CA PAU (2e ch. sect. 1), 19 novembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9271
CA PAU (2e ch. sect. 1), 19 novembre 2021 : RG n° 19/03327 ; arrêt n° 21/4225
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Le nouvel article 1171 du code civil est effectivement inapplicable aux contrats litigieux conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Or, il n'est pas contesté que les contrats liant la Société Orange avec les sociétés Prim'land et Kiwifruits de France ont été conclus au mois de septembre 2010 et celui avec la société Sofruileg au mois de décembre 2006.
Dès lors, la société Orange, sur la base des conditions générales qu'elle produit, d'une part, pour les contrats conclus avec les sociétés Prim'land et Kiwifruits de France et, d'autre part, pour celui conclu avec la société Sofruileg, soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée qu'en démontrant une faute de sa part. Ces conditions générales, spécifiques à des contrats d'adhésion à l'attention des clients professionnels, font effectivement de la faute une condition de la responsabilité de la société Orange.
Au demeurant, de manière générale, que le client du fournisseur d'accès internet et de téléphonie associée soit un professionnel ou un consommateur, exiger de sa part la démonstration d'une faute trouvant potentiellement sa source dans un incident technique appelant des compétences particulières pour le déceler et l'analyser, le confronte nécessairement à une difficulté probatoire majeure.
En l'espèce, cette clause destinée à limiter les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la société Orange contredisait la portée de son engagement pris aux termes des conditions générales concernant le « bon fonctionnement du réseau et du service téléphonique jusqu'au point de livraison ».
Cette clause circonscrivant la responsabilité de la société Orange à la démonstration de sa faute venait nécessairement vider de sa substance son obligation contractuelle essentielle. »
2/ « Les sociétés intimées se réfèrent inutilement ici à l'article 1171 du code civil, inapplicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, mais également au caractère abusif de ces clauses d'exclusion. Ces clauses reviendraient à qualifier de préjudice indirect, non réparable, toute conséquence d'une absence de réseau téléphonique ou d'internet, vidant ainsi de sa substance l'obligation essentielle d'Orange.
Les conditions générales produites circonscrivent la réparation des préjudices découlant du manquement de la société Orange aux seuls préjudices directs, et excluent expressément de ceux-ci le préjudice commercial, lequel n'est pas contractuellement défini.
Dans le cadre de ses relations avec une clientèle de professionnels auprès desquels la société Orange s'engage à assurer le bon fonctionnement du réseau internet et du service téléphonique jusqu'au point de livraison, la rupture de ces services est de nature à nuire directement à l'activité économique de l'entreprise. Le fait de ne plus pouvoir être en communication et de ne plus pouvoir échanger d'information avec la clientèle, les fournisseurs et autres partenaires commerciaux, ne peut être considéré comme un préjudice indirect en cas de rupture du réseau.
En insérant dans les conditions générales relatives aux contrats d'adhésion litigieux une telle clause, l'appelante vient contredire la portée de son obligation essentielle qui consiste à fournir à la société cliente les moyens nécessaires aux communications et transmission d'informations requises pour l'exercice quotidien de son activité économique. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAU
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/03327. Arrêt n° 21/4225. N° Portalis DBVV-V-B7D-HMSL. Nature affaire : Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels.
ARRÊT : Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 19 novembre 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
APRES DÉBATS à l'audience publique tenue le 21 septembre 2021, devant : Monsieur Jean-Luc GRACIA, magistrat chargé du rapport, assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l'appel des causes, [...], en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de : Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président, Monsieur Jean-Luc GRACIA, Vice-Président placé par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 1er juillet 2021, Monsieur Marc MAGNON, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SA ORANGE
immatriculée au RCS de Paris sous le n° XXX, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [...], [...], Représentée par Maître François P. de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU, Assistée de Maître Jean-Jacques B., avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
Société KIWIFRUITS DE FRANCE
inscrite au RCS de Dax sous le n° XXX, [...], [...]
SAS PRIM'LAND
inscrite au RCS de Dax sous le n° YYY, [...], [...]
SA SOFRUILEG
inscrite au RCS de Dax, sous le n° ZZZ [...], [...]
Représentées par Me Bertrand D. DU R. de la SELARL LANDAVOCATS, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision, en date du 4 SEPTEMBRE 2019, rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DAX
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Prim'land, la société Kiwifruits de France et la SA Sofruileg, spécialisées dans le commerce de gros de fruits et légumes, ont connu une coupure d'alimentation de leurs réseaux Internet et de téléphonie associés le 16 novembre 2011 à compter de 11 heures 42, jusqu'au lendemain 14 heures 52.
La cause de ce sinistre provenait de la rupture d'un câble de fibre optique et d'un câble de cuivre survenue alors que des travaux de forage sur une structure routière avaient été réalisés par la société Girondine d'équipement (SGE) sur la commune de [ville M.]. La déclaration de sinistre effectuée par la société SGE auprès de son assureur n'a pas donné lieu à une intervention de sa société d'assurance, celle-ci ayant estimé que les travaux auraient été exécutés antérieurement à la survenance du sinistre.
Par actes en date du 1er et du 20 mars 2013, les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg ont assigné devant le tribunal de grande instance de Dax la société SGE et son assureur sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil, pour obtenir la condamnation de la société SGE au paiement de la somme de 37.322,27 euros à titre de dommages et intérêts.
Par exploit d'huissier de justice en date du 20 janvier 2014, ces trois sociétés ont également assigné la SA Orange France Telecom pour rechercher à titre subsidiaire sa responsabilité.
Après jonction de ces deux instances, une ordonnance est intervenue le 7 mars 2014 pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Orange au profit du tribunal administratif de Pau.
Un arrêt de la cour administrative de Bordeaux en date du 14 décembre 2017 est venu confirmer une décision de rejet de la demande de la société Orange, laquelle avait assigné la société SGE devant le tribunal administratif aux fins de la voir déclarée responsable des dommages causés à son réseau, et obtenir subséquemment sa condamnation au paiement de la somme de 10.112,56 euros. La juridiction administrative a estimé qu'il n'était pas établi que la société SGE était à l'origine de la rupture accidentelle du réseau.
Par jugement contradictoire en date du 4 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Dax a :
- condamné la SA Orange à payer à la SAS Prim'land, à la SA SOFRUILEG et à la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE la somme de 22.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SA Orange à payer à la SAS Prim'land, à la SA SOFRUILEG et à la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SAS Prim'land, la SA SOFRUILEG et la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE du surplus de leurs demandes,
- condamné solidairement la SAS Prim'land, la SA SOFRUILEG et la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE à payer à la SARL SGE. la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement la SAS Prim'land, la SA SOFRUILEG et la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE à payer à la SA GAN ASSURANCES la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que la SA Orange devra relever la SAS Prim'land, la SA SOFRUILEG et la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE indemnes de ces condamnations,
- débouté la SA Orange de l'ensemble de ses demandes, et la SA GAN ASSURANCES et SARL SGE. du surplus de leurs demandes,
- condamné la SA Orange aux dépens, en ce compris le coût des procès-verbaux de constat dressés par Maître A., Huissier de justice à Pouillon, le 17 novembre 2011 dont distraction au profit de Maître M. et de Maître B., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Par déclaration en date du 21 octobre 2019, la SA Orange a relevé appel de ce jugement, limitant son recours aux dispositions ayant :
- condamné la SA Orange à payer à la SAS Prim'land, à la SA SOFRUILEG et à la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE la somme de 22.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la SA Orange à payer à la SAS Prim'land, à la SA SOFRUILEG et à la société coopérative agricole KIWIFRUITS DE FRANCE la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 juin 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les dernières conclusions notifiées le 9 juillet 2020 par lesquelles la société Orange, au visa des articles 1315, 1150, 1151, 1134, 1135 et 1147 du code civil, de l'article 9 du code de procédure civile, et de l'article 98-4 du code des postes et des communications électroniques, demande à la cour de :
A titre principal :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Dax en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Orange,
- dire et juger que la société Orange était tenue à une obligation de moyens à l'égard des sociétés PRIM'LAND, KIWIFRUITS DE FRANCE, et SOFRUILEG,
- dire et juger que la société Orange n'a commis aucune faute, ni aucun manquement à son obligation de moyens,
- dire et juger, en conséquence, que la société Orange n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard des sociétés PRIM'LAND, KIWIFRUITS DE FRANCE, et SOFRUILEG,
- dire et juger que la rupture de la fibre optique du réseau Orange est le fait d'un tiers constitutif d'un cas de force majeure exonératoire de la responsabilité de la société Orange,
- en conséquence, débouter les sociétés PRIM'LAND, KIWIFRUITS DE FRANCE, et SOFRUILEG de l'ensemble de leurs demandes ;
A titre subsidiaire :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Dax en ce qu'il a alloué aux sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG 22.000 euros de dommages et intérêts,
- dire et juger irrecevables les demandes indemnitaires des sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG en ce qu'elles sont globales,
- dire et juger que les sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE France, et SOFRUILEG se prévalent de préjudices indirects contractuellement exclus,
- dire et juger que les sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG ne justifient pas des préjudices qu'elles allèguent,
- dire et juger que les préjudices allégués par les sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG n'ont pas de lien de causalité avec la suspension des prestations de la société Orange,
- en conséquence, les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger, que les indemnités susceptibles d'être allouées aux sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG, ne peuvent être supérieures aux sommes mentionnées au n° 12.1 du contrat souscrit par la société SOFRUITLEG et 15.3 du contrat souscrit par les sociétés Prim'land et KIWIFRUITS DE FRANCE,
- condamner in solidum les sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG à payer à la société Orange la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les sociétés Prim'land, KIWIFRUITS DE FRANCE et SOFRUITLEG aux entiers dépens,
- autoriser Maître P., Avocat au Barreau de PAU et membre de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, à procéder au recouvrement direct des dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
* * *
Vu les dernières conclusions notifiées le 10 avril 2020 par lesquelles les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg, au visa des articles 1147 et suivants du code civil, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, demandent à la cour de :
- déclarer l'appel de la Société Orange infondé,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la Société Orange responsable du sinistre et du préjudice subi,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société Orange à la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à garantir et relever indemne les sociétés demanderesses des condamnations mises à leur charge sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société SGE, et de la compagnie GAN Assurances,
- réformant sur son appel incident le quantum des dommages et intérêts alloués : condamner la Société Orange à verser la somme de 37.322,77 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la société KIWIFRUITS de France, la société PRIM'LAND, et la société SOFRUILEG,
- subsidiairement, confirmer l'indemnité de 22.000 € fixée par le jugement,
- condamner la Société Orange au paiement d'une somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Société Orange aux entiers dépens.
* * *
Faisant application en l'espèce des termes de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 - Sur la responsabilité contractuelle de la société Orange :
La Société Orange reproche aux intimées de ne pas produire les contrats d'abonnement conclus avec elle, la communication de simples bons de commande n'étant pas de nature à justifier du contenu de ces contrats. Concernant la nature de son obligation, l'appelante conteste qu'elle aurait été débitrice d'une obligation de résultat. Elle soutient que son obligation n'était que de moyens et que les intimées échoueraient dès lors à démontrer sa défaillance pour venir rechercher sa responsabilité dans le cadre de la survenance de cet incident technique, lequel constituerait au demeurant un cas de force majeure.
Les sociétés intimées soutiennent au contraire que la Société Orange a souscrit envers elles une obligation de résultat concernant la fourniture des services internet et de téléphonie. Or, l'appelante ne démontrerait pas l'existence d'une cause étrangère, alors que la responsabilité de la Société SGE, voire même d'un tiers inconnu, lors de la rupture du câble de fibre optique n'a pas été établie.
[*]
En l'espèce, les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg soutiennent avoir été liées à la Société Orange aux termes de trois bons de commande distincts, même si les parties ne produisent que ceux concernant les sociétés Prim'land et Kiwifruits de France. Cependant, des factures de l'année 2011 et de l'année 2020 établies par la Société Orange au nom de la société Sofruileg sont communiquées par celle-ci pour confirmer son lien contractuel avec cet opérateur, lequel ne conteste nullement l'existence de ces trois contrats. Lui-même ne produit que les bons de commande des sociétés Prim'land et Kiwifruits de France, ainsi que les conditions générales qu'il dit se rapporter à ces trois contrats.
En réalité, les parties s'opposent sur le fait de savoir si les conditions générales et particulières applicables à ces contrats apportent la preuve de ce que la responsabilité de la Société Orange ne pourrait être recherchée qu'au travers d'une obligation de moyens. La société Orange estime en effet que les contrats ayant été conclus avant que n'intervienne l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les clauses venant limiter sa responsabilité ne sauraient être sanctionnées sur le fondement de l'article 1171 du code civil, lequel prévoit que dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
Le nouvel article 1171 du code civil est effectivement inapplicable aux contrats litigieux conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Or, il n'est pas contesté que les contrats liant la Société Orange avec les sociétés Prim'land et Kiwifruits de France ont été conclus au mois de septembre 2010 et celui avec la société Sofruileg au mois de décembre 2006.
Dès lors, la société Orange, sur la base des conditions générales qu'elle produit, d'une part, pour les contrats conclus avec les sociétés Prim'land et Kiwifruits de France et, d'autre part, pour celui conclu avec la société Sofruileg, soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée qu'en démontrant une faute de sa part. Ces conditions générales, spécifiques à des contrats d'adhésion à l'attention des clients professionnels, font effectivement de la faute une condition de la responsabilité de la société Orange.
Au demeurant, de manière générale, que le client du fournisseur d'accès internet et de téléphonie associée soit un professionnel ou un consommateur, exiger de sa part la démonstration d'une faute trouvant potentiellement sa source dans un incident technique appelant des compétences particulières pour le déceler et l'analyser, le confronte nécessairement à une difficulté probatoire majeure.
En l'espèce, cette clause destinée à limiter les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la société Orange contredisait la portée de son engagement pris aux termes des conditions générales concernant le « bon fonctionnement du réseau et du service téléphonique jusqu'au point de livraison ».
Cette clause circonscrivant la responsabilité de la société Orange à la démonstration de sa faute venait nécessairement vider de sa substance son obligation contractuelle essentielle.
En ce sens, les intimés se réfèrent utilement à une jurisprudence de la Haute juridiction visant les fournisseurs d'accès internet, à ce jour non remise en cause, rendue au seul visa des articles 1148 et 1147 anciens du code civil, précisant que : « Tenu d'une obligation de résultat quant aux services offerts, le fournisseur d'accès ne peut s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de son client en raison d'une défaillance technique, hormis le cas de force majeure, c'est-à-dire d'un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible au moment de son exécution, ce que la défaillance technique, même émanant d'un tiers, ne peut caractériser à défaut d'imprévisibilité » (Cass. 1re civ., 19 nov. 2009, nº 08-21.645).
C'est également et uniquement sur les fondement des articles 1148 et 1147 du code civil, dans leur version applicable à la date du litige, que les sociétés intimées fondent leurs demandes.
Ainsi, si la société Orange passe sous silence la position adoptée par la Cour de cassation et se réfère essentiellement à un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 22 avril 2014 dont la teneur ne correspond pas à la matière du litige, sa responsabilité ne peut être recherchée que sur le fondement d'une obligation de résultat, comme les premiers juges l'ont exactement retenu.
Pour chercher à s'exonérer de sa responsabilité, la société Orange se prévaut d'un cas de force majeure, soutenant qu'elle ne pouvait prévoir la rupture accidentelle du câble souterrain à l'occasion de travaux exécutés par un tiers dont l'identité demeure inconnue. Outre son caractère extérieur et imprévisible, cet accident aurait été irrésistible, la société Orange affirmant qu'elle ne pouvait empêcher sa survenance.
Les intimées soutiennent au contraire que l'implantation par commodité des câbles de fibre optique en bordure des voies de circulation rend prévisible une possible intervention tierce.
Il résulte du « constat amiable de dommage aux installations du réseau France Telecom » que la conduite de la fibre optique était enterrée dans le domaine public à une profondeur de 80 centimètres sur le territoire de la commune de [ville M.], au niveau de la route départementale n°13.
Après avoir été inquiétée comme ayant pu être à l'origine de la rupture de la fibre optique, la société Girondine d'équipement (SGE.) a définitivement été mise hors de cause par la Cour administrative d'appel de Bordeaux, venue confirmer l'analyse du Tribunal administratif de Pau.
A défaut pour la société Orange de produire des pièces utiles sur ce versant du dossier, la lecture de la motivation de la cour administrative permet d'apprendre que finalement, l'intervention de la société Girondine d'équipement à la date de survenance de la défaillance technique sur la route départementale n°13 où était enterrée la conduite de la fibre optique n'a pu être établie.
Indépendamment des incohérences de dates entre la demande d'autorisation d'entreprendre des travaux (DAET) et la déclaration d'intention de commencement des travaux (DICT), la juridiction administrative a retenu sur la base d'un constat établi le 16 novembre 2011 par un représentant de la maîtrise d'œuvre du département des Landes, soit le jour de la cessation de l'incident technique, que les travaux de pose de glissières le long de cette route ont été exécutés le 09 novembre 2011 par la société Girondine d'équipement.
Il a encore été retenu par la cour administrative, sans que la société Orange ne le conteste devant la cour d'appel de Pau, que le plan établi par la société Orange concernant son réseau d'implantation de la fibre optique montrait qu'il était localisé sous la chaussée de la route départementale n° 13. Or, les pieux implantés par la société SGE pour la fixation de glissières de sécurité l'ont été sur le bas-côté de la voie, à environ un mètre de la chaussée. Des forages préalables de recherche de câbles s'étaient avérés négatifs.
Il résulte de ces éléments, alors que la société Orange se polarise sur l'indifférence de l'identification du tiers qui aurait été à l'origine d'un événement de force majeure, qu'une tierce intervention, indépendamment de son auteur, n'est pas établie. Ainsi, la rupture de câbles, si elle est avérée, demeure à ce jour inexpliquée et la société Orange échoue à démontrer qu'elle présente les caractéristiques d'un cas de force majeure.
La responsabilité de la société Orange pour manquement à son obligation de résultat se trouve dès lors engagée.
2 - Sur la réparation des préjudices :
Préalablement à ses contestations de fond, la société Orange fait valoir pour la première fois en cause d'appel que les intimées ne pourraient solliciter ensemble la réparation d'un même et unique préjudice de nature commerciale et salariale. Leur demande commune serait irrecevable, ne permettant pas de distinguer le préjudice subi en ces matières par chacune de ces trois sociétés indépendantes entre elles.
Pour soutenir la recevabilité et le bien-fondé de cette demande de réparation commune, les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg estiment qu'aucune règle ne leur interdit de présenter une demande commune en réparation, à charge pour elles ensuite de se répartir les indemnités qui pourraient leur être allouées. Elles disent démontrer au travers des pièces produites le détail de ces préjudices pour chacune d'entre elles.
Ni l'appelante, ni les intimées ne fondent en droit leurs moyens respectifs concernant cette demande d'irrecevabilité qui n'a pas été présentée aux premiers juges. Toutefois, au sens de l'article 564 du code civil, un appelant est recevable à invoquer pour la première fois en cause d'appel l'irrecevabilité d'une demande de dommages et intérêts, dans la mesure où cette prétention constitue un moyen de défense destiné à faire écarter la demande en réparation formulée par son adversaire.
Cette demande de la société Orange est par conséquent recevable.
Si les intimées ne décrivent pas dans leurs écritures les liens susceptibles d'exister entre elles, il ressort des pièces produites que la SAS Prim'land, la société coopérative agricole Kiwifruits de France et la SA Sofruileg sont toutes inscrites au registre du commerce et des sociétés de Dax sous des numéros distincts. La SAS Prim'land et la SA Sofruileg ont leurs sièges sociaux respectifs à la même adresse, au [...] dans la commune de [ville L.]. C'est dans cette même commune que se trouve le siège de la société coopérative agricole Kiwifruits de France mais à une adresse distincte. Cependant, si le contrat conclu entre la société Orange et la SA Sofruileg n'est pas produit, ceux passés entre l'appelante et, d'une part la SAS Prim'land, et, d'autre part, la société Kiwifruits de France permettent de constater que celles-ci étaient alors représentées par la même personne physique, Monsieur G.
Toutefois, aucun document produit ne porte référence de l'existence d'un groupe qui inclurait chacune de ces sociétés ou encore l'existence de participations respectives au capital de chacune. Au demeurant, bien que les intimées ne démontrent pas qu'elles étaient intégrées au sein d'un même groupe de sociétés, ces éléments, pris dans leur ensemble, témoignent de l'existence d'intérêts convergents qui les ont conduites à exercer une action commune à l'encontre de la société Orange. Les intimées indiquent exercer une même activité et travailler en étroite collaboration.
Pour pouvoir donner lieu à réparation, le préjudice doit être personnel, direct et certain.
La condition tenant au caractère personnel du préjudice ne résulte d'aucun texte en particulier, même si la référence faite par l'article 1151 ancien du code civil à la perte éprouvée « par le créancier » et du gain dont « il » a été privé manifeste une telle exigence. Cette règle ne présente aucune spécificité propre à la matière contractuelle puisqu’au final, pour pouvoir donner lieu à réparation du préjudice, la personne du créancier de l'obligation doit souffrir personnellement de son inexécution.
En matière de sociétés commerciales, la prise en compte du caractère personnel du préjudice peut entrer en ligne de compte lorsqu'une société mère d'un distributeur demande réparation du même préjudice que sa filiale distributrice. Dans ce type d'hypothèse, le principe de la réparation intégrale induit l'interdiction d'une double réparation d'un seul et même préjudice, au bénéfice de personnes distinctes.
Au demeurant, si en l'absence d'élément démontrant l'existence entre elles de tels liens de droit les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg étaient en mesure de formuler une demande commune de dommages et intérêts, encore faut-il qu'elles prouvent, chacune, un préjudice qui lui soit personnel.
- Sur le préjudice commercial :
La société Orange se fonde sur les dispositions des conditions générales pour soutenir que le préjudice commercial serait expressément exclu du champ de sa responsabilité contractuelle, et que les intimées ne peuvent se fonder ni sur l'article 1171 du code civil, ni sur le terrain des clauses abusives, s'agissant de contrats conclus entre professionnels, pour contourner ces exclusions contractuelles. Sur le fond, la société Orange soutient que la preuve d'un préjudice commercial pour chacune de ces trois sociétés ne serait pas rapportée.
Les sociétés intimées se réfèrent inutilement ici à l'article 1171 du code civil, inapplicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, mais également au caractère abusif de ces clauses d'exclusion. Ces clauses reviendraient à qualifier de préjudice indirect, non réparable, toute conséquence d'une absence de réseau téléphonique ou d'internet, vidant ainsi de sa substance l'obligation essentielle d'Orange.
Les conditions générales produites circonscrivent la réparation des préjudices découlant du manquement de la société Orange aux seuls préjudices directs, et excluent expressément de ceux-ci le préjudice commercial, lequel n'est pas contractuellement défini.
Dans le cadre de ses relations avec une clientèle de professionnels auprès desquels la société Orange s'engage à assurer le bon fonctionnement du réseau internet et du service téléphonique jusqu'au point de livraison, la rupture de ces services est de nature à nuire directement à l'activité économique de l'entreprise. Le fait de ne plus pouvoir être en communication et de ne plus pouvoir échanger d'information avec la clientèle, les fournisseurs et autres partenaires commerciaux, ne peut être considéré comme un préjudice indirect en cas de rupture du réseau.
En insérant dans les conditions générales relatives aux contrats d'adhésion litigieux une telle clause, l'appelante vient contredire la portée de son obligation essentielle qui consiste à fournir à la société cliente les moyens nécessaires aux communications et transmission d'informations requises pour l'exercice quotidien de son activité économique.
Aux fins de justifier de leur préjudice commercial qu'elles évaluent à 20.000 euros, les intimées indiquent qu'en raison de la coupure totale des réseaux, toutes les transactions commerciales avec leur acheteurs et leurs transporteurs ont été interrompues, alors que leur activité de commerce de gros de fruits et légumes induit une gestion à flux tendus. Ces trois sociétés précisent avoir une activité d'export maritime vers l'Asie et l'Australie qui aurait pâti particulièrement de la rupture du réseau internet. Leur notoriété auprès de leurs clientèles aurait nécessairement été atteinte.
Malgré l'importance du montant sollicité au titre d'un préjudice commercial, ces sociétés ne produisent que trois attestations de personnes présentées comme des partenaires commerciaux, et aucune de ces attestations n'est établie en la forme requise par l'article 202 du code de procédure civile. De plus, les auteurs de ces attestations n'évoquent que des relations commerciales habituelles avec la société Prim'land, aucun élément n'étant produit pour évoquer un éventuel préjudice commercial pour les deux autres sociétés.
L'attestation établie par le représentant de la société Creno Impex, à l'image de celle de la société G., ou encore de celle de la société Pomona food trade, confirme l'incident technique survenu et le mécontentement des partenaires habituels de la société Prim'land.
Cependant, aucune de ces attestations ne peut être utile pour évaluer un préjudice commercial en l'absence de tout autre élément de preuve, notamment de nature comptable. Ces éléments comptables auraient pu permettre à la cour d'apprécier si le préjudice allégué à hauteur de 20.000 euros pouvait correspondre au gain habituel manqué en raison d'une rupture de réseau d'un peu plus de 24 heures. Cette carence probatoire particulièrement remarquable mérite d'être soulignée.
Les intimées seront déboutées de ce premier chef de préjudice.
- Sur le préjudice salarial :
Les intimées soutiennent que pendant un peu plus d'une journée, leurs 88 salariés des services de calibrage, d'emballage et de livraison, ainsi que 11 commerciaux se sont retrouvés dans l'incapacité d'accomplir leurs tâches en raison de la panne survenue. D'autres salariés des services administratifs et de la direction auraient également été fortement pénalisés, sans que les incidences de cette panne n'aient pu être quantifiées les concernant. Le préjudice salarial total est ainsi estimé par les trois sociétés à la somme de 17.322,77 euros.
Selon la société Orange, les sociétés ne démontreraient pas que la coupure des lignes téléphoniques et d'internet ait empêché l'ensemble des salariés de travailler. L'appelante souligne que les éléments produits au soutien des prétentions des intimées résultent de leurs seuls services. Quant aux déclarations des salariés, elles devraient être appréciées avec distance en raison du lien de subordination entretenu avec leur employeur.
Ce préjudice salarial n'est pas envisagé par les conditions générales et pose une question de principe en ce que, même à supposer que la panne des réseaux survenue le 16 novembre 2011 à compter de 11 heures 42, jusqu'au lendemain 14 heures 52, ait pu lourdement pénaliser l'exécution par les salariés de leurs travaux, leurs rémunérations et les charges sociales s'y rapportant n'en restaient pas moins dues au titre de cette courte période, sur la base des contrats de travail conclus avec leur employeur. Ainsi, la perte éprouvée en ces circonstances, et encore moins le gain manqué, notions caractéristiques d'un préjudice pécuniaire, ne sont pas établis.
En définitive, la somme sollicitée ne fait que correspondre aux obligations des employeurs au titre du paiement des salaires et charges sociales. Elle n'entretient aucun lien de causalité avec le manquement avéré de la société Orange. La preuve de l'existence de ce préjudice, dans son principe, n'est pas rapportée.
Au surplus, la cour ne peut que remarquer que les trois intimées, bien qu'elles évoquent une masse salariale conséquente, ne versent que deux attestations établies par deux salariées exerçant des fonctions de commerciales au sein de la seule société Prim'land.
Ces attestations ne respectent pas les conditions de l'article 202 du code de procédure civile. Elles reprennent exactement la même formule consistant à dire que les fonctions commerciales n'ont pu être exercées, compte tenu de l'impossibilité de joindre les clients par téléphone ou par fax.
Les intimées demeurent silencieuses face au questionnement de la société Orange sur la possibilité d'un maintien résiduel de l'activité durant la panne, ne serait-ce que par l'usage de téléphones portables. Les sociétés précisent elles-mêmes dans leurs écritures qu'outre le fax et internet, le téléphone reste l'un des moyens de prise des commandes auprès de la clientèle, pour expédition au cours de l'après-midi.
Ainsi, pour l'ensemble de ces raisons, ce préjudice dit salarial n'est démontré ni dans son existence, ni dans le lien de causalité qu'il aurait entretenu avec le défaut d'exécution par la société Orange de son obligation de fournir à ses clientes un réseau fonctionnel.
En conséquence, le jugement querellé sera infirmé et les intimées également déboutées de leur demande subsidiaire tendant à la confirmation à la somme de 22.000 euros de l'évaluation des préjudices retenue en première instance.
3 - Sur les demandes accessoires :
Parties succombantes, les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg seront condamnées in solidum aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à ceux de première instance par infirmation du jugement entrepris, avec bénéfice de distraction au profit de Maître P., Avocat au barreau de PAU et membre de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg seront condamnées in solidum à verser à la société Orange la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimées seront déboutées de leur demandes formulées à l'encontre de la société Orange au titre des frais irrépétibles, ainsi que de celle tendant à la confirmation de la condamnation de la société Orange à les relever indemnes des condamnations mises à leur charge sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société SGE et de la compagnie GAN Assurances.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en ses dispositions dévolues par voie d'appel le jugement du 4 septembre 2019 du tribunal de grande instance de Dax,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg de leur demande de dommages et intérêts formulée sur appel incident à hauteur de 37.322,77 euros, et à titre subsidiaire pour la somme de 22.000 euros,
Condamne in solidum les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de Maître P., Avocat au barreau de Pau et membre de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE,
Déboute les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg de leur demande tendant à être relevées indemnes par la société Orange des condamnations mises à leur charge par le jugement querellé au profit de la société SGE et de la compagnie GAN Assurances sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés Prim'land, Kiwifruits de France et Sofruileg à payer à la société Orange la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière, Le Président,