CA PARIS (15e ch. sect. A), 26 novembre 1999
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 925
CA PARIS (15e ch. sect. A), 26 novembre 1999 : RG n° 1997/19604
Extrait : « Considérant par conséquent qu'au vu de l'exposé qui précède, Mme X., qui apparaît n'avoir porté sa signature sur aucun des documents versés aux débats, excepté l'avis de réception mentionné plus haut, ne démontre pas que l'accord de volontés des parties s'était formé sur la base des projets de rendement ; que c'est dès lors de manière inopérante qu'elle invoque les dispositions de l'article L 133-2 du Code de la Consommation, ces documents ne pouvant se voir reconnaître aucune valeur contractuelle ».
COUR D’APPEL DE PARIS
QUINZIÈME CHAMBRE SECTION A
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 1999
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : 1997/19604. Pas de jonction. Décision dont appel : Jugement rendu le 25 juin 1997 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 4e Ch. 1re sect. RG n° : 1997/09030.
Date ordonnance de clôture : 15 octobre 1999. Nature de la décision : CONTRADICTOIRE. Décision : INFIRMATION.
APPELANTE :
Madame X.
demeurant [adresse], représentée par la SCP NARRAT-PEYTAVI, avoué, assistée de maître LECOQ VALLON, Toque L 187, Avocat au Barreau de PARIS
INTIMÉE :
SOCIÉTÉ ABEILLE VIE venant aux droits de la SOCIÉTÉ L'ÉPARGNE DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège [adresse], représentée par la SCP ROBLIN-CHAIX DE LAVARENE, avoué, assistée de Maître J.P. LAIRE, Toque B 1101, Avocat au Barreau de PARIS
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR : lors des débats et du délibéré,
Président : Monsieur SALZMANN - Conseiller : Monsieur BINOCHE - Conseiller : Madame LE GARS
DÉBATS : à l'audience publique du 21 octobre 1999
GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Monsieur DUPONT agent du secrétariat-greffe ayant prêté le serment de Greffier
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement par Monsieur SALZMANN, Président, lequel a signé la minute du présent arrêt avec Monsieur G. DUPONT, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La Cour statue sur l'appel formé suivant déclaration remise au Secrétariat-Greffe de la Cour le 16 juillet 1997 par Mme X. à l'encontre du jugement rendu le 25 Juin 1997 par la 4e Chambre du Tribunal de Grande Instance de PARIS, qui, sur l'assignation de Mme X., a :
- débouté celle-ci de toutes ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamné Mme X. aux dépens.
La Cour se réfère au jugement qui lui est soumis pour l'exposé des faits de la cause et de la procédure, sous réserve des points suivants, essentiels à la [minute page 3] compréhension de l'affaire ; il est renvoyé, au sujet des demandes et prétentions des parties, pour un plus ample exposé des moyens, aux écritures échangées devant elle.
Le Tribunal a d'abord constaté que les parties étaient en désaccord au sujet de la nature des documents remis lors de la souscription par Mme X. des contrats de capitalisation, observant que les placements avaient été effectués de façon anonyme, et que les conditions générales et particulières invoquées par la société ABEILLE VIE n'étaient pas signées du souscripteur.
Il relevait cependant l'évocation dans l'assignation du rendement obtenu dans le cadre des deux contrats dénommés « croissance libre », laissant à supposer la connaissance par Mme X. de leurs conditions particulières.
Analysant l'étude établie le 16 septembre 1992 par Mme Y. à laquelle Mme X. accorde une valeur contractuelle, les premiers Juges retenaient que cet acte était qualifié de projet, contenait la simulation des conséquences d'un placement d'un million de francs sur les deux types de contrat proposés à certaines conditions de taux de capitalisation ou de croissance annuelles, pour en conclure au caractère indicatif, eu égard notamment à la mention de la variation des parts de société civile immobilière, et sans valeur contractuelle des éléments qu'elle contenait.
Il estimait que les placements en parts de SCI étaient dans l'esprit du souscripteur variables, puisque référence était faite à l'expertise régulière de leur valeur, un taux de rendement minimum limité à 2 % l'an étant, dans le cadre des conditions particulières, garanti.
En ce qui concerne les contrats CARNET X 5, le Tribunal retenait l'absence de clause de nature à confirmer que Mme X. pouvait penser que la somme de 20.140 francs était prélevée sur les intérêts produits par le placement, et non sur le capital, l'opération s'analysant comme une opération de rachat anticipé, ce que la référence dans l'acte du 16 septembre 1992 aux « rachats partiels successifs » précisait.
Les Premiers Juges estimaient que l'obligation d'information avait été remplie par l'Épargne de France, par la fourniture du projet de rendement et des conditions particulières applicables, et constatait que Mme X. avait été avertie le 1er juillet 1996 des conséquences durables de la crise du secteur immobilier, pour retenir que la responsabilité de l'Épargne de France n'était pas engagée et débouter Mme X. de sa demande tendant à la désignation d'un expert.
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PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES EN APPEL :
Les parties ayant conclu en dernier lieu respectivement les 17 septembre et 8 octobre 1999, seules ces écritures seront prises en compte par la Cour quant aux prétentions et moyens présentés, en application des dispositions de l'article 954 § 2 du Nouveau Code de Procédure Civile, tel que modifié par le Décret 98-1231 du 28 décembre 1998,
Mme X. demande à la Cour de :
- dire et juger que l'appel par elle formé est recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
A titre principal, au titre du non-respect de ses engagements contractuels, de :
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer une somme de 240.000 francs correspondant à la reconstitution du capital investi dans le contrat carnet X 5 n°07050000586,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer une somme de 85.647,80 francs correspondant à la perte sèche subi par ses investissements dans les contrats CROISSANCE LIBRE n°07040000952 et 7040000933,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer les intérêts ayant couru du 1er septembre 1992, date d'effet, au 3 octobre 1996, date du calcul de la valeur de rachat, au taux de 8,75 % sur la somme totale de 350.000 francs investie sur les contrats Croissance Libre n° 7040000952 et 7040000933, conformément au projet du 16 septembre 1992,
A titre subsidiaire, au titre du non-respect de son obligation d'information et de son devoir de conseil,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer une somme de 240.000 francs correspondant à la reconstitution du capital investi dans le contrat carnet X 5 n°7050000586,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer une somme de 85.647,80 francs, correspondant à la perte sèche subi par ses investissements dans les contrats CROISSANCE LIBRE n° 7040000952 et 7040000933,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à lui payer les intérêts ayant couru du 1° septembre 1992, date d'effet, au 3 octobre 19%, date du calcul de la valeur de rachat, au taux de 8,75 % sur la somme totale de 350.000 francs investie sur les contrats Croissance Libre n° 7040000952 et 7040000933, conformément au projet du 16 septembre 1992,
A titre infiniment subsidiaire,
- désigner tel Expert qu'il lui plaira et ayant pour mission de :
* réunir les parties,
* répondre à leurs dires,
* entendre tout sachant,
* se faire remettre tous documents utiles,
* fournir tous éléments de nature à déterminer l'étendue du préjudice subi par [minute page 5] Madame X. à la date de restitution des fonds, dans les opérations effectuées auprès de la Société ÉPARGNE DE FRANCE, ou de ses établissements financiers, au regard de l'utilisation normale des contrats souscrits et de la rémunération moyenne en vigueur pour de tels produits,
- dire que l'expert sera mis en œuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et, sauf conciliation des parties, déposera son rapport au secrétariat-greffe de cette Cour dans les trois mois de sa saisine,
- dire qu'il en sera référé en cas de difficulté,
- fixer la provision à consigner au Greffe au titre d'avance sur les honoraires de l'Expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir,
- condamner la Société ABEILLE-VIE à réparer le préjudice qui sera ainsi évalué,
- condamner l'ABEILLE-VIE à payer à Madame X. la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, -la condamner aux entiers dépens.
Elle fait d'abord valoir que la société ABEILLE-VIE ne se cache pas, dans ses écritures, de l'exploitation abusive que la Société ÉPARGNE DE FRANCE, aux droits de laquelle elle vient, a faite de la situation d'ignorance et donc de faiblesse dans laquelle se trouvent les personnes sollicitées par les salariés chargés du démarchage à domicile ; elle souligne que le Tribunal de Grande Instance de PARIS a, par plusieurs récentes décisions, constaté et sanctionné la violation par la Société ÉPARGNE DE FRANCE de son obligation d'information et de son devoir de conseil au profit d'épargnants ayant souscrit les mêmes contrats que Madame X.
S'agissant de la recevabilité des demandes formulées devant la Cour, elle fait valoir qu'elle avait sollicité en première instance la condamnation de la Société ABEILLE-VIE à réparer l'intégralité du préjudice qu'elle avait subi du fait des agissements de la Société EPARGNE DE FRANCE, ainsi que la désignation d'un expert aux fins de détermination de l'étendue de son préjudice, et qu'en appel, au titre de la réparation de son préjudice, elle sollicite, à titre principal, au titre du non-respect de ses engagements contractuels, la condamnation pécuniaire de la Société ABEILLE-VIE, et à titre subsidiaire, au titre du non-respect de son obligation d'information et de son devoir de conseil, sa condamnation au paiement des mêmes sommes, sollicitant à titre plus subsidiaire, pour la détermination de son préjudice, la désignation d'un expert.
Elle s'appuie sur les dispositions de l'article 565 du Nouveau Code de Procédure Civile, pour soutenir que ses prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent, et précise qu'au regard de l'ensemble des demandes formulées par elle devant la Cour, elles sont parfaitement [minute page 6] recevables au regard de l'article 566 du même code, les parties pouvant expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.
En ce qui concerne le contexte dans lequel elle a souscrit, elle s'appuie sur l'appréciation d'un expert, suivant laquelle les produits de capitalisation et d'assurance-vie sont complexes à comprendre pour l'épargnant, et nécessitent un niveau de connaissances relativement élevé sur le plan financier pour bien appréhender leurs caractéristiques, de sorte que les explications et le conseil que doit apporter le vendeur sont très importants, le rachat anticipé étant, dans ce type de contrat, soit Croissance Pierre Investissement, à éviter, compte tenu des commission, pénalité de rachat, et de l'absence d'exonération de l'imposition des plus-values si le rachat a lieu dans les huit premières années, et de participation aux bénéfices, au-delà du montant garanti, si le rachat a lieu avant la sixième année.
Le choix des hypothèses de performance était selon lui très important dans les calculs effectués, car si ces hypothèses sont démenties dans la réalité, les résultats prévus ne pouvant se réaliser, un capital diminué par rapport à celui investi peut en résulter.
Elle s'étonne dès lors que la Société ABEILLE-VIE puisse soutenir que Madame X. aurait été parfaitement informée des mécanismes relatifs aux Contrats d'Assurance sur la Vie, pour avoir expressément reconnu avoir pris connaissance des Conditions Générales et Particulières des conventions par elle souscrites.
S'agissant de la demande de celle-ci tendant à écarter des débats les extraits du rapport établi par l'Expert W. au mois d'octobre 1996, elle souligne que, dans la mesure où la Société ABEILLE-VIE considère qu'elle n'a rien à cacher dans les affaires l'opposant aux épargnants, elle devrait être tout à fait satisfaite de la production de ce rapport, qui contient la description purement objective des produits pour lesquels Mme X. a contracté, et qui permet à la Cour d'être pleinement éclairée sur les caractéristiques des produits en question, les conditions générales étant difficilement compréhensibles par les épargnants.
Elle cite également un article paru dans une revue destinée aux consommateurs.
[minute page 7] Elle demande de constater à titre principal le défaut de respect par la Société ABEILLE-VIE des engagements contractés par ÉPARGNE DE FRANCE à son égard.
Elle soutient qu'en réalité, le seul élément qui lui a été clairement exposé pour obtenir sa souscription, est l'étude établie par Madame Y. le 16 septembre 1992, aucune mention concernant son caractère hypothétique, ou son absence de caractère contractuel n'y étant portée.
Elle souligne qu'il y était au contraire clairement prévu une participation aux bénéfices permettant un taux de capitalisation de 8,00 % des sommes nettes investies pour le carnet X5, une croissance annuelle de 8,75 % de la valeur de la part pour le CONTRAT CROISSANCE LIBRE, et un taux de capitalisation de 2,25 % des sommes nettes investies en parts pour le CONTRAT CROISSANCE LIBRE, et qu'elle était signée par le chef de service de l'ÉPARGNE DE FRANCE : elle soutient que cet organisme avait ainsi garanti les conditions de réalisation du projet sur la base duquel elle avait investi un million de francs, et que, si elle n'avait pas eu ce sentiment, elle aurait investi son épargne sur un produit à taux garanti, type livret A, et non sur un produit à risque.
C'est l'unique document qui lui a été soumis afin d'obtenir de sa part la signature des quatre contrats conclus les 29 septembre et 13 octobre 1992, et elle fait valoir que pour conforter la réalité des éléments contenus dans celui-ci, l'ÉPARGNE DE FRANCE s'était expressément engagée dans un document du 11 septembre 1992 remis à Madame X. à lui verser tous les trimestres à partir du 9ème mois la somme de 20.140 francs anonymement sur une durée de 8 ans.
Ce projet de rendement, signé du chef de service de l'Epargne de France, rentrait donc dans le champ contractuel, et doit être appliqué.
Elle fait valoir qu'une convention doit être interprétée à la lumière des propositions faites antérieurement à celle-ci, et que le cocontractant est tenu par les termes de sa proposition initiale, pouvant être condamné à payer des dommages et intérêts.
Elle s'appuie aussi sur l'article L 133-2 du Code de la Consommation qui dispose que « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensibles », et que ces clauses « s'interprètent en cas de [minute page 8] doute dans le sens le plus favorable aux consommateurs ou aux non professionnels ».
Elle relève par ailleurs, l'existence d'une note interne du 12 janvier 1993 de l'Epargne de France, qui demandait aux agents de l'ÉPARGNE DE FRANCE de faire le point avec les clients pour les sensibiliser sur le fait que les rachats successifs avaient été déterminés avec des hypothèses surestimées, et que le résultat réel était différent ; elle en déduit le fait que le projet de rendement qui lui avait été soumis faisait bien partie intégrante des relations contractuelles existant entre eux et l'ÉPARGNE DE FRANCE.
Elle ajoute que les taux indiqués sur le projet de rachats successifs n'ont jamais été présentés comme étant susceptibles d'évoluer, mais comme des taux garantis.
La dénomination donnée au contrat CROISSANCE LIBRE, soit celle de contrat à capital variable, n'implique pas à son sens que celui-ci ne comportait pas de rendement minimum garanti ; le document mentionnait que le capital serait réservé, ce qui impliquait à son sens que pour assurer des versements trimestriels le capital devait produire des intérêts.
Elle avait de plus été destinataire de notes d'information antérieurement à la présentation du projet, faisant référence à des performances supérieures ou équivalentes aux taux mentionnés sur ce dernier, et elle fait valoir que la Cour a sanctionné cette pratique, en condamnant la compagnie en cause à respecter les engagements pris sur la base du taux expressément indiqué sur l'étude de rendement de l'investissement proposé.
Mme X. fait valoir à titre subsidiaire le défaut de respect par la Société ÉPARGNE DE FRANCE de son obligation d' information et du devoir de conseil, et fait valoir qu'il ressort des termes mêmes de la note du 12 janvier 1993, que le souci de la Société ÉPARGNE DE FRANCE a été de repousser au maximum le moment où les épargnants allaient se rendre compte de la défaillance des contrats qu'elle leur avait fait souscrire, instaurant une sélection parmi les catégories d'épargnants concernés, afin d' intervenir d'abord auprès des épargnants qui allaient se trouver de manière imminente devant une situation de cessation des versements, Mme X. ne s'expliquant pas pour quel motif elle ne recevait aucune information avant le 1er juillet 1996.
[minute page 9] Elle invoque donc le fait que le courtier commerçant indépendant et professionnel de l'assurance a, à l'égard de son client, une obligation de conseil et d'exactes informations, et qu'il doit être un guide sûr et un conseiller expérimenté.
S'agissant d'un placement risqué, Mme X. devait être informée des risques encourus, et la société ÉPARGNE DE FRANCE aurait donc dû lui fournir, dans le cadre de l'information précontractuelle, une information spécifique à ce titre, et qu'il lui appartient de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; ne rapportant pas cette preuve, la société ABEILLE VIE est tenue à son sens de réparer le préjudice subi par Mme X.
Celle-ci l'estime au montant de la perte sèche de son investissement, ainsi qu'en fonction du défaut de réalisation du projet établi.
Elle met en cause le fait que la part de la SCI CROISSANCE PIERRE n'augmentait pas, depuis 1992, de 8,75 % par an, comme indiqué sur le projet de rendement, et le fait d'avoir été exclue de l'information particulière que la Société ÉPARGNE DE FRANCE avait mise en place en janvier 1993.
Elle s'estime fondée à solliciter la condamnation de l'ABEILLE-VIE, à réparer, ne serait-ce qu'au titre de la perte de chance, le préjudice causé par l'ÉPARGNE DE FRANCE à son égard.
La Compagnie ABEILLE VIE demande pour sa part à la Cour :
- à titre principal, de dire que les demandes de Mme X. sont nouvelles en cause d'appel, et de déclarer celle-ci irrecevable en sa demande à titre principal de condamnation de la Compagnie ABEILLE VIE, au paiement, au titre du non-respect de ses engagements, des sommes de 240.000 francs correspondant à la reconstitution du capital investi sur le contrat Carnet X5 n° 705/00586, de 85.647,80 francs, correspondant à la perte sèche subie sur ses investissements dans les contrats Croissance Libre (704100952 et 704/00933), des intérêts ayant couru du 1er septembre 1992 au 3 octobre 1996 au taux de 8,75 % sur la somme totale de 350.000 francs investie sur les contrats Croissance Libre, conformément au projet du 16 septembre 1992, l'intimée demandant à la Cour d'exclure toute dimension contractuelle et contraignante à ce projet de rachats successifs.
Elle demande encore de juger irrecevable la demande formée à titre subsidiaire, et tendant aux condamnations dans des termes identiques, au titre de la sanction d'une prétendue méconnaissance de son obligation d'information et de son devoir de conseil,
[minute page 10] Elle fait d'abord valoir que Mme X. forme en cause d'appel, dans ses dernières écritures devant la Cour, une demande indemnitaire chiffrée, n'énonçant une demande en désignation d'expert qu'à titre infiniment subsidiaire.
Il lui parait singulier que Madame X. invoque, devant la Cour, des jugements frappés d'appel, semblant ainsi vouloir la placer dans l'obligation de devoir soutenir les moyens sur le fondement desquels elle entend discuter la teneur des jugements intervenus ; elle rappelle que la Cour n'est saisie que du seul appel relevé par Mme X. du jugement prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 25 juin 1997.
Elle précise qu'aux termes de son exploit introductif d'instance devant le Tribunal, celle-ci ne demandait aucune condamnation chiffrée à son encontre, que le Tribunal retenait à juste titre qu'en tout état de cause la mesure d'expertise sollicitée ne pouvait suppléer la carence du demandeur dans l'administration de la preuve.
Observant que dans le cadre de ses premières conclusions d'appelante la demande de désignation d'expert était à nouveau formulée, elle constate que l'appelante demande la condamnation de la Compagnie ABEILLE VIE, et qu'il y aura donc lieu pour la Cour de statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles de Mme X.
Elle souligne qu'en première instance, comme dans ses premières écritures devant la Cour, Mme X. sollicitait la désignation d'un Expert, et demande à la Cour de juger que la demande tendant à sa condamnation pécuniaire est nouvelle en cause d'appel, et dès lors irrecevable.
A titre subsidiaire, elle demande de dire et juger mal fondée Mme X. en ses demandes en condamnation telles que ci-dessus rappelées, et de l'en débouter, comme de sa demande formulée à titre infiniment subsidiaire en désignation d'Expert.
La Compagnie ABEILLE VIE demande en conséquence la confirmation en toutes ses dispositions du Jugement, et de condamner Mme X. au paiement à son bénéfice d'une somme de 15.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
[minute page 11] Elle fait valoir, en ce qui concerne le mécanisme contractuel, que l'appelante, même si la conclusion des contrats de capitalisation au porteur revêtait une forme anonyme, avait été destinataire des Conditions Générales valant note d'information au titre du contrat « Croissance Libre », du contrat « Carnet X5 », ainsi que des Conditions Particulières relatives à chacune de ces conventions.
Elle expose que les contrats « Croissance Libre » disposaient que « Le plan Croissance Libre » avait pour objet la constitution ou le placement d'un capital par des versements libres, dont le souscripteur fixait lui-même le montant et la fréquence, le capital étant versé au terme du contrat d'une durée de huit années, et fait valoir que l'article 3 des Conditions Générales précisait les valeurs de référence, le souscripteur ayant le choix entre les sicav en actions, les sicav diversifiées ou la Société Civile Immobilière Croissance Pierre.
Mme X. faisait ainsi choix, comme support de référence, de la Société Civile Immobilière Croissance Pierre, et la société intimée fait valoir que l'article 3 faisait mention du caractère évolutif de la valeur de la part de la Société Civile Immobilière, puisqu'il est indiqué sa fixation chaque année avant le 31 décembre sur la base de l'estimation annuelle au 30 Septembre précédent de l'actif net de la SCI, et d'après expertise du patrimoine de « Croissance Pierre » réalisée tous les 5 ans.
Par les dispositions des articles 5 et 7, le souscripteur était parfaitement informé du mode de détermination de la valeur de rachat du contrat, étant indiqué que le montant de l'épargne était égal au nombre d'unités de compte acquises multiplié par la valeur de la part au moment de la demande de rachat.
Elle demande en conséquence de considérer que le Tribunal, dans son jugement déféré, a justement procédé à la lecture des Conditions Générales en retenant que Mme X. savait que les placements des sommes de 290.000 francs et 160.000 francs en parts de SCI Croissance Pierre étaient variables puisqu'une expertise devait intervenir régulièrement pour déterminer la valeur de ces parts, et que l'évolution du marché n'était nullement garantie.
Elle soutient que Madame X. a en effet nécessairement reçu un exemplaire des Conditions Générales valant note d'information, ainsi qu'une notice d'information sur la valeur de référence choisie ; elle soutient encore que celle-ci a été rendue destinataire, ce qui ne peut être sérieusement contesté, puisque Madame X. verse ces pièces aux débats, des Conditions Particulières relatives aux deux contrats « Croissance Libre », dont l'original reprenait au verso les conditions générales du contrat, déjà communiquées lors de la demande de souscription.
[minute page 12] Elles prévoyaient pour le contrat n° 704/933 le versement de la prime de souscription d'un montant de 290.000 francs, ouvrant droit au bénéfice de 70.297,705 parts de la SCI de référence, considérant la valeur de la part de la SCI à la date de souscription, soit au cas d'espèce 3,9603 francs.
Elles stipulaient que la seule garantie consentie par l'Epargne de France tenait au nombre de parts de la SCI Croissance Pierre acquises au terme du contrat de 8 années, soit au cas d'espèce 82.365,477 parts, la valeur du contrat étant donc déterminée, si la convention était menée à son terme, en considération de ce nombre d'unités de compte garanties multiplié par la valeur de l'unité de compte, s'agissant d'un contrat à capital variable, à la date du rachat ; si un taux minimum était garanti, soit à hauteur de 2 %, celui-ci s'exprimait en nombre d'unités de compte acquises au terme du contrat.
Pour le contrat n° 70/952, par le versement d'une prime de souscription d'un montant de 160.000 francs, était acquis au souscripteur le bénéfice de 38.784,941 parts de la SCI de référence, considérant la valeur de l'unité de compte au jour de la souscription, avec pour seule garantie l'engagement d'un nombre minimum de parts sociales, au cas d'espèce 45.443,022 parts au terme des 8 années de vie du contrat, la valeur acquise de ce contrat étant de la même manière déterminée par ce nombre de parts, si le contrat était mené à son terme, multiplié par la valeur de la part au jour du rachat.
La compagnie ABEILLE VIE fait valoir en ce qui concerne les contrats « Carnet X5 », qu'il s'agit de contrats libellés en francs garantissant un taux d'intérêt annuel minimum, les Conditions Particulières prévoyant pour le contrat n° 705/603, moyennant le versement à la souscription d'une somme de 310.000 francs, la garantie d'un capital minimum au terme du contrat de 8 ans d'un montant de 388.004 francs, et pour le contrat n° 705/586, moyennant le versement à la souscription d'une somme de 240.000 francs, un capital minimum au terme du contrat de 8 ans d'un montant de 300.390 francs ; ceci supposait que celui-ci soit maintenu jusqu'à son échéance contractuelle.
Cependant, le contrat n° 705/603 était racheté courant 1996, et le contrat n° 705/586 voyait le capital investi utilisé par les rachats programmés entre 1993 et 1996.
Faisant valoir que le rapport d'expertise déposé par Monsieur W. concernait un litige dont la Cour n'est pas saisie, et dans le contexte de circonstances de fait et de droit non soumises à son appréciation, l'intimée demande d'écarter purement et simplement cette pièce, sans lien direct avec le litige.
[minute page 13] Il lui semble que Mme X. ne conteste pas avoir reçu les Conditions Générales valant note d'information, et qu'elle n'a pas usé du délai de rétractation de 30 jours lui offrant la possibilité de renoncer à son projet d'investissement, ni ne conteste avoir reçu, à l'expiration de ce délai de rétractation, les Conditions Particulières de ses contrats reflétant les mentions par elle portées sur son bulletin de souscription.
Mme X. ne mentionne pas en quoi les Conditions Générales du contrat « Croissance Libre » ou du contrat « Carnet X 5 » seraient obscures, et à l'origine d'une confusion dans son esprit.
Ce projet de rachats successifs, seul élément clairement exposé pour obtenir la souscription, selon l'appelante, était établi le 16 septembre, alors que le premier contrat « Croissance Libre » avait déjà été signé ; or tant les Conditions Générales du contrat « Croissance Libre » que celles définissant le mécanisme contractuel du contrat « Carnet X5 » stipulent expressément que le souscripteur peut obtenir, à tout moment, le rachat total ou partiel de son épargne investie.
Elle explique dès lors que l'Épargne de France a pu présenter à Madame X. un projet, envisageant, en terme de simulation pour l'avenir, des possibilités de rachat de l'épargne investie par le souscripteur, dont la pertinence pour l'avenir supposait que les hypothèses sur la base desquelles les calculs avaient été effectués se vérifient pour l'avenir.
Contestant que ce soit l'unique document qui lui ait été remis pour obtenir sa souscription, elle soutient que Mme X. ne pouvait méconnaître que c'est le capital par elle investi qui lui était de la sorte reversé, puisque le document mentionnait expressément qu'il s'agissait d'un projet de rachats successifs.
Elle réfute le fait que le document du 16 septembre 1992 puisse être considéré comme source d'engagement contractuel, les seuls documents contractuels étant constitués par les Conditions Générales et Particulières, documents au demeurant élaborés sous l'autorité de tutelle des compagnies d'assurances, et soumis à son visa.
Le document daté du 16 septembre 1992, par son intitulé même, soit celui de projet, ne peut valoir engagement contractuel : il énonce les perspectives de reversement de l'épargne investie, et les possibilités de maintien [minute page 14] de cette épargne, au terme de l'opération de projet de rachats successifs, sous condition toutefois que soient maintenues les hypothèses sur la base desquelles les calculs ont été effectués, à savoir, un taux de capitalisation de 8 % sur les contrats Carnet X 5, une croissance annuelle de 8,75 % de la valeur de la part pour le contrat « Croissance Libre », et un taux de capitalisation de 2,25 % des sommes nettes investies en parts pour le contrat « Croissance Libre », avec le maintien de l'anonymat fiscal.
Elle soutient que le seul paraphe du chef de service sur un document non signé par Madame X. n'a pas pour conséquence, eu égard à son contenu, de lui conférer dimension contractuelle.
Enfin, l'article L. 133-2 du Code de la Consommation est inapplicable puisque le projet ne présente aucune dimension contractuelle, et ses clauses n'étant pas susceptible d'interprétation.
Même si l'expression « hypothèse » n'était pas employée, les simulations effectuées à terme de 93 mois supposaient que les conditions envisagées au jour de la présentation du projet soient maintenues pendant toute sa durée, et la société Epargne de France ne souscrivait aucun engagement garantissant que la Société Civile Immobilière Croissance Pierre conserverait, pour les années à venir, un taux de croissance annuelle de 8,75 %, le contrat Croissance Libre étant un contrat expressément qualifié comme à capital variable.
Elle retient des termes des différents jugements prononcés par le Tribunal de Grande Instance de PARIS invoqués par Mme X. le fait que ce projet ne peut présenter de caractère contractuel, mais indicatif.
S'agissant de la note interne du 12 janvier 1993, il en résulte que les projets n'étaient effectivement bâtis que sur la base de strictes hypothèses, susceptibles par définition de ne pas se vérifier pour l'avenir, et que lorsque l'évolution du marché s'est révélée moins favorable, l'Épargne de France a eu le souci de sensibiliser ses clients sur l'évolution possible du marché, et sur la circonstance que les conditions en considération desquelles des projets de rachats successifs avaient pu être établis pouvaient ne pas se vérifier pour l'avenir, réaffirmant à son sens ainsi le caractère strictement hypothétique des projets de rachats successifs.
Elle fait valoir d'autre part qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir attiré l'attention de l'épargnant sur la circonstance que, adossé à une Société Civile Immobilière dont le patrimoine évolue en considération de l'évolution du [minute page 15] marché, les calculs n'étaient effectués que sur la base d'hypothèses ou de conditions susceptibles d'évoluer pour l'avenir, les formulations employées excluant toute équivoque à cet égard, comme retenu par le Tribunal ; cette note interne en tout état de cause ne visait pas les produits d'investissement souscrits par Mme X., la société civile immobilière de référence choisie par cette dernière, la Société Civile Immobilière « Croissance Pierre » ayant continué à connaître une croissance de la valeur de la part de capital jusqu'en 1994.
C'est donc vainement, estime-t-elle, que Madame X. croit pouvoir lui faire grief d'avoir souhaité maintenir des épargnants sur le secteur immobilier frappé d'une grave crise : au 12 janvier 1993, rien ne permettait d'estimer que le retournement du marché immobilier serait à la fois très brutal et durable, et rien n'interdisait à son sens d'envisager qu'il reprenne un taux de croissance conforme aux évolutions des années passées ; elle soutient dès lors, que n'étaient véritablement visés par cette note que ceux des souscripteurs dont, précisément, les plans de rachats venaient à terme très prochainement, lequel risquait de ne plus permettre d'envisager une restauration de leur épargne.
Lorsqu'en 1995, la valeur de la part était sensiblement affectée par l'évolution, cette fois-ci durable du marché immobilier, les responsables de l'Épargne de France offraient aux souscripteurs la conversion de leurs contrats sur un support libellé en francs, ce que ne devait pas accepter Mme X., qui réalisait sur chacune des conventions des plus values.
Elle soutient que la Compagnie Epargne de France a pleinement satisfait à son obligation d'information annuelle de la valeur de la part, ce qui n'a jamais été discuté par Madame X.
Elle ajoute encore que celle-ci était destinataire de la note annuelle d'information lui communiquant toutes informations utiles sur l'évolution de la valeur de la part de la Société Civile Immobilière Croissance Pierre, et que les trimestrialités versées à compter du mois d'octobre 1992 ont procédé d'opérations de rachat dans un premier temps du contrat Carnet X5 (n° 705/586), contrat libellé en francs prévoyant un taux garanti, puis que celles versées au mois de juin et septembre 1996 ont procédé d'opérations de rachat portant sur le second contrat Carnet X5 (705/603).
Il est en conséquence demandé à la Cour de débouter Mme X. de sa demande formée au titre des dispositions de l'article 1134 du Code Civil.
[minute page 16] En ce qui concerne le défaut de respect de l'obligation d'information et de conseil, elle observe que Mme X. ne semble tirer aucune conséquence juridique de cette argumentation formulée à titre subsidiaire, n'entendant dans le cadre du dispositif de ses écritures, la voir condamner qu'au titre de la méconnaissance des engagements souscrits.
Mme X. ne développe pas à son sens la nature de l'information, complémentaire à celle dont elle a été destinataire à la lecture des Conditions Générales valant note d'information, qu'elle prétend être en droit de pouvoir exiger d'elle.
Mme X. a conservé un double du bulletin de souscription comportant au verso les Conditions Générales valant note d'information, les conditions de dénonciation au contrat, un modèle de lettre de dénonciation, ainsi qu'une notice d'information sur la société civile immobilière « Croissance Pierre ».
Les Conditions Générales valant note d'information sont à son sens claires et précises, mentionnent le mode d'évaluation du contrat, et précisent la dimension aléatoire du support de référence choisi par Madame X.
Elle entend rappeler que le Code des Assurances définit les modalités d'exécution et le contenu de l'obligation précontractuelle d'information, particulièrement rigoureuses et précises, permettant au souscripteur de prendre conscience, pendant le délai de rétractation de 30 jours, des obligations souscrites par l'Epargne de France, dont il ne pouvait dès lors méconnaître la nature.
Il est encore soutenu que Mme X. a été certainement approchée par les commerciaux de l'Epargne de France, puis officiellement informée par un courrier en 1996 de l'évolution du support Croissance Pierre.
Celle-ci n'a en réalité subi aucun préjudice susceptible de résulter de la communication, estimée par elle tardive, de l'information relative à l'évolution de la part de la Société Civile Immobilière Croissance Pierre.
L'appelante méconnaît à son sens la réalité des règlements qui sont intervenus, et les conséquences des rachats anticipés.
[minute page 17] Elle demande dès lors de constater que la « perte sèche » susceptible d'être invoquée par Madame X. s'élève en réalité, sur l'ensemble des opérations, pour un placement de 1.000.000 francs à la somme de 10.941,54 francs, non significative à ses yeux.
Elle demande enfin de débouter Mme X. de sa demande aux fins d'expertise, celle-ci versant aux débats un rapport, qui doit être écarté, à l'appui, le recours à une telle mesure ne pouvant suppléer à sa carence dans l'administration de la preuve.
L'ordonnance de clôture était prononcée le 15 octobre 1999.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
CECI ÉTANT EXPOSÉ,
SUR LA PIÈCE VERSÉE AUX DÉBATS :
Considérant que Mme X. ne verse aux débats la copie d'un rapport d'expertise judiciaire établi par M. W. en octobre 1996 dans le cadre d'un autre litige opposant un épargnant à l'Épargne de France, qu'aux fins d'éclairer le contexte dans lequel celle-ci était amenée à souscrire ;
Que dans la mesure où ce document n'apparaît pas incomplet, et que l'intimée en a eu régulièrement communication, il n'y a lieu de l'écarter des débats, celui-ci pouvant, à titre de simple information, éclairer ceux-ci ;
SUR LA RECEVABILITÉ :
Considérant que dans le cadre de son assignation introductive d'instance, Mme X. soutenait que l'Épargne de France avait engagé sa responsabilité, par manquement à ses obligations d'information et de conseil, expliquant avoir subi un préjudice lié aux prévisions sur lesquelles elle pensait pouvoir compter, et à l'utilisation comme revenus des versements trimestriels; qu'elle se disait fondée à solliciter la condamnation de l'ABEILLE VIE à le réparer, et à solliciter la désignation d'un expert pour le déterminer ;
Considérant qu'en cause d'appel, Mme X. ne sollicite la mesure d'expertise qu'à titre subsidiaire, et chiffre le montant des condamnations pécuniaires qu'elle sollicite à l'encontre de la société intimée ;
[minute page 18] Considérant qu'une demande au fond avait été demandée aux Premiers Juges, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ce qui avait amené ceux-ci à analyser les rapports contractuels, avant de débouter Mme X. de ses demandes ; qu'en conséquence, la Cour considérera que Mme X. a explicité les prétentions qui étaient virtuellement incluses dans ses demandes initiales, pour les compléter par une demande chiffrée qui ne représente que leurs conséquences dans le cadre du moyen tendant à l'engagement de la responsabilité ;
Que ces demandes sont donc recevables, au sens des dispositions de l'article 566 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Que par ailleurs la demande qui tend à l'exécution par la cocontractante de ses obligations contractuelles, telles que l'appelante les entend, tend aux mêmes fins que l'action en vertu de laquelle elle demandait la réparation de son préjudice, soit le paiement d'une somme d'argent ; que cette demande est également recevable, en application des dispositions de l'article 565 du Nouveau Code de Procédure Civile ,
Que la Cour rejettera ce premier moyen opposé par la société ABEILLE VIE, tendant à l'irrecevabilité des demandes formées par Mme X. ;
SUR LES ENGAGEMENTS CONTRACTUELS :
Considérant qu'il n'est pas contesté par Mme X. le fait qu'elle souscrivait, dans le cadre d'un investissement pour au total 1.000.000 francs, deux contrats dénommés « CARNET X 5 » dits à versements libres, par un versement respectivement de 240.000 francs et 310.000 francs, aux dates d'effet des 1er septembre et 1er octobre 1992, et deux contrats dénommés « Croissance libre » dits à versements libres et à capital variable, par versement respectivement de 160.000 francs et 290.000 francs, avec date d'effet au 1er septembre 1992 ; que Mme X. versant aux débats les conditions particulières faisant apparaître les caractéristiques essentielles de ces contrats, étant rappelé qu'il s'agissait de contrats souscrits de manière anonyme, ne conteste donc pas sérieusement avoir reçu celles-ci ;
Que ces contrats étant datés des 29 septembre 1992 et 13 octobre 1992, c'est donc antérieurement à leur souscription que l'Épargne de France, par document daté du 11 septembre 1992, signé par Mme Y., Inspecteur, sur le timbre de l'Épargne de France, s'engageait « à verser tous les trimestres à partir du 9ème mois la somme de 20.140 francs anonymement sur une durée de 8 ans » ;
[minute page 19] Que cependant cet engagement se rapportait expressément pour la somme globale de 1.000.000 francs, indiquée comme capital réservé, à des contrats de type X 5 et C.L., soit « croissance libre » ; qu'ainsi, ce document est à rapprocher de celui établi en date du 16 septembre 1992, intitulé « PROJET DE RACHATS SUCCESSIFS », opérant ventilation de la somme investie entre les deux types de contrat, et précisant que CROISSANCE PIERRE, qui aux termes des contrats « croissance libre » représentait le support choisi pour les contrats, était une société civile immobilière, dont la valeur des parts était fonction de la valeur de son patrimoine, objet d'expertises régulières ;
qu'à cet égard, ce document précisait, après avoir évoqué le versement trimestriel de la somme de 20.100 francs, que les calculs effectués tenaient compte d'une croissance annuelle de 8,75 % de la valeur de la part, mais d'un taux de capitalisation de 2,25 % des sommes nettes investies en parts pour ce contrat ; que les conditions particulières précisaient bien à cet égard que pour un nombre déterminé de parts acquises à la souscription, soit 38.784,941, celui-ci ne pourrait être inférieur à 45.443,022 à l'expiration du contrat, compte tenu d'un taux minimum de 2 % l'an ; qu'il est justifié (pièce n°1) du fait que Mme X. avait signé le 7 octobre 1992 un avis de réception du contrat 704000933 signé le 28 septembre 1992, soit l'un des contrats dits « croissance libre », déclarant en outre avoir pris connaissance des conditions générales ;
Que s'agissant des contrats « CARNET X 5 », le document daté du 16 septembre 1992 précisait que la calcul tenait compte d'une participation aux bénéfices permettant un taux de capitalisation de 8 % des sommes nettes investies, alors que chacun des contrats (conditions particulières) précisait le montant du capital minimum garanti au terme, soit respectivement 388.004 francs et 300.390 francs ;
Considérant par conséquent qu'au vu de l'exposé qui précède, Mme X., qui apparaît n'avoir porté sa signature sur aucun des documents versés aux débats, excepté l'avis de réception mentionné plus haut, ne démontre pas que l'accord de volontés des parties s'était formé sur la base des projets de rendement ; que c'est dès lors de manière inopérante qu'elle invoque les dispositions de l'article L 133-2 du Code de la Consommation, ces documents ne pouvant se voir reconnaître aucune valeur contractuelle ;
Que Mme X. invoque par ailleurs à même fin en vain la note interne diffusée par l'Épargne de France le 12 Janvier 1993 ; que celle-ci demandait à ses correspondants de faire le point avec ses clients pour les sensibiliser sur le fait que les rachats successifs avaient été déterminés sur la base d'hypothèses surestimées, de sorte que le capital réservé risquait de se trouver amputé ; qu'il ne peut toutefois en être tiré la conclusion qu'un engagement avait été pris sur ce point, cette circulaire faisant au contraire état expressément d'hypothèses ; qu'il ne peut être tiré non plus de conséquences [minute page 20] particulières du fait qu'il était demandé de s'adresser en priorité aux titulaires de contrats dont le terme approchait, dont la sauvegarde des intérêts apparaissait de ce fait sous le signe d'une particulière urgence ;
Que par ailleurs le document publicitaire en date du 18 février 1992, nettement antérieur aux actes litigieux, et qui évoque le placement SCI CROISSANCE PIERRE, s'il fixe « un objectif de sécurité dans la performance », ne garantissait nullement, ni un résultat déterminé, ni la préservation du capital investi ; qu'il ne présentait pas davantage de caractère contractuel ;
Considérant par conséquent que quelle que soit la formulation utilisée dans le document signé le 11 septembre 1992, le moyen soutenu par Mme X., suivant lequel l'Épargne de France s'était engagée de manière ferme et définitive à rémunérer son investissement par les versements périodiques indiqués, tout en préservant en tout état de cause l'intégrité de son capital, sera rejeté ;
SUR LA DEMANDE SUBSIDIAIRE ET LA RESPONSABILITÉ DE LA BANQUE :
Contrairement à ce que soutient la société ABEILLE VIE, Mme X., si elle reprend au titre de ce moyen les mêmes montants au titre de la condamnation pécuniaire réclamée, celui-ci n'en est pas moins distinctement soutenu, comme cela résulte clairement, et des motifs, et du dispositif des conclusions ;
Considérant que la société ABEILLE VIE ne conteste pas que la société Épargne de France, professionnelle de l'épargne proposée sous forme de contrat de capitalisation, aux droits et obligations de laquelle elle se trouve, était débitrice d'une obligation d'information à l'égard de Mme X. ;
Qu'elle ne peut d'autre part sérieusement contester que celle-ci n'était pas un épargnant averti en matière de placements du type de ceux qu'elle proposait, dont le mécanisme se caractérisait par une complexité technique certaine ; qu'elle était de ce fait également débitrice d'une obligation de conseil ;
Considérant que l'intimée ne peut prétendre avoir rempli son obligation en faisant valoir que Mme X. avait pris connaissance des conditions particulières et des conditions générales ;
[minute page 21] Qu'étant observé qu'il n'est pas établi que Mme X. ait reçu un exemplaire des conditions générales afférentes au contrat « Croissance libre », l'utilisation de certains termes comme « unité de compte », « épargne acquise », liée au fait que les conditions générales en question étaient applicables à trois produits d'épargne différents, ne facilitaient pas leur compréhension ; que s'il était précisé que le capital variait en fonction du nombre d'unités de compte provenant de la participation aux bénéfices et de l'évolution dans le temps de la valeur de cette unité de compte, le souscripteur ne pouvait trouver que dans le document - sans valeur contractuelle - du 16 septembre 1992, la précision suivant laquelle la valeur des parts était fonction de la valeur du patrimoine de la SCI, objet d'expertises régulières ; que dans l'acte - sans plus de valeur contractuelle - du 11 septembre 1992, il avait été fallacieusement fait mention, pour précéder un « engagement » de versement périodique, imprécis en ce qu'il n'indiquait pas sa nature exacte, d'un capital « réservé » ; qu'il doit être considéré que la société Épargne de France n'a pas complètement et clairement informé Mme X. des risques induits par ce type de placement, et ce d'autant plus qu'il n'est nullement établi que Mme X. ait effectivement signé le bon de souscription, dont modèle est versé aux débats avec les conditions générales, et ainsi reçu un modèle de lettre de renonciation telle que prévue aux conditions générales ;
Que s'agissant des contrats de type « à versements libres », il n'est pas établi par l'intimée que Mme X. avait effectivement reçu les conditions générales, ni même qu'elle ait signé un bon de souscription ;
Considérant que l'Épargne de France a ainsi fait preuve de manquements particulièrement sérieux quant à son obligation d'information, et ce d'autant que dans le cadre tant de l'acte du 11 septembre 1992 que de l'acte du 16 septembre 1992, il n'était envisagé l'investissement d'un million de francs que de manière globale, sans qu'une distinction claire permette à l'investisseur de comprendre les effets des « rachats partiels successifs » sur chaque type de placement et leur ventilation par contrat ; que le caractère incomplet de l'information donnée aurait dû conduire l'Epargne de France à apporter ses conseils à Mme X. lors de la souscription, ce qu'elle ne démontre pas avoir fait ;
Qu'enfin, alors que dès le 12 juin 1993 il était établi que l'Épargne de France avait, déterminé ses calculs au niveau des rachats sur des hypothèses surévaluées, l'intimée ne démontre pas que Mme X. ait pu être conseillée au sujet des conséquences en résultant pour son placement, et des options lui étant ouvertes pour en atténuer au moins les effets ;
Que si le taux de croissance annuelle de la part CROISSANCE PIERRE était en forte progression entre 1987 et 1991, celle-ci se ralentissait nettement [minute page 22] à partir de 1992 - année de la souscription -, pour décroître et finalement devenir négative à partir de 1995 ;
Que force est pourtant de constater que ce n'est que le 1er juillet 1996 que Mme X. était informée par l'Épargne de France au sujet des conséquences sur son investissement de la crise immobilière, et qu'il lui était proposé d'étudier les aménagements envisageables ; qu'alors, la valeur de rachat de l'un des contrats à versements libres s'avérait nulle, les trois autres dégageant une valeur totale de 673.737,04 francs ;
Qu'ainsi, l'Épargne de France manquait encore à ses obligations en cours d'exécution des contrats, ne démontrant nullement avoir adressé de lettres d'information périodiques, celle évoquée plus haut au titre de l'année 1992 étant antérieure à la souscription ;
SUR LE PRÉJUDICE :
Considérant tout d'abord que Mme X. a reçu, suite au rachat de la totalité des contrats la somme de 693.042,74 francs les 21 et 28 janvier 1997; que cela représente la somme de 235.268,79 francs pour le contrat CROISSANCE LIBRE au capital initial de 290.000 francs, celle de 129.803,47 francs pour le deuxième contrat CROISSANCE LIBRE au capital initial de 160.000 francs, et la somme de 327.970,48 francs pour le contrat à versements libres au capital initial de 310.000 francs, étant rappelé que le deuxième contrat de ce type comportait un capital investi de 240.000 francs ;
Que pour ce qui concerne les contrats « CROISSANCE LIBRE », le montant réclamé de 85.647,80 francs - en fait 84.927,74 francs - correspond à la différence entre l'investissement et la valeur de rachat ; que Mme X. demande en outre la reconstitution du capital investi dans l'un des contrats CARNET X 5, soit 240.000 francs ;
Qu'elle ne peut dans le cadre de l'indemnisation du préjudice résultant du manquement aux obligations contractuelles de conseil et d'information reprendre sa demande de condamnation tendant au paiement des intérêts tels que prévus dans le projet sur la somme investie dans les contrats Croissance Libre, depuis la date d'effet des contrats jusqu'au rachat, ce document ne s'étant pas vu reconnaître de valeur contractuelle ; que le préjudice ne peut donc résulter du défaut de réalisation du projet en question ;
[minute page 23] Considérant en réalité que pour un capital investi d'un million de francs, Mme X. a pu obtenir une valeur totale de rachat de 693.042,74 francs ;
Que toutefois, Mme X. n'a pas contesté que 21 versements trimestriels avaient été effectués grâce à des rachats successifs sur le capital de 240.000 francs versé pour le contrat, soit pour 241.200 francs, deux autres versements pour au total 40.200 francs ayant été en outre effectués en juin et septembre 1996 par rachats sur le deuxième contrat de capitalisation , qu'en revanche, c'est à tort que la société ABEILLE VIE déduit du préjudice subi les prélèvements libératoires, dès lors que rien ne vient démontrer que Mme X. n'aurait pu dans le cadre d'un autre placement préserver son capital ;
Que le préjudice qu'elle subit s'apprécie donc par rapport aux pertes enregistrées relativement au capital investi ; qu'en revanche, Mme X. ne peut dans le cadre de la perte de chance invoquée, prétendre obtenir une indemnisation du montant qu'elle demande au titre des gains manqués ; qu'elle ne précise pas davantage quel type de placement, diversifié de manière comparable, entre SICAV et parts de Société Civile Immobilière, aurait permis d'espérer un rendement correspondant à ces montants sans risque, y compris à compter de janvier 1993 ;
Que la Cour ne saurait, sans suppléer à la carence de Mme X. dans l'administration de la preuve, ordonner sur ce point une mesure d'instruction ;
Qu'il n'est d'autre part pas versé de documents justificatifs de la gêne entraînée au niveau de ses moyens d'existence, selon Mme X., par la privation de revenus sur lesquels elle pensait pouvoir compter ;
Que le préjudice s'établit en conséquence à la somme de :
(1.000.000 francs) - (693.042,74 francs + 241.200 francs + 40.200 francs) = 25.557,26 francs, correspondant à la perte ;
Que la Cour, disposant sur ce point d'éléments suffisants d'appréciation, tiendra compte de la perte de chance d'obtenir, dans le cadre d'un placement similaire convenablement conseillé, certains gains, et allouera la somme totale de 50.000 francs [7.622,45 euros] à titre de dommages et intérêts à Mme X. ;
[minute page 24]
SUR LES AUTRES DEMANDES :
Considérant que les dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel seront laissés à la charge de la société ABEILLE VIE qui succombe dans ses prétentions ;
Qu'il serait inéquitable, eu égard aux circonstances de la cause, de laisser à la charge de Mme X. ses frais irrépétibles exposés au cours de l'instance ; que la société ABEILLE VIE sera condamnée à lui verser la somme de VINGT CINQ MILLE FRANCS (25.000 francs) [3.811,23 euros] en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
Statuant par décision contradictoire,
INFIRME le Jugement en toutes ses dispositions,
Vu l'article 1147 du Code Civil,
DIT que la société ÉPARGNE de FRANCE, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société ABEILLE VIE, a manqué à ses obligations contractuelles d'information et de conseil,
CONDAMNE la société ABEILLE VIE à payer à Mme X. la somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 francs) [7.622,45 euros] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
Condamne la société ABEILLE VIE au paiement à Mme X. de la somme de VINGT CINQ MILLE FRANCS (25.000 francs) [3.811,23 euros] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société ABEILLE VIE aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.