CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA COLMAR (1re ch. civ. A), 8 juillet 2020

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. A), 8 juillet 2020
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 17/04766
Décision : 309/20
Date : 8/07/2020
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 13/11/2017
Numéro de la décision : 2020
Référence bibliographique : 6638 (crédit immobilier)
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 8507

CA COLMAR (1re ch. civ. A), 8 juillet 2020 : RG n° 17/04766 ; arrêt n° 309/20

Publication : Jurica

 

Extrait : « L'offre de prêt définit le calcul des intérêts dans trois clauses distinctes :

1. la clause « prêt habitat en devise » qui dispose que le taux d'intérêt du prêt sera révisable et sera celui du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds, augmenté de la marge,

2. la clause « conditions de remboursement » qui précise qu'il s'agit d'un prêt à échéances constantes, le montant de l'échéance étant précisé en capital et intérêts. Ce montant n'était alors qu'indicatif (…) le montant de l'échéance constante définitive sera déterminé sur la base du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds,

3. la clause « taux du prêt » énonce que le taux est celui de la devise sur le marché des changes à Paris, majoré d'une marge. Ce taux est révisable à chaque échéance en fonction des conditions du moment.

Ces stipulations relatives au taux du crédit sont ainsi rédigées de manière particulièrement complexe relativement à la nature du taux du prêt affirmée variable mais qui semble pourtant devoir être fixée à la date de remise de fonds. En annexe au contrat figurent, dans une notice de présentation des conditions de variation, des exemples chiffrés de variations possibles, de sorte que les ambiguïtés ayant pu exister sont définitivement clarifiées, le taux d'intérêts étant déterminé à chaque échéance et pour la première fois à la date de la remise des fonds sur la base d'un index de change et d'un taux de marge connus.

En outre la notice d'accompagnement visée par les emprunteurs a rappelé que si la perte ou le gain éventuel, selon l'évolution de la devise par rapport à l'euro, sur le marché des changes se font à la charge ou au profit du seul emprunteur, celui-ci conserve la possibilité de mettre un terme à cet aléa en sollicitant la couverture du risque.

Les époux X. font ainsi valoir que le taux d'intérêt a été définitivement arrêté au jour de la mise en disposition des fonds, ce qu'aurait confirmé l'établissement prêteur dans un document rédigé au mois de décembre 2015. Toutefois ledit courrier mentionne que 'le cours de change précisé à la date de la mise à disposition des fonds correspond au cours de change définitif' et a été à un taux de conversion de 1,208 ; cette disposition concerne le calcul de la contre-valeur en euros du capital prêté en CHF et non pas le calcul des intérêts qui dépend d'un index particulier lequel, par ailleurs, n'a cessé de diminuer depuis l'octroi du prêt.

Dès lors il n'y a pas lieu de déclarer abusive une des clauses du contrat relative à la fixation du taux d'intérêts.

De même si l'heure à prendre en compte pour relever la valeur de l'index servant de base au taux d'intérêts, étant précisé que la détermination de la date ne pose pas de difficulté comme étant celle de l'échéance ou pour la première fois la date de mise à disposition des fonds, il n'existe pas d'impossibilité de déterminer le taux alors que l'index à retenir est celui du jour en question. En tout état de cause, si doute il pouvait y avoir, les emprunteurs ne démontrent pas qu'il y ait eu déséquilibre entre les droits et obligations respectives des parties.

En outre ils affirment abusive la clause « frais sur les commissions de change » alors qu'ils ne disposeraient pas du barème de la banque quant aux montants facturés à titre de commission de change et soutiennent qu'il existerait ainsi un déséquilibre significatif les empêchant d'exercer, en toute connaissance de cause, leur choix d'un intermédiaire pour les opérations de change. Alors que clients de la banque pour y avoir ouvert un compte de dépôts en date du 4 mars 2010, soit moins d'un mois avant la conclusion du contrat de crédit, les emprunteurs étaient en possession des conditions tarifaires, ils ne démontrent nullement qu'ils ne pouvaient avoir accès à leur version actualisée ni en tout état de cause en quoi la clause litigieuse devrait être jugée déséquilibrée et par suite abusive. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 8 JUILLET 2020

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 17/04766. Arrêt n° 309/20. N° Portalis DBVW-V-B7B-GTOR. Décision déférée à la Cour : 29 Septembre 2017 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE.

 

APPELANTS - INTIMÉS INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[...], [...],

Madame Y. épouse X.

[...], [...]

Représentés par Maître Camille R., avocat à la Cour

 

INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE ALSACE VOSGES

prise en la personne de son représentant légal, [...], [...], Représentée par Maître Laurence F., avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 modifiée par ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 et de l'ordonnance en date du 31 mars 2020 de la Première Présidente de la Cour d'Appel de Colmar, l'affaire fixée à l'audience du 3 juin 2020 a été mise en délibéré, sans débats, les parties ne s'y étant pas opposées.

M. FREY, Conseiller, a été chargé du rapport dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, Mme HARRIVELLE, Conseillère, M. FREY, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de Président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant offre acceptée le 1er avril 2010 M. X. et Mme X. née Y. ont conclu avec la société crédit agricole Alsace Vosges, afin de financer des travaux immobiliers dans leur immeuble d'habitation à [ville B.], un contrat de crédit immobilier d'un montant de 361.600,04 francs suisses (CHF) correspondant alors à la contrevaleur de 250.000 euros, remboursable par 60 échéances trimestrielles et en devises. Une période de décalage de remboursement du capital de 24 mois, au maximum, était contractuellement fixée, seuls étant dus, sur cette période, les intérêts au taux conventionnel révisable de 1 % l'an.

Une suspension conventionnelle des échéances de remboursements du prêt a été consentie aux époux X. pour l'échéance de février 2014, en suite des difficultés financières qu'ils rencontraient.

Faisant suite à la récurrence d'échéances impayées, la société crédit agricole Alsace Vosges s'est prévalue de la déchéance du terme du prêt par lettres recommandées réceptionnées le 4 décembre 2015.

Par actes d'huissier du 4 janvier 2016, la caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges a saisi le tribunal de grande instance de Mulhouse d'une action dirigée contre M. X. et Mme X. née Y. tendant à obtenir leurs condamnations outre aux dépens et frais accessoires, à lui verser le montant du capital restant dû au titre du prêt majoré des échéances impayées et intérêts contractuels, capitalisés par années entières.

Par jugement du 29 septembre 2017, le tribunal saisi a, rejetant toute autre demande des parties et en réduisant à 1 euro le montant de l'indemnité contractuelle de résiliation, condamné solidairement M. X. et Mme X. née Y. outre aux entiers frais et dépens, à payer à la caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges la somme de 285.054,26 euros, majorée des intérêts contractuels au taux de 1% l'an à compter du 5 décembre 2015 et capitalisés par années entières ainsi qu'une indemnité de 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration au greffe en date du 13 novembre 2017, M. et Mme X. ont interjeté appel de cette décision. La société Caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges s'est constituée intimée le 23 novembre 2017.

[*]

Dans leurs dernières conclusions en date du 3 juillet 2019, auxquelles il est expressément référé pour l'exposé de l'intégralité de leurs moyens et prétentions, M. et Mme X. entendent voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a réduit l'indemnité de résiliation à 1 euro, mais infirmer ce dernier pour le surplus.

Statuant à nouveau ils entendent voir :

- débouter le crédit agricole Alsace Vosges de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions ainsi que son appel incident alors qu'il ne justifierait pas des montants qu'ils resteraient devoir,

- dire et juger non écrites la clause portant sur les intérêts conventionnels et la clause 'frais' sur les commissions de change en tant qu'elles constituent des clauses abusives,

- en conséquence ordonner la substitution du taux d'intérêt légal en vigueur lors de la conclusion du contrat de prêt au taux conventionnel, et ce dès l'origine du contrat de prêt jusqu'à son terme,

- dire et juger n'y avoir lieu à perception de commissions en faveur de la banque et ordonner la réintégration de celles qu'elle a mises en compte,

- dire et juger que la banque a manqué à son devoir d'information et à son devoir de mise en garde,

- en conséquence dire et juger que la perte de change doit être supportée intégralement par le crédit agricole et qu'ils ne sont dès lors débiteurs que du capital originellement prêté, soit 250.000 euros, sous déduction des sommes qu'ils ont d'ores et déjà versées.

- Condamner le crédit agricole Alsace Vosges aux entiers frais et dépens ainsi qu'à leur verser une somme de 1.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions ils affirment que le crédit agricole Alsace Vosges ne justifie pas des sommes qu'il réclame, soulignant qu'alors qu'ils ont procédé à des remboursements réguliers pendant au moins trois ans et pour un montant de 63.562,11 CHF, le solde réclamé demeurerait supérieur de plus de 35.000 euros à la somme initialement empruntée.

Ils estiment que le capital restant dû à la date de la déchéance du terme, ne saurait excéder 298.037,93 CHF (361 600,04-63 562,11), soit compte tenu d'un taux de change à cette date de 0,92282 euros pour 1 CHF, une somme de 275.035,36 euros au total, et non de 285.053,26 euros comme réclamé.

Ils entendent faire valoir qu'en application des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, applicables au moment de la conclusion du contrat de prêt, deux clauses du contrat doivent être considérées comme abusives et par suite réputées non écrites.

Ainsi celle prévoyant un intérêt conventionnel n'indiquerait pas de manière claire et précise la nature du taux et le taux appliqué ; l'offre mentionnant dans la partie désignation du crédit : « le taux d'intérêt du prêt sera révisable ; il sera celui du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds augmenté de la marge » et le paragraphe « taux » précisant que « le taux est celui de la devise sur le marché des changes à Paris, majoré d'une marge. Ce taux est révisable à chaque échéance en fonction des conditions du moment ».

Ils relèvent également que s'agissant des conditions de remboursement : « le montant de l'échéance constante définitive sera déterminé sur la base du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds » et font ainsi valoir que le taux d'intérêt est définitivement arrêté au jour de la mise en disposition des fonds. Cet élément aurait été confirmé par l'établissement prêteur dans un document rédigé au mois de décembre 2015.

Ils en concluent que la stipulation du taux du crédit est rédigée de manière incompréhensible, alors qu'il existe une contradiction quant au caractère fixe ou variable du taux. Ils réfutent toute valeur contractuelle contraire ou clarificative, à la notice d'accompagnement produite par la banque. Ils expliquent que la combinaison des différentes clauses précitées n'aboutit pas à un taux définissable avec certitude alors que l'offre n'a précisé ni l'heure, ni même la date de cours qui serait retenue ; cette indétermination se heurterait à l'exigence de prévisibilité contractuelle fixée à l'article 1907 du code civil ainsi que celle de bonne foi prévue par l'article 1134 du même code dans sa version alors en vigueur.

Ils affirment qu'il en résulte un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, le professionnel s'accordant le droit d'appliquer un taux fixe ou variable et pouvant choisir dans cette dernière hypothèse la date et l'heure de l'indice de référence, faisant évoluer la charge de remboursement des emprunteurs, sans contrepartie pour ces derniers.

Ils soulignent également que la clause « frais sur les commissions de change » prévoit que « toute opération en devises donnera lieu à la perception par le prêteur de la commission de change, selon les barèmes en vigueur le jour de l'opération ». Ils affirment qu'aucun barème de frais ne leur a été communiqué ni aucune indication concernant les modalités suivant lesquelles ils seront avisés des barèmes en vigueur ou pourraient y avoir accès. Il existerait ainsi un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à leur détriment en ce qu'ils se trouveraient privés des informations leur permettant d'exercer en toute connaissance de cause leur choix quant à l'intermédiaire requis pour les opérations de change.

Ils soutiennent que la banque a manqué à ses devoirs d'information et de mise en garde et contestent toute prescription de leurs actions en responsabilité engagée à ce titre, alors qu'ils affirment n'avoir eu aucun moyen de comprendre, au moment de la conclusion du contrat de prêt son caractère 'ruineux et toxique' ; la complexité du contrat et les risques encourus imposant au préteur une obligation renforcée de mise en garde. Ils affirment n'avoir pas été suffisamment informés sur les risques précités, seuls quelques simulations à titre indicatif leur étant communiquées parmi lesquels, un seul exemple comportait une variation du taux de change à la hausse pour deux exemples de variation à la baisse, laquelle selon eux « n'avait aucune chance de se produire, vu la conjoncture économique », ce que n'ignorait pas la banque.

S'agissant de l'appel incident ils relèvent avec le premier juge que le crédit agricole Alsace Vosges ne subit aucun préjudice du fait de la déchéance du terme, alors qu'eux-mêmes ont subi de plein fouet la variation du cours de la devise par rapport à l'euro. Ils précisent qu'à la date de la déchéance du terme en décembre 2015 le taux de change était au plus bas.

[*]

Dans ses dernières conclusions en date du 9 septembre 2019, auxquelles il est expressément référé pour l'exposé de l'intégralité de ses moyens et prétentions, la caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges entend voir :

- rejeter l'appel et confirmer le jugement entrepris dans la limite de l'appel incident,

- débouter M. et Mme X. de l'intégralité de leurs fins et conclusions,

- dire irrecevable car prescrite la demande de M. et Mme X. au titre de l'obligation de mise en garde,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il réduit à un euro le montant de la clause pénale et statuant à nouveau, condamner solidairement M. et Mme X. à lui payer une somme de 19.953,73 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2015 au titre de l'indemnité conventionnelle,

condamner en tout état de cause, solidairement M. et Mme X. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à lui verser une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Au soutien de ses prétentions elle souligne que si M. X. a été licencié en 2013 et que le couple a connu, à compter de cette date, des difficultés financières, il n'est pas démontré que la dernière échéance trimestrielle intégralement honorée ne soit pas celle d'avril 2015.

S'agissant du montant aujourd'hui réclamé elle rappelle que d'une part le crédit n'a pas été immédiatement mis en amortissement (période d'anticipation) et a été débloqué en plusieurs fois au fur et à mesure de l'avancement de travaux et en totalité en avril 2012, le prêt n'étant réellement entré en amortissement qu'au mois de juillet 2012 du fait de la périodicité des échéances de remboursement.

Elle précise que l'importance du montant restant dû est également la conséquence de la variation du taux de change entre l'euro et le franc suisse que subissent les époux X., ainsi que le relevait le premier juge ; les montants dus en CHF ayant été convertis en euros lors de la déchéance du terme de même que ceux correspondant aux échéances impayées, produisant intérêts au taux contractuel.

Elle souligne que les époux X. font valoir qu'il y aurait une contradiction entre les clauses du contrat quant au caractère fixe ou variable du taux ce qu'elle affirme sans rapport avec le caractère abusif ou non d'une clause contractuelle qui créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

Elle soutient que le taux d'intérêt est parfaitement déterminé par le contrat et prévu comme révisable. Il s'agit du taux du CHF à 3 mois en vigueur, le montant des échéances de remboursement prévu en page 2 n'étant qu'indicatif et calculé suivant le taux précité en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds, augmenté de la marge, étant précisé que ce taux était de 0,2500 % au 13 mars 2010 et la marge de 0,7500 point. Elle souligne en outre que la variation du taux était parfaitement détaillée en page 3 du contrat, sous la rubrique « taux du prêt » ; le montant des échéances variant en fonction du taux de la devise.

Elle ajoute que si le prêt prévoyait son remboursement par échéances constantes en euros, le montant de l'échéance équivalente en francs suisses, varie nécessairement en fonction du taux de change, ce que la notice, paraphée par les emprunteurs reprenaient avec exemples à l'appui. Elle soutient qu'il n'existe ainsi aucune indétermination du taux d'intérêts.

Elle précise que le contrat prévoyait une commission de change pour chaque échéance et souligne qu'elle est fixée conformément aux conditions générales de la Banque qui sont « connues de tous », y compris des époux X. Ces éléments sont tenus à la disposition de tous ses clients dans ses agences ainsi que sur son site internet. En tout état de cause elle affirme que dans le cas d'espèce, les époux X. n'ont jamais eu à recourir à une opération de change, M. X. percevant son salaire puis ses indemnités en francs suisses.

Elle soutient que l'intégralité des demandes fondées sur la mise en cause de sa responsabilité pour manquement à ses devoirs d'information ou de mise en garde serait irrecevable comme se heurtant à la prescription quinquennale ayant commencé à courir au jour de l'octroi du crédit.

Elle entend faire valoir que l'obligation d'information et de mise en garde sur les risques du prêt existe au moment de la conclusion du contrat et non au cours de son exécution ; les époux X. ne lui reprochant pas de leur avoir consenti un prêt qu'ils ne pouvaient pas rembourser mais de leur avoir, selon leurs dires, accorder un prêt ruineux et toxique au motif que les sommes à rembourser sont devenues plus élevées que celles envisagées initialement et qu'ils supportent seuls le risque du taux de change.

Subsidiairement elle entend faire valoir que son devoir d'information, exhaustive, objective et neutre sur l'opération envisagée a parfaitement été respectée, les emprunteurs étant en possession d'une offre de prêt parfaitement détaillée, acceptée au terme d'un délai de réflexion et accompagnée d'une notice de présentation des conditions et modalités pratiques de variation du taux d'intérêt. Elle souligne qu'il ne saurait lui être fait reproche de n'avoir communiqué que des exemples indicatifs, la variation du taux ne pouvant être prévue avec certitude. Elle affirme que les emprunteurs ont été ainsi informés des modalités et des particularités d'un prêt en devise, lequel a été choisi en raison de son faible taux d'intérêt et souligne sur ce point qu'inférieur au taux légal, le taux d'intérêt appliqué au contrat ne saurait justifier la réduction de l'indemnité de résiliation contractuelle à un euro.

Elle affirme ne supporter aucune obligation de mise en garde, excédant la vérification que les capacités de remboursement des emprunteurs ne laissait apparaître aucun risque d'endettement excessif. M. X. bénéficiait alors de revenus de 15.000 euros mensuels et Mme X. dirigeait une agence immobilière, le couple étant également propriétaire de leur logement d'une valeur estimée à 650.000 euros ainsi que d'un immeuble locatif à [ville S.] (4 appartements loués pour 2.850 euros mensuels) et d'un espace commercial et un appartement loué à [ville B.].

[*]

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance du 30 octobre 2019.

L'affaire, fixée à l'audience du 3 juin 2020, a été mise en délibéré sans débat par application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, les conseils des parties ne s'y étant pas opposées.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Conformément aux articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer et de prouver les faits nécessaires au succès de leur prétention.

 

Sur le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde :

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

S'agissant en l'espèce d'une action en responsabilité contractuelle résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde ou au devoir d'information de la banque, la prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si elle établit qu'elle ne pouvait en avoir antérieurement connaissance.

Il ressort de l'examen de l'offre de crédit acceptée par les époux X. que les fonds empruntés devaient être remboursés par leur contre-valeur en francs suisses majorée d'un taux d'intérêt contractuel. Les emprunteurs ne pouvaient ignorer dès l'origine du crédit qu'ils s'engageaient à le rembourser dans la devise qu'ils avaient choisie, ce qui pouvait leur imposer l'échange de devises pour le cas où ils ne percevraient plus de ressources en francs suisses.

Leur attention était en outre attirée par une notice d'information dont ils ont lu et approuvé le contenu en date du 1er avril 2010, la banque y souhaitant « attirer leur attention sur quelques particularités du prêt en devise » et rappelait qu'il bénéficie d'un taux d'intérêts qui n'est pas lié au marché français et « peut donc paraître particulièrement favorable (…), par rapport au taux des prêts en euros ». La notice poursuivait en ces termes « mais attention, le taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt, Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement du capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur de même que le gain éventuel est intégralement à son profit ».

Enfin la banque précisait : « nous pensons qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt et l'invitons à nous contacter s'il devait estimer qu'une couverture de risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune. La couverture à terme est un moyen d'éliminer totalement ou partiellement le risque de change (...) ».

S'agissant des possibilités de variation du taux d'intérêts du prêt en litige, la banque a produit en annexe de son offre de prêt une notice de présentation qu'ils ont régulièrement paraphée et comprenant un exemple chiffré décrivant les effets sur le taux du crédit d'une variation de l'index de référence à la hausse comme à la baisse, en l'espèce l'indice CHF à 3 mois sur la place de Paris.

En l'espèce et en possession de l'ensemble des éléments précités, les époux X. étaient en mesure, sans compétence particulière, de comprendre les enjeux et mécanismes du crédit qui leur était proposé dès la conclusion du contrat et si les risques connus du prêt depuis l'origine se sont réalisés au cours de l'exécution du contrat, en l'espèce l'aléa connus et accepté tenant à l'évolution des taux de change, ils étaient informés de leur éventuelle survenance et par suite du dommage qu'ils invoquent dès la conclusion du prêt.

S'agissant du devoir de mise en garde de la banque, celui-ci s'apprécie au jour de la signature du contrat, la banque se devant au regard des ressources et du patrimoine des emprunteurs d'évaluer leur risque de surendettement au moment de leur engagement.

En conséquence de ces éléments, alors que le point de départ d'une action fondée sur d'éventuels manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde des emprunteurs a pris naissance au jour de la signature du contrat, soit le 1er avril 2010 et qu'ils n'ont entendu engager une telle action, aucun débat n'ayant eu lieu devant le premier juge à ce sujet, que par leurs conclusions devant la cour soit postérieurement au 13 novembre 2017, date de leur déclaration d'appel, cette action est effectivement irrecevable comme prescrite.

 

Sur le caractère abusif des clauses contestées :

Aux termes des dispositions d'ordre public de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version applicable au jour de la conclusion du contrat de prêt, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (…)

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépend juridiquement l'une de l'autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses.

En l'espèce les époux X. entendent faire valoir d'une part que « les clauses » prévoyant un intérêt conventionnel ne préciseraient ni la nature ni la valeur du taux appliqué et laisseraient à l'établissement prêteur le choix de ses modalités d'application. Ils soutiennent qu'elles seraient contradictoires et imprécises alors que définissant les obligations de l'emprunteur envers le prêteur, elles portent sur l'objet principal du contrat.

L'offre de prêt définit le calcul des intérêts dans trois clauses distinctes :

1. la clause « prêt habitat en devise » qui dispose que le taux d'intérêt du prêt sera révisable et sera celui du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds, augmenté de la marge,

2. la clause « conditions de remboursement » qui précise qu'il s'agit d'un prêt à échéances constantes, le montant de l'échéance étant précisé en capital et intérêts. Ce montant n'était alors qu'indicatif (…) le montant de l'échéance constante définitive sera déterminé sur la base du taux du CHF à 3 mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds,

3. la clause « taux du prêt » énonce que le taux est celui de la devise sur le marché des changes à Paris, majoré d'une marge. Ce taux est révisable à chaque échéance en fonction des conditions du moment.

Ces stipulations relatives au taux du crédit sont ainsi rédigées de manière particulièrement complexe relativement à la nature du taux du prêt affirmée variable mais qui semble pourtant devoir être fixée à la date de remise de fonds. En annexe au contrat figurent, dans une notice de présentation des conditions de variation, des exemples chiffrés de variations possibles, de sorte que les ambiguïtés ayant pu exister sont définitivement clarifiées, le taux d'intérêts étant déterminé à chaque échéance et pour la première fois à la date de la remise des fonds sur la base d'un index de change et d'un taux de marge connus.

En outre la notice d'accompagnement visée par les emprunteurs a rappelé que si la perte ou le gain éventuel, selon l'évolution de la devise par rapport à l'euro, sur le marché des changes se font à la charge ou au profit du seul emprunteur, celui-ci conserve la possibilité de mettre un terme à cet aléa en sollicitant la couverture du risque.

Les époux X. font ainsi valoir que le taux d'intérêt a été définitivement arrêté au jour de la mise en disposition des fonds, ce qu'aurait confirmé l'établissement prêteur dans un document rédigé au mois de décembre 2015. Toutefois ledit courrier mentionne que 'le cours de change précisé à la date de la mise à disposition des fonds correspond au cours de change définitif' et a été à un taux de conversion de 1,208 ; cette disposition concerne le calcul de la contre-valeur en euros du capital prêté en CHF et non pas le calcul des intérêts qui dépend d'un index particulier lequel, par ailleurs, n'a cessé de diminuer depuis l'octroi du prêt.

Dès lors il n'y a pas lieu de déclarer abusive une des clauses du contrat relative à la fixation du taux d'intérêts.

De même si l'heure à prendre en compte pour relever la valeur de l'index servant de base au taux d'intérêts, étant précisé que la détermination de la date ne pose pas de difficulté comme étant celle de l'échéance ou pour la première fois la date de mise à disposition des fonds, il n'existe pas d'impossibilité de déterminer le taux alors que l'index à retenir est celui du jour en question. En tout état de cause, si doute il pouvait y avoir, les emprunteurs ne démontrent pas qu'il y ait eu déséquilibre entre les droits et obligations respectives des parties.

En outre ils affirment abusive la clause « frais sur les commissions de change » alors qu'ils ne disposeraient pas du barème de la banque quant aux montants facturés à titre de commission de change et soutiennent qu'il existerait ainsi un déséquilibre significatif les empêchant d'exercer, en toute connaissance de cause, leur choix d'un intermédiaire pour les opérations de change. Alors que clients de la banque pour y avoir ouvert un compte de dépôts en date du 4 mars 2010, soit moins d'un mois avant la conclusion du contrat de crédit, les emprunteurs étaient en possession des conditions tarifaires, ils ne démontrent nullement qu'ils ne pouvaient avoir accès à leur version actualisée ni en tout état de cause en quoi la clause litigieuse devrait être jugée déséquilibrée et par suite abusive.

 

Sur les montants restant dus au titre du prêt :

L'article 1353 actuel du code civil fait peser la charge de la preuve d'une obligation sur celui qui s'en prévaut. Réciproquement celui qui se prétend libéré de cette obligation doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de cette obligation.

Par lettre recommandée du 9 septembre 2015, le crédit agricole avertissait les époux X. de l'existence d'une échéance en retard, en l'espèce celle du mois de juillet pour un montant de 6 024,11 euros, cet arriéré n'étant apparemment pas régularisé à l'échéance suivante (octobre 2015), tel que souligné par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 novembre 2015, alors qu'il atteignait la somme de 12.044,42 euros. La dernière échéance payée apparaît ainsi avoir été celle d'avril 2015, les époux emprunteurs ne justifient d'aucun paiement qui n'aurait pris été pris en compte, de sorte que le crédit agricole était fondé à se prévaloir de la déchéance du terme par lettres recommandées avec accusés de réception du 4 décembre 2015.

Ainsi et suivant décompte produit par la banque en annexe 9, le capital restant dû au jour de la déchéance du terme s'élève à la somme de 287.337,28 CHF, deux échéances ont été impayées depuis avril 2015. Au cours du jour la dette peut ainsi être arrêtée au 4 décembre 2015, suivant l'annexe précitée à une somme de 285.057,89 euros, laquelle sera majorée des intérêts au taux contractuel à compter du 10 avril 2015, en l'espèce un taux en vigueur de 0,75 % l'an, à cette date comme à celle de la déchéance du terme. La banque sollicitant la confirmation du jugement attaqué sur ce point, les époux X. seront condamnés au paiement de la somme de 285.054,26 euros, majorée des intérêts contractuels au taux de 0,75 % l'an à compter du 5 décembre 2015.

Compte tenu de l'évolution de la situation, défavorable pour les emprunteurs, c'est par de justes motifs que la cour adopte, que le premier juge a relevé que l'opération profitait in fine encore à la banque. Si une indemnité correspondant à 7 % des sommes restant dues est manifestement excessive au regard de ce qui précède, la décision entreprise sera toutefois infirmée en ce qu'elle a ramené le montant de cette indemnité à la somme de 1 euro, ladite indemnité devant être fixée à la somme de 10.000 euros qui sera majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de la déchéance du terme et qui correspond pour partie au gain manqué par la banque, nonobstant le temps passé depuis la déchéance du terme.

La décision du premier juge sur la capitalisation des intérêts sera confirmée.

 

Sur les demandes accessoires :

Mme et M. X. succombant en la présente instance en supporteront in solidum les entiers frais et dépens, la cour confirmant sur ce point également la décision entreprise.

Il sera inéquitable de laisser à la charge de la caisse de crédit agricole les frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il lui a accordé la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et lui allouera la somme de 1.500 euros sur le même fondement à hauteur d'appel.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des époux X.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Déclare irrecevables comme prescrites les actions en responsabilité contractuelle dirigées contre la société Caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges,

Dit n'y avoir lieu à application de la législation sur les clauses abusives au contrat de prêt en litige,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 29 septembre 2017 sur les condamnations pécuniaires infligées à Mme Y. épouse X. et M. X.,

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne solidairement Mme Y. épouse X. et M. X. à verser à la société Caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges la somme de 295.054,26 euros (deux cent quatre-vingt-quinze mille cinquante-quatre euros et 26 centimes), majorée à compter du 5 décembre 2015, des intérêts au taux contractuel de 0,75 % l'an sur la somme de 285.054,26 euros et à compter du 4 décembre 2015 au taux légal sur la somme de 10.000 euros,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant

Condamne in solidum Mme Y. épouse X. et M. X. aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel,

Condamne in solidum Mme Y. épouse X. et M. X. à verser à la société Caisse régionale de crédit agricole Alsace Vosges la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Mme Y. épouse X. et M. X.

La Greffière :                                   Le Conseiller :