CJUE (9e ch.), 17 novembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9316
CJUE (9e ch.), 17 novembre 2021 : Affaire C-655/20
Publication : Site Curia
Extrait (dispositif) : « 1) L’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et l’exigence de transparence des clauses contractuelles, dans le cadre d’un prêt hypothécaire, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent au professionnel de ne pas intégrer dans un tel contrat la définition complète de l’indice de référence servant au calcul d’un taux d’intérêt variable ou de ne pas remettre au consommateur, avant la conclusion de ce contrat, une brochure d’information faisant état de l’évolution antérieure de cet indice, au motif que les informations relatives audit indice font l’objet d’une publication officielle, à la condition que, eu égard aux éléments d’information publiquement disponibles et accessibles ainsi qu’aux informations fournies, le cas échéant, par le professionnel, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a été en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de l’indice de référence et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
2) L’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, dès lors qu’une juridiction nationale considère qu’une clause contractuelle ayant pour objet la fixation du mode de calcul d’un taux d’intérêt variable dans un contrat de prêt hypothécaire n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, au sens de l’article 4, paragraphe 2, ou de l’article 5 de cette directive, il lui incombe d’examiner si cette clause est « abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.
3) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il impose au juge national d’offrir au consommateur le choix entre, d’une part, une révision d’un contrat moyennant la substitution d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt variable jugée abusive par une clause se référant à un indice prévu par la loi à titre supplétif et, d’autre part, une annulation du contrat de prêt hypothécaire dans son ensemble, lorsque celui-ci ne peut subsister sans cette clause.
4) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, en cas de nullité d’une clause abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, le juge national, dans le respect des conditions prévues au point 67 de l’arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch (C ‑125/18, EU:C:2020:138), substitue à cet indice un indice légal, applicable en l’absence d’accord contraire des parties au contrat, lorsque ces deux indices sont déterminés par un mode de calcul d’un niveau de complexité équivalent et que le droit national prévoit ce remplacement dans les cas non litigieux où il est destiné à maintenir l’équilibre des prestations entre les parties, à condition que l’indice de substitution reflète effectivement une disposition supplétive de droit national.
5) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive et que l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, le juge national peut remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif, l’application du taux résultant de l’indice de substitution devant intervenir à la date de la conclusion du contrat. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
NEUVIÈME CHAMBRE
ORDONNANCE DU 17 NOVEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑655/20, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone, Espagne), par décision du 2 décembre 2020, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure
Marc Gómez del Moral Guasch
contre
Bankia SA,
LA COUR (neuvième chambre), composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,
Avocat général : M. M. Szpunar,
Greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Ordonnance :
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), notamment de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, de l’article 5, de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Marc Gómez del Moral Guasch à Bankia SA au sujet d’une clause imposant l’indice de référence des prêts hypothécaires (ci-après l’« IRPH ») et son indice de substitution dans un contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces deux parties (ci-après la « clause litigieuse »).
Le cadre juridique :
Le droit de l’Union :
3. Les treizième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 énoncent :
« considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les États membres ou la Communauté sont parties ; que, à cet égard, l’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives » figurant à l’article 1er, paragraphe 2, couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ;
[...]
considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4. L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive dispose :
« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou [l’Union européenne] sont parties, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »
5. L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive précise :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
6. L’article 4 de la même directive prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
7. Aux termes de l’article 5 de la directive 93/13 :
« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. [...] »
8. L’article 6, paragraphe 1, de cette directive est ainsi libellé :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
9. L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive énonce :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
10. L’annexe de la directive 93/13, qui contient une liste indicative de clauses qui peuvent être déclarées abusives, est ainsi libellée :
« 1. Clauses ayant pour objet ou pour effet : [...]
l) de prévoir que le prix des biens est déterminé au moment de la livraison, ou d’accorder au vendeur de biens ou au fournisseur de services le droit d’augmenter leurs prix, sans que, dans les deux cas, le consommateur ait de droit correspondant lui permettant de rompre le contrat au cas où le prix final est trop élevé par rapport au prix convenu lors de la conclusion du contrat ; [...]
2. Portée des points g), j) et l) [...]
c) Les points g), j) et 1) ne sont pas applicables aux :
– transactions concernant les valeurs mobilières, instruments financiers et autres produits ou services dont le prix est lié aux fluctuations d’un cours ou d’un indice boursier ou d’un taux de marché financier que le professionnel ne contrôle pas,
[...]
d) Le point l) ne fait pas obstacle aux clauses d’indexation de prix pour autant qu’elles soient licites et que le mode de variation du prix y soit explicitement décrit. »
Le droit espagnol
11. L’article 1303 du Código Civil (code civil) énonce :
« Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les contractants doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet du contrat, les fruits produits par ces choses et le prix assorti d’intérêts, sauf dans les cas prévus par les articles suivants. »
12. La deuxième disposition additionnelle de l’Orden del Ministerio de la Presidencia, sobre transparencia de las condiciones financieras de los préstamos hipotecarios (arrêté du ministère de la présidence relatif à la transparence des conditions financières des prêts hypothécaires), du 5 mai 1994 (BOE n° 112, du 11 mai 1994, p. 14444), tel que modifié par l’arrêté ministériel du 27 octobre 1995 (BOE n° 261, du 1er novembre 1995, p. 31794), disposait :
« La Banque d’Espagne, sur rapport de la [Dirección General del Tesoro y Política Financiera (direction générale du Trésor et de la politique financière, Espagne)], définit par voie de circulaire un ensemble d’indices ou de taux de référence officiels susceptibles d’être appliqués par les entités auxquelles se réfère l’article 1.1 aux prêts hypothécaires à taux d’intérêt variable et publie régulièrement leur valeur. »
13. Le Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias (décret royal législatif 1/2007, portant adoption du texte consolidé de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181, ci-après le « décret royal législatif 1/2007 ») dispose, à son article 8, intitulé « Droits fondamentaux des consommateurs et des usagers » :
« Les droits fondamentaux des consommateurs et des usagers sont les suivants :
[...]
b) La protection de leurs intérêts économiques et sociaux légitimes, tout particulièrement face aux pratiques commerciales déloyales et à l’insertion de clauses abusives dans les contrats.
[...] »
14. L’article 60 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Informations précontractuelles », prévoit :
« 1. Avant que le consommateur ou l’usager ne soit lié par un contrat ou une offre du même type, le professionnel lui fournit, d’une manière claire et compréhensible, les informations pertinentes, correctes et suffisantes sur les principales caractéristiques du contrat, notamment sur ses conditions juridiques et économiques, pour autant qu’elles ne ressortent pas clairement du contexte.
[...] »
15. Aux termes de l’article 80 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Exigences à l’égard des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » :
« 1. Dans les contrats conclus avec des consommateurs et des usagers qui comprennent des clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, y compris les contrats conclus par l’administration publique et les entités et entreprises qui en dépendent, ces clauses doivent respecter les exigences suivantes :
[...]
c) bonne foi et juste équilibre entre les obligations des parties, ce qui exclut, en tout état de cause, l’utilisation de clauses abusives.
[...] »
16. L’article 82 du décret royal législatif 1/2007, intitulé « Notion de clauses abusives », dispose :
« 1. Sont considérées comme abusives toutes les clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle ainsi que toutes les pratiques qui ne résultent pas d’un accord exprès et qui, en dépit de l’exigence de bonne foi, créent au détriment du consommateur et de l’usager un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
[...] »
17. L’article 27 de l’Orden EHA/2899/2011 de transparencia y protección del cliente de servicios bancarios (arrêté ministériel EHA/2899/2011 relatif à la transparence et à la protection des utilisateurs de services bancaires), du 28 octobre 2011 (BOE n° 261, du 29 octobre 2011, p. 113242), intitulé « Taux d’intérêt officiels », prévoit, à son paragraphe 1, sous a) :
« En vue de leur application par les organismes de crédit, selon les conditions établies dans le présent arrêté ministériel, les taux d’intérêt officiels suivants seront publiés sur une base mensuelle :
a) Taux moyen des prêts hypothécaires d’une durée supérieure à trois années visant à l’acquisition d’un logement dont le prix est librement fixé accordés par les établissements de crédit en Espagne. »
18. La Ley 14/2013 de apoyo a los emprendedores y su internacionalización (loi 14/2013 de soutien aux entrepreneurs et à leur internationalisation), du 27 septembre 2013 (BOE n° 233, du 28 septembre 2013, p. 78787) prévoit, à sa quinzième disposition additionnelle, que les taux supprimés, mentionnés au paragraphe 1 de cette disposition, dont l’IRPH des caisses d’épargne espagnoles, sont remplacés par le taux ou l’indice de référence de substitution prévu dans le contrat.
19. La quinzième disposition additionnelle de cette loi prévoit, également, à son paragraphe 3 :
« À défaut de taux ou d’indice de référence prévu dans le contrat ou si celui-ci figure parmi les indices ou taux qui disparaissent, la substitution est effectuée au profit du taux d’intérêt officiel dénommé “taux moyen des prêts hypothécaires d’une durée supérieure à trois ans destinés à l’acquisition d’un logement sur le marché libre accordés par les établissements de crédit en Espagne”, assorti d’une marge équivalant à la moyenne arithmétique des écarts entre le taux supprimé et le taux précité, calculés sur la base des données disponibles entre la date de la conclusion du contrat et celle à laquelle la substitution du taux prend effet. [...] ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles :
20. Le 19 juillet 2001, M. Gómez del Moral Guasch a conclu avec le prédécesseur de Bankia, un établissement bancaire, un contrat de prêt hypothécaire, pour un montant de 132 222,66 euros, visant à financer l’acquisition d’un logement.
21. Le point 3 bis de ce contrat, intitulé « Taux d’intérêt variable », contient la clause litigieuse. Celle-ci est ainsi libellée :
« Le taux d’intérêt contractuel est déterminé par périodes semestrielles, calculées à compter de la date de la signature du contrat, le taux du premier semestre étant celui mentionné dans la troisième clause financière. Pour les semestres suivants, le taux applicable est le taux moyen des prêts hypothécaires d’une durée supérieure à trois années visant à l’acquisition d’un logement dont le prix est librement fixé accordés par les caisses d’épargne, en vigueur au moment de la révision, qui est officiellement publié par la Banque d’Espagne à intervalles réguliers dans le Boletín Oficial del Estado pour les prêts hypothécaires à taux variable visant à l’acquisition d’un logement, arrondi au quart de point de pourcentage supérieur et majoré de 0,25 point de pourcentage. »
22. M. Gómez del Moral Guasch a formé un recours devant le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone, Espagne) tendant, notamment, à l’annulation de la clause litigieuse en raison de son caractère prétendument abusif.
23. Par décision du 16 février 2018, la juridiction de renvoi a posé à la Cour trois questions préjudicielles auxquelles celle-ci a répondu dans l’arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch (C‑125/18, ci-après l’« arrêt Gómez del Moral Guasch », EU:C:2020:138).
24. Toutefois, la juridiction de renvoi considère qu’il subsiste des doutes sur les effets de l’interprétation du droit de l’Union sur le litige au principal.
25. Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia n° 38 de Barcelona (tribunal de première instance n° 38 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Est-il contraire à l’article 5 de la directive 93/13 que le professionnel qui impose un indice minoritaire tel que l’IRPH [des caisses d’épargne espagnoles] dans un contrat conclu avec un consommateur n’intègre pas dans le contrat la définition complète de cet indice telle qu’elle figure dans les règles qui le régissent ou ne remette pas au consommateur, avant la conclusion du contrat, une brochure d’information faisant état de l’évolution antérieure de cet indice ?
2) La publication de l’IRPH [des caisses d’épargne espagnoles] au Boletín oficial del Estado [Journal officiel espagnol] permet-elle dans tous les cas de satisfaire aux exigences de transparence quant à la composition et au mode de calcul de l’IRPH [des caisses d’épargne espagnoles], y compris à l’obligation imposée au professionnel d’informer le consommateur relativement à des notions telles que le “taux d’intérêt”, l’“indice de référence” ou le “taux annuel équivalent” ?
3) L’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et les articles 5 et 6 de la directive 93/13, la jurisprudence de la Cour [ainsi que le principe de] l’effet dissuasif s’opposent-ils à ce que, après la constatation de la non-conformité de la clause [relative à l’] IRPH [des caisses d’épargne espagnoles] aux critères d’exigence de transparence requis, il soit procédé à une appréciation ultérieure du caractère abusif de cette clause afin de constater sa nullité ? Le fait de ne pas avoir fourni la donnée objective de l’évolution de l’indice au cours des deux années précédentes rend-il en soi une clause abusive et signifie-t-il que les exigences de bonne foi ont été méconnues, en ce qu’aucune comparaison avec les autres indices n’a été donnée ? La non-application d’une marge négative, ainsi que la Banque d’Espagne le préconise, entraîne-t-elle un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ?
4) Est-il contraire à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour découlant de l’arrêt [du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819)] que le juge national qui considère que le contrat litigieux ne saurait subsister sans la clause relative au taux d’intérêt déclarée abusive n’offre pas au consommateur la possibilité de choisir entre la nullité du contrat ou la révision de ce dernier ?
5) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ainsi que l’effet dissuasif en tant que principe du droit de l’Union s’opposent-ils, eu égard à l’incidence insignifiante qui en résulterait sur le résultat économique, à ce que[,] après la constatation du caractère abusif de la clause insérant l’IRPH [des caisses d’épargne espagnoles] dans le contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, le juge national remplace cette clause par une autre clause insérant l’IRPH Entidades [indice de référence fondé sur les prêts hypothécaires accordés par l’ensemble des établissements de crédit] dans le contrat, compte tenu du fait que ces deux indices sont déterminés par le même mode de calcul complexe et que le droit national prévoit ce remplacement dans les cas non litigieux où il est destiné à maintenir l’équilibre des prestations entre les parties ?
6) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent-ils être interprétés en ce sens que le juge national qui, conformément à son droit interne, applique une clause supplétive afin d’éviter la nullité du contrat dans son intégralité doit condamner le professionnel à rembourser au consommateur la totalité de ce qui a été perçu en application de la clause abusive jusqu’au moment du remplacement de celle-ci, ou doivent-ils au contraire être interprétés en ce sens que le professionnel doit être condamné à rembourser au consommateur la différence entre ce qui a été perçu en application de la clause abusive et ce qui aurait hypothétiquement été perçu si le taux de substitution avait été appliqué ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles :
26. En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
27. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.
Sur les première et deuxième questions :
28. Par ses première et deuxième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 93/13 et l’exigence de transparence des clauses contractuelles, dans le cadre d’un contrat de prêt hypothécaire, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent au professionnel de ne pas intégrer dans un tel contrat la définition complète de l’indice de référence servant au calcul d’un taux d’intérêt variable ou de ne pas remettre au consommateur, avant la conclusion de ce contrat, une brochure d’information faisant état de l’évolution antérieure de cet indice, au motif que les informations relatives audit indice font l’objet d’une publication officielle.
29. À cet égard, il découle du point 56 ainsi que du point 3 du dispositif de l’arrêt Gómez del Moral Guasch que l’article 5 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, aux fins de respecter l’exigence de transparence d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt variable dans le cadre d’un contrat de prêt hypothécaire, cette clause doit non seulement être intelligible sur les plans formel et grammatical, mais également permettre qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de ce taux et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières. Constituent des éléments particulièrement pertinents aux fins de l’appréciation que le juge national doit effectuer à cet égard, d’une part, la circonstance que les éléments principaux relatifs au calcul de ce taux sont aisément accessibles à toute personne envisageant de contracter un prêt hypothécaire, en raison de la publication du mode de calcul dudit taux ainsi que, d’autre part, la fourniture d’informations sur l’évolution passée de l’indice sur la base duquel est calculé ce même taux.
30. Or, ainsi qu’il découle du point 55 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière des éléments d’interprétation donnés dans cet arrêt et notamment de ses points 53 et 54, si, dans le cadre de la conclusion du contrat en cause au principal, l’établissement bancaire a effectivement respecté toutes les obligations d’information prévues par la réglementation nationale.
31. En effet, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale, C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 46).
32. Ainsi, comme la Cour l’a déjà souligné, au point 52 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, sa compétence porte uniquement sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union, en l’occurrence de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C‑92/11, EU:C:2013:180, point 48 et jurisprudence citée), et il appartient donc à la seule juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, au nombre desquels figurent la publicité et l’information fournies par le prêteur dans le cadre de la négociation d’un contrat de prêt (arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 74 ; du 26 février 2015, Matei, C‑143/13, EU:C:2015:127, point 75, ainsi que du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 46).
33. Partant, c’est également à la juridiction de renvoi, qui a seule connaissance de l’ensemble des éléments pertinents du litige au principal, de procéder à l’appréciation de l’ensemble de ces éléments, pour déterminer si, eu égard aux éléments d’information publiquement disponibles et accessibles ainsi qu’aux informations fournies, le cas échéant, par le professionnel, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a été mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de l’indice IRPH des caisses d’épargne espagnoles et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
34. Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 5 de la directive 93/13 et l’exigence de transparence des clauses contractuelles, dans le cadre d’un prêt hypothécaire, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent au professionnel de ne pas intégrer dans un tel contrat la définition complète de l’indice de référence servant au calcul d’un taux d’intérêt variable ou de ne pas remettre au consommateur, avant la conclusion de ce contrat, une brochure d’information faisant état de l’évolution antérieure de cet indice, au motif que les informations relatives audit indice font l’objet d’une publication officielle, à la condition que, eu égard aux éléments d’information publiquement disponibles et accessibles ainsi qu’aux informations fournies, le cas échéant, par le professionnel, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a été en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de l’indice de référence et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
Sur la troisième question :
35. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, dès lors qu’une juridiction nationale considère qu’une clause contractuelle ayant pour objet la fixation du mode de calcul d’un taux d’intérêt variable dans un contrat de prêt hypothécaire n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, au sens de l’article 4, paragraphe 2, ou de l’article 5 de cette directive, il lui incombe d’examiner si cette clause est « abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.
36. La réponse à cette question peut se déduire de l’arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60). En effet, il découle du point 3, deuxième tiret, du dispositif de cet arrêt que l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, dès lors qu’une juridiction nationale considère qu’une clause contractuelle relative au mode de calcul des intérêts applicables à un contrat de prêt hypothécaire n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive, auquel correspond en substance l’exigence de transparence visée à l’article 5 de ladite directive, il lui incombe d’examiner si cette clause est « abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la même directive.
37. Il s’ensuit que la seule circonstance qu’une clause n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible n’est pas, à elle seule, de nature à lui conférer un caractère abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13.
38. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme étant abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat.
39. Il incombe au juge national de déterminer, en tenant compte des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 5 de la directive 93/13, si, eu égard aux circonstances propres au cas d’espèce, une telle clause satisfait aux exigences de bonne foi, d’équilibre et de transparence posées par cette directive (arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
40. En faisant référence aux notions de « bonne foi » et de « déséquilibre significatif » au détriment du consommateur entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 67 et jurisprudence citée).
41. La Cour a ainsi jugé que, afin de déterminer si une clause crée, au détriment du consommateur, un « déséquilibre significatif » entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, il convient, notamment, de tenir compte des règles applicables dans le droit national en l’absence d’accord des parties en ce sens. C’est à travers une telle analyse comparative que le juge national pourra évaluer si et, le cas échéant, dans quelle mesure le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue dans le droit national en vigueur. De même, il apparaît pertinent, à cette fin, de procéder à un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ce consommateur eu égard aux moyens dont il dispose, selon la réglementation nationale, pour faire cesser l’utilisation de clauses abusives (arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 59 et jurisprudence citée).
42. Par ailleurs, l’examen de l’existence d’un éventuel « déséquilibre significatif » ne saurait se limiter à une appréciation économique de nature quantitative, reposant sur une comparaison entre, d’une part, le montant total de l’opération ayant fait l’objet du contrat et, d’autre part, les coûts mis à la charge du consommateur par cette clause. En effet, un déséquilibre significatif peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle le consommateur, en tant que partie au contrat concerné, est placé en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d’une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d’une entrave à l’exercice de ceux-ci ou encore de la mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales (arrêt du 3 octobre 2019, Kiss et CIB Bank, C‑621/17, EU:C:2019:820, point 51).
43. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 précise que le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat concerné et de toutes les circonstances qui ont entouré la conclusion de ce contrat, ainsi que de toutes les autres clauses dudit contrat ou d’un autre contrat dont il dépend.
44. Il découle de cette disposition ainsi que de l’article 3 de cette directive, tels qu’interprétés par la Cour, que l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doit se faire par référence à la date de la conclusion du contrat concerné (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C‑452/18, EU:C:2020:536, point 48).
45. C’est à la lumière de ces critères qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier le caractère éventuellement abusif de la clause litigieuse.
46. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, dès lors qu’une juridiction nationale considère qu’une clause contractuelle ayant pour objet la fixation du mode de calcul d’un taux d’intérêt variable dans un contrat de prêt hypothécaire n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, au sens de l’article 4, paragraphe 2, ou de l’article 5 de cette directive, il lui incombe d’examiner si cette clause est « abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.
Sur la quatrième question :
47. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il impose au juge national d’offrir au consommateur le choix entre, d’une part, une révision d’un contrat moyennant la substitution d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt variable jugée abusive par une clause se référant à un indice prévu par la loi à titre supplétif et, d’autre part, une annulation du contrat de prêt hypothécaire dans son ensemble, lorsque celui-ci ne peut subsister sans cette clause.
48. La réponse à la quatrième question découle des points 53 à 55 de l’arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819).
49. Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit, concernant l’obligation incombant au juge national d’écarter, au besoin d’office, les clauses abusives conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, que ce juge n’est pas tenu d’écarter l’application de la clause en cause si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 53).
50. Ainsi, la directive 93/13 ne va pas jusqu’à rendre obligatoire le système de protection contre l’utilisation de clauses abusives par les professionnels qu’elle a instauré au bénéfice des consommateurs. Par conséquent, lorsque le consommateur préfère ne pas se prévaloir de ce système de protection, celui-ci n’est pas appliqué (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 54).
51. De manière analogue, dans la mesure où ledit système de protection contre les clauses abusives ne trouve pas à s’appliquer si le consommateur s’y oppose, ce consommateur doit a fortiori avoir le droit de s’opposer à être, en application de ce même système, protégé contre les conséquences préjudiciables provoquées par l’invalidation du contrat dans son ensemble lorsqu’il ne souhaite pas invoquer cette protection (arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 55).
52. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il impose au juge national d’offrir au consommateur le choix entre, d’une part, une révision d’un contrat moyennant la substitution d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt variable jugée abusive par une clause se référant à un indice prévu par la loi à titre supplétif et, d’autre part, une annulation du contrat de prêt hypothécaire dans son ensemble, lorsque celui-ci ne peut subsister sans cette clause.
Sur la cinquième question :
53. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, en cas de nullité d’une clause abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, le juge national, dans le respect des conditions prévues au point 67 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, substitue à cet indice un indice légal, applicable en l’absence d’accord contraire des parties au contrat, lorsque ces deux indices sont déterminés par un mode de calcul d’un niveau de complexité équivalent et que le droit national prévoit ce remplacement dans les cas non litigieux où il est destiné à maintenir l’équilibre des prestations entre les parties.
54. Au point 67 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, ainsi qu’au point 4 du dispositif de cet arrêt, la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, en cas de nullité d’une clause contractuelle abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, le juge national substitue à cet indice un indice légal, applicable en l’absence d’accord contraire des parties au contrat, pour autant que le contrat de prêt hypothécaire concerné ne puisse subsister en cas de suppression de ladite clause abusive, et que l’annulation de ce contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables.
55. À cet égard, il importe de rappeler que, d’une part, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses contractuelles reflétant des « dispositions législatives ou réglementaires impératives », expression qui, à la lumière du treizième considérant de cette directive, couvre non seulement les dispositions de droit national qui s’appliquent entre les parties contractantes indépendamment de leur choix, mais également celles qui sont de nature supplétive, à savoir qui s’appliquent par défaut, en l’absence d’un arrangement différent entre les parties (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Mikrokasa et Revenue Niestandaryzowany Sekurytyzacyjny Fundusz Inwestycyjny Zamknięty, C‑779/18, EU:C:2020:236, points 50 à 53, ainsi que du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 23 à 25 et 28).
56. Il s’ensuit que, pour autant que la juridiction de renvoi confirme que l’IRPH Entidades est fondé sur une disposition de droit national présentant un caractère supplétif au sens de cette jurisprudence, cet indice relève de l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 et n’est donc pas couvert par le champ d’application de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, points 31 et 37).
57. Une clause contractuelle intégrant un tel indice ne saurait, par conséquent, être contrôlée au regard de son caractère prétendument abusif, dès lors qu’elle reflète un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats établi par le législateur national lui-même (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Banca Transilvania, C‑81/19, EU:C:2020:532, point 27).
58. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, en cas de nullité d’une clause abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, le juge national, dans le respect des conditions prévues au point 67 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, substitue à cet indice un indice légal, applicable en l’absence d’accord contraire des parties au contrat, lorsque ces deux indices sont déterminés par un mode de calcul d’un niveau de complexité équivalent et que le droit national prévoit ce remplacement dans les cas non litigieux où il est destiné à maintenir l’équilibre des prestations entre les parties, à condition que l’indice de substitution reflète effectivement une disposition supplétive de droit national.
Sur la sixième question :
59. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive et que l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, le juge national peut remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif, l’application du taux résultant de l’indice de substitution devant intervenir à la date de cette substitution ou à celle de la conclusion du contrat.
60. La juridiction de renvoi indique à cet égard que, dans le premier cas, il incombe à la banque de rembourser la totalité des intérêts perçus jusqu’au moment de la substitution, alors que, dans le second, la banque est redevable de la différence entre ce qu’elle a perçu au titre de l’IRPH des caisses d’épargne espagnoles et ce qui aurait été perçu en cas d’application de l’indice de substitution.
61. À cet égard, ainsi que la Cour l’a jugé, aux points 58 et 59 de l’arrêt Gómez del Moral Guasch, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, il incombe au juge national d’écarter l’application des clauses abusives afin qu’elles ne produisent pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sauf si le consommateur s’y oppose. En revanche, cette disposition s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause.
62. À ce titre, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives figurant dans de tels contrats, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 69).
63. Toutefois, la Cour a déjà jugé que, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national, en application de principes du droit des contrats, supprime la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif dans des situations dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, de sorte que ce dernier en serait pénalisé (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, points 80 à 84 ; du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, points 56 et 64, ainsi que du 3 octobre 2019, Dziubak, C‑260/18, EU:C:2019:819, point 48).
64. C’est dans ces conditions que, dans une situation telle que celle au principal, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 permet au juge national, en application de principes du droit des contrats, de supprimer la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif.
65. Ainsi, dans un tel cas et sous réserve desdites conditions, le fait de substituer à une clause abusive une telle disposition, qui, ainsi qu’il ressort du treizième considérant de la directive 93/13, est censée ne pas contenir de clauses abusives, en ce qu’elle aboutit au résultat que le contrat peut subsister malgré la suppression de la clause abusive et continue à être contraignant pour les parties, est pleinement justifié au regard de la finalité de la directive 93/13.
66. En effet, la substitution à une clause abusive d’une disposition nationale à caractère supplétif est conforme à l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dès lors que, selon une jurisprudence constante, cette disposition tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 31, ainsi que du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 40 et jurisprudence citée).
67. Or, en l’occurrence, la prémisse sur laquelle repose la sixième question préjudicielle est, précisément, que le contrat de prêt hypothécaire en cause ne peut subsister sans la clause litigieuse qui fixe le taux d’intérêt variable et détermine la rémunération du prêt. Il serait contradictoire avec cette prémisse de considérer que ce contrat de prêt hypothécaire a pu, pendant toute la période ayant précédé l’adoption de l’indice de substitution au cours de l’année 2013, produire ses effets sans que le prêt ait été rémunéré par des intérêts. La substitution envisagée par la jurisprudence susvisée implique donc le remplacement de la clause abusive écartée par la disposition nationale supplétive à la date de la conclusion du contrat.
68. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la sixième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive et que l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, le juge national peut remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif, l’application du taux résultant de l’indice de substitution devant intervenir à la date de la conclusion du contrat.
Sur les dépens :
69. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et l’exigence de transparence des clauses contractuelles, dans le cadre d’un prêt hypothécaire, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent au professionnel de ne pas intégrer dans un tel contrat la définition complète de l’indice de référence servant au calcul d’un taux d’intérêt variable ou de ne pas remettre au consommateur, avant la conclusion de ce contrat, une brochure d’information faisant état de l’évolution antérieure de cet indice, au motif que les informations relatives audit indice font l’objet d’une publication officielle, à la condition que, eu égard aux éléments d’information publiquement disponibles et accessibles ainsi qu’aux informations fournies, le cas échéant, par le professionnel, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a été en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de l’indice de référence et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
2) L’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, dès lors qu’une juridiction nationale considère qu’une clause contractuelle ayant pour objet la fixation du mode de calcul d’un taux d’intérêt variable dans un contrat de prêt hypothécaire n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible, au sens de l’article 4, paragraphe 2, ou de l’article 5 de cette directive, il lui incombe d’examiner si cette clause est « abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.
3) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il impose au juge national d’offrir au consommateur le choix entre, d’une part, une révision d’un contrat moyennant la substitution d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt variable jugée abusive par une clause se référant à un indice prévu par la loi à titre supplétif et, d’autre part, une annulation du contrat de prêt hypothécaire dans son ensemble, lorsque celui-ci ne peut subsister sans cette clause.
4) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, en cas de nullité d’une clause abusive fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, le juge national, dans le respect des conditions prévues au point 67 de l’arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch (C ‑125/18, EU:C:2020:138), substitue à cet indice un indice légal, applicable en l’absence d’accord contraire des parties au contrat, lorsque ces deux indices sont déterminés par un mode de calcul d’un niveau de complexité équivalent et que le droit national prévoit ce remplacement dans les cas non litigieux où il est destiné à maintenir l’équilibre des prestations entre les parties, à condition que l’indice de substitution reflète effectivement une disposition supplétive de droit national.
5) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive et que l’annulation du contrat dans son ensemble expose le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, le juge national peut remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif, l’application du taux résultant de l’indice de substitution devant intervenir à la date de la conclusion du contrat.
Signatures
* Langue de procédure : l’espagnol. Langue faisant foi : espagnol