CA GRENOBLE (1er pdt), 20 octobre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9202
CA GRENOBLE (1er pdt), 20 octobre 2021 : RG n° 21/00082
Publication : Jurica
Extrait : « Il est constant que le premier président, statuant sur l'article 514-3 du code de procédure civile, ne saurait se prononcer sur le caractère fondé ou non du moyen invoqué par la partie demanderesse à l'appui de sa demande, appréciation qui ne relève que de la cour d'appel saisie du recours.
Doit donc être considéré « comme moyen sérieux d'annulation ou de réformation » au sens de l'article précité le moyen qui, en violation manifeste d'un principe fondamental de procédure, ou d'une règle de droit, serait retenu par la cour d'appel comme moyen d'infirmation de la décision de première instance sans contestation sérieuse sur le fond.
En l'espèce la société LIV - Laboratoire d'Innovation Végétale - fait grief au tribunal de commerce d'avoir jugé que les articles 2 et 6 des conditions générales de vente sont réputées non écrites en méconnaissance de la jurisprudence selon laquelle les clauses exonératoires de responsabilité dans les contrats entre professionnels de même spécialité contractants avertis sont parfaitement opposables et doivent recevoir application.
Le tribunal a fondé sa décision sur l'application de l'article 1170 du code civil, aux termes duquel toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, ainsi que sur l'article L. 442-1 du code de commerce qui dispose que toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services engage sa responsabilité lorsqu'elle tente d'obtenir de son cocontractant un avantage disproportionné, sans contrepartie ou manifestement disproportionné et tente de soumettre l'autre à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Si entre professionnels les clauses limitatives de responsabilité sont en principe valables, c'est à condition qu'elles ne contredisent pas la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur. La clause limitative de responsabilité qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur, vide le contrat de sa substance et prive de sanction l'inexécution d'une obligation fondamentale peut donc être écartée.
Dans une analyse des articles 2 et 6 des conditions générales de vente, qu'il appartiendra à la cour d'appel saisie au fond d'apprécier, le tribunal a pu observer que ces deux clauses permettent à la société LIV, dont l'obligation essentielle est de fabriquer et livrer à son co-contractant les produits commandés, de s'exonérer totalement de toute responsabilité liée à une question de fabrication, d'expédition ou de retard de livraison (étant par ailleurs observé que cette exonération ne fait l'objet d'aucune contrepartie) et créent ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Par ailleurs, la société LIV qui n'a pas contesté en première instance ne pas avoir été en mesure de fabriquer et livrer la chose commandée à la date prévue et n'a pas soutenu que la société Les PATTES DOUCES n'avait pas subi de perte de chiffre d'affaires, reproche au tribunal d'avoir fait une mauvaise appréciation de l'existence et du montant du préjudice allégué.
Elle ne vise et ne produit aucune pièce au soutien de cette affirmation, dont la pertinence sera appréciée par la cour d'appel au fond.
En conséquence, les moyens soulevés à l'appui de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire apparaissent être des moyens qui seront discutés et raisonnablement appréciés par la cour d'appel saisie au fond, sans qu'il puisse être considéré, en l'état par la conseillère déléguée par la première présidente, que ces moyens entraîneront inéluctablement l'infirmation de la décision.
Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen « tiré des conséquences manifestement excessives, de l'exécution provisoire de la décision déférée à la cour, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire sera rejetée, une des conditions cumulatives prévue par la loi pour son bien fondé n'étant pas justifiée. »
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 20 OCTOBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/00082. N° Portalis DBVM-V-B7F-K6FP.
ENTRE :
DEMANDERESSE suivant assignation du 10 juin 2021
SASU LIV - LABORATOIRE D'INNOVATION VÉGÉTALE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège [...], [...], représentée par Maître Jean Christophe Q., avocat au barreau de VALENCE, substituant Maître Paul-Olivier R., avocat au barreau de RENNES
ET :
DÉFENDERESSE
SAS LES PATTES DOUCES
[...], [...], représentée par Maître Laurence T.-D. de la SCP MICHEL B .MARIE-BÉNÉDICTE P.LAURENCE T.-D.THIBAULT L. - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, substituant Maître Simon C., avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : A l'audience publique du 22 septembre 2021 tenue par Annette DUBLED-VACHERON, conseillère déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble par ordonnance du 2 juillet 2021, assistée de Marie-Ange BARTHALAY, greffier
ORDONNANCE : contradictoire, prononcée publiquement le 20 OCTOBRE 2021 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signée par Annette DUBLED-VACHERON, conseillère déléguée par la première présidente et par Marie-Ange BARTHALAY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La société LES PATTES DOUCES spécialisée dans la vente de compléments alimentaires s'est rapprochée de la société Laboratoire d'Innovation Végétale (LIV) pour la fabrication de deux de ses produits phares : ESSENTIEL et ELITE.
Suivant acte d'huissier du 3 juillet 2020, la société LES PATTES DOUCES a fait assigner la société LIV devant le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère pour voir dire que les articles 2 et 6 des conditions générales de vente étaient réputées non écrites et voir condamner la société LIV à l'indemniser du préjudice lié à l'inexécution de ses obligations contractuelles.
La société LES PATTES DOUCES indiquait au soutien de ses prétentions que la société LIV avait délivré les produits commandés avec plusieurs mois de retard et qu'elle subissait un manque à gagner du fait de la rupture des stocks.
Par jugement du 12 mai 2021, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a :
- dit que les clauses 2 et 6 des conditions générales de ventes de la société LIV vident de leur substance l'obligation essentielle du débiteur et créent un déséquilibre entre les droits et obligations des parties ;
- écarté l'application de la force majeure ;
- dit que les articles 2 et 6 des conditions générales de vente de la société LIV sont réputées non écrites ;
- constaté l'inexécution des obligations contractuelles de la société LIV ;
- condamné la société LIV à payer à la société LES PATTES DOUCES la somme de 202.814 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait du retard de la livraison de ses produits.
La société LIV a interjeté appel de cette décision par acte du 4 juin 2021.
Par acte d'huissier du 18 juin 2021, la société LIV a fait assigner en référé la SAS LES PATTES DOUCES aux fins de voir arrêter l'exécution provisoire.
[*]
Au visa des dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, la société LIV se prévaut d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision dont appel et affirme que l'exécution provisoire emportera des conséquences manifestement excessives.
Elle fait grief au tribunal d'avoir méconnu la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation qui reconnaît l'opposabilité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité entre professionnels de même spécialité, contractants avertis.
Elle affirme que les clauses insérées dans les conditions générales de vente sont parfaitement claires et dépourvues de toute ambiguïté ; que la SAS LES PATTES DOUCES à laquelle ces conditions générales sont opposables, y a librement consenti aucun comportement dolosif de sa part n'ayant été établi.
S'agissant du préjudice invoqué par la SAS LES PATTES DOUCES, elle soutient que les dates de livraison mentionnées étaient indicatives et que sa cliente a été régulièrement avisée des délais d'approvisionnement.
Elle conteste enfin le mode de calcul de l'indemnité à laquelle elle a été condamnée et assure que la société LES PATTES DOUCES a pu écouler tous les produits livrés et n'a donc subi aucune perte de chiffre d'affaires.
Enfin, la société LIV assure que la situation financière de la SAS LES PATTES DOUCES est critique, de sorte qu'il existe un véritable risque de non-restitution des sommes en cas d'infirmation du jugement de première instance.
Elle souligne la jeunesse de cette entreprise qui a bénéficié de l'aide de l'État pendant la crise sanitaire, l'absence de publication du bilan au greffe du tribunal de commerce et le dépôt des comptes, clos au 31 décembre 2019, avec une clause de confidentialité.
Elle fait par ailleurs observer que la somme de 202.814 euros représente le montant annuel du chiffre d'affaires réalisé par la société LES PATTES DOUCES.
[*]
Aux termes de conclusions notifiées par RPVA le 23 août 2021, la SAS LES PATTES DOUCES sollicite le rejet de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et la condamnation de la société LIV à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS LES PATTES DOUCES observe que la société LIV n'invoque pas de difficultés financières pour exécuter le jugement.
Elle assure être pour sa part, en état de restituer les sommes versées et en veut pour preuve la production aux débats d'une attestation comptable faisant état du dépôt de ses comptes annuels au 31 décembre 2020, de deux attestations de régularité de versement des cotisations URSSAF, et du formulaire de déclaration de la valeur ajoutée et des effectifs de salariés, faisant état d'un chiffre d'affaires de 3.005.653 euros au titre de l'année 2020.
Concernant l'existence d'un moyen sérieux de réformation de la décision, elle fait observer :
- que la société LIV ne répond pas aux demandes relatives au caractère non-écrit des clauses exonératoires de responsabilité des conditions générales de vente qu'il s'agisse des articles 1170 et 1171 du code civil, ou de l'article L. 442-1 du code de commerce ;
- que l'inexécution contractuelle est caractérisée, la société LIV ne contestant pas ne pas avoir été en mesure de fabriquer et livrer la chose commandée à la date prévue ;
- que la société LIV s'est comportée avec mauvaise foi, la tenant dans l'ignorance des difficultés rencontrées et préférant attendre une relance pour fournir des informations partielles ;
- que le tribunal a justement apprécié l'existence et l'importance de son préjudice.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motivation :
Aux termes des dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
L'instance ayant été introduite devant le tribunal de commerce après le 1er janvier 2020, la décision critiquée est de droit exécutoire à titre provisoire, conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile.
La demande de la société LIV - Laboratoire d'innovation végétale doit donc s'apprécier au regard des conditions cumulatives de l'article 514-3 du code de procédure civile.
Sur l'existence d'un moyen sérieux de réformation ou d'annulation de la décision critiquée :
Il est constant que le premier président, statuant sur l'article 514-3 du code de procédure civile, ne saurait se prononcer sur le caractère fondé ou non du moyen invoqué par la partie demanderesse à l'appui de sa demande, appréciation qui ne relève que de la cour d'appel saisie du recours.
Doit donc être considéré « comme moyen sérieux d'annulation ou de réformation » au sens de l'article précité le moyen qui, en violation manifeste d'un principe fondamental de procédure, ou d'une règle de droit, serait retenu par la cour d'appel comme moyen d'infirmation de la décision de première instance sans contestation sérieuse sur le fond.
En l'espèce la société LIV - Laboratoire d'Innovation Végétale - fait grief au tribunal de commerce d'avoir jugé que les articles 2 et 6 des conditions générales de vente sont réputées non écrites en méconnaissance de la jurisprudence selon laquelle les clauses exonératoires de responsabilité dans les contrats entre professionnels de même spécialité contractants avertis sont parfaitement opposables et doivent recevoir application.
Le tribunal a fondé sa décision sur l'application de l'article 1170 du code civil, aux termes duquel toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, ainsi que sur l'article L. 442-1 du code de commerce qui dispose que toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services engage sa responsabilité lorsqu'elle tente d'obtenir de son cocontractant un avantage disproportionné, sans contrepartie ou manifestement disproportionné et tente de soumettre l'autre à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Si entre professionnels les clauses limitatives de responsabilité sont en principe valables, c'est à condition qu'elles ne contredisent pas la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur. La clause limitative de responsabilité qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur, vide le contrat de sa substance et prive de sanction l'inexécution d'une obligation fondamentale peut donc être écartée.
Dans une analyse des articles 2 et 6 des conditions générales de vente, qu'il appartiendra à la cour d'appel saisie au fond d'apprécier, le tribunal a pu observer que ces deux clauses permettent à la société LIV, dont l'obligation essentielle est de fabriquer et livrer à son co-contractant les produits commandés, de s'exonérer totalement de toute responsabilité liée à une question de fabrication, d'expédition ou de retard de livraison (étant par ailleurs observé que cette exonération ne fait l'objet d'aucune contrepartie) et créent ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Par ailleurs, la société LIV qui n'a pas contesté en première instance ne pas avoir été en mesure de fabriquer et livrer la chose commandée à la date prévue et n'a pas soutenu que la société Les PATTES DOUCES n'avait pas subi de perte de chiffre d'affaires, reproche au tribunal d'avoir fait une mauvaise appréciation de l'existence et du montant du préjudice allégué.
Elle ne vise et ne produit aucune pièce au soutien de cette affirmation, dont la pertinence sera appréciée par la cour d'appel au fond.
En conséquence, les moyens soulevés à l'appui de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire apparaissent être des moyens qui seront discutés et raisonnablement appréciés par la cour d'appel saisie au fond, sans qu'il puisse être considéré, en l'état par la conseillère déléguée par la première présidente, que ces moyens entraîneront inéluctablement l'infirmation de la décision.
Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen « tiré des conséquences manifestement excessives, de l'exécution provisoire de la décision déférée à la cour, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire sera rejetée, une des conditions cumulatives prévue par la loi pour son bien fondé n'étant pas justifiée.
Sur les dépens :
La société LIV succombant en sa demande sera condamnée aux dépens.
Sur la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :
Il serait inéquitable de la laisser à la charge de la SAS LES PATTES DOUCES les frais exposés pour sa défense.
La société LIV sera condamnée à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
Nous, Annette Dubled-Vacheron, conseillère déléguée par la première présidente, statuant en référé, publiquement et contradictoirement,
Déboutons la société LIV - Laboratoire d'Innovation Végétale - de sa demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 12 mai 2021.
Condamnons la société LIV - Laboratoire d'Innovation Végétale - à verser à la SAS LES PATTES DOUCES la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamnons la société LIV - Laboratoire d'Innovation Végétale - aux dépens.
Le greffier La conseillère déléguée
M.A. BARTHALAY A. DUBLED-VACHERON