CA LYON (6e ch.), 4 novembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9235
CA LYON (6e ch.), 4 novembre 2021 : RG n° 21/02328
Publication : Jurica
Extrait : « Les articles L. 212-2 et suivants, R. 212-1 à R. 212-5 du code de la consommation afférents aux clauses abusives s'appliquent tant aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs qu'aux contrats conclus entre professionnels et non professionnels. Compte tenu de la contestation de Mme X. sur ce point, la société L. & B. n'établit pas que Mme X. aurait un autre domicile que l'appartement concerné par les travaux de rénovation. En revanche, un courrier de l'avocat de Mme X. du 5 septembre 2018 fait apparaître que celle-ci se plaint d'une perte de loyers mensuels de 35.000 USD, soit 420.000 USD au total, en raison de l'inachèvement des travaux commandés. Néanmoins, ce seul élément n'est pas suffisant pour établir que Mme X. aurait conclu le contrat litigieux dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Aussi, Mme X. avait la qualité de consommatrice dans le contrat considéré.
La clause attributive de juridiction litigieuse n'est pas présumée abusive en application de l'article R. 212-1-10° du code de la consommation, dès lors qu'elle n'oblige pas Mme X. à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges.
Or, Mme X. n'établit par aucune pièce que cette clause a pour objet de créer à son détriment un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, étant observé que chacune des parties aura à supporter des frais supplémentaires d'avocat et de traduction en raison du caractère international du litige. Aussi, Mme X. ne démontre pas le caractère abusif de cette clause.
Par ailleurs, la clause considérée donne compétence exclusive aux tribunaux de Lyon, de telle sorte que Mme X. ne peut se prévaloir, en application de l'article 25 du règlement Bruxelles 1 Bis précité, d'autres règles de compétence territoriale fondées notamment sur les articles 42 et 46 du code de procédure civile.
La clause attributive de juridiction convenue entre les parties s'impose donc à celles-ci en vertu du règlement Bruxelles 1 bis, dont les dispositions priment sur les règles de droit interne français. Aussi, Mme X. est mal fondée à invoquer l'article 48 du code de procédure civile à l'encontre de cette clause. Surabondamment, si en droit interne Français, la licéité d'une clause attributive de juridiction n'est admise que dans les relations entre commerçants en application de l'article 48 du code de procédure civile, la jurisprudence considère que les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu'il s'agit d'un litige international, sauf lorsque cette clause fait échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française. Or, comme l'a justement fait remarquer le premier juge, il n'existe pas en matière de droit de la consommation de règle générale de compétence territoriale impérative susceptible de neutraliser par principe une clause d'attribution de juridiction. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
SIXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 4 NOVEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/02328. N° Portalis DBVX-V-B7F-NPX6. Décision du juge de la mise en état du TJ de LYON, du 18 mars 2021 : R.G. n° 18/12544.
APPELANTE :
Mme X.
née le [date] à [ville], [adresse], [...], [...], Représentée par Maître Jacques A. de la SCP JACQUES A. ET PHILIPPE N., avocat au barreau de LYON, toque : 475, assisté de Maître Christoph Martin R. de la SELAS FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, toque : 656
INTIMÉE :
LA SOCIETE L. & B.
[...], [...], Représentée par Maître Olivier V., avocat au barreau de LYON, toque : 2234, assisté de Maître Jean-Luc M. de la SELARL CDMF-AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 septembre 2021
Date de mise à disposition : 4 novembre 2021
Audience présidée par Evelyne ALLAIS, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Sylvie GIREL, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré : - Dominique BOISSELET, président - Evelyne ALLAIS, conseiller - Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée en application d'une ordonnance du 1er président de la Cour d'appel de LYON du 29.06.2021
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Sylvie GIREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Suivant contrat du 31 janvier 2017, Mme X., de nationalité chinoise, résidant à New York City (USA), a confié les travaux de rénovation d'un appartement sis [adresse] à la société L. & B., architecte d'intérieur, moyennant des honoraires correspondant à 15 % du montant total des travaux estimés à 600.000 USD (united states dollars) outre remboursement des billets d'avion aller-retour Lyon-New York City.
Par acte d'huissier de justice du 27 septembre 2018, la société L. & B. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Lyon Mme X. aux fins de voir condamner celle-ci à lui payer les sommes de 138.805,75 euros hors taxes à titre d'honoraires et de 3.621,09 euros en remboursement de frais outre intérêts au taux légal à compter des mises en demeure et capitalisation de ces intérêts, des dommages et intérêts pour inexécution du contrat ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec exécution provisoire du jugement à intervenir.
Suivant conclusions d'incident notifiées le 4 février 2021, Mme X. a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon, nouvelle dénomination du tribunal de grande instance de Lyon, aux fins de voir déclarer ce tribunal incompétent pour statuer sur le litige, renvoyer la société L. & B. à mieux se pourvoir et à saisir les tribunaux de l'Etat de New York, à défaut renvoyer l'affaire au fond avec un délai minimal de 2 mois pour lui permettre de faire valoir ses arguments au fond, condamner en tout état de cause la société L. & B. à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ordonnance du 18 mars 2021, le juge de la mise en état de la 1ère chambre du tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mme X.,
- condamné Mme X. à payer à la société L. & B. la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens dans l'attente du jugement à intervenir sur le fond,
- renvoyé l'affaire à la mise en état.
Par déclaration du 31 mars 2021, Mme X. a interjeté appel de la décision.
Suivant ordonnance du président de la chambre du 5 avril 2021, agissant par délégation du premier président de la Cour, Mme X. a été autorisée en application des articles 917 et suivants du code de procédure civile à faire assigner la société L. & B. à l'audience du 28 septembre 2021, ce qu'elle a fait par acte d'huissier du 12 avril 2021.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 septembre 2021, MmeL. demande à la Cour, au visa des articles 6 et 25 du règlement Bruxelles I Bis, 42, 46 et 48 du code de procédure civile, de :
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état,
- déclarer le tribunal judiciaire de Lyon incompétent pour statuer sur le litige,
- renvoyer la société L. & B. à mieux se pourvoir et saisir les tribunaux de l'Etat de New York :
- débouter la société L. & B. de toutes ses demandes ;
- condamner la société L. & B. à lui verser 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société L. & B. aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, Mme X. fait valoir que :
- la relation contractuelle existant entre les parties étant internationale par nature, la compétence des tribunaux pour en connaître est déterminée par les règles de droit international privé applicables au litige,
- elle n'a pas d'autres domiciles que celui visé au contrat, la signification de l'assignation de la société L. & B. en 2018 à une autre adresse ne prouvant pas le contraire, dès lors qu'elle n'a pas été touchée par cette assignation ; au surplus, elle utilise son domicile à des fins personnelles et non commerciales, ne l'ayant loué qu'une fois en août 2018 lors d'un cours séjour à l'étranger ; elle est donc consommatrice dans le cadre de la relation contractuelle alors que la société L. & B. a la qualité de professionnelle,
- la clause du contrat attribuant compétence aux tribunaux de Lyon, qui entrave son action en justice à l'encontre de la société L. & B., est abusive au sens des articles L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation ; aussi, il n'y a pas lieu d'appliquer cette clause dont la validité est entachée de nullité en application des articles 6.1 et 25 du règlement Bruxelle I bis,
- la clause précitée est également contraire aux règles de droit interne français en matière de compétence territoriale fixées par les articles 42 et 46 du code de procédure civile ; elle est défenderesse et est domiciliée à New York ; au surplus, le lieu d'exécution de la prestation, défini par le contrat comme étant son lieu de résidence, est également situé à New York,
- à titre subsidiaire, s'il n'est pas fait application de l'article 25 du règlement Bruxelles I bis, la clause attributive de compétence doit être écartée en application de l'article 48 du code de procédure civile dès lors qu'elle a la qualité de consommatrice.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2021, la société L. & B. demande à la Cour, au visa des articles 6 et 25 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, des articles liminaire, L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation, 14 et 1343-4 du code civil, 42, 46 et 48 du code de procédure civile, 9, 514-1, 515, 695, 696, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
- la juger recevable et bien fondée en ses demandes,
- rejeter toutes les demandes de Mme X. puisqu'elles sont mal fondées,
- aussi, confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état,
en tout état de cause,
- condamner Mme X. à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme X. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction sera faite au profit de Maître Olivier V. conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Elle réplique que :
- il ressort des propres pièces de Mme X. que celle-ci louait habituellement l'appartement pour lequel elle lui a confié les travaux de rénovation, de telle sorte qu'elle agissait à des fins commerciales et ne peut être assimilée à une consommatrice ; au surplus, Mme X. a été assignée à un autre domicile que celui objet du contrat ; à titre subsidiaire, compte tenu de la situation patrimoniale avantageuse de Mme X., celle-ci ne démontre pas le caractère abusif de la clause attributive de compétence à son égard et notamment que cette clause est de nature à entraver son action en justice,
- l'article 48 du code de procédure civile qui prohibe les clauses de juridiction convenues entre des personnes n'ayant pas toutes contracté en qualité de commerçant n'est pas étendu à l'ordre international et ne fait donc pas obstacle à la licéité de principe des clauses relatives à la compétence internationale,
- à titre subsidiaire, les juridictions lyonnaises sont compétentes pour les raisons suivantes : le lieu de l'inexécution partielle de l'obligation de paiement de Mme X. est son siège social, soit Lyon ; en outre, le contrat de marché mettait à sa charge de nombreuses prestations intellectuelles lesquelles ne pouvaient être réalisées qu'à Lyon.
[*]
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les parties sont d'accord pour reconnaître que l'article 6 du contrat du 31 janvier 2017 stipule une clause attributive de juridiction aux tribunaux de Lyon en France.
Cette clause attributive de juridiction désigne les tribunaux de l'Etat Français, lequel est lié par le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I bis, applicable depuis le 10 janvier 2015.
Aux termes de l'article 6.1 de ce règlement, lorsque le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25.
L'article 25 dispose que si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
Les articles L. 212-2 et suivants, R. 212-1 à R. 212-5 du code de la consommation afférents aux clauses abusives s'appliquent tant aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs qu'aux contrats conclus entre professionnels et non professionnels. Compte tenu de la contestation de Mme X. sur ce point, la société L. & B. n'établit pas que Mme X. aurait un autre domicile que l'appartement concerné par les travaux de rénovation. En revanche, un courrier de l'avocat de Mme X. du 5 septembre 2018 fait apparaître que celle-ci se plaint d'une perte de loyers mensuels de 35.000 USD, soit 420.000 USD au total, en raison de l'inachèvement des travaux commandés. Néanmoins, ce seul élément n'est pas suffisant pour établir que Mme X. aurait conclu le contrat litigieux dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Aussi, Mme X. avait la qualité de consommatrice dans le contrat considéré.
La clause attributive de juridiction litigieuse n'est pas présumée abusive en application de l'article R. 212-1-10° du code de la consommation, dès lors qu'elle n'oblige pas Mme X. à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges.
Or, Mme X. n'établit par aucune pièce que cette clause a pour objet de créer à son détriment un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, étant observé que chacune des parties aura à supporter des frais supplémentaires d'avocat et de traduction en raison du caractère international du litige. Aussi, Mme X. ne démontre pas le caractère abusif de cette clause.
Par ailleurs, la clause considérée donne compétence exclusive aux tribunaux de Lyon, de telle sorte que Mme X. ne peut se prévaloir, en application de l'article 25 du règlement Bruxelles 1 Bis précité, d'autres règles de compétence territoriale fondées notamment sur les articles 42 et 46 du code de procédure civile.
La clause attributive de juridiction convenue entre les parties s'impose donc à celles-ci en vertu du règlement Bruxelles 1 bis, dont les dispositions priment sur les règles de droit interne français. Aussi, Mme X. est mal fondée à invoquer l'article 48 du code de procédure civile à l'encontre de cette clause. Surabondamment, si en droit interne Français, la licéité d'une clause attributive de juridiction n'est admise que dans les relations entre commerçants en application de l'article 48 du code de procédure civile, la jurisprudence considère que les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu'il s'agit d'un litige international, sauf lorsque cette clause fait échec à la compétence territoriale impérative d'une juridiction française. Or, comme l'a justement fait remarquer le premier juge, il n'existe pas en matière de droit de la consommation de règle générale de compétence territoriale impérative susceptible de neutraliser par principe une clause d'attribution de juridiction.
L'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mme X.
Les dépens de l'incident suivant les dépens de la procédure au fond, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a réservé les dépens. Les dépens d'appel seront également réservés. Toutefois, Mme X., qui n'obtient pas gain de cause dans le cadre de son recours sera condamnée à payer à la société L. & B. la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée par l'ordonnance déférée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
Réserve les dépens d'appel ;
Condamne Mme X. à payer à la société L. & B. la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Rejette le surplus des demandes ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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