CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 20 janvier 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9373
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 20 janvier 2022 : RG n° 19/19438 ; arrêt n° 2022/29
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Ainsi que le Crédit foncier le fait valoir, il résulte des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que dans le cas d'un crédit immobilier, l'inexactitude du TEG n'est sanctionnée que par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge. En conséquence, la demande en nullité doit être rejetée sans qu'il y ait lieu de trancher, en ce qui concerne ce chef de demande, la question de la prescription, laquelle n'a pu courir à l'égard d'une demande dépourvue de fondement légal. »
2/ « La prescription de l'action en déchéance du droit aux intérêts fondée sur un défaut de validité de la stipulation de l'intérêt conventionnel court à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Cette règle, de caractère général, s'applique dans le cas d'un crédit en cours d'exécution, contrairement à ce que prétend M. X. De surcroît, ce dernier ne peut se prévaloir de la règle selon laquelle la prescription quinquennale n'est pas applicable à l'action tendant à réputer non écrite une clause abusive, dès lors qu'il n'agit pas à cette fin, mais en déchéance du droit aux intérêts. »
3/ « Cette modalité de calcul est stipulée par une clause expresse de l'avenant. En revanche, aucune clause en ce sens n'est stipulée dans la convention de prêt originaire. M. X. prétend qu'à défaut d'une clause déterminant les modalités de calcul des intérêts, il doit être présumé que ce calcul est effectué sur la base d'une année de 360 jours, dès lors qu'un pacte obscur doit s'interpréter contre celui qui l'a rédigé.
M. X. était en mesure de faire valoir, dès la formation des conventions de crédit, la clause stipulée dans l'avenant comme l'argumentation tirée de l'absence d'une telle clause dans la convention originaire. »
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 3-3
ARRÊT DU 20 JANVIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Rôle N° RG 19/19438. Arrêt n° 2022/29. N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKOV. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 21 novembre 2019 enregistrée au répertoire général sous le R.G. n° 2019J00050.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], demeurant [adresse], représenté par Maître François C., avocat au barreau de TARASCON
INTIMÉE :
SA CRÉDIT FONCIER DE FRANCE
prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [adresse], représentée par Maître Caroline P. de la SCP D. D'A. & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Maître Anne L., avocat au barreau de PARIS, substituant Maître Georges J., avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre, Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente de chambre, Madame Françoise PETEL, Conseillère.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2022.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2022, Signé par Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR :
Selon une offre du 1er avril 2005, acceptée le 13 avril suivant, le Crédit foncier de France (le Crédit foncier) a consenti à M. X. un prêt de 144 000 € sur 30 ans, au taux initial de 3,90 %, ensuite indexé sur le taux interbancaire européen à un mois. L'acte fait mention d'un taux de période de 0,39 % et d'un taux effectif global (TEG) de 4,63 %.
Un avenant du 28 août 2008, accepté le 29 septembre suivant, a substitué au taux variable un taux fixe de 5,25 %. L'acte fait mention d'un TEG de 6,0279 %.
Après avoir fait analyser les conditions financières du crédit par un expert judiciaire, intervenant à titre amiable, M. X. a fait assigner le Crédit foncier, le 4 février 2019, en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, lui faisant grief du calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours. Il a sollicité, en outre, l'allocation de dommages-intérêts en réparation d'un manquement à l'obligation de loyauté contractuelle.
Le Crédit foncier a opposé, notamment, la prescription de l'action.
Par jugement contradictoire du 21 novembre 2019, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Toulon a :
- déclaré les demandes de M. X. irrecevables comme prescrites ;
- débouté M. X. de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné M. X. aux dépens et au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
Vu les conclusions remises le 22 mai 2020, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles M. X. demande à la cour de :
- annuler le jugement attaqué ;
- constater que les intérêts du prêt et de l'avenant ont été calculés sur la base d'une année de 360 jours ;
- constater que le TEG de l'acte de prêt n'a pas pris en compte les frais de la période d'anticipation ;
- juger que le TEG du prêt est erroné et ordonner la substitution du taux légal au taux conventionnel ;
- enjoindre à la banque d'établir un nouveau tableau d'amortissement ;
- condamner le Crédit foncier à restituer les intérêts indûment perçus, soit la somme de 59 900,30 € à parfaire ;
Subsidiairement,
- prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts du prêt et de l'avenant ;
En tout état de cause,
- condamner le Crédit foncier à payer la somme de 10 000 € pour manquement à l'obligation de loyauté contractuelle ;
- condamner le Crédit foncier aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
Vu les conclusions remises le 25 juin 2020, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles le Crédit foncier demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
A défaut,
- débouter M. X. de ses demandes ;
En tout état de cause,
- condamner M. X. au paiement de la somme de 3.000 € « au titre de l'action abusive », aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 19 octobre 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
M. X. agit, à titre principal, en nullité des clauses d'intérêts de la convention de prêt et de l'avenant, sur le fondement des articles 1907 du code civil et L. 313-1 du code de la consommation, ce dernier texte dans sa rédaction applicable au jour de la convention, subsidiairement, en déchéance du droit aux intérêts, sanction civile prévue par l'article L. 312-33, devenu L 341-34, du même code.
A titre liminaire, il prétend que le jugement est nul pour avoir rejeté les demandes après les avoir déclarées irrecevables.
Sur la demande en nullité du jugement :
Après avoir, dans le dispositif, déclaré irrecevables les demandes de M. X., le premier juge a rejeté ces mêmes demandes.
Il s'agit d'une maladresse de rédaction, puisque la décision de rejet n'est soutenue par aucun des motifs du jugement.
La nullité du jugement n'étant pas encourue, il convient seulement d'infirmer le chef du dispositif qui déboute M. X. de l'ensemble de ses demandes.
Sur la demande en nullité des clauses d'intérêts :
Ainsi que le Crédit foncier le fait valoir, il résulte des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que dans le cas d'un crédit immobilier, l'inexactitude du TEG n'est sanctionnée que par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge. En conséquence, la demande en nullité doit être rejetée sans qu'il y ait lieu de trancher, en ce qui concerne ce chef de demande, la question de la prescription, laquelle n'a pu courir à l'égard d'une demande dépourvue de fondement légal.
Sur la recevabilité de la demande en déchéance du droit aux intérêts :
La prescription de l'action en déchéance du droit aux intérêts fondée sur un défaut de validité de la stipulation de l'intérêt conventionnel court à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Cette règle, de caractère général, s'applique dans le cas d'un crédit en cours d'exécution, contrairement à ce que prétend M. X. De surcroît, ce dernier ne peut se prévaloir de la règle selon laquelle la prescription quinquennale n'est pas applicable à l'action tendant à réputer non écrite une clause abusive, dès lors qu'il n'agit pas à cette fin, mais en déchéance du droit aux intérêts.
M. X. soutient que la validité des clauses d'intérêts est affectée par trois irrégularités : le calcul des intérêts conventionnels de la convention originaire et de l'avenant sur la base d'une année de 360 jours, l'absence de mention du coût total du crédit dans la convention de prêt originaire et l'absence de prise en compte du coût de la période de préfinancement dans le calcul du TEG.
Le calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours
Cette modalité de calcul est stipulée par une clause expresse de l'avenant. En revanche, aucune clause en ce sens n'est stipulée dans la convention de prêt originaire. M. X. prétend qu'à défaut d'une clause déterminant les modalités de calcul des intérêts, il doit être présumé que ce calcul est effectué sur la base d'une année de 360 jours, dès lors qu'un pacte obscur doit s'interpréter contre celui qui l'a rédigé.
M. X. était en mesure de faire valoir, dès la formation des conventions de crédit, la clause stipulée dans l'avenant comme l'argumentation tirée de l'absence d'une telle clause dans la convention originaire.
L'absence de mention du coût total du crédit
Ce grief pouvait être relevé à la simple lecture de l'offre de prêt.
L'absence de prise en compte de la période de préfinancement
Le grief était apparent dans la convention de prêt puisqu'elle stipule en page A2 :
« Le taux effectif global et le taux de période sont calculés pour un prêt entièrement débloqué. Ils ne prennent pas en compte les primes d'assurance de la période préalable au déblocage total des fonds ».
Il en résulte que M. X. était en mesure d'opposer tous les griefs qu'il invoque, dès la formation des conventions de crédit. Dès lors, le point de départ de la prescription des actions en contestation de la validité des clauses d'intérêts se situe, respectivement, au jour de l'acceptation de l'offre de prêt, intervenue le 13 avril 2005, et au jour de l'acceptation de l'avenant, intervenue le 29 septembre 2008.
La prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce, d'une durée de dix ans lors de l'acceptation de l'offre, a été réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin suivant. En vertu de l'article 26 de cette loi, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Il en résulte que la prescription quinquennale a couru à compter du 19 juin 2008 pour l'acte de prêt, en sorte qu'elle était acquise lorsque la demande en déchéance a été formée, pour la première fois, par conclusions d'appel du 22 mai 2020. Ayant commencé à courir le 29 septembre 2008 relativement à la clause d'intérêts de l'avenant, la prescription quinquennale était également acquise le 22 mai 2020.
Sur la recevabilité de la demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. X. :
La demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. X., en réparation de manquements à une obligation de loyauté contractuelle découlant des griefs précédemment analysés et dont il a eu connaissance au jour de la formation des conventions, est prescrite puisque le point de départ de la prescription se situe, en vertu de l'article 2224 du code civil, au jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer cette action.
* * *
Le jugement attaqué est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. X.
La demande en nullité des clauses d'intérêts est rejetée et la demande en déchéance du droit aux intérêts est déclarée irrecevable.
M. X. ayant pu, dans une matière complexe, se méprendre sur l'étendue de ses droits, le Crédit foncier est débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts formée en réparation d'un abus prétendu dans l'exercice d'une action en justice.
M. X., qui succombe, est condamné aux dépens. L'équité commande de confirmer l'indemnité allouée par le premier juge au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de ne pas faire application de ce texte en appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Rejette la demande en nullité du jugement attaqué,
Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. X., statué sur les dépens et sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Rejette la demande en nullité des clauses d'intérêts de la convention de crédit et de son avenant,
Déclare irrecevable la demande en déchéance du droit aux intérêts,
Rejette la demande en paiement de dommages-intérêts formée par le Crédit foncier de France,
Dit n'y avoir lieu en appel à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. X. aux dépens d'appel, distraits au profit de Mme Caroline P., avocat.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT