CA PARIS (pôle 4 ch. 9), 8 octobre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8593
CA PARIS (pôle 4 ch. 9), 8 octobre 2020 : RG n° 17/15881
Publication : Jurica
Extrait : « Or, il est manifeste qu'un simple contrat de location de longue durée portant sur un matériel informatique d'une valeur de 10.000 € ne saurait constituer un partenariat commercial au sens de ce texte et qu'une demande tendant à la résiliation d'un contrat ne peut être utilement formulée qu'en présence des cocontractants, sinon par eux seuls. Or, la SCM Les gémeaux n'est pas partie à la présente instance. M. X. est donc mal fondé en toutes ses prétentions fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce sans qu'il soit nécessaire de les examiner plus avant. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 9
ARRÊT DU 6 OCTOBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/15881 (6 pages). N° Portalis 35L7-V-B7B-B35VC. Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 janvier 2017 - Tribunal d'Instance de PARIS (11ème) – R.G. n° 11-16-000272.
APPELANTE :
La société GRENKE LOCATION
société par actions simplifiée agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège N° SIRET : XXX, [...], [...], [...], Représentée par Maître Morgane G., avocat au barreau de PARIS, toque : E2122
INTIMÉ :
Monsieur X.
né [date] à [ville], [...], [...], Représenté et assisté de Maître Edouard H., avocat au barreau de PARIS, toque : D2165
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 1er septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, Mme Agnès BISCH, Conseillère, qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Patricia GRANDJEAN dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Léna ETIENNE
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 30 août 2010, la SCM Les gémeaux a conclu avec la société Grenke location un contrat de location de longue durée portant sur un équipement informatique.
La SCM Les gémeaux a fait l'objet d'une liquidation amiable dont les opérations ont été closes le 24 mai 2013 sous l'égide de M. X. ancien gérant et associé de la société qui avait été désigné liquidateur amiable.
Saisi par la société Grenke location qui se prévalait d'un solde restant dû sur le contrat dont elle avait prononcé la résiliation, d'une action en responsabilité engagée contre le liquidateur amiable, le tribunal d'instance de Paris 11ème, par un jugement contradictoire rendu le 26 janvier 2017 auquel il convient de se reporter, a débouté la demanderesse de toutes ses prétentions.
Par déclaration du 3 août 2017, la société Grenke location a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 7 décembre 2017, elle demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, de condamner M. X. à lui payer la somme de 6.322,56 € outre intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2013, subsidiairement à compter du 14 octobre 2014 et de condamner M. X. à lui payer la somme de 20 € au titre des frais administratifs convenus et celle de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante relate que la SCM Les gémeaux a reçu délivrance du matériel loué le 4 août 2010, qu'elle était tenue d'acquitter des mensualités trimestrielles de 555 € HT du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2015, que ses prélèvements ont été rejetés à compter du 3 avril 2013 et que la résiliation du contrat a été notifiée à la locataire le 17 septembre 2013. Elle fait valoir que la société SCM Les gémeaux est débitrice de la somme de 6.322,56 € en application des dispositions contractuelles.
Sous le visa de l'article L. 237-12 du code de commerce et des articles 1382 ancien, 1844-8 et 1858 et suivants du code civil, elle fait valoir que le liquidateur amiable a engagé sa responsabilité en ne provisionnant pas sa créance, en ne différant pas la clôture des opérations de liquidation jusqu'à ce qu'il soit statué sur le sort de sa créance ou en ne sollicitant pas l'ouverture d'une liquidation judiciaire si l'actif s'avérait insuffisant pour apurer le passif.
Elle reproche au premier juge d'avoir ajouté à la loi en imposant la poursuite des associés de la SCM en préalable à la poursuite du liquidateur amiable.
Rappelant que M. X. a signé lui-même le contrat de location en sa qualité de gérant de la société Les gémeaux et l'a exécuté jusqu'à la défaillance de l'entreprise, elle soutient que les fautes de M. X. dans son rôle de liquidateur amiable au sens de l'article 1382 du code civil lui ont directement causé un préjudice à la hauteur de la créance demeurée impayée.
Répliquant à la défense de M. X., elle fait valoir que l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas applicable à l'espèce dès lors que la société Les gémeaux est une société civile et qu'il n'existe pas de partenariat commercial entre les parties mais un simple contrat de location ; elle conteste tout déséquilibre dans les termes du contrat, l'indemnité de résiliation correspondant selon elle exactement au préjudice subi ; elle ajoute que la clause prévoyant cette indemnité ne peut être qualifiée de clause pénale mais est purement indemnitaire et qu'elle ne présente pas un caractère manifestement excessif, en faisant observer que la locataire n'a pas restitué le matériel.
Par des conclusions remises le 9 novembre 2017, M. X. demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Grenke location de ses demandes, subsidiairement de dire non écrites les clauses de l'article 11 du contrat et de prononcer la résiliation sans indemnité du contrat de location, très subsidiairement de réduire les clauses pénales à un euro, de lui accorder des délais de paiement et en tout état de cause de lui octroyer le bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que l'article L. 237-12 du code de commerce sur lequel la société Grenke location fonde son action ne s'applique qu'aux sociétés commerciales et il adopte les motifs du jugement dont appel qui a notamment retenu que le préjudice allégué n'était pas démontré.
Il expose qu'à la date de clôture des opérations de liquidation amiable de la société Les gémeaux, le montant des loyers impayés s'élevait à 663,78 € et que le créancier n'avait délivré aucune mise en demeure de payer et il conteste avoir commis quelque faute. Il ajoute qu'en l'assignant dix-sept mois après la clôture des opérations de liquidation amiable sans aucune mise en demeure préalable, la société Grenke location a commis une faute qui a contribué à un préjudice qui ne peut consister en toute hypothèse qu'en une perte de chance et il précise qu'aucun boni de liquidation n'a été versé aux associés.
Subsidiairement, il fait valoir au visa de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce que les obligations contractuelles réciproques étaient marquées par un déséquilibre significatif notamment en ce qu'elles prévoyaient le paiement intégral de tous les loyers majorés de 10 % en cas de résiliation du contrat.
Qualifiant l'article 11 du contrat de clause pénale, il invoque son caractère manifestement excessif.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens.
L'instruction de l'affaire a été close le 30 juin 2020.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
Si l'article L. 237-12 du code de commerce ne concerne que les sociétés commerciales, il est admis et il s'induit notamment de l'article 1844-9 du code civil que la liquidation amiable d'une société qu'elle soit civile ou commerciale impose l'apurement intégral du passif et qu'en l'absence d'actif social suffisant pour ce faire, il appartient au liquidateur amiable de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société.
En l'espèce, il est constant que M. X., liquidateur amiable et ancien gérant de la SCM les gémeaux, a procédé à la clôture des opérations de liquidation amiable de cette société le 24 mai 2013, alors qu'était en cours d'exécution un contrat de location conclu avec la société Grenke location dont le terme convenu était le 31 décembre 2015.
Il ressort des pièces produites par l'appelante et dont la pertinence n'est pas contestée qu'à la date de la clôture de la procédure de liquidation amiable de la SCM Les gémeaux celle-ci restait devoir l'échéance du mois d'avril 2013 dont le prélèvement avait été rejeté (soit la somme exigible de 663,78 €) et que le solde à échoir s'élevait à 5.658,78 €.
M. X. qui avait lui-même signé - en sa qualité ancienne de gérant - le contrat de location du matériel nécessaire à l'activité de la SCM Les gémeaux et qui ne pouvait ignorer que la société détenait toujours le matériel pris en location a donc commis une faute en procédant à la clôture des opérations de liquidation, nonobstant le fait que la société Grenke location n'avait pas délivré une mise en demeure d'acquitter la seule échéance impayée, antérieure de quelques semaines à cette clôture. C'est également de manière fautive que M. X. en sa qualité de liquidateur amiable a présenté aux associés le 24 mai 2013 un bilan de liquidation mentionnant un passif exigible nul.
Alors que M. X. ne justifie d'aucune façon avoir informé préalablement la société Grenke location de la prochaine clôture des opérations de liquidation, cette clôture opérée au mois de mai 2013 est directement à l'origine du rejet du prélèvement du loyer échu au mois de juillet 2013 et de l'impossibilité de faire délivrer utilement le courrier du 17 septembre 2013 par lequel la bailleresse procédait à la résiliation du contrat et sollicitait la restitution du matériel, courrier qui est revenu avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».
La faute personnelle commise par M. X. dans sa fonction de liquidateur judiciaire a donc directement fait perdre à la société Grenke location une chance de poursuivre l'exécution du contrat ou d'obtenir restitution du matériel et d'être dédommagée du préjudice résultant d'une éventuelle résiliation du contrat.
Il appartient au liquidateur amiable qui a engagé sa responsabilité personnelle de répondre des conséquences dommageables de sa faute indépendamment de l'obligation des associés aux dettes sociales et c'est donc à tort que le premier juge a considéré que la société Grenke location ne justifiait pas d'un préjudice au motif qu'elle n'avait pas agi à l'encontre des associés de la société Les gémeaux.
S'il faut regretter que la société Grenke location n'ait pas adressé à M. X. une demande amiable avant d'engager une action à son encontre, ni ce fait, ni le délai de dix-sept mois écoulé entre la clôture des opérations de liquidation et la délivrance de l'assignation ne peuvent constituer une faute à l'origine d'un préjudice déjà constitué par la clôture des opérations de liquidation amiable de la SCM Les gémeaux.
Pour s'opposer aux demandes indemnitaires que la société Grenke location fonde sur les dispositions contractuelles qui l'ont liée à la société Les gémeaux, M. X. sollicite la résiliation du contrat de location longue durée sans indemnité au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Or, il est manifeste qu'un simple contrat de location de longue durée portant sur un matériel informatique d'une valeur de 10.000 € ne saurait constituer un partenariat commercial au sens de ce texte et qu'une demande tendant à la résiliation d'un contrat ne peut être utilement formulée qu'en présence des cocontractants, sinon par eux seuls. Or, la SCM Les gémeaux n'est pas partie à la présente instance. M. X. est donc mal fondé en toutes ses prétentions fondées sur l'article L. 442-6 du code de commerce sans qu'il soit nécessaire de les examiner plus avant.
En revanche, l'intimé fait valoir à juste titre que le préjudice dont la société Grenke location peut se prévaloir à son encontre consiste non pas dans l'application intégrale des dispositions contractuelles mais dans une perte de chance d'obtenir de la société Les gémeaux l'exécution de ce contrat ou l'indemnisation des conséquences de sa résiliation aux torts de la locataire de sorte que les réclamations de l'appelante ne peuvent être retenues.
Or, il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale des associés de la SCM Les gémeaux en date du 24 mai 2013 que la société Les gémeaux ne disposait pas d'actif et que les opérations de liquidation n'ont donné lieu à aucune répartition au profit des associés.
La prise en compte de la créance échue et à échoir de la société Grenke location dans les opérations de liquidation aurait donc dû conduire le liquidateur d'une part à restituer le matériel et d'autre part à interroger les associés - dont il faisait partie - sur la prise en charge spontanée des échéances restant dues à la société Grenke location ou à solliciter l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
En l'absence d'autres éléments d'appréciation, la valeur d'achat et l'ancienneté du matériel, l'absence de tout élément d'actif au sein de la SCM Les gémeaux et l'intérêt des associés d'une société civile de moyen au capital de 762,25 € (et notamment de M. X. titulaire d'un tiers des parts sociales) à prendre en charge spontanément la dette sociale conduisent à évaluer à la somme de 3 500 € la perte de chance subie par la société Grenke location par la faute de M. X.
Partant, le jugement est infirmé en toutes ses dispositions et M. X. est condamné à payer à la société Grenke location la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts.
Les motifs qui précèdent relatifs à la nature du préjudice dont la société Grenke location peut se prévaloir rendent sans objet les plus amples développements des parties sur la teneur du contrat de location.
La somme allouée à la société Grenke location étant une indemnité réparatrice de l'entier préjudice subi tel qu'évalué à la date à laquelle la cour statue, il n'y a pas lieu à un cours d'intérêts avant la date du présent arrêt.
En application de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Si M. X. justifie qu'il a rencontré des difficultés de santé en 2014 et 2015, il ne fournit aucun élément d'information sur sa situation pécuniaire actuelle.
Sa demande de délai est donc rejetée.
Succombant dans ses prétentions principales, M. X. supporte les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'il suit.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en dernier ressort,
- Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
- Condamne M. X. à payer à la société Grenke location la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts ;
- Déboute les parties de toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
- Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Grenke location la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente