au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts à raison de l'inexécution de cette obligation,
- en tous cas, débouter M. Y. et Mme X. de leurs demandes,
- condamner M. Y. et Mme X. au paiement de la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- condamner solidairement M. Y. et Mme X. à verser à l'avocat de M. Z., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, une indemnité de 2.500 euros,
- condamner M. Y. et Mme X. aux dépens.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. Y. et Mme X. le 30 janvier 2018, et pour M. Z. le 16 mai 2017, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 janvier 2020.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Sur la validité du contrat et de ses clauses :
Le contrat, formalisé par « attestation de vente » du 3 mai 2011, énonce que M. Z. a cédé sans contrepartie financière à « Mo. Y., Pl. W. et X. Sophie » une chienne de race lévrier whippet, les parties étant convenues que l'animal serait « placé » chez M. Y. et Mme X. mais resterait « en propriété avec l'éleveur qui en disposera pour notamment l'emmener en exposition ou la faire reproduire ».
Il ne peut donc s'analyser que comme une cession de droits de propriété sur l'animal dont le cédant et les cessionnaires deviennent ainsi copropriétaires, la cession par M. Z. d'une partie de ses droits de propriété ainsi que de la jouissance de la chienne ayant pour contrepartie, non financière, d'obliger M. Y. et Mme X. à la lui représenter à des fins de participation à des expositions et de reproduction, dans le cadre de son activité d'éleveur canin.
M. Y. et Mme X. soutiennent d'abord que la clause particulière conférant à M. Z. un droit de représentation de l'animal doit s'interpréter comme mettant à leur charge une obligation alternative, et non cumulative, de permettre à l'éleveur, soit de le faire participer à des expositions, soit de l'utiliser en vue de sa reproduction, et que M. Z., qui ne l'a d'abord réclamé au cours des deux années suivant la cession qu'en vue de sa participation à des concours, a ainsi fixé la mesure de leurs obligations en optant pour la première de ces obligations alternatives et en renonçant de fait à réclamer l'animal en vue de sa reproduction.
Cependant, la clause litigieuse, telle qu'elle a été précédemment reproduite, doit s'analyser comme conférant au cédant, demeuré copropriétaire de l'animal, un droit général de représentation en vue, « notamment », de participation à des concours ou de reproduction, sans que les cessionnaires puissent s'opposer à l'un ou l'autre de ces usages.
M. Y. et Mme X. prétendent qu'ainsi interprétée, cette clause serait nulle comme abusive en application de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation, dès lors que le contrat de cession de droits de propriété sur une chienne de race conclu entre un éleveur canin et des particuliers constitue un contrat de consommation, et que les obliger à représenter l'animal à la fois pour participer à des concours et d'assurer sa reproduction aurait pour effet de les priver exagérément de sa jouissance et, partant, de créer, au détriment des consommateurs un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Il résulte cependant du dossier qu'un chiot de race lévrier Whippet a une valeur marchande de 830 à 1.000 euros, de sorte que la cession de sa copropriété et de sa jouissance par un éleveur professionnel sans contrepartie pécuniaire et avec, pour les cessionnaires non professionnels, la seule obligation de le représenter à des fins de participation à des expositions et de reproduction ne crée pas, en soi, de déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives des parties.
Il n'en serait ainsi qu'en cas d'abus par l'éleveur de l'usage de son droit de représentation, mais le recours au juge serait toutefois, dans ce cas, de nature à faire cesser cet abus, lequel n'est pas caractérisé en l'espèce.
Cette clause, qui ne saurait s'interpréter comme interdisant à M. Z. d'user de son droit de représentation de l'animal en vue de sa reproduction au seul motif qu'il en a jusqu'alors uniquement fait usage en vue de sa participation à des expositions canines, est donc valable et opposable à M. Y. et Mme X.
M. Z. ne peut donc prétendre que le contrat lui-même serait nul pour défaut de cause, du fait de l'absence de toute contrepartie à la cession.
Il ne saurait davantage obtenir l'annulation du contrat au seul motif de l'inexécution par ses cocontractants de leur obligation de représentation de l'animal, cette circonstance n'étant pas de nature à affecter les conditions de formation du contrat.
Sur l'inexécution du contrat :
Il résulte des pièces produites que M. Z. a obtenu la remise de F. à huit reprises entre juillet 2011 et septembre 2012 en vue de sa présentation à des expositions et de sa participation à des concours où elle a obtenu, à deux reprises, un premier prix, mais qu'en revanche, en dépit d'une lettre recommandée avec accusé de réception de mise en demeure du 24 mars 2013 rappelant l'intention de l'éleveur de l'exposer à nouveau le 12 mai 2013 et de la faire se reproduire lors de ses prochaines chaleurs, M. Y. et Mme X. ont, depuis lors, refusé de lui représenter l'animal.
Après avoir vainement tenté d'obtenir la remise de l'animal en référé, M. Z. exerce à présent devant le juge du fond une action de nature indemnitaire.
Pour s'opposer à cette prétention, M. Y. et Mme X. invoquent l'exception d'inexécution, prétendant que le chenil de l'éleveur, doté de cages de transport trop petites, ne respecterait pas le bien-être animal, et que M. Z. aurait un comportement violent tant à l'égard des personnes que des animaux.
Cependant, les attestations produites par les appelants dénoncent pour l'essentiel des faits de violences physiques, verbales ou homophobes sur les personnes qui sont certes parfaitement condamnables mais qui ne permettent pas de caractériser en quoi la remise de F. en vue de sa présentation à des exposition ou de sa reproduction serait de nature à mettre l'animal en danger.
En outre, les attestations susceptibles de rapporter des faits de mauvais traitement sur des animaux sont contredites par celles produites par M. Z.
Enfin, la cour ne peut qu'observer que les notes attribuées par les juges des concours canins auquel F. a participé en 2011 et 2012 ne révèlent aucun mauvais traitement, et que l'inspection du chenil par l'autorité administrative en septembre 2014 a certes révélé quelques manquements aux obligations administratives de l'éleveur mais ne signale aucun fait de mauvais traitement ou de violations des règles relatives au bien-être animal.
M. Y. et Mme X. n'apportent donc pas la preuve suffisante, qui leur incombe, de faits de nature à justifier leur refus de remise de l'animal conformément à leur engagement contractuel.
S'agissant de son préjudice qu'il chiffre à 15.000 euros, M. Z. fait valoir que la non-représentation de F. depuis septembre 2012 l'a empêché de l'exposer et de la faire participer à des concours canins, nuisant ainsi à la renommée de son élevage.
Il ajoute que, pouvant être fertile jusqu'à ses six ans, elle aurait pu avoir cinq portées de six chiots entre 2102 et 2016, ce qui a lui a fait perdre le bénéfice de leur vente qui aurait pu être conclu entre 830 et 1.000 euros chacune.
Il est certain que l'impossibilité d'exposer F. et de la faire saillir par un mâle reproducteur a privé M. Z. de la possibilité d'accroître la renommée de son élevage et de commercialiser des chiots.
Toutefois, il produit lui-même des pièces révélant qu'il élevait de nombreux autres chiens de qualité, et les termes du courrier de mise en demeure du 24 mars 2013 révèlent qu'il n'avait jusqu'alors jamais eu l'intention, avant cette date, d'exercer son droit de représentation de F. en vue de la faire se reproduire.
En outre, le dommage résultant de la non-commercialisation de chiots ne consiste que dans la perte de sa marge bénéficiaire tenant compte des charges d'exploitation de son élevage.
Surtout, le préjudice invoqué par M. Z. ne résulte que de la perte de chance de réaliser cette marge bénéficiaire, ainsi que l'intimé le fait lui-même ressortir en concluant que la chienne 'aurait pu' avoir cinq portées et que trente chiots « auraient pu » naître.
Au regard de ces éléments, la somme de 15.000 euros allouée par le premier juge est excessive, la cour considérant que le préjudice sera exactement et intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Le jugement attaqué sera réformé en ce sens.
Par ailleurs, M. Z. ne démontre pas l'existence du préjudice moral dont il réclame réparation.
Il convient donc de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté l'indemnisation de ce poste de préjudice.
Enfin, M. Y. et Mme X., parties principalement succombantes, supporteront les dépens d'appel.
En outre, il sera, en toute équité, alloué à l'avocat de M. Z. une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 37 du la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 21 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Saint-Malo en ce qu'il a condamné M. Y. et Mme X. au paiement d'une somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne M. Y. et Mme X. à payer à M. Z. la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;
Condamne M. Y. et Mme X. à payer à l'avocat de M. Z. une somme de 1.500 euros en application de l'article 37 du la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
Condamne M. Y. et Mme X. aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux règles de l'aide juridictionnelle ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT