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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 23 février 2022

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 23 février 2022
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 20/01104
Décision : 75/22
Date : 23/02/2022
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 11/03/2020
Numéro de la décision : 75
Référence bibliographique : 5705 (L. 212-1, imprescriptibilité), 9742 (prêt en francs suisses)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9454

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 23 février 2022 : RG n° 20/01104 ; arrêt n° 75/22 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Sur ce, il convient de remarquer que la demande formée par les époux X. et dont la banque sollicite qu'elle soit déclarée irrecevable, tend à voir « juger que la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006 et la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008, toutes deux afférentes au risque de change, sont abusives et sont réputées non écrites », de sorte qu'elle ne s'analyse pas comme une demande en nullité, ce que le Crédit Mutuel ne conteste d'ailleurs pas, mais vise à voir constater le caractère abusif de la clause litigieuse, et non, en elle-même, à la restitution de sommes indûment versées sur le fondement de telles clauses, à les supposer abusives, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la demande formée par les époux W. tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses 10.5 et 11.4 des offres de prêt litigieuses était recevable, le jugement dont appel devant ainsi être confirmé de ce chef. »

2/ « En l'espèce, ainsi que cela a été rappelé par le premier juge, les deux clauses contestées stipulent, dans les mêmes termes, que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt. »

En ce sens, ces clauses portent sur un élément essentiel caractérisant le contrat de prêt auxquelles elles sont insérées, puisque, figurant dans un article relatif aux crédits en devises, elles ont trait aux modalités de remboursement du capital prêté en francs suisses et des intérêts dus à la banque par l'emprunteur, les sommes dont le paiement est dû au prêteur, qui s'effectuent, en l'absence de ressources en francs suisses de l'emprunteur, par la conversion en francs suisses de règlements en euros, comme prévu à l'article 5.3, étant susceptible de varier en fonction de l'évolution du cours du franc suisse dans lequel sont libellées les échéances de remboursement.

Dans ces conditions, par application des dispositions précitées du code de la consommation, il convient de vérifier que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible, à défaut de quoi seulement il y aurait lieu d'apprécier leur caractère abusif.

Sur ce point, le premier juge a, par des motifs pertinents que la cour adopte, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, en retenant, notamment, que les clauses litigieuses, lesquelles alertaient clairement l'emprunteur sur l'existence d'un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt, et même si elles ne permettaient pas, à elles seules d'apprécier le 'caractère personnalisé des explications qui ont pu être fournies', devaient également être appréciée au regard des autres dispositions de l'acte de prêt, et plus particulièrement 1'article 5.2 décrivant le coût du crédit, et l'article 5.3 précité, outre qu'elles étaient parfaitement compréhensibles par tout lecteur raisonnablement attentif et diligent, fût-ce en l'absence d'une simulation chiffrée alors non prévue par la réglementation en vigueur, étant précisé que le caractère de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de M. et Mme X. peut être retenu.

À cela s'ajoute que les emprunteurs se sont vus remettre, par la banque, en date du 13 décembre 2006, soit avant même l'acceptation de la première offre de prêt, une attestation, qu'ils ont signée, par laquelle ils certifient, notamment, 'avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse', ces termes, fussent-ils relativement généraux, venant cependant contribuer à appeler leur attention sur la spécificité de l'offre de prêt qu'ils s'apprêtaient à signer, et dans le cadre de laquelle, ainsi que cela vient d'être indiqué, ils ont été mis à même d'appréhender les modalités de remboursement du prêt et en particulier les implications de la conversion en francs suisses de leurs règlements.

Ainsi, ces clauses étant rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'apprécier si elles ont un caractère abusif, le jugement frappé d'appel devant, dès lors, être confirmé sur ce point. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 20/01104. N° Portalis DBVW-V-B7E-HKBC. Décision déférée à la Cour : 21 janvier 2020 par la première chambre civile du Tribunal judiciaire de MULHOUSE.

 

APPELANTS - INTIMÉS INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[...], [...]

Madame Y.

[...], [...]

Représentés par Maître Mathilde S., avocat à la Cour

 

INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE

prise en la personne de son représentant légal [...], [...], Représentée par Maître Laurence F., avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 modifié du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 juin 2021, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. ROUBLOT, Conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. X. et Mme Y., son épouse, ci-après également dénommés « les époux X. » ou « les consorts X. » ont souscrit, auprès de la Caisse de Crédit Mutuel (CCM) Mulhouse Europe, ci-après également « le Crédit Mutuel » ou « la banque », trois prêts immobiliers, ayant, chacun, pour objet de financer l'acquisition, en l'état futur d'achèvement, de biens immobiliers, dans le cadre d'un dispositif de défiscalisation, réalisée par l'intermédiaire d'une société CECP :

- le premier prêt, suivant offre de prêt acceptée le 18 décembre 2006, réitéré par acte notarié du 19 décembre 2006, s'élevant à la somme de 710.000 francs suisses (CHF), remboursable en une échéance unique en capital, le 31 décembre 2022, les intérêts et cotisations d'assurance étant remboursables annuellement (le 31 décembre) moyennant un taux d'intérêt de 3,200 % fan, variable en fonction de l'index LIBOR 3 mois, le remboursement du prêt étant garanti par une hypothèque conventionnelle sur le bien financé, le privilège de prêteur de deniers et le nantissement d'un contrat d'assurance vie,

- le deuxième prêt, suivant offre acceptée le 7 décembre 2007, réitéré par acte notarié du 18 janvier 2008, s'élevant à la somme de 306.000 CHF, remboursable en une échéance unique en capital, le 15 décembre 2027, les intérêts et cotisations d'assurance étant remboursables mensuellement, moyennant un taux d'intérêt de 4,200 % l'an, variable en fonction de l'index LIBOR 3 mois, le remboursement du prêt étant garanti par une hypothèque conventionnelle sur le bien financé, le privilège de prêteur de deniers et le nantissement d'un contrat d'assurance vie,

- le troisième prêt, d'un montant de 57.700 CHF, ressortant de l'offre de prêt précitée, acceptée le 7 décembre 2007 avec réitération devant notaire le 18 janvier 2008, et remboursable aux mêmes conditions que le précédent prêt.

Alléguant des manquements de la banque à ses obligations, notamment, de mise en garde, les consorts X. ont, par courrier du 5 septembre 2017, vainement mis en demeure la CCM Mulhouse Europe de les indemniser à hauteur de 351.302,78 euros, au titre du préjudice qu'ils estimaient avoir subi à ce titre.

Puis, par assignation délivrée le 12 octobre 2017, ils ont fait citer la banque devant la chambre civile du tribunal de grande instance, devenu à compter du 1er janvier 2020, tribunal judiciaire de Mulhouse.

Par jugement rendu le 21 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Mulhouse a :

- déclaré recevable la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006, et de la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008,

- rejeté la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006, et de la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008,

En conséquence,

- rejeté la demande tendant à dire, s'agissant du prêt de 710.000 CHF, que le montant du capital à rembourser s'élevait à 430.809 euros,

- rejeté la demande tendant à dire, s'agissant du prêt de 306.000 CHF, que le montant du capital à rembourser s'élevait à 174.721 euros,

- rejeté la demande tendant à dire, s'agissant du prêt de 57.000 CHF, que le montant du capital à rembourser s'élevait à 32.952 euros,

- rejeté la demande de condamnation de la CCM Mulhouse Europe à établir, sous astreinte, trois nouveaux tableaux d'amortissement, l'un pour le prêt de 430.809 euros (710.000 CHF), le deuxième pour le prêt de 174.721 euros (306.000 CHF) et le troisième pour le prêt de 32.952 euros (57.700 CHF), au même taux et sur la même durée, avec substitution de l'euro au franc suisse, déduction faite des intérêts déjà versés réactualisés au cours de change à la date de déblocage du prêt,

- déclaré irrecevable l'action en responsabilité de la CCM Mulhouse Europe, fondée sur un manquement à l'obligation de mise en garde,

En conséquence,

- déclaré irrecevable la demande de condamnation de la CCM Mulhouse Europe à payer la somme de 321 808 euros a titre de dommages et intérêts,

- rejeté la demande formée par M. X. et Mme Marie Christine Claude Maryse W. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par la CCM Mulhouse Europe au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. X. et Mme Marie Christine Claude Maryse W. aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Le premier juge a, notamment, retenu que :

- la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006, et de la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008, formée par les consorts X., par acte d'huissier du 12 octobre 2017, était recevable, s'agissant d'une demande ne s'analysant pas en une demande en nullité, de sorte qu'elle n'était pas soumise à la prescription quinquennale,

- l'action en responsabilité de la banque, devant être examinée, le cas échéant, exclusivement sur le fondement d'un manquement au devoir de mise en garde, soumise au délai de prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, était irrecevable comme étant prescrite, dès lors que les consorts X. pouvaient prendre la mesure du risque de change à la date d 'acceptation de chaque offre de prêt (18 décembre 2006 et 7 décembre 2007), et au plus tard, à la date de prélèvement de la plus tardive première échéance complète de remboursement de prêt soit le 30 juin 2008,

- les clauses litigieuses, insérées dans un article ayant pour objet de fixer une prestation essentielle du contrat de prêt, à savoir les modalités de remboursement du prêt au moyen de devises suisses, définissant l'objet principal du contrat n'étaient pas abusives, comme étant rédigées de manière claire, non équivoque, parfaitement compréhensible par tout lecteur raisonnablement attentif et diligent, l'emprunteur étant clairement alerté sur l'existence d'un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt, fût-ce en l'absence de simulation chiffrée, le tribunal précisant que si la clause 10.5 ne permet pas à elle seule d'apprécier le « caractère personnalisé des explications qui ont pu être fournies » aux consorts X., elle devait également être appréciée au regard des autres dispositions de l'acte de prêt, et plus particulièrement l'article 5.2 décrivant le coût du crédit, le caractère variable du taux nominal d'intérêt, l'indexation sur le LIBOR, notamment, et de l'article 5.3 d'où il ressortait, qu'en l'absence de ressources d'origine suisses, et hors demande de conversion en euros, le paiement des échéances de remboursement devait nécessairement s'opérer par la conversion en francs suisses de règlement en euros, ajoutant que la devise suisse n'était pas utilisée comme monnaie de paiement mais comme monnaie de compte, l'emprunteur ayant toujours la faculté de s'exécuter en euros au moment du prélèvement des échéances de remboursement, la circonstance que cette faculté n'était pas opportune « actuellement » étant sans emport, puisqu'il s'agissait d'apprécier le caractère abusif au jour de la souscription du prêt.

[*]

M. X. et Mme Y. ont interjeté appel de cette décision, par déclaration déposée le 11 mars 2020.

Dans leurs dernières conclusions en date du 10 mai 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, ils demandent à la cour de déclarer l'appel principal recevable, de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il déclare recevable la demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006, et de la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008, de l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de :

- juger que la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006 et la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008, toutes deux afférentes au risque de change, sont abusives et sont réputées non écrites,

- juger s'agissant du prêt de 710.000 CHF que, dès lors, le montant du capital à rembourser s'é1ève à 430.809 euros,

- juger s'agissant du prêt de 306.000 CHF que, dès lors, le montant du capital à rembourser s'élève à 174.721 euros,

- juger s'agissant du prêt de 57.700 CHF que, dès lors, le montant du capital à rembourser s'élève à 32.952 euros,

- condamner la banque à établir trois nouveaux tableaux d'amortissement, l'un pour le prêt de 430.809 euros (710.000 CHF), le deuxième pour le prêt de 174 721 euros (306.000 CHF) et le troisième pour le prêt de 32.952 euros (57.700 CHF), au même taux et sur la même durée avec substitution de l'euro au franc suisse, déduction faite des intérêts déjà versés, réactualisés au cours de change a la date du déblocage du prêt, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- juger 1'action en manquement de 1'obligation de mise en garde recevable,

- constater que la banque a manqué à son obligation de mise en garde des concluants,

- juger qu'ils ont subi un préjudice résultant de la perte de chance d'avoir conclu des contrats de prêt immobilier à des conditions financières plus avantageuses,

- condamner la banque à leur payer la somme de 321.808 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son manquement au devoir de mise en garde,

- débouter la banque de son appel incident ainsi que de l'ensemble de ses demandes et conclusions,

- condamner la banque à leur payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

À l'appui de leurs prétentions, ils entendent, notamment, invoquer :

- le caractère imprescriptible d'une action visant à voir réputée non écrite une clause abusive,

- le caractère abusif de clauses du prêt, qui ne porteraient pas sur son objet principal, s'agissant d'un prêt immobilier, et ne seraient, en tout état de cause, pas rédigées de manière claire et compréhensible, peu important la réitération devant notaire, faute d'explication concrète et simple de la banque sur les implications du risque de change dont la banque avait conscience, outre qu'elles créeraient un déséquilibre significatif entre les parties, lié à la perte en capital ou à la diminution du rendement du prêt, sans que la banque ne justifie des avantages, notamment en termes de taux, qu'auraient eu les concluants, pour lesquels la conversion est possible mais très défavorable,

- le préjudice, qu'ils estiment démontrer, en résultant,

- un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, dans le cadre d'une action qui ne serait pas prescrite, le délai de prescription courant à compter du jour de la révélation du dommage, soit du courrier de la banque de 2015 les informant du capital restant dû avec une variation importante par rapport à l'année précédente, alors que les emprunteurs ne pouvaient pas auparavant déterminer si la variation du montant des intérêts était due à la variation de l'indice LIBOR ou au cours de change, la banque n'ayant, sur le fond, pas mis en garde les emprunteurs, notamment par le biais de simulation, quant aux implications des variations du change, peu important qu'ils aient été mis en relation par un courtier et qu'un notaire ait participé à l'opération,

- la perte de chance, en résultant, de ne pas contracter le prêt, et d'éviter toute variation résultant du change sur les intérêts et le capital, ce surcoût étant constitutif de leur préjudice.

[*]

La CCM Mulhouse Europe s'est constituée intimée le 2 avril 2020.

Dans ses dernières écritures déposées le 12 mai 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, elle conclut à la confirmation de la décision entreprise, sous réserve de son appel incident, qu'elle entend voir déclarer recevable, et au titre duquel elle demande l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action en suppression de clauses abusives imprescriptible, et entend voir la cour, statuant à nouveau, déclarer cette action prescriptible et en l'espèce prescrite, subsidiairement mal fondée.

En tout état de cause, elle conclut à la condamnation solidaire des époux X. aux dépens, ainsi qu'à lui verser une indemnité de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour sa part, elle invoque, notamment :

- la prescription de l'action en suppression de clauses abusives, s'agissant non d'une exception mais d'une action prescriptible, le délai de prescription courant au moins à compter du pic de change en 2011,

- la prescription, également, de l'action en responsabilité pour manquement à l'obligation de mise en garde, le délai de prescription devant courir à compter de la signature du contrat,

- le mal fondé des prétentions adverses concernant les clauses du prêt, en présence d'un objet du prêt parfaitement clair et n'ayant donné lieu à aucune difficulté d'exécution, et de l'absence de déséquilibre significatif compte tenu du caractère bilatéral du risque de change et de l'avantage pour les emprunteurs en termes de taux d'intérêt,

- l'absence de manquement de la concluante à ses obligations d'information et de mise en garde, l'attention des emprunteurs ayant été attirée sur ce point par une attestation contresignée, devant s'apprécier au regard du niveau de formation et du statut professionnel des emprunteurs,

- très subsidiairement, la seule indemnisation à ce titre de la chance perdue de ne pas souscrire un prêt en devises, qui ne serait pas caractérisée, alors que les emprunteurs, assistés de leur conseil, avaient demandé un prêt en francs suisses pour bénéficier des taux liés à cette devise.

[*]

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 19 mai 2021, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 9 juin 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La cour entend, au préalable, rappeler que :

- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion,

- ne constituent pas des prétentions, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à « dire et juger » ou « constater », en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs.

Sur la demande tendant à voir déclarer abusives la clause 10.5 du prêt du 19 décembre 2006 et la clause 11.4 du prêt du 18 janvier 2008 :

 

Sur la prescription :

Si les époux X. soutiennent, en confirmation du jugement entrepris, que leur action, visant à voir réputées non écrites des clauses abusives serait imprescriptible, le Crédit Mutuel entend, pour sa part, faire valoir que cette action serait prescriptible, comme n'ayant pas le caractère d'une exception.

Sur ce, il convient de remarquer que la demande formée par les époux X. et dont la banque sollicite qu'elle soit déclarée irrecevable, tend à voir « juger que la clause 10.5 de l'acte de prêt du 19 décembre 2006 et la clause 11.4 de l'acte de prêt du 18 janvier 2008, toutes deux afférentes au risque de change, sont abusives et sont réputées non écrites », de sorte qu'elle ne s'analyse pas comme une demande en nullité, ce que le Crédit Mutuel ne conteste d'ailleurs pas, mais vise à voir constater le caractère abusif de la clause litigieuse, et non, en elle-même, à la restitution de sommes indûment versées sur le fondement de telles clauses, à les supposer abusives, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la demande formée par les époux W. tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses 10.5 et 11.4 des offres de prêt litigieuses était recevable, le jugement dont appel devant ainsi être confirmé de ce chef.

 

Sur l'appréciation du caractère abusif des clauses :

L'article 3 paragraphe 1 de la directive 93/13 prévoit qu'« une clause d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».

L'article 4 paragraphe 2 de la même directive prévoit que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat (...) pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

En application de l'article L. 132-1, devenu l'article L. 212-1 du code de la consommation dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

En l'espèce, ainsi que cela a été rappelé par le premier juge, les deux clauses contestées stipulent, dans les mêmes termes, que « l'emprunteur assume les conséquences du changement de parité entre la devise empruntée et le franc français ou l'euro, qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt. »

En ce sens, ces clauses portent sur un élément essentiel caractérisant le contrat de prêt auxquelles elles sont insérées, puisque, figurant dans un article relatif aux crédits en devises, elles ont trait aux modalités de remboursement du capital prêté en francs suisses et des intérêts dus à la banque par l'emprunteur, les sommes dont le paiement est dû au prêteur, qui s'effectuent, en l'absence de ressources en francs suisses de l'emprunteur, par la conversion en francs suisses de règlements en euros, comme prévu à l'article 5.3, étant susceptible de varier en fonction de l'évolution du cours du franc suisse dans lequel sont libellées les échéances de remboursement.

Dans ces conditions, par application des dispositions précitées du code de la consommation, il convient de vérifier que ces clauses sont rédigées de façon claire et compréhensible, à défaut de quoi seulement il y aurait lieu d'apprécier leur caractère abusif.

Sur ce point, le premier juge a, par des motifs pertinents que la cour adopte, fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties, en retenant, notamment, que les clauses litigieuses, lesquelles alertaient clairement l'emprunteur sur l'existence d'un risque de change pouvant survenir pendant toute la durée du prêt, et même si elles ne permettaient pas, à elles seules d'apprécier le « caractère personnalisé des explications qui ont pu être fournies », devaient également être appréciée au regard des autres dispositions de l'acte de prêt, et plus particulièrement 1'article 5.2 décrivant le coût du crédit, et l'article 5.3 précité, outre qu'elles étaient parfaitement compréhensibles par tout lecteur raisonnablement attentif et diligent, fût-ce en l'absence d'une simulation chiffrée alors non prévue par la réglementation en vigueur, étant précisé que le caractère de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de M. et Mme X. peut être retenu.

À cela s'ajoute que les emprunteurs se sont vus remettre, par la banque, en date du 13 décembre 2006, soit avant même l'acceptation de la première offre de prêt, une attestation, qu'ils ont signée, par laquelle ils certifient, notamment, « avoir pris connaissance des risques de change liés au franc suisse », ces termes, fussent-ils relativement généraux, venant cependant contribuer à appeler leur attention sur la spécificité de l'offre de prêt qu'ils s'apprêtaient à signer, et dans le cadre de laquelle, ainsi que cela vient d'être indiqué, ils ont été mis à même d'appréhender les modalités de remboursement du prêt et en particulier les implications de la conversion en francs suisses de leurs règlements.

Ainsi, ces clauses étant rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'apprécier si elles ont un caractère abusif, le jugement frappé d'appel devant, dès lors, être confirmé sur ce point.

 

Sur la demande tendant à voir engager la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de mise en garde :

Sur la prescription :

Ainsi que cela a été retenu par le premier juge, ce qui n'est pas contesté par les parties, et en particulier par les époux X. à hauteur d'appel, ceux-ci entendent mettre en cause la responsabilité de la banque au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, faute d'information suffisante reçue quant aux implications des variations du taux de change, dont ils exposent ne pas avoir pu avoir conscience avant le courrier de la banque en date du 27 février 2015, compte tenu des effets conjugués des variations du change et des intérêts.

La banque leur oppose la prescription, en affirmant que le délai de prescription d'une action en responsabilité, sanctionnée par l'indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter, courrait à compter de la conclusion du contrat, la faute, tirée du défaut d'information ou de mise en garde, obligations précontractuelles, et le dommage, soit l'exposition à un risque de change, étant réalisés dès ce moment, tout en faisant valoir, si la prescription devait courir à compter de la révélation ou de la réalisation du risque de change, que les emprunteurs auraient éprouvé la hausse du franc suisse dès 2008 « en temps réel », sans pouvoir alléguer l'avoir ignorée, le cours de change ayant fortement affecté le montant des intérêts indépendamment de toute variation du taux, et les intéressés ayant reçu une information annuelle à compter de 2008 les informant de la contre-valeur en euro du capital restant dû concernant les deux prêts.

Sur ce, il convient de relever que, comme il a été indiqué dans le cadre de l'examen du caractère abusif des clauses de change, les emprunteurs étaient, eu égard aux clauses de l'acte, de surcroît réitéré devant notaire pleinement informés, dès la signature de celui-ci, soit respectivement en décembre 2006 et décembre 2007, ou au plus tard janvier 2008 si l'on retient la date de l'acte notarié pour les deux derniers prêts, qu'ils supportaient un risque de change.

En tout état de cause, le prélèvement des échéances d'intérêts a débuté, s'agissant du premier prêt, le 31 décembre 2007, avec des prélèvements d'un montant significatif à tout le moins au titre de ce prêt, les deux autres prêts faisant l'objet de remboursements d'échéances mensuelles d'intérêt, par définition plus sensibles aux variations du taux de change qu'à celui du taux d'intérêt, au sujet duquel les emprunteurs ne fournissent, au demeurant, aucun élément probant. Or, au vu des éléments versés aux débats par les parties, quant à l'évolution du cours du change du franc suisse par rapport à l'euro, il apparaît que les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement de ces échéances s'est nécessairement manifestée, si ce n'est dès 2008, année durant laquelle le cours a déjà connu des variations importantes, y compris à la baisse, et ce alors que les emprunteurs devaient verser des échéances au titre du premier prêt dès décembre 2006, à tout le moins dès l'année 2009, la cour observant, au vu des éléments dont elle dispose, qu'en janvier 2011, la parité par rapport au mois d'octobre 2009 avait déjà connu une dégradation significative. Au demeurant, la banque fait valoir, sans être explicitement contredite, que les emprunteurs ont reçu chaque année, conformément à la loi, une lettre les informant de la contre-valeur en euro du capital restant dû.

Dans ces conditions, l'action introduite par les consorts X. par assignation du 12 octobre 2017 est, en toute hypothèse, prescrite, et partant irrecevable, le jugement entrepris devant également être confirmé sur ce point.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

M. et Mme X. succombant pour l'essentiel seront tenus, in solidum, des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande en outre de mettre à la charge des époux X. une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2.000 euros au profit de la CCM Mulhouse Europe, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y., épouse X. aux dépens de l'appel,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y., épouse X. à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. X. et Mme Y., épouse X.,

La Greffière :                                   la Présidente :