TGI PARIS (4e ch. 1re sect.), 25 juin 1997
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1015
TGI PARIS (4e ch. 1re sect.), 25 juin 1997 : RG n° 97/9030 ; jugement n° 5
(sur appel CA Paris (15e ch. B), 26 novembre 1999 : RG n° 19997/19604)
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
QUATRIÈME CHAMBRE PREMIÈRE SECTION
JUGEMENT DU 25 JUIN 1997
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 97/9030. Jugement n° 5. Assignation du 22 avril 1997.
DEMANDERESSE :
Madame X.
[adresse], représentée par la SELARL LECOQ VALLON ET ASSOCIES, Avocats L 187
DÉFENDERESSE :
La Société ABEILLE VIE
[adresse] représentée par Maître Olivier LAGRAVE M 1300
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Magistrats ayant délibéré : Monsieur COUJARD, Vice-Président, Madame MICHAUD, Jugen Madame LENORMAND, Juge
[minute page 2]
GREFFIER: Mademoiselle GERBER
DÉBATS : A l'audience du 28 mai 1997 tenue publiquement
JUGEMENT : Prononcé en audience publique, Contradictoire
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Madame X. a confié la somme de 1.000.000 de francs à la société L'ÉPARGNE DE FRANCE afin de procéder à des placements sur des contrats de capitalisation « Carnet X5 » et « Croissance Libre ».
Se plaignant d'avoir constaté l'existence de pertes en capital, lors du remboursement des sommes investies, elle a fait assigner, le 22 avril 1997, à jour fixe, la Société ABEILLE VIE venant aux droits de la société L'EPARGNE DE FRANCE afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elle subit.
Elle sollicite l'organisation d'une mesure d'expertise pour essentiellement rechercher le montant des valeurs acquises sur les contrats de capitalisation « Carnet X5 » et « Croissance libre » dont elle demande le rachat, et pour déterminer le préjudice qu'elle subit, à la date de restitution des fonds.
Elle souhaite en outre que le jugement soit assorti de l'exécution provisoire et que la défenderesse lui verse la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La Société ABEILLE VIE conclut au débouté de Madame X.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
A l'appui de ses demandes, Madame X. fait valoir qu'elle est retraitée ; qu'elle est néophyte en matière de placements financiers et qu'elle a investi la somme de 1.000.000 de francs auprès de L'EPARGNE DE FRANCE après avoir été [minute page 3] démarchée, à son domicile, par l'un des préposés de cette société ;
Qu'elle croyait bénéficier d'une « rente trimestrielle » de 20.100 francs pendant une période de 7 ans, période à l'issue de laquelle, elle devait retrouver l'intégralité de son capital ;
Que le seul élément qui lui a été clairement exposé pour obtenir son consentement est une étude établie par Madame Y. qui faisait apparaître que la participation aux bénéfices lui permettrait d'obtenir un taux de capitalisation égal à 8 % des sommes investies, pour les « Carnets X5 », et une croissance annuelle de 8,75 % de la valeur de la part, pour les contrats « Croissance libre » ;
Que cette étude qui ne lui a pas été présentée comme étant hypothétique, revêt un caractère contractuel ;
Que d'ailleurs, pour la convaincre L'ÉPARGNE DE FRANCE s'est engagée par une note du 11 septembre 1992, à lui verser tous les trimestres, à partir du 9ème mois, la somme de 20.140 francs et ce pour une durée de 8 ans ;
Que L'ABEILLE VIE doit respecter les engagements souscrits par L'EPARGNE DE FRANCE dans ce document ;
Qu'elle n'aurait pas investi de cette manière la somme de 1.000.000 de francs, si les taux de rendement mentionnés dans l'étude, ne lui avaient pas été garantis.
Elle reproche en conséquence à la société L'EPARGNE DE FRANCE d'avoir engagé sa responsabilité en s'abstenant de l'informer préalablement à la conclusion des contrats sur le caractère aléatoire des hypothèses sur lesquelles elle établissait son projet de rendement, et sur les risques qu'elle lui faisait courir en investissant en parts de SCPI.
Elle lui reproche également d'avoir omis de l'informer sur l'évolution du rendement de son capital en fonction de la valeur des parts de SCPI, et surtout du fait que les versements trimestriels qu'elle recevait n'étaient assurés que par la distribution de son propre capital.
Elle soutient qu'elle supporte désormais une gêne financière car sa retraite est modeste ; qu'elle avait planifié la gestion de ses économies en fonction du prévisionnel du 16 septembre 1992 et qu'elle a dépensé sans le savoir une partie de son capital.
La société ABEILLE VIE réplique essentiellement que le projet de rachats successifs s'inscrivait dans le cadre des dispositions contractuelles relatives aux rachats anticipés ;
[minute page 4] Que Madame X. qui avait été destinataire des conditions générales valant note d'information des contrats et des conditions particulières applicables à chacune des conventions, était informée des mécanismes contractuels, de la teneur des engagements et des risques inhérents aux placements choisis ;
Que le projet de rachat programmé du 16 septembre 1992 n'a pas valeur contractuelle ;
Que d'ailleurs, dans l'hypothèse contraire, la demande d'expertise ne se justifie pas puisque Madame X. pouvait solliciter l'exécution forcée d'obligations déterminées.
Pour l'ensemble de ces raisons, elle estime que la demande d'expertise n'est pas fondée.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Attendu qu'il est constant que la société ABEILLE VIE vient aux droits de la société L'ÉPARGNE DE FRANCE ;
Attendu que Madame X. part du principe qu'elle voulait effectuer des placements lui permettant de toucher une rente trimestrielle, sans que son capital s'en trouve affecté ;
Attendu que les parties sont en désaccord sur la nature des documents remis à la demanderesse au moment de la souscription de ses contrats de capitalisation ;
Attendu que les placements ont été effectués par Madame X. de façon anonyme ;
Que les conditions générales et particulières auxquelles, la société ABEILLE VIE se réfère, ne sont pas signées par cette dernière ;
Attendu que Madame X. affirme que le seul élément qui lui a été remis pour obtenir sa souscription est une étude établie par Madame Y., inspectrice de la société L'EPARGNE DE FRANCE ;
Attendu toutefois qu'elle indique dans son assignation que les capitaux garantis par les deux contrats « croissance libre » étaient, au bout de huit ans, de 300.390 et de 388.004 francs ;
Que cette indication laisse supposer qu'elle a eu connaissance des conditions particulières des contrats, au moins ;
[minute page 5] Attendu de surcroît qu'il parait peu vraisemblable qu'elle n'ait pas demandé une quittance de ses versements et donc obtenu les conditions particulières qui valent quittance ;
Attendu qu'il ressort de l'étude établie le 16 septembre 1992, à la demande de Madame Y., et à laquelle se réfère, Madame X. que L'ÉPARGNE DE FRANCE a établi, un « Projet de rachats successifs » aux termes duquel, si un investissement total de 1.000.000 de francs était réalisé à raison de 550.000 francs sur un « carnet CVL X 5 » et de 450.000 francs sur un « contrat croissance libre », la somme de 20.100 francs nette d'impôt pourrait lui être versée trimestriellement par des rachats partiels successifs, s'étendant du 9ème au 93ème mois ;
Attendu que l'acte mentionne qu'au 96ème mois, le souscripteur (Madame X.) disposerait d'une somme de 1.000.000 de francs, correspondant aux montants des primes investies sur les contrats précités ;
Attendu que L'EPARGNE DE FRANCE a indiqué dans ce document qu'elle « tenait à préciser » que ces calculs ont été effectués « compte tenu » :
- de la législation actuellement en vigueur ;
- de la participation aux bénéfices permettant un taux de capitalisation de 8,00 % ;
- des sommes nettes investies pour le carnet X5 ;
- d'une croissance annuelle de 8,75 % de la valeur de la part pour le contrat CROISSANCE LIBRE ;
- d'un taux de capitalisation de 2,25 % des sommes nettes investies en parts pour le contrat CROISSANCE LIBRE ;
- et à condition qu'elle demande l'anonymat ;
Attendu qu'elle indique encore que la CROISSANCE PIERRE est une société civile immobilière :
Que la valeur des parts est fonction de la valeur de son patrimoine qui fait l'objet d'expertises régulières de la société d'ETUDES IMMOBILIÈRES ET D'EXPERTISES FONCIÈRES filiale du CRÉDIT FONCIER DE FRANCE ;
Attendu que cet acte est qualifié de « projet » ;
Attendu qu'il contient la simulation des conséquences d'un placement de 1.000.000 de francs sur deux types de contrats proposés par la société l'EPARGNE DE FRANCE, dans certaines conditions, et en retenant certains taux de capitalisation ou de croissance annuelle ;
[minute page 6] Attendu que le caractère indicatif du calcul résulte des termes employés mais également de la mention relative aux variations annuelles de la valeur des parts de la SCI CROISSANCE PIERRE ;
Attendu qu'il ne comporte aucune stipulation permettant de déduire que les bases de calcul retenues constituent des minimums garantis ;
Que les taux de rendement de 8 %, retenus, à titre indicatif, n'ont aucune valeur contractuelle ;
Attendu qu'après avoir eu connaissance de ce document, ainsi que d'une déclaration de Madame Y., Inspecteur de l'ÉPARGNE DE FRANCE, en date du 11 septembre 1992, selon laquelle L'ÉPARGNE DE FRANCE s'engageait lui verser, anonymement, à partir du 9ème mois, trimestriellement et pendant huit ans, la somme de 20.140 francs, Madame X. investissait par l'intermédiaire de cette société et pour huit années renouvelables, les capitaux suivants :
- 290.000 francs, le 29 septembre 1992, sur un contrat de capitalisation au porteur CROISSANCE LIBRE N° XX933
- 160.000 francs, le 13 octobre 1992, sur un contrat de capitalisation au porteur, CROISSANCE LIBRE N° XX52
- 240.000 francs, le 13 octobre 1992, sur un contrat de capitalisation au porteur CARNET X5 N° XX586
- 310.000 francs, le 13 octobre 1992, sur un contrat de capitalisation au porteur CARNET X5 N° XX603 ;
Attendu que contrairement à ses écritures, Madame X. savait que les placements des sommes de 290.000 et de 160.000 francs, en parts de SCI CROISSANCE PIERRE, étaient variables puisqu'une expertise devait intervenir régulièrement pour déterminer la valeur de ces parts ;
Que par ailleurs, aux termes des conditions particulières, seul, un taux de rendement minimum de 2 % l'an, lui était garanti ;
Attendu que les conditions particulières applicables aux contrats CARNET X5, font apparaître que L'ÉPARGNE DE FRANCE garantissait à Madame X. un capital minimum de 300.390 francs pour le placement de 240.000 francs et de 388.004 francs pour le placement de 310.000 francs ;
Attendu que Madame X. affirme qu'elle pensait que la somme de 20.140 francs était prélevée sur les intérêts produits par ses placements et non sur le capital ;
Attendu que l'engagement du 11 septembre 1992 ne [minute page 7] contient aucune clause de nature à étayer cette affirmation ;
Attendu qu'à partir du moment où le rendement n'était pas garanti, le versement régulier d'une somme fixe importante était de nature à s'imputer sur le capital ;
Attendu que l'opération s'analyse comme une opération de rachat anticipé ;
Attendu de surcroît que ce fait ne pouvait être méconnu par Madame X., à la date de ses engagements, puisque le projet du 16 septembre 1992 fait état de « rachats partiels successifs » et non du versement d'un intérêt ;
Attendu qu'en tant que professionnelle de l'épargne sous forme de contrat de capitalisation, la société L'EPARGNE DE FRANCE, avait l'obligation d'informer sa cliente sur ses placements ;
Attendu qu'elle a rempli son obligation en lui fournissant un projet de rendement et des conditions particulières applicables aux contrats ;
Attendu que la crise de l'immobilier a surpris de nombreux professionnels avertis ;
Attendu que la société L'ÉPARGNE DE FRANCE a alerté, le 1er juillet 1996, Madame X., sur les conséquences d'une crise durable en lui proposant de réaménager ses contrats ;
Attendu en conséquence que la responsabilité de la défenderesse n'est pas engagée à l'égard de Madame X. ;
Attendu que la demanderesse n'établit pas l'existence d'un principe de créance ou d'une faute commise par la défenderesse ;
Attendu qu'une expertise ne peut suppléer sa carence dans l'administration de la preuve ;
Qu'elle sera déboutée en sa demande d'expertise ;
Attendu que l'exécution provisoire n'est pas nécessaire ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Qu'il n'y a pas lieu de condamner Madame X. à verser à la société ABEILLE VIE une quelconque indemnité de ce chef ;
Attendu que Madame X. qui succombe à l'action sera condamnée aux entiers dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 8] PAR CES MOTIFS :
Statuant, publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Déboute Madame X. en toutes ses demandes,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne Madame X. aux entiers dépens.
Fait et jugé à Paris, le 25 juin 1997
Le Greffier Le Président