CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 novembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9259
CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 16 novembre 2021 : RG n° 19/01666
Publication : Jurica
Extrait : « Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En l'espèce l'article 4-3-1 de la notice d'information mentionne que 'un assuré est en état d'I.T.T. lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :
1. Il se trouve, à la suite d'un accident ou d`une maladie, dans l'incapacité, reconnue médicalement, d'exercer une activité quelconque, professionnelle ou non, même à temps partiel.
2. Cette incapacité est continue et persiste au-delà de la période de franchise...
3. Cette incapacité doit être justifiée par la production des pièces prévues à l'article 6-2...'
La détermination de l'incapacité totale de travail qui conditionne la mise en jeu de la garantie souscrite participe de la définition de l'objet principal du contrat d'assurance.
Enfin, ainsi que l'a justement souligné le tribunal, la clause contestée, selon laquelle la condition d'application de la garantie s'attachant uniquement à vérifier si l'assuré est en capacité de reprendre ou non une activité, indépendamment de son activité professionnelle antérieure, est claire, précise et dépourvue d'ambiguïté, et n`appelle aucune interprétation. De surcroît les mentions litigieuses sont soulignées et en caractères gras afin d'attirer l'attention de l'assuré qui était donc parfaitement informé. Aucune autre stipulation contractuelle ne laisse penser que l'incapacité doit s'entendre comme celle d'exercer la même profession qu'auparavant et ne permet de corroborer le sens restrictif que M. X. entend lui donner.
Les conditions requises pour voir déclarer une clause abusive ne sont donc pas réunies.
Le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ce point et l'appelant débouté de sa demande de voir déclarer ladite clause inopposable à son égard. »
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/01666. N° Portalis DBVM-V-B7D-J7AW. Appel d'un Jugement (R.G. n° 17/00593) rendu par le Tribunal de Grande Instance de Grenoble en date du 11 mars 2019, suivant déclaration d'appel du 15 avril 2019.
APPELANT :
M. X.
de nationalité Française [...], [...], Représenté par Maître Christian G., avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège [...], [...], Représentée par Maître Pascale M. de la SELARL E.M., avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ : Emmanuèle Cardona, présidente, Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 6 juillet 2021 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble, Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS : A l'audience publique du 14 septembre 2021, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Dans le cadre de deux prêts immobiliers consentis en 2003 et 2007 par la banque Crédit Agricole M. X. a adhéré le 3 avril 2009 à un contrat d'assurance auprès de la société anonyme CNP Assurances pour la couverture des risques décès, perte totale et irréversible d'autonomie, incapacité temporaire totale selon une quotité de 70 %.
Le 17 septembre 2013 Monsieur X. était victime d'un accident du travail et placé en arrêt de travail. Il formulait alors une déclaration de sinistre a son assureur.
Celui-ci prenait en charge les mensualités du crédit au titre de l'incapacité entre le 16 décembre 2013 et le 30 avril 2016.
Faisant suite à un examen du médecin conseil, le docteur B.-C., en date du 10 mai 2016 1'assureur indiquait à la banque prêteuse par courrier du 16 mai 2016 : « Monsieur X. est reconnu inapte à exercer son activité professionnelle mais apte à exercer partiellement une autre activité professionnelle à compter du 10 mai 2016 » et concluait en conséquence qu'elle ne pouvait poursuivre la prise en charge des échéances des prêts, l'état de santé de son assuré ne correspondant plus à la définition du risque incapacité totale de travail garanti.
M. X. contestait vainement cette décision par courrier du 23 mai 2016.
Par exploit d'huissier du 10 février 2017 M. X. a fait assigner la société CNP Assurances devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de l'entendre condamnée à prendre en charge ses remboursements de crédits à compter du 10 mai 2016.
Suivant jugement du 11 mai 2019 le tribunal a débouté M. X. de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Le 15 avril 2019 M. X. a interjeté appel de la décision.
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions l'appelant demande à la cour de réformer le jugement déferré et de :
- dire nul, et subsidiairement inopposable, l'examen médical du 10 mars 2016 pratiqué par le médecin-conseil de la CNP Assurances,
- dire abusive et donc inopposable la clause définissant l'incapacité temporaire totale du travail comme étant celle où l'assuré se trouve en incapacité d'exercer une activité quelconque professionnelle ou non,
- constater qu'il se trouve bien dans la capacité temporaire totale d'exercer son activité professionnelle,
- dire en conséquence que la CNP Assurances est tenue de poursuivre la prise en charge des remboursements des crédits à compter du 10 mars 2016,
- condamner la CNP Assurances à lui rembourser les mensualités prélevées depuis cette date à hauteur de la quotité assurée, soit 70 %,
- condamner la CNP Assurances pour refus abusif de poursuivre la garantie souscrite et ainsi allouer à Monsieur X. la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice,
- condamner la CNP Assurances au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions M. X. expose que :
- son état de santé lui interdit toute reprise du travail,
- l'examen du médecin conseil n'a pas été contradictoire dans la mesure où il n'a jamais été informé de la possibilité d'être assisté du médecin de son choix,
- c'est au regard de l'activité professionnelle exercée par l'assuré que la notion d'incapacité doit être appréciée, l'article 4-3 des conditions générales stipulant toute activité professionnelle devant être analysée comme une clause abusive dès lors qu'elle créée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
- de surcroît, s'agissant d'une clause restreignant de façon substantielle la garantie souscrite, elle aurait dû être rédigée d'une manière claire et compréhensible.
[*]
En réplique la société CNP Assurances conclut à ce que la cour rejette l'ensemble des demandes adverses tendant à la réformation du jugement déféré et :
- en toute hypothèse juge que toute éventuelle prise en charge des échéances des prêts en cause ne peut s'effectuer que dans les termes et limites contractuels et au profit de l'organisme prêteur, qui est le bénéficiaire du contrat d'assurance, selon la quotité assurée soit 70 %,
- condamne M. X. à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'intimée fait valoir que :
- l'incapacité totale de travail se trouvant justifiée jusqu'au 1er mai 2016 l'état de santé de l'assuré ne correspond plus à la définition contractuelle du risque d'incapacité totale de travail garanti,
- le certificat médical de son médecin traitant mentionne l'incapacité de M. X. d'exercer son activité professionnelle et non pas une autre activité professionnelle,
- l'examen de contrôle opéré par le médecin mandaté par l'assureur n'est pas une expertise et le docteur B.-C. a effectué un constat médical sur M. X. en toute indépendance,
- ce dernier pouvait se faire assister par la personne ou le médecin de son choix et solliciter en outre une expertise judiciaire,
- les conditions légales pour déclarer abusive la clause litigieuse ne sont pas réunies dès lors qu'elle définit l'objet principal du contrat et que son libellé est clair, précis et compréhensible,
- en tout état de cause un déséquilibre, nullement justifié en l'espèce, entre les parties ne saurait résulter d'une seule limitation de garantie dont la définition participe au surplus de l'économie du contrat.
[*]
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 26 janvier 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur les demandes principales :
Sur la licéité de la clause définissant l'incapacité temporaire totale de travail :
Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Selon l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En l'espèce l'article 4-3-1 de la notice d'information mentionne que 'un assuré est en état d'I.T.T. lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :
1. Il se trouve, à la suite d'un accident ou d`une maladie, dans l'incapacité, reconnue médicalement, d'exercer une activité quelconque, professionnelle ou non, même à temps partiel.
2. Cette incapacité est continue et persiste au-delà de la période de franchise...
3. Cette incapacité doit être justifiée par la production des pièces prévues à l'article 6-2...'
La détermination de l'incapacité totale de travail qui conditionne la mise en jeu de la garantie souscrite participe de la définition de l'objet principal du contrat d'assurance.
Enfin, ainsi que l'a justement souligné le tribunal, la clause contestée, selon laquelle la condition d'application de la garantie s'attachant uniquement à vérifier si l'assuré est en capacité de reprendre ou non une activité, indépendamment de son activité professionnelle antérieure, est claire, précise et dépourvue d'ambiguïté, et n`appelle aucune interprétation. De surcroît les mentions litigieuses sont soulignées et en caractères gras afin d'attirer l'attention de l'assuré qui était donc parfaitement informé. Aucune autre stipulation contractuelle ne laisse penser que l'incapacité doit s'entendre comme celle d'exercer la même profession qu'auparavant et ne permet de corroborer le sens restrictif que M. X. entend lui donner.
Les conditions requises pour voir déclarer une clause abusive ne sont donc pas réunies.
Le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ce point et l'appelant débouté de sa demande de voir déclarer ladite clause inopposable à son égard.
Sur la validité de l'examen médical du 10 mars 2016
C'est par une motivation exacte et pertinente, que la cour adopte, que le premier juge a considéré que M. X. ne pouvait valablement prétendre ne pas avoir été informé de ses droits, après avoir souligné que le contrat mentionnait clairement dans l`article 6-4 de la notice d'information qu'en cas de refus de prise en charge suite a un contrôle médical l'assuré pouvait solliciter la mise en oeuvre d'une procédure de conciliation et de tierce expertise au cours de laquelle le médecin de son choix pouvait intervenir, cette procédure lui ayant été rappelée par courriers des 16 mai 2016 et 27 juin 2016.
A juste titre il a été rappelé à l'appelant que, s'agissant du rapport établi par le médecin contrôleur, l'assuré était en droit de les contester par la production de toutes pièces utiles ou de tout avis médical circonstancié pour justifier sa position et que dès lors ses conclusions lui étaient parfaitement opposables.
La demande de M. X. de voir déclarer nul ou inopposable l'examen médical du 10 mars 2016 pratiqué par le médecin-conseil de la CNP Assurances sera par conséquent rejetée.
Sur l'incapacité totale de travail de M. X.
L'article 1353 du code civil prévoit que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il ressort du rapport d'expertise médical établi le 10 mai 2016 par le docteur B.-C. que suite à son accident du travail du 17 septembre 2013 M. X. présente des séquelles algiques et nécessite un reclassement professionnel, ne pouvant réaliser des efforts physiques aussi intenses qu'avant l'intervention chirurgicale. L'arrêt de travail dont il a bénéficié du 17 septembre 2013 au 1er mai 2016 est tout à fait justifié, le médecin ajoutant que « à compter du 2 mai 2016, l'assuré est apte si une activité professionnelle adaptée en limitant les efforts, le port de charges et les travaux avec les bras en élévations ».
M. X. produit un certificat médical du docteur G. du 24 janvier 2017 aux termes duquel l'intéressé « présente une lésion grave de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite qui impose une interruption des activités professionnelles concernant les membres supérieurs, notamment les gestuelles avec les membres supérieurs en élévation », et le médecin de conclure à « une incapacité totale à ce jour concernant son ancienne activité ».
Dès lors c'est à bon droit que le premier juge a décidé que le certificat médical du docteur G. ne remettait nullement en cause les conclusions du docteur B.-C. puisqu'il n'était pas démontré que M. X. était physiologiquement dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle de quelque nature que ce soit et qu'il paraissait établi qu'il gardait des capacités fonctionnelles permettant d'envisager un reclassement.
Il conviendra dans ces conditions de confirmer la décision dont appel et de débouter l'appelant de l'intégralité de ses demandes.
Sur les demandes annexes :
L'appelant, qui succombe, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du 11 mars 2019 du tribunal de grande instance de Grenoble en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. X. aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
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