CA COLMAR (1re ch. civ. A), 23 février 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9453
CA COLMAR (1re ch. civ. A), 23 février 2022 : RG n° 20/00726 ; arrêt n° 81/22
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « La Cour relève qu'une clause réputée non écrite est non avenue par le seul effet de la loi et qu'il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d'un contrat de prêt ne s'analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription, qu'ainsi la demande de Monsieur X. tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 7.1 du contrat de prêt conclu avec la CCM MULHOUSE EUROPE n'est pas prescrite. »
2/ « La Cour relève que, le contrat ayant été conclu le 12 décembre 2010, l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version en vigueur au 3 juillet 2010, applicable en l'espèce, prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Il ressort de la lecture du contrat de prêt conclu entre Monsieur X. et la CCM MULHOUSE EUROPE que la clause « 7.1 » porte sur les modalités propres aux crédits en devises notamment en ce qu'elle explique sur quel compte seront débitées les échéances, qu'elle définit la monnaie de paiement, qu'elle évoque l'éventualité de l'approvisionnement insuffisante du compte en devises le jour d'une échéance et l'éventualité d'un remboursement partiel.
L'une des obligations principales d'un contrat de prêt portant sur le remboursement de la somme avancée au titre du prêt, la clause qui fixe les modalités de ce remboursement porte nécessairement sur l'objet principal du contrat, que ce point n'est pas contesté par Monsieur X., qu'il est ainsi nécessaire de déterminer au préalable si cette clause a été rédigée de façon claire et compréhensible avant d'examiner l'existence d'un déséquilibre significatif entre les parties qu'elle aurait créé.
Il est constant que l'exigence du caractère clair et compréhensible de la clause ne peut pas se réduire au seul aspect formel et grammatical de sa rédaction, qu'il convient de vérifier que le contenu de la clause était suffisamment clair et compréhensible pour un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, pour pouvoir prévoir, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent. S'agissant d'une clause relative au risque de change, cette exigence doit être comprise de telle sorte qu'un consommateur puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est libellé mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives d'une telle clause sur ses obligations financières.
La Cour constate que la clause 7.1 du contrat de prêt porte sur un montant libellé en francs suisses, que la monnaie de paiement est l'euro, que l'emprunteur a toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement, que les frais de garanties seront payables en euros.
Cette clause prévoit également que si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du co-emprunteur. Elle précise que le cours du change appliqué sera le cours du change tiré et qu'il est « expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
Ainsi, il ressort clairement des dispositions de la clause litigieuse qu'elle est susceptible de faire peser un risque de change sur l'emprunteur lorsqu'il rembourse le prêt en euros que, partant, la clause est claire et compréhensible.
La clause litigieuse est claire d'autant plus qu'une attestation a été rédigée par l'emprunteur qui a reconnu le risque de change et en conséquence l'emprunteur ne peut pas invoquer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les manquements contractuels relatifs à la non application du LIBOR NEGATIF, M. X. a indiqué dans ses dernières conclusions que la Caisse de CRÉDIT MUTUEL a finalement appliqué ce taux négatif. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/00726. Arrêt n° 81/22. N° Portalis DBVW-V-B7E-HJM6. Décision déférée à la Cour : 21 janvier 2020 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE.
APPELANT - INTIMÉ INCIDEMMENT :
Monsieur X.
[...], Représenté par Maître Céline R., avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître J., avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE
prise en la personne de son représentant légal [...], Représentée par Maître Laurence F., avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître DE R., avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉE :
SARL T. CONSEIL
prise en la personne de son représentant légal [...], Représentée par Maître Thierry C. de la SCP C. G./C. T./B., avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître C., avocat au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 octobre 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, entendue en son rapport, et M. ROUBLOT, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant acte notarié du 30 décembre 2010, M. X. a fait l'acquisition auprès de la société N. 94, de 3 chambres médicalisées, en l'état futur d'achèvement comprises dans un immeuble à vocation de maison de retraite situé à [ville M.].
L'acquisition immobilière réalisée par l'intermédiaire de la société T. CONSEILS relève du dispositif de défiscalisation LMNP (Location Meublée Non Professionnelle).
Pour financer l'acquisition, M. X. a souscrit auprès de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL (ci-après « CCM »), suivant offre de prêts acceptée le 12 décembre 2010, deux prêts immobiliers, in fine :
- le premier de 120.000 CHF remboursable en une échéance unique en capital le 31 décembre 2030, les intérêts et cotisations d'assurance étant remboursables annuellement (le 31 décembre) moyennant un taux d'intérêt de 2,200 % l'an, variable en fonction de l'index LIBOR 3 MOIS, dans la limite inférieure de 0,950 % et la limite supérieure de 3,450 %
- le second de 773.165 CHF remboursable selon les mêmes conditions que le précédent.
Le remboursement des prêts est garanti par une hypothèque conventionnelle sur le bien financé, le privilège de prêteur de deniers et le nantissement de « CONTRATS ASSURANCE VIE COMMERCIALISES » et d'un contrat d'assurance vie « VIE PLUS ».
Alléguant des manquements à leurs obligations, notamment, d'information, M. X. a, par courriers du 31 janvier 2017, mis en demeure respectivement le CRÉDIT MUTUEL et la société T. CONSEILS de l'indemniser à hauteur de 177.139 euros au titre du préjudice qu'il aurait subi.
Par courriers respectivement du 13 mars 2017 et du 12 avril 2017, la société T. CONSEILS et le CRÉDIT MUTUEL ont opposé une réponse négative.
Par actes d'huissier délivrés le 24 mai 2017, M. X. a fait assigner le CRÉDIT MUTUEL et la société T. CONSEILS devant le Tribunal judiciaire de MULHOUSE.
Par jugement du 21 janvier 2020, le Tribunal judiciaire de MULHOUSE a déclaré l'action en nullité des prêts immobiliers souscrits suivant offre de prêt acceptée le 12 décembre 2010, irrecevable pour être prescrite, en conséquence, a déclaré les demandes de remise des parties en l'état antérieur et de restitution des sommes perçues par chacune d'elles irrecevables, a rejeté la demande formée par la CCM tendant à voir déclarer l'action fondée sur l'article L. 132-1 du Code de la consommation, irrecevable aux motifs qu'elle porte sur une obligation caractéristique du contrat d'autre part qu'elle est couverte par la prescription, a déclaré recevable l'action en constatation du caractère abusif de l'article 7.1 de l'offre de prêts acceptée le 12 décembre 2010, a rejeté la demande visant à dire « nulle et non écrite » ladite clause, a déclaré que l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société T. CONSEILS est irrecevable pour être prescrite, a déclaré que l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la CCM est irrecevable pour être proscrite, en conséquence, a déclaré que la demande de condamnation à des dommages et intérêts à hauteur de 177.139 euros « à parfaire » formée respectivement à l'encontre de la CCM et de la société T. CONSEILS est irrecevable, a déclaré que l'action fondée sur l'application de la valeur réelle de l'index LIBOR TROIS MOIS est recevable, a rejeté la demande de restitution « du trop-perçu au titre du paiement des intérêts », a rejeté la demande de condamnation de la CCM à établir un nouveau tableau d'amortissement des prêts, a condamné la CCM à payer à M. X. la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du CPC, a rejeté la demande d'indemnité formée par la CCM au titre de l'article 700 du CPC, a rejeté la demande d'indemnité formée par la société T. CONSEILS au titre de l'article 700 du CPC, a condamné la CCM à supporter les dépens qu'elle a engagés ainsi que ceux exposés par M. X., a condamné M. X. à supporter les dépens exposés par la société T. CONSEILS, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration faite au greffe le 12 février 2020, M. X. a interjeté appel de cette décision.
Par déclaration faite au greffe le 27 février 2020, la CCM s'est constituée intimée.
Par déclaration faite au greffe le 26 mai 2020, la société T. CONSEIL s'est constituée intimée.
[*]
Par ses dernières conclusions du 19 octobre 2020, auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, étant précisé qu'un autre bordereau de communication de pièces, non contesté, a été déposé le 6 septembre 2021, M. X. demande à la Cour d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, de recevoir M. X. en ses demandes et les dire bien fondées, de débouter les sociétés intimées de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, de débouter la CCM de son appel incident, de déclarer le contrat de prêt souscrit auprès de la CCM contraire à l'ordre public économique, en conséquence, de déclarer le contrat de prêt litigieux nul et non avenu, de constater que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé, d'ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et de constater leur compensation à due concurrence, de déclarer abusive la clause faisant peser sur l'emprunteur le risque de change du contrat de prêt conclu avec la CCM, en conséquence de déclarer ladite clause nulle et non écrite, à l'égard de la société T. CONSEIL, de dire et juger que la société T. CONSEIL a manqué à ses obligations contractuelles en ne respectant pas les termes de la convention d'ingénierie financière, de condamner la société T. CONSEIL à payer à M. X. la somme de 158.090,21 euros à parfaire à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, à l'égard de la société CCM, de dire et juger que la société CCM a manqué à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de M. X., de condamner la société CCM à payer à M. X. la somme de 158.090,21 euros à parfaire à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, en tout état de cause, de condamner solidairement la société CCM et la société T. CONSEILS à payer à M. X. la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. X. affirme, in limine litis, concernant le régime général de la prescription civile, que l'action n'est pas prescrite, que la BANQUE est soumise à un devoir d'information, de conseil, de mise en garde, que le point de départ de la prescription dont se prévaut la société intimée ne vise que l'action en responsabilité pour manquement à l'obligation de mise en garde, que le régime de prescription se fonde sur l'article 2224 du Code civil, que le point de départ de la prescription est glissant et subjectif, que l'article 2232 du Code civil prévoit un nouveau délai butoir de 20 ans, que le droit d'agir prend naissance à la signature du contrat et expire 20 ans plus tard.
Sur l'absence de prescription des différentes actions, M. X. soutient que le point de départ du délai de prescription ne peut être la signature des contrats de prêt étant donné qu'il était à ce moment impossible pour le titulaire d'une action de se rendre compte des manquements dont il a été victime, que le point de départ à retenir est le jour où M. X. s'est rendu compte de l'effondrement du franc suisse en 2015, que M. X. a pris connaissance de son dommage à l'occasion de la réalisation de son prêt en 2015 lors de l'effondrement du franc suisse, que selon l'article 1304 du Code civil l'action en nullité du contrat n'est pas prescrite, que l'imprescriptibilité de la demande en constatation du caractère non écrit est consacrée et sans cesse réaffirmée par la Cour de cassation, que l'action tendant à faire constater le caractère abusif d'une clause n'est pas soumise à la prescription de l'article 1304 du Code civil, que l'action de M. X. n'est pas prescrite.
Sur l'emprunt en francs suisses, sur la nullité du contrat de prêt, M. X. soutient que la clause relative au remboursement du contrat est nulle de nullité absolue, que la CCM est tenue de rembourser l'intégralité des dommages par elle perçues dans le cadre du remboursement des échéances par M. X. et à tout autre titre dans le cadre de cet emprunt litigieux, que la clause est abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, que la clause abusive fait peser sur l'emprunteur le risque de change, que la CJUE considère qu'il convient pour protéger les consommateurs d'annuler ce type de clause, que la clause crée un déséquilibre significatif, que M. X. n'a aucun lien avec la Suisse, qu'il supporte le taux de change en devant obligatoirement convertir ses revenus en euros, que c'est la société intimée qui a invité M. X. a contracté un tel prêt, que la société T. n'a pas respecté ses obligations notamment en ne négociant pas les taux et conditions du prêt, que la sélection de l'organisme prêteur n'était pas adaptée à l'investissement, que la société T. a engagé sa responsabilité contractuelle.
Sur le régime juridique encadrant les prêts en devise et les manquements du Crédit Mutuel, M. X. affirme que le capital dû par les emprunteurs s'accroît de manière considérable dès lors que l'euro perd de la valeur, qu'un tel stratagème conduit nécessairement à l'endettement voire au surendettement des emprunteurs, que de nombreuses procédures relatives à des emprunts en francs suisses ont été engagées ces dernières années, que la loi du 26 juillet 2013 a interdit les prêts en devises étrangères remboursables en monnaie nationales sauf dans des cas très limités, qu'aucune information claire n'a été transmise à M. X. sur les dangers que représente un tel emprunt, que la CCM a été jusqu'à lui imposer un emprunt en francs suisses, que la directive européenne du 4 février 2014 est venue encadrer strictement les prêts immobiliers libellés en devise, que l'exigence d'information est particulièrement forte selon la volonté européenne, que l'ordonnance du 25 mars 2016 est la transposition en droit française de la directive, que selon la jurisprudence la banque est tenue d'indemniser le préjudice résultant du manquement à son obligation d'information et de conseil.
Sur les manquements caractérisés commis par la Caisse de CRÉDIT MUTUEL, M. X. fait valoir qu'elle a manqué à son obligation d'information en ne fournissant aucune information claire à M. X. qui est un profane, que la CCM a intégré à l'offre de prêt des éléments de confusion entre les devises alors que le projet était l'achat en France d'un bien immobilier en euros, qu'aucune information n'a été donnée concernant les risques de change, que rien dans l'offre de prêt n'informait l'emprunteur de l'ampleur des risques encourus.
Sur les manquements au devoir de conseil, M. X. soutient que la CCM a manqué à son obligation de conseil en raison des emprunts en francs suisses, que la CCM n'a pas proposé le crédit le plus adapté à sa situation, que l'objectif de M. X. dans la réalisation de cet emprunt était d'avoir des revenus complémentaires lors de sa retraite en 2030.
Sur les manquements contractuels relatifs à la non-application du LIBOR NEGATIF, M. X. fait valoir que la CRÉDIT MUTUEL a refusé d'appliquer ce taux négatif pour déterminer le taux d'intérêt des prêts contractés par M. X., qu'il n'a été prévu aucun taux d'intérêts plancher ni aucun taux d'intérêts plafond.
Sur le préjudice subi, M. X. affirme qu'il a subi un préjudice de 158 090,21 euros, que le préjudice subi est aussi la perte de chance de contracter un autre prêt et d'échapper au risque d'avoir à faire face à une augmentation du capital prêté exprimé en euros.
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Par ses dernières conclusions du 30 juin 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la société T. CONSEIL demande à la Cour de confirmer le jugement rendu, de rejeter l'ensemble des prétentions des appelants à titre principal, de dire et juger que les demandes relatives à la responsabilité de la société T. CONSEIL sont prescrites, en conséquence, de dire que les demandes de M. X. se heurtent à des fins de non-recevoir, de déclarer irrecevable les demandes de M. X., de le débouter de ses demandes.
Au soutien de ses prétentions, la société T. CONSEIL affirme que l'action en responsabilité se prescrit par 5 ans selon l'article 2224 du Code civil, que c'est lors de la signature de l'offre de prêt que la partie appelante a eu connaissance du mécanisme du prêt, qu'en l'espèce le point de départ du délai de prescription est le 06 septembre 2011, que la prescription est acquise.
Sur le fond, la société T. CONSEIL soutient que c'est à la lueur de la mission contractuelle qu'on lui a confiée, qu'il convient d'apprécier les responsabilités susceptibles d'être engagées, qu'elle a totalement rempli ses obligations dans le projet proposé, qu'il a été procédé à une étude d'investissement du projet, qu'il n'appartenait pas à la société T. CONSEIL d'intervenir dans le cadre des relations entre le banquier et son client, que la société T. CONSEIL n'a eu qu'un rôle extrêmement limité, qu'elle s'est contentée de mettre en relation M. X. et la CCM, que M. X. a été totalement informé des risques liés à la signature d'un prêt en devises étrangères, qu'il était prévu que M. X. fasse un effort en épargnant ce qu'il ne fait plus, qu'il n'existe pas de préjudice actuel, que d'ici 2030 on devrait assister à une nouvelle inversion du cours du change qui devrait être source de profit.
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Par ses dernières conclusions du 27 août 2021, auxquelles était joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, la CCM demande à la Cour de juger M. X. mal fondé en ses demandes, de juger que ses demandes se heurtent à des fins de non-recevoir, de déclarer irrecevables ses demandes, de le débouter, de confirmer le jugement du 21 janvier 2020, sur appel incident, de le recevoir et le dire bien fondé, d'infirmer en partie le jugement, statuant à nouveau, de juger que l'action tendant à voir déclarée abusive la clause 8.5 relative au risque de change est prescrite et par voie de conséquence irrecevable, de débouter M. X. de ses demandes, sur l'article 700 du CPC, de débouter M. X. de sa demande au titre de l'article 700 pour la procédure de première instance, de condamner M. X. aux entiers frais et dépens des deux instances, en tout état de cause, de débouter M. X. de l'intégralité de ses fins et conclusions, de condamner M. X. à verser à la CCM la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du CPC, de condamner M. X. aux entiers frais et dépens de la procédure.
Au soutien de ses prétentions, la CCM affirme sur l'appel principal de M. X., sur l'irrecevabilité de l'action, que selon l'article 2224 du Code civil l'action tendant à obtenir la nullité du prêt est prescrite, que l'appelant était en mesure de connaître les faits lui permettant d'exercer son action dès la signature du contrat de prêt le 12 décembre 2010, que l'action en responsabilité est également prescrite, que selon la jurisprudence l'emprunteur doit agir dans un délai de 5 ans courant à compter de la date du prêt, que les conséquences défavorables de l'augmentation du franc suisse sur les prêts en devises se sont manifestées dès le mois de janvier 2009, que le préjudicie de M. X. est purement hypothétique.
Sur les demandes de M. X., la CCM soutient qu'aucun manquement tant dans l'octroi du prêt que dans ses obligations contractuelles ne peut être reproché à la CCM, que sa responsabilité ne peut être engagée, que les préjudices invoqués ne peuvent lui être imputés, que le contrat de prêt n'est pas contraire à l'ordre public, qu'il résulte de la jurisprudence que la monnaie étrangère est prohibée en tant qu'instrument de paiement mais licite à certaines conditions comme monnaie de compte, que la loi du 26 juillet 2013 est entrée en vigueur le 1er octobre 2014 et n'est pas applicable en l'espèce, que la clause d'indexation est valable et est en relation directe avec l'activité de banquier d'un des contractants, que le prêt est réputé convertible en euros et la monnaie de paiement est l'euro, que l'emprunteur a toujours la possibilité de rembourser le prêt en euros s'il le souhaite, que les modalités du prêt ont été voulues et ont été librement négociées entre les parties, que la clause valeur monnaie étrangère ou espèce étrangère est valable, que la clause est rédigée en des termes clairs, compréhensibles, dénués d'ambiguïté, qu'il n'existe pas de déséquilibre significatif malgré la présence de l'aléa dans le taux de change, que la contrepartie de cette clause en devise réside dans le bénéfice d'un taux d'intérêt particulièrement attractif en ce qu'il est indexé sur une devise étrangère.
Sur l'absence de responsabilité, la CCM soutient que la faute du banquier doit s'apprécier au moment de l'octroi du crédit, que le banquier n'est tenu d'une obligation de mise en garde que s'il existe un risque d'endettement, qu'en l'espèce aucun risque d'endettement ne peut être caractérisé, que la CCM a recueilli l'ensemble des informations relatives à la situation professionnelle, financière et patrimoniale dans la demande de crédit, que M. X. disposait des facultés nécessaires à la bonne compréhension de l'opération qu'il réalisait, que M. X. a été conseillé par la société T. sur l'ensemble de l'opération, qu'il était informé des risques, que le banquier dispensateur de crédit est uniquement tenu à une obligation générale d'information sur l'opération envisagée par son client, que les contrats de prêts mentionnent clairement qu'il s'agit d'un prêt en devise, que la CCM n'a strictement aucune prise sur l'évolution de la parité entre le CHF et l'euro, que l'emprunteur fait preuve de mauvaise foi en affirmant que la CCM lui aurait imposé de souscrire un emprunt en francs suisses, que M. X. a déclaré par attestation du 22 octobre 2010 avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse, que la jurisprudence considère que la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation d'information ne peut pas être retenue lorsque l'emprunteur a été conseillé par une société de gestion de patrimoine, que le préjudice de M. X. est hypothétique, que la CCM n'ayant aucunement manqué à ses obligations contractuelles, il ne peut être mis à sa charge la réparation du préjudice allégué.
Sur le grief relatif à l'absence de prise en compte de l'index négatif, la CCM fait valoir qu'elle a d'ores et déjà répondu aux demandes de M. X. relatives à l'application du LIBOR si bien que ces dernières sont devenues sans objet.
Sur appel incident, la CCM affirme que l'action tendant à voir déclarer abusive la clause relative au risque de change est prescrite depuis le 12 décembre 2015 au titre des deux prêts.
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La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 septembre 2021.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 13 Octobre 2021.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La cour entend, au préalable, rappeler que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à « dire et juger » ou « constater », en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.
1. Sur la prescription des actions intentées par M. X. :
- Sur la prescription de l'action en nullité du contrat de prêts immobiliers :
Le tribunal déclare l'action en nullité du contrat de prêts immobiliers, souscrits suivant offre de prêt acceptée le 12 décembre 2010, irrecevable pour être prescrite, en ce que Monsieur X., ne faisant valoir l'existence d'aucune erreur ou d'aucun dol, ne pouvait ignorer la clause prévoyant un remboursement en francs suisses, dès la lecture de l'offre de prêts. Le tribunal retient que le délai de prescription a commencé à courir à la date d'acceptation de l'offre, le 12 décembre 2010, et a expiré le 12 décembre 2015.
Monsieur X. conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il fait une mauvaise application de la loi en retenant la signature des contrats de prêt comme point de départ du délai de prescription.
Monsieur X. soutient que le point de départ de la prescription de l'action en nullité du contrat de prêt doit être fixé au moment où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que l'ancien article 1304 du code civil applicable au contrat prévoit que la prescription de cinq ans ne court, dans le cas d'erreur ou de dol, qu'à partir du jour où ils ont été découverts, qu'il a pris connaissance de son dommage en 2015, lors de l'effondrement du cours du franc suisse.
La CCM MULHOUSE EUROPE soutient que les développements de Monsieur X. relatifs à la date de survenance de son dommage sont inopérants, que Monsieur X. fixe arbitrairement, à 2015, la date à laquelle il a eu connaissance de son dommage, que le contrat de prêt comporte des dispositions expresses sur son remboursement en devises, que Monsieur X. a déclaré expressément avoir pris connaissance des risques de change liés au cours du franc suisse en régularisant une attestation en date du 22 octobre 2010, que Monsieur X. était donc parfaitement en mesure de connaître les faits lui permettant d'exercer leur action dès la signature du contrat de prêt le 12 décembre 2010, qu'il convient de confirmer le jugement sur ce point.
A ce titre, la Cour relève que, le contrat ayant été conclu le 12 décembre 2010, l'ancien article 1304 du code civil est applicable, que, concernant l'action en nullité du contrat, il est possible de retenir un point de départ différent de la conclusion du contrat, s'il est démontré que l'erreur ou le dol a été découvert postérieurement.
Cependant, il résulte de la lecture du paragraphe 3.3.1 que « l'emprunteur déclare connaître parfaitement les caractéristiques de l'investissement financé ainsi que les risques inhérents à ce type d'investissement, avoir consulté le cas échéant ses conseillers juridiques et fiscaux et décharge expressément le prêteur de toute obligation de conseil ou de renseignement à cet égard ».
En page 5 du contrat de prêt, il est indiqué que « L'emprunteur déclare dès à présent accepter toutes modifications de clauses du présent contrat qui pourraient découler des changements de réglementation des changes. Il est expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt. »
Ainsi, il est démontré que les clauses contractuelles alertaient clairement l'emprunteur sur l'existence d'un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt.
Par ailleurs, les autres dispositions de l'acte de prêt, et notamment les développements de l'article 7 du contrat de prêt portant sur les 'ENGAGEMENTS LIES A LA NATURE DES PRETS', le paragraphe 8 constitué par la « NOTICE RELATIVE AUX CONDITIONS ET MODALITES DE VARIATION DU TAUX D'INTERET », et le « DOCUMENT DE SIMULATION DE L'IMPACT DE LA VARIATION DE TAUX EN CAS DE TAUX VARIABLE » décrivant le coût du crédit ont donné une information parfaitement compréhensible par tout lecteur raisonnablement attentif et diligent, étant précisé que le caractère de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de Monsieur X. peut être retenu.
Ainsi, en l'absence d'élément probant démontrant la découverte d'une erreur à une date postérieure, le point de départ de la prescription quinquennale doit être fixé à la date de la conclusion du contrat le 12 décembre 2010. L'assignation datant du 24 mai 2017, l'action en nullité du contrat était donc prescrite à cette date.
Monsieur X. a soutenu que les contrats de prêts étaient contraires à l'ordre public.
Les informations concernant les modalités de remboursement des prêts ont été précisément déterminées par les termes des contrats qui prévoient par ailleurs que la monnaie de paiement est l'euro.
Dans ces conditions, le point de départ de la prescription quinquennale doit être fixé à la date de la conclusion du contrat le 12 décembre 2010. L'assignation datant du 24 mai 2017, l'action en nullité du contrat était donc prescrite à cette date.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il déclare irrecevable pour être prescrite, l'action en nullité du contrat des prêts immobiliers consentis par la CCM MULHOUSE EUROPE.
- Sur la prescription de l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société CCM MULHOUSE EUROPE :
Le tribunal déclare l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société CCM MULHOUSE EUROPE, ainsi que la demande en dommages-intérêts en découlant, irrecevables comme étant prescrites, en ce que Monsieur X. pouvait prendre la mesure des risques liés à la souscription de prêts in fine en devises suisses à la date d'acceptation de l'offre de prêts, le 12 décembre 2010, et au plus tard, le 31 décembre 2011, à la date de prélèvement des premières échéances complètes de remboursement. Ainsi, le délai quinquennal de prescription qui a débuté, au plus tard, à la date du 31 décembre 2011, était expiré à la date à laquelle l'action en responsabilité extra contractuelle de la banque a été formée par acte d'huissier du 24 mai 2017.
Monsieur X. conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il retient un point de départ erroné concernant la prescription quinquennale de l'action en responsabilité.
Monsieur X. soutient que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que le point de départ ne peut être la signature des contrats de prêt étant donné qu'il était à ce moment impossible pour le titulaire d'une action de se rendre compte des manquements dont il a été victime. Il soutient également que lors de la souscription des prêts in fine en 2010, il ne pouvait avoir conscience de son préjudice puisque par définition celui-ci ne s'était pas encore réalisé, que la seule date à prendre en compte au titre du point de départ du délai de prescription est celle de l'effondrement du cours du franc suisse en 2015 lorsqu'il a constaté que le capital restant dû au titre de son prêt avait augmenté de façon considérable et a découvert les réelles conséquences de l'évolution du taux de change euro/franc suisse et qu'ainsi l'action n'est pas prescrite puisque l'assignation date du 24 mai 2017.
La société CCM MULHOUSE EUROPE soutient que s'agissant d'une action en responsabilité à l'encontre d'un banquier dispensateur de crédit il est jugé que le préjudice, à savoir la perte de chance de ne pas contracter, se manifeste dès l'octroi des crédits à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer le dommage, que c'est à l'occasion de la signature de l'offre de prêt que l'emprunteur a été informé sur le mécanisme du prêt, que cela est attesté par la signature de Monsieur X. sur l'offre de prêt manifestant son acceptation en parfaite connaissance de cause, que l'aléa lié au risque de change étant inhérent au contrat de prêt en devise, Monsieur X. fait preuve d'une mauvaise foi manifeste lorsqu'il prétend n'avoir compris le fonctionnement du crédit et son caractère aléatoire qu'en 2015.
Il convient de rappeler que les prêts consentis sont des prêts in fine.
Le dommage résultant d'un défaut de conseil et/ou d'un manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt consiste en la perte d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, ce risque étant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.
S'agissant de prêts in fine, la date d'exigibilité doit être fixée à la date du 31 Décembre 2030, tant pour le prêt in fine n° 10278 03000.00020854505 et pour le prêt in fine n° 10278 03000.00020854506.
Le point de départ du délai de prescription est le 31 Décembre 2030 pour les deux prêts litigieux et l'année 2015 proposée par la partie appelante comme point de départ du délai de prescription ne sera pas retenue comme point de départ du délai de prescription de l'action en nullité des contrats de prêts.
L'action en responsabilité engagée par Monsieur X. doit être déclarée recevable comme étant non prescrite.
Cependant, Monsieur X. ne peut pas solliciter l'indemnisation d'un préjudice qui n'est pas encore né.
Monsieur X. sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de la somme de 158 090,21 € présentée à l'égard de la Banque.
- Sur la prescription de l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société T. CONSEILS :
Le tribunal déclare l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la société T. CONSEILS, ainsi que la demande en dommages-intérêts en découlant, irrecevables pour être prescrites, en ce que le risque de change et le risque lié au remboursement in fine du prêt étaient appréhendables dès la souscription des prêts, et au plus tard, le 31 décembre 2011, qu'au 31 décembre 2011, M. X. ne pouvait ignorer les difficultés notoires liées à l'évolution défavorable de la parité euro/franc suisse et la décision prise consécutivement par la Banque Nationale Suisse, en septembre 2011, de fixer un cours plancher, que le délai quinquennal de prescription a débuté au plus tard, à la date du 31 décembre 2011, était expiré à la date à laquelle l'action en responsabilité contractuelle de la SARL T. CONSEILS a été formée par acte d'huissier du 24 mai 2017.
Monsieur X. conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il retient un point de départ erroné concernant la prescription quinquennale de l'action en responsabilité.
Monsieur X. fait valoir les mêmes arguments que ceux développés au soutien de ses prétentions concernant le point de départ de la prescription quinquennale de l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de la CCM MULHOUSE EUROPE.
La société T. CONSEIL soutient que l'action est prescrite au bout de cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits, que c'est lors de la signature de l'offre de prêt que la partie appelante a eu connaissance du mécanisme de prêt. De plus, elle soutient qu'il est constant que la parité francs suisses/euros a été fondamentalement modifiée à compter 2011 de telle sorte qu'à compter de cette date, la partie appelante ne pouvait ignorer le prétendu fait dommageable, que le 6 septembre 2011, la banque nationale suisse a décidé d'introduire un taux de change plancher entre le franc suisse et l'euro pour que l'euro ne puisse plus valoir moins de 1,20 franc suisse, que si ce point de départ est retenu, l'action en responsabilité introduite par Monsieur X. est également prescrite.
A ce titre, la Cour relève, concernant l'action en responsabilité contractuelle engagée par Monsieur X. à l'encontre de la société T., celle-ci ne conteste pas l'effondrement du franc suisse en 2015, et ne démontre pas que le préjudice invoqué par la partie appelante s'était réalisé avant cette date, et notamment à la date de signature des contrats de prêt.
Dans ces conditions, l'action en responsabilité engagée par Monsieur X. à l'encontre de la société T. n'est pas prescrite.
Cependant, s'agissant de prêts in fine, l'existence d'un préjudice éventuel ne pourra être appréciée qu'à la date d'exigibilité des prêts, soit à compter du 31 Décembre 2030.
En conséquence, Monsieur X. ne peut pas solliciter l'indemnisation d'un préjudice qui n'est pas encore né.
Monsieur X. sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de la somme de 158.090,21 € présentée à l'égard de la société T.
- Sur la prescription de l'action en déclaration de clauses réputées non écrites :
Le tribunal déclare recevable la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 7.1 de l'offre de prêt acceptée le 12 décembre 2010, formée par M. X. par conclusions transmises le 22 mai 2018.
La société CCM MULHOUSE EUROPE conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il retient que les règles relatives à la prescription n'ont pas vocation à s'appliquer en matière de clause réputée non écrite, et que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d'un contrat de prêt ne s'analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
La société CCM MULHOUSE EUROPE soutient que cette action est prescrite en ce qu'elle n'a pas été introduite dans un délai de 5 ans à compter de la conclusion du prêt le 12 décembre 2010, que l'action tendant à voir déclarer une clause réputée non écrite au motif qu'elle est abusive n'est pas imprescriptible, qu'aucun texte ne prévoit cette imprescriptibilité, que l'action est prescrite depuis le 12 décembre 2015 au titre des deux prêts en ce qu'il s'agit en réalité d'une action en nullité.
Monsieur X. soutient que les clauses abusives sont réputées non écrites et que cette sanction s'opère de plein droit sans avoir en principe à saisir le juge, que l'imprescriptibilité de la demande en constatation du caractère non écrit est consacrée et sans cesse réaffirmée depuis plus de trente ans par la Cour de cassation, que l'action en vue de faire constater le caractère abusif d'une clause et, par conséquent, de la faire réputer non-écrite, n'est pas soumise à la prescription de l'article 1304 du code civil puisqu'elle ne sollicite pas la nullité ou la rescision d'une convention, qu'ainsi l'action de Monsieur X. n'est pas prescrite.
La Cour relève qu'une clause réputée non écrite est non avenue par le seul effet de la loi et qu'il est de jurisprudence constante que la demande tendant à voir réputer non écrites certaines clauses d'un contrat de prêt ne s'analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale ni à aucun délai de prescription, qu'ainsi la demande de Monsieur X. tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 7.1 du contrat de prêt conclu avec la CCM MULHOUSE EUROPE n'est pas prescrite.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il déclare recevable la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 7.1 de l'offre de prêt acceptée le 12 décembre 2010, formée par Monsieur X. par conclusions transmises le 22 mai 2018.
2. Sur le caractère abusif des clauses du contrat de prêt :
Le tribunal rejette la demande visant à déclarer « nulle et non écrite » la clause faisant reposer le risque de change sur l'emprunteur, stipulée dans l'offre de prêt acceptée le 12 décembre 2010.
Monsieur X. conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il ne retient pas le caractère abusif de la clause faisant reposer le risque de change sur l'emprunteur, parce qu'elle est rédigée de façon claire et compréhensible.
Monsieur X. soutient que la clause est abusive en ce qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties, que le prêt qui lui a été consenti en devises comporte des risques de pertes dramatiques en cas de variations défavorables du taux de change et que la clause « 7.1 » du contrat de prêt prévoit que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'à complet remboursement du prêt ». L'article L. 132-1 du Code de la consommation devenu L. 212-1 du même code prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Monsieur X. fait valoir plusieurs arguments en faveur de la déclaration du caractère abusif de la clause « 7.1 ». Il relève que la Cour de cassation a jugé, dans un cas similaire à celui de l'espèce, que toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû et la durée d'amortissement et qu'il incombe aux juges du fond de « rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pèse pas exclusivement sur l'emprunteur [créant] un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Il soutient par ailleurs, en citant un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, que « revêt une importance essentielle aux fins du respect de l'exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses contractuelles le point de savoir si le contrat de prêt expose de manière transparente les conditions de remboursement du crédit ou le moyen de le déterminer, de sorte qu'un consommateur puisse prévoir, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent » et « qu'il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si un consommateur moyen, à savoir un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, peut évaluer, à partir des modalités de calcul des intérêts annuels qui lui sont communiquées, les conséquences économiques de leur application pour le calcul des échéances dont ce consommateur sera en définitif redevable et, partant, le coût total de son emprunt ».
Monsieur X. fait valoir également, en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, que s'il est vrai qu'une clause ne peut être considérée comme étant abusive que pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible, cette exigence ne se réduit pas au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical mais que le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause, de sorte que le consommateur soit mis en mesure d'évaluer sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Monsieur X. soutient in fine qu'il n'a aucun lien avec la Suisse, qu'il vit et travaille en France, que l'intégralité de son patrimoine et de ses revenus se situent en France et s'évaluent en euros, que dans ce contexte, il supporte le taux de change puisqu'il doit obligatoirement convertir ses revenus perçus en euros en francs suisses, qu'ainsi, tous les risques de changes liés à l'augmentation du capital restant dû pèsent contractuellement sur lui, que la variation du taux de change a ainsi entraîné une hausse du capital restant dû par Monsieur X. de 158 090, 21 euros, qu'en conséquence la clause litigieuse doit être considérée comme abusive et partant réputée non écrite.
La CCM MULHOUSE EUROPE soutient que le contrôle du caractère abusif doit être écarté dès lors que la clause définit l'objet du contrat et qu'elle est claire et compréhensible, que les modalités de remboursement d'un prêt dans une certaine monnaie constituent de toute évidence l'obligation caractéristique du contrat de prêt, et de surcroît un prêt libellé en devise étrangère, qu'elles constituent la nature même de l'obligation de l'emprunteur, et en aucun cas un élément accessoire du contrat de prêt.
Elle soutient également que l'emprunteur n'a jamais exprimé la moindre difficulté de compréhension des clauses de ce contrat pendant plusieurs années, qu'il faut comprendre l'exigence d'intelligibilité et de clarté posée par la Cour de justice de l'Union européenne comme imposant qu'un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé puisse connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise, mais aussi évaluer les conséquences économiques 'potentiellement significative' d'une telle clause sur ses obligations financières, qu'une simple relecture des articles suffit à démontrer la clarté de la clause critiquée, que les articles 4.1, 4.2 et 7.1 du contrat de prêt permettent de comprendre le mécanisme du prêt en devise, que selon ces articles, les prêts octroyés à l'appelant à titre principal sont en francs suisses, que ce n'est qu'en cas de défaut de provision sur le compte en devise francs suisses que le prêteur prélèvera le montant restant sur tout autre compte de l'emprunteur ouvert en euros, que Monsieur X. s'était estimé suffisamment renseigné lors de la conclusion du prêt puisqu'il a déclaré par attestation du 22 octobre 2010 avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse ainsi que des règles relatives à la variation de l'index LIBOR en francs suisses, que le mécanisme de remboursement du prêt était parfaitement compréhensible pour tout un chacun, de sorte que les clauses du contrat ne sauraient être considérées comme étant peu lisibles ou ambiguës, que dès lors l'appréciation du caractère abusif ne peut porter sur ces clauses.
La CCM MULHOUSE EUROPE soutient, à titre subsidiaire, que les clauses du contrat ne créent aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, qu'il n'y a pas de déséquilibre puisque contrairement à ce qui est soutenu par Monsieur X., la CCM MULHOUSE EUROPE est aussi soumise au risque de change en ce qu'elle se refinance en effet sur les marchés financiers et auprès d'investisseurs institutionnels, que la banque est également soumise à l'aléa lié au risque de change, que le prêteur ne dispose à aucun moment d'un pouvoir unilatéral concernant le déroulement du remboursement du prêt.
Elle fait valoir que la Cour de cassation a jugé que la disposition relative au risque de change a pour seul objet d'attirer l'attention de l'emprunteur sur le fait qu'il devrait intégralement supporter le risque en cas d'évolution défavorable du taux de change, mais qu'elle ne crée en elle-même aucun déséquilibre significatif entre le prêteur et l'emprunteur, dès lors qu'elle ne met pas à la seule charge de celui-ci toute évolution du taux de change.
Elle soutient également que la contrepartie du prêt en devise réside dans le bénéfice d'un taux d'intérêt particulièrement attractif en ce qu'il est indexé sur une devise étrangère et que cet avantage comporte inévitablement un corollaire à savoir celui du risque de variabilité de cette parité entre les monnaies, que, partant, il ne peut en résulter aucun déséquilibre significatif entre les parties.
La Cour relève que, le contrat ayant été conclu le 12 décembre 2010, l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version en vigueur au 3 juillet 2010, applicable en l'espèce, prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Il ressort de la lecture du contrat de prêt conclu entre Monsieur X. et la CCM MULHOUSE EUROPE que la clause « 7.1 » porte sur les modalités propres aux crédits en devises notamment en ce qu'elle explique sur quel compte seront débitées les échéances, qu'elle définit la monnaie de paiement, qu'elle évoque l'éventualité de l'approvisionnement insuffisante du compte en devises le jour d'une échéance et l'éventualité d'un remboursement partiel.
L'une des obligations principales d'un contrat de prêt portant sur le remboursement de la somme avancée au titre du prêt, la clause qui fixe les modalités de ce remboursement porte nécessairement sur l'objet principal du contrat, que ce point n'est pas contesté par Monsieur X., qu'il est ainsi nécessaire de déterminer au préalable si cette clause a été rédigée de façon claire et compréhensible avant d'examiner l'existence d'un déséquilibre significatif entre les parties qu'elle aurait créé.
Il est constant que l'exigence du caractère clair et compréhensible de la clause ne peut pas se réduire au seul aspect formel et grammatical de sa rédaction, qu'il convient de vérifier que le contenu de la clause était suffisamment clair et compréhensible pour un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, pour pouvoir prévoir, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent. S'agissant d'une clause relative au risque de change, cette exigence doit être comprise de telle sorte qu'un consommateur puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt est libellé mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives d'une telle clause sur ses obligations financières.
La Cour constate que la clause 7.1 du contrat de prêt porte sur un montant libellé en francs suisses, que la monnaie de paiement est l'euro, que l'emprunteur a toujours la faculté de rembourser en euros les échéances au moment de leur prélèvement, que les frais de garanties seront payables en euros.
Cette clause prévoit également que si le compte en devises ne présente pas la provision suffisante au jour de l'échéance, le prêteur est en droit de convertir le montant de l'échéance impayée en euros, et de prélever ce montant sur tout compte en euros ouvert dans les livres du prêteur, au nom de l'emprunteur ou du co-emprunteur. Elle précise que le cours du change appliqué sera le cours du change tiré et qu'il est « expressément convenu que l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt ».
Ainsi, il ressort clairement des dispositions de la clause litigieuse qu'elle est susceptible de faire peser un risque de change sur l'emprunteur lorsqu'il rembourse le prêt en euros que, partant, la clause est claire et compréhensible.
La clause litigieuse est claire d'autant plus qu'une attestation a été rédigée par l'emprunteur qui a reconnu le risque de change et en conséquence l'emprunteur ne peut pas invoquer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les manquements contractuels relatifs à la non application du LIBOR NEGATIF, M. X. a indiqué dans ses dernières conclusions que la Caisse de CRÉDIT MUTUEL a finalement appliqué ce taux négatif.
3. Sur les frais et dépens :
Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais et dépens.
La CCM MULHOUSE EUROPE sera condamnée à supporter les dépens d'appel de Monsieur X. et l'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Monsieur X. mais pas au profit de la CCM MULHOUSE EUROPE dont la demande sera rejetée de ce chef.
Monsieur X. sera condamné à supporter les dépens d'appel de la société T. CONSEIL et l'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société T. CONSEIL, et pas au profit de Monsieur X. dans le litige qui l'opposait à cette société.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 21 janvier 2020, sauf en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de Monsieur X. présentée à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE et de la société T. CONSEIL,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et Y Ajoutant,
DECLARE recevable comme non prescrite l'action engagée par Monsieur X. à l'encontre de la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE,
DECLARE recevable comme non prescrite l'action engagée par Monsieur X. à l'encontre de la société T.,
REJETTE la demande de Monsieur X. en condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE au paiement d'une somme de 158.090,21 € au titre de dommages-intérêts,
REJETTE la demande de Monsieur X. en condamnation de la société T. au paiement d'une somme de 158.090,21 € au titre de dommages-intérêts,
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE aux frais et dépens de la procédure d'appel de Monsieur X.,
CONDAMNE Monsieur X. aux frais et dépens de la procédure à hauteur d'appel de la société T. CONSEIL,
CONDAMNE la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE à payer à Monsieur X. la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE Monsieur X. à payer à la société T. CONSEIL la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
REJETTE les demandes formées par la Caisse de Crédit Mutuel MULHOUSE EUROPE à l'encontre de Monsieur X. et par Monsieur X. à l'encontre de la société T. CONSEIL sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.,
LA GREFFIÈRE : LA PRÉSIDENTE :