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CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 28 avril 2021

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 28 avril 2021
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 1 ch. 3
Demande : 20/12496
Date : 28/04/2021
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 28/08/2020
Référence bibliographique : 6241 (L. 442-1 C. com., compétence du juge des référés)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9066

CA PARIS (pôle 1 ch. 3), 28 avril 2021 : RG n° 20/12496 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « L'appréciation du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties échappe aux pouvoirs du juge des référés. Il reste toutefois à apprécier la rupture au regard des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du code de commerce. »

2/ « Il résulte de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce que le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée, au moment de la notification de la rupture. En cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire.

En l'espèce, la résiliation est intervenue sans aucun préavis. Le caractère brutal de la rupture est donc manifeste. Ayant entraîné les fortes perturbations énoncées plus haut -au demeurant non contestées- il suffit à caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Eu égard à la durée de la relation contractuelle, à la très grande dépendance économique de la société Anderton Castings envers la société Aludyne Automotive Spain et à la nature du contrat, soit la fourniture de pièces automobiles de suspension nécessitant pendant de nombreux mois des études et essais avant l'engagement de la production, la durée de préavis nécessaire ne pouvait être inférieure à neuf mois. En conséquence, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a, pour faire cesser le trouble manifestement illicite, ordonné la reprise des relations contractuelles sous astreinte selon les modalités qu'elle a définies, et notamment à compter du 31 août 2020, en en limitant toutefois la durée à neuf mois. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 1 CHAMBRE 3

ARRÊT DU 28 AVRIL 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/12496 (8 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJWX. Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 6 août 2020 -Tribunal de Commerce de LYON - RG n° 2020R00410.

 

APPELANTE :

Société ALUDYNE AUTOMOTIVE SPAIN S.L.U.

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège [adresse], [...], Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Assistée par Maître Jean-Dominique T., avocat au barreau de PARIS, toque : P445

 

INTIMÉE :

Société ANDERTON CASTINGS

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...], [...], Représentée par Maître Frédéric L. de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, Assistée par Maître Prisca W., Avocat au Barreau de SAINT-ETIENNE

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 1er mars 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Carole CHEGARAY, Conseillère conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, Carole CHEGARAY, Conseillère, Edmée BONGRAND, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Les sociétés Aludyne Inc. (anciennement dénommée Chassix Inc.) et Anderton Industries ont conclu les 4 septembre et 6 octobre 2015 deux contrats-cadres d'approvisionnement portant sur la fourniture par la société Anderton Industries à la société Aludyne Inc. de pièces détachées automobiles à destination du constructeur Ford, à savoir les pièces CD4.1 (gauche et droite) et CD4.2 (gauche et droite). Les contrats-cadres ont été conclus par les sociétés Aludyne Inc. et Anderton Industries en leur nom ainsi qu'au nom et pour le compte de leurs filiales respectives, notamment les sociétés Aludyne Automotive Spain SLU et Anderton Castings SAS, parties à l'instance.

L'article 1er des contrats-cadres prévoit que l'accord des parties est constitué du contrat-cadre, des bons de commande et des conditions générales d'achat Aludyne annexées aux contrats-cadres. L'article 2 des mêmes contrats cadres stipule que ceux-ci perdurent aussi longtemps que le programme de production des modèles du constructeur Ford est en cours, tel que convenu entre Aludyne Inc. et Ford.

Les 26 mai et 20 juillet 2016, quatre bons de commande portant respectivement sur chacune des quatre pièces visées dans les contrats-cadres ont été émis par la société Aludyne Automotive Spain, filiale espagnole de la société Aludyne Inc., auprès de la société Anderton Castings, filiale française de la société Anderton Industries.

Par lettre datée du 29 juin 2020, la société Aludyne Inc. a procédé à la résiliation « pour convenance » à compter du 29 juin 2020 des contrats-cadres et des bons de commande en découlant, en se fondant sur l'article 16 des conditions générales lui permettant une résiliation unilatérale. Elle a ultérieurement indiqué que la résiliation résultait de la décision du constructeur Ford de ne plus intégrer dans ses modèles les pièces fabriquées par la société Anderton et de les substituer intégralement par les pièces - aux design et matériaux différents - fabriquées par un fournisseur chinois.

Considérant que cette résiliation à effet immédiat constituait un trouble manifestement illicite ou subsidiairement une violation manifeste des dispositions protectrices des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce, la société Anderton Castings a, par acte du 7 juillet 2020, fait assigner en référé d'heure à heure la société Aludyne Automotive Spain devant le tribunal de commerce de Lyon, aux fins de voir ordonner la reprise des relations contractuelles sous astreinte de 30.000 euros par jour de retard, ou subsidiairement pendant 18 mois à compter du 29 juin 2020, ainsi que la condamnation provisionnelle de la société Aludyne Automotive Spain au paiement d'une indemnité représentant sa perte de marge jusqu'à la reprise des relations contractuelles.

Par ordonnance de référé contradictoire du 6 août 2020, le tribunal de commerce de Lyon a :

- ordonné la reprise des relations contractuelles entre la societé Aludyne Automotive Spain et la societé Anderton Castings sous astreinte provisoire de 12.000 euros par jour de retard à compter du 31 août 2020, entre la société Aludyne Automotive Spain et la société Anderton Castings SAS, selon les bons de commande pour la fourniture des « produits » concernés, en l'occurrence de deux pièces identifiées CD4.1 (bras de suspension inférieur arrière droit et gauche pour MONDEO) et CD4.2 (bras de suspension inférieur arrière droit et gauche pour S-MAX et GALAXY), sur la base du volume hebdomadaire moyen relevé en 2019, soit 830 pièces CD4.1 gauche et 830 pièces CD4.1 droit par semaine et 745 pièces CD4.2 gauche et 745 pièces CD4.2 droit par semaine, et ce pendant toute la durée des programmes du client final FORD auquel sont destinées ces pièces, outre les pièces de rechange à l'issue des programmes, le tout conformément aux usages applicables en matière automobile, sur la base d'un programme planifié et d'un programme confirmé ;

- s'est réservé expressément la compétence pour liquider l'astreinte ;

- condamné à titre provisionnel la société Aludyne Automotive Spain à régler à la société Anderton Castings les sommes de 29.415,20 euros HT par semaine pour la pièce CD4.1 et de 26.323,20 euros HT euros par semaine pour la pièce CD4.2 à compter du 29 juin 2020 et jusqu'à la reprise de la relation contractuelle ;

- dit qu'i1 n'y a pas lieu à exécution au vu de la minute, une copie exécutoire étant remise lors du prononcé ;

- condamné la société Aludyne Automotive Spain à payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

[*]

Suivant déclaration du 28 août 2020, la société Aludyne Automotive Spain SLU a interjeté appel de l'ensemble des chefs expressément énoncés de cette ordonnance devant la cour d'appel de Paris.

Dans ses dernières conclusions du 17 février 2021, elle demande à la cour, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, L. 442-1 et suivants du code de commerce, de :

- dire recevable et bien fondée la société Aludyne Automotive Spain SLU en son appel, y faire droit ;

- constater que la société Anderton Castings a saisi le juge du fond au titre des conséquences selon elle préjudiciables de la rupture des relations intervenue le 29 juin 2020 ;

- infirmer, en conséquence, en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Lyon en date du 6 août 2020 ;

- statuant à nouveau, dire qu'il n'y a lieu à référé sur l'ensemble des demandes présentées par la SAS Anderton Castings ;

- débouter la SAS Anderton Castings de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la SAS Anderton Castings au paiement de la somme de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Maître Matthieu Boccon G., Selarl Lexavoué Paris Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

[*]

Dans ses dernières conclusions du 25 février 2021, la SAS Anderton Castings demande à la cour, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile, L. 442-6 et suivants du code de commerce dans leur version applicable aux faits de l'espèce, de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en son principe ;

- écarter des débats toute pièce non traduite en langue française ;

- juger irrecevable toute prétention non émise dès le premier jeu de conclusions conformément aux dispositions de l'article 910-4° du code de procédure civile ;

- déclarer la demande de la société Anderton Castings recevable et bien fondée, et en conséquence :

- ordonner la reprise des relations contractuelles entre la société Aludyne Automotive Spain et la société Anderton Castings sous astreinte provisoire de 12.000 euros par jour de retard à compter du 31 août 2020 ; à titre principal sur la base du volume hebdomadaire moyen relevé en 2019 soit 830 CD4.1 gauche et 830 CD4.1 droit par semaine et 745 CD4.2 gauches et 745 CD4.2 droits par semaine, jusqu'au terme du programme du client final, et à titre subsidiaire pendant 18 mois, le tout conformément aux usages applicables en matière automobile, sur la base d'un programme planifié et d'un programme confirmé ;

- réserver expressément la compétence du président du tribunal de commerce de Lyon pour liquider cette astreinte ;

- condamner à titre provisionnel la société Aludyne Automotive Spain à régler à la société Anderton Castings les sommes de :

* 29.415,20 euros HT par semaine pour la pièce CD4.1 ;

* 26.323,20 euros HT euros par semaine pour la pièce CD4.2 ;

à compter du 29 juin 2020 et jusqu'à la reprise de la relation contractuelle fixée au 31 août 2020, soit, pour la pièce CD 4.1 29 415,20 euros HT X 9 semaines (entre le 29/06 et le 31/08), la somme de 264.736,80 euros et, pour la pièce CD 4.2 26.343,20 euros HT X 9 semaines (entre le 29/06 et le 31/08), la somme de 237.088,80 euros ;

- condamner la société Aludyne Automotive Spain à payer la somme de 15.000 euros en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant la totalité des frais de traduction assermentée.

[*]

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

A titre préalable, la société Aludyne Automotive Spain fait valoir d'une part que les sociétés Aludyne Inc. et Aludyne Spain ont introduit le 31 août 2020 une action au fond à l'encontre de la société Anderton devant les juridictions de l'Etat américain du Michigan pour statuer en particulier sur la régularité de la résiliation par lettre notifiée le 29 juin 2020, d'autre part que la société Anderton Castings a saisi au fond à bref délai le tribunal de commerce de Lyon le 22 octobre 2020 en indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture de la relation commerciale.

La procédure au fond étant actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Lyon qui n'a pas encore rendu sa décision et les juridictions américaines ayant, pour l'heure, estimé ne pas avoir à statuer dès lors qu'une procédure avait préalablement été engagée en France portant sur la même réclamation, la présente procédure en référé a vocation à être poursuivie.

 

Sur la loi applicable :

La société Aludyne Automotive Spain soutient que la loi applicable aux contrats en cause n'est pas la loi française mais celle de l'Etat du Michigan, ce que conteste l'intimée. L'appelante se prévaut à cet effet de l'article 23 des conditions générales faisant partie intégrante de l'accord contractuel qui stipule que « cette commande doit être interprétée et régie conformément aux lois de l'Etat du Michigan ».

L'article 1er des contrats-cadres d'approvisionnement prévoit expressément que « les bons de commande seront émis de l'usine de réception de l'acheteur à l'usine de fourniture du vendeur et seront soumis aux lois locales des usines incluses dans un tel bon de commande ». Ce même article comporte également des définitions dont celle du « contrat » qui « désigne collectivement le présent contrat, le bon de commande et les conditions générales applicables ». L'article 14 des contrats-cadres stipule que « sauf disposition contraire expressément convenue par écrit, comme le prévoit le présent contrat, les parties conviennent que, dans la mesure où toute disposition du présent contrat contredirait ou serait en conflit avec une modalité des conditions générales ou toute autre condition référencée ou incorporée dans un bon de commande ou un autre document émis par l'acheteur, les dispositions du présent contrat prévaudront ».

Ainsi, la société Anderton Castings ayant fourni des pièces de son usine en France à l'usine de la société Aludyne Automotive Spain en Espagne en vertu des bons de commande émis depuis l'usine de la société Aludyne Automotive Spain en Espagne, l'application des lois espagnole et française, lois locales des usines, prévue au contrat-cadre prévaut sur celle de la loi du Michigan prévue aux conditions générales d'Aludyne.

En outre, ainsi que l'a relevé le premier juge, le contrat-cadre fixe les obligations directes entre les sociétés mères des groupes concernés qui se déclinent ensuite en des contrats propres entre les sociétés filles, lesquelles concluent à leur tour, en vertu du contrat signé entre leurs sociétés mères, un bon de commande qui régit leur relation. Les obligations régissant les relations entre ces deux sociétés filles, seules présentes à l'instance, sont déterminées par ce bon de commande, de sorte que l'application spécifique des « lois locales » à la fourniture des produits en vertu des bons de commande prévaut nécessairement sur la disposition générique de choix de loi du Michigan contenue dans les conditions générales.

Les lois locales des usines étant la loi espagnole d'une part et la loi française d'autre part, relevant toutes deux d'Etats de l'Union européenne, et le litige concernant deux personnes morales résidant dans un Etat membre de l'Union européenne, c'est fort justement que le premier juge a considéré que leurs rapports contractuels était soumis au règlement dit Rome 1 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et qu'en présence d'un conflit de lois, il convenait d'appliquer l'article 4, paragraphe 2, du règlement dit Rome 1, aux termes duquel est applicable la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. Il s'en déduit qu'est en l'espèce applicable la loi française au regard de la fabrication des pièces réalisée en France et de leur livraison compte tenu de l'incoterm « EXW ex works ». Contrairement à ce que soutient la société Aludyne Automotive Spain, le conflit de loi applicable entre le droit français et le droit espagnol résulte du choix de loi opéré par les parties aux termes de l'accord-cadre et a vocation à être réglé par l'article 4, paragraphe 2, du règlement Rome 1, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 23 des conditions générales.

L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a retenu que le droit français était applicable à la relation contractuelle entre la société Anderton Castings et la société Aludyne Automotive Spain.

 

Sur la demande de reprise des relations contractuelles sous astreinte :

La société Anderton Castings expose que la résiliation au 29 juin 2020 des deux contrats d'approvisionnement constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile et une grave violation de l'interdiction de rompre un contrat sans respect d'un préavis sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce dans sa version applicable au litige.

L'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Il n'est pas contesté que la résiliation datée du 29 juin 2020 est entrée en vigueur le même jour et a subitement privé la société Anderton Castings de plus de 80 % de son chiffre d'affaires, la contraignant à placer immédiatement son personnel salarié (65 ETP) en activité partielle.

La société Anderton Castings soutient qu'elle n'a pas manqué à ses engagements contractuels dès lors qu'elle disposait du droit de résilier le contrat de façon unilatérale et immédiate, de sorte qu'il n'existe pas en l'espèce de violation manifeste de la règle de droit nécessaire pour caractériser le trouble manifestement illicite.

L'article 16 des conditions générales annexées aux contrats-cadres intitulé « résiliation pour convenance » prévoit en effet que « l'exécution des travaux au titre de la présente commande peut être résiliée par l'acheteur à son gré, en tout ou partie, à tout moment et pour quelque raison que ce soit, par remise ou par courrier d'un avis écrit de résiliation au fournisseur ».

La société Anderton Castings oppose qu'une telle stipulation serait de nature à créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce, dès lors que, les bons de commande et le contrat-cadre prévoyant un engagement d'exclusivité de la part de la société Aludyne Automotive Spain en terme d'obligation d'approvisionnement, cet engagement pourrait être anéanti pour « convenance » personnelle.

L'appréciation du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties échappe aux pouvoirs du juge des référés. Il reste toutefois à apprécier la rupture au regard des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du code de commerce.

Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, applicable aux faits de la cause, la relation commerciale entre les parties ayant débuté avant le 26 avril 2019, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». Le paragraphe IV du même article dispose que « le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire ». Il est constant que la reprise de la relation contractuelle fait partie des mesures provisoires susceptibles d'être ordonnées par le juge.

La société Aludyne Automotive Spain met en cause le caractère de relation commerciale établie appliqué à la relation contractuelle qu'elle a entretenue avec la société Anderton Castings, s'agissant d'un contrat à durée déterminée.

Une relation commerciale est jugée établie au regard de son caractère suivi, stable et habituel où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial, peu important que le contrat ait été conclu pour une durée déterminée ou non. En l'espèce, il est manifeste d'une part que la relation entre les parties commencée en 2016 a été ininterrompue jusqu'à la résiliation du 29 juin 2020, que son importance pour les parties peut être mesurée à partir du chiffre d'affaires généré pour la société Anderton Castings (de 80 à 90 % de son chiffre d'affaires selon les années concernées) et de l'exclusivité de l'approvisionnement confié par la société Aludyne Automotive Spain à l'intimée pour le marché européen au titre des pièces susvisées, que cette relation a été instaurée dans le cadre d'un contrat-cadre lui conférant un caractère stable et annonciateur de nouveaux bons de commande, de sorte que la société Anderton Castings pouvait sans conteste légitimement anticiper la poursuite des relations contractuelles, sans qu'aucune circonstance ne lui laisse de surcroît présager le contraire, et ce d'autant que le contrat-cadre prévoyait, le cas échéant, un processus de modification des pièces à la demande de l'acheteur ou du client final. L'existence d'une relation commerciale établie ne peut donc sérieusement être contestée.

Il résulte de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce que le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée, au moment de la notification de la rupture. En cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire.

En l'espèce, la résiliation est intervenue sans aucun préavis. Le caractère brutal de la rupture est donc manifeste. Ayant entraîné les fortes perturbations énoncées plus haut -au demeurant non contestées- il suffit à caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Eu égard à la durée de la relation contractuelle, à la très grande dépendance économique de la société Anderton Castings envers la société Aludyne Automotive Spain et à la nature du contrat, soit la fourniture de pièces automobiles de suspension nécessitant pendant de nombreux mois des études et essais avant l'engagement de la production, la durée de préavis nécessaire ne pouvait être inférieure à neuf mois. En conséquence, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a, pour faire cesser le trouble manifestement illicite, ordonné la reprise des relations contractuelles sous astreinte selon les modalités qu'elle a définies, et notamment à compter du 31 août 2020, en en limitant toutefois la durée à neuf mois.

 

Sur la demande de provision :

La société Anderton Castings sollicite, à titre principal sur le fondement de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, l'indemnisation à titre provisionnel du préjudice qu'elle a subi à compter du 29 juin 2020, date de la résiliation, jusqu'à la reprise de la relation contractuelle telle qu'elle a été ordonnée par le premier juge, le 31 août 2020, selon les modalités arrêtées par celui-ci en fonction de la perte de marge brute hebdomadaire par pièce, soit un total de 264.736,80 euros pour la pièce CD 4.1 et de 237.088,80 euros pour la pièce CD 4.2.

Au vu de ce qui précède, l'obligation d'indemnisation du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture du fait de l'absence de préavis de résiliation n'est pas sérieusement contestable pour la période du 29 juin 2020 au 31 août 2020, antérieure à la reprise des relations contractuelles ordonnées sous astreinte, telle que l'a limitée la société Anderton Castings elle-même devant la cour.

Il n'est pas contesté que la résiliation à effet immédiat du contrat par la société Aludyne Automotive Spain a privé la société Anderton Castings de la quasi-totalité de son chiffre d'affaires. A cet égard, il convient de rappeler que le moyen de contestation afférent au taux de marge opposé par la société Aludyne Automotive Spain dans son troisième jeu de conclusions devant la cour ne relève pas des dispositions de l'article 910 4° du code de procédure civile qui ne porte que sur les prétentions, de sorte qu'aucune irrecevabilité n'est encourue à ce titre.

Au vu des pièces produites et notamment de l'attestation de l'expert-comptable de la société Anderton Castings du 6 juillet 2020, c'est à juste titre que le premier juge a retenu une indemnisation sur une base hebdomadaire de 29.415,20 euros HT pour la commande CD4.1 et de 26 343,20 euros HT pour la commande CD4.2. En conséquence, il convient de confirmer l'ordonnance en ce principe d'indemnisation, en la limitant toutefois à la période du 29 juin au 31 août 2020 conformément à la demande de la société Anderton Castings et eu égard à la reprise de la relation contractuelle ordonnée à compter du 31 août 2020, soit une provision d'un montant de 264.736,80 euros pour la pièce CD4.1 et de 237.088,80 euros pour la pièce CD4.2.

 

Sur les autres demandes :

Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.

La société Aludyne Automotive Spain, qui succombe in fine, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à la société Anderton Castings la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qui concerne la durée de la reprise de la relation contractuelle et la période d'indemnisation à titre provisionnel,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

Limite à neuf mois la reprise de la relation contractuelle telle que fixée par le premier juge à compter du 31 août 2020,

Dit que la période d'indemnisation court du 29 juin 2020 au 31 août 2020, date de la reprise de la relation contractuelle ordonnée sous astreinte,

Condamne en conséquence la société Aludyne Automotive Spain à payer à la société Anderton Castings à titre de provision les sommes de 264.736,80 euros pour la pièce CD4.1 et de 237.088,90 euros pour la pièce CD4.2,

Condamne la société Aludyne Automotive Spain aux dépens d'appel,

Condamne la société Aludyne Automotive Spain à verser à la société Anderton Castings la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT