CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 24 mars 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9520
CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 24 mars 2022 : RG n° 19/08441
Publication : Jurica
Extrait : « En l'espèce, le contrat de location d'un DAE n'entre pas dans le champ de l'activité principale de Mme X., infirmière libérale, l'activité principale de celle-ci étant une activité de soins au domicile de ses patients - et non de secourisme.
L'utilisation d'un DAE relève plus d'un geste de secours, réalisable par un professionnel ou par un non-professionnel, que d'un soin. Il s'agit d'un dispositif médical de secours utilisable par toute personne quel que soit son âge.
La mention manuscrite portée par Mme X. dans la case intitulée « acceptation de la location » démontre qu'elle « agissait en qualité d'IDEL au SIRET n° XXX », mais non que le bien pris en location relevait du champ de son activité principale.
Par ailleurs, il n'est pas prétendu que Mme X. employait un ou plusieurs salariés.
Dès lors, la cour ne peut que constater qu'en ne réglant aucun loyer et en adressant à la société Locam le 23 mai 2017 un courrier de résiliation, puis le 9 juin 2017 un colissimo contenant le matériel, Mme X. a exercé discrétionnairement et valablement son droit de rétractation qui n'était pas enfermé dans le délai de quatorze jours, puisqu'elle n'en avait pas été informée.
L'exercice par l'acquéreur de son droit de rétractation entraîne l'anéantissement du contrat.
En conséquence, la société Locam est déboutée de sa demande en paiement, ce qui emporte l'infirmation du jugement sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 9-A
ARRÊT DU 24 MARS 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/08441 (7 pages). N° Portalis 35L7-V-B7D-B7Y4U. Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er février 2019 - Tribunal d'Instance de NOGENT SUR MARNE – R.G. n° 11-18-000024.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [ville], [...], [...], représentée et assistée de Maître Daniel B., avocat au barreau de PARIS, toque : G0640
INTIMÉE :
La société LOCAM - LOCATION AUTOMOBILES MATÉRIELS, SAS
agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège N° SIRET : XXX, [...], [...], représentée et assistée de Maître Guillaume M. de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.B. & M., avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC129
PARTIE INTERVENANTE :
La société CITYCARE
société par actions simplifiée prise en la personne de son représentant légal N° SIRET : YYY, [...], [...], [...], représentée par Maître Dominique P. de la SCP P. S. - ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0172
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Benoît DEVIGNOT, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Christophe BACONNIER, Président de chambre, Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, M. Benoît DEVIGNOT, Conseiller.
Greffière, lors des débats : Mme Marthe CRAVIARI
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par M. Christophe BACONNIER, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
A la suite d'un démarchage à domicile par un commercial de la société Citycare et selon acte sous seing privé du 26 avril 2017, Mme X. exerçant une activité d'infirmière libérale a souscrit auprès de la société Locam un contrat de location d'une durée de 60 mois portant sur un défibrillateur automatique externe (DAE) et ses accessoires (notamment box et mallette) dont le loyer mensuel était fixé à la somme de 119 euros HT, soit 142,80 euros TTC.
Mme X. a réceptionné sans réserve le bien le 4 mai 2017, n'a payé aucun loyer, puis a retourné le matériel à la société Locam le 9 juin 2017.
Par courrier du 28 juin 2017, la société bailleresse a refusé la rétractation.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 septembre 2017, la société Locam a sommé Mme X. de régulariser le montant des loyers impayés dans un délai de huit jours, à peine d'exigibilité de la totalité de la créance.
Par ordonnance du 9 novembre 2017, le juge d'instance de Nogent-Sur-Marne a enjoint à Mme X. de payer à la société Locam la somme de 8.953,80 euros en principal, outre celle de 895,37 euros à titre de clause pénale.
L'ordonnance a été signifiée le 14 décembre 2017.
Mme X. a formé opposition le 9 janvier 2018.
Par jugement contradictoire du 1er février 2019, le tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne a :
- déclaré l'opposition recevable ;
- dit que le jugement se substitue à l'ordonnance ;
- dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;
- condamné Mme X. à payer à la société Locam la somme de 8.953,90 euros avec intérêts au taux contractuel, soit le taux légal majoré de cinq points, à compter du 14 décembre 2017 ;
- condamné Mme X. à payer à la société Locam la somme de 89,53 euros au titre de la clause pénale ;
- dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts ;
- ordonné à Mme X. de restituer le matériel à la société Locam ;
- dit n'y avoir lieu d'ordonner une astreinte ;
- débouté la société Locam du surplus de ses demandes ;
- condamné Mme X. aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que le choix de Mme X. de s'équiper d'un défibrillateur, matériel destiné à ranimer des personnes victimes d'un arrêt cardiaque, avait été fait pour les besoins de son activité d'infirmière libérale et que l'objet du contrat entrait bien dans le champ de son activité principale. Le premier juge en a déduit que Mme X. ne pouvait pas se prévaloir des dispositions du code de la consommation, notamment des articles L. 221-5 et L. 221-9, relatives à l'information sur le droit de rétractation et au formulaire-type. La juridiction a ajouté que Mme X. n'établissait pas la réalité de manœuvres dolosives et de mensonges qui l'auraient conduite à contracter et auraient vicié son consentement.
Par déclaration du 16 avril 2019, Mme X. a interjeté appel à l'encontre de la société Locam, mais aussi mentionné comme partie intervenante la société Citycare qui n'était pas dans la cause en première instance.
[*]
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 15 avril 2021, Mme X. requiert la cour d'infirmer le jugement, en ce qu'il a procédé à la substitution des termes du jugement à l'ordonnance d'injonction de payer, en ce qu'il a rejeté l'annulation du contrat, en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 8.953,80 euros avec intérêts majorés à compter du 18 décembre 2017 et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance, puis la cour statuant à nouveau :
- de dire nulle l'ordonnance du 7 novembre 2017 ;
- de dire nul le contrat souscrit le 26 avril 2017 pour violation des dispositions du code de la consommation régissant les ventes par démarchage ;
- de dire nul le contrat pour vices du consentement, ainsi que déséquilibre flagrant dans les droits et obligations des parties ;
- d'ordonner la reprise du matériel par la société Locam ;
- de condamner la société Locam à lui payer la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi ;
- de condamner la société Locam à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Mme X. expose que l'ordonnance d'injonction de payer est nulle pour avoir été rendue en violation du principe de la contradiction.
Elle conteste que le contrat litigieux ait été souscrit pour les besoins de son activité professionnelle d'infirmière. Elle affirme que l'usage d'un défibrillateur est réservé aux médecins et qu'un tel matériel n'entre donc pas dans le champ des actes infirmiers tel que défini au décret de compétence n° 2002-194 du 11 février 2002.
Elle ajoute que les circonstances de fait de la formation du contrat démontrent qu'il y a eu fraude et qu'il existait un déséquilibre significatif dans les droits ainsi que les obligations des parties.
Elle souligne qu'elle a déjà tenté de restituer le matériel par un envoi du 9 juin 2017 qui a été refusé par la société Locam.
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Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 19 octobre 2021, la société Locam sollicite que la cour confirme toutes les dispositions du jugement et condamne Mme X. à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que sa créance avait une valeur contractuelle et qu'elle était parfaitement recevable à solliciter une ordonnance d'injonction de payer.
Elle soutient qu'en cas d'urgence, l'infirmier peut utiliser seul un défibrillateur automatique.
Elle affirme que le contrat qu'elle propose est expressément soumis au code monétaire et financier et que les règles relatives au démarchage financier ne s'appliquent pas aux contrats destinés aux besoins d'une activité professionnelle. Elle considère que Mme X. a bien souscrit le contrat de location litigieux non en qualité de consommateur, mais pour les besoins de son activité professionnelle s'agissant d'un appareil à vocation médicale, et que l'application du code de la consommation doit être rejetée.
Elle estime qu'il n'est pas prévu de nullité du contrat en cas de non-présentation d'un bordereau de rétractation.
Elle répond, s'agissant du dol, que le matériel loué était transportable, l'objet du contrat étant « 1 DAE + BOX + Mallette ». Elle indique que les défibrillateurs cardiaques automatiques, à l'inverse des appareils manuels, peuvent être utilisés par une infirmière seule.
Elle fait valoir qu'elle n'était pas présente lors de la signature du contrat et qu'elle ne peut ainsi pas avoir opéré des manœuvres de soumission. Elle ajoute qu'elle n'est pas lié à Mme X. par un partenariat commercial et que celle-ci ne justifie pas de l'existence de déséquilibres significatifs dans les obligations contractuelles.
Elle relève que Mme X. conserve le matériel.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions de Mme X. et de la société Locam, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
S[*]
tatuant sur incident par ordonnance du 17 décembre 2019, le conseiller de la mise en état, après avoir constaté que la société Citycare n'était pas intervenue volontairement à la procédure d'appel dans laquelle elle n'était ni intimée ni intervenante forcée, a déclaré irrecevable la mise en cause de cette société par Mme X.
Par arrêt du 18 juin 2020, la cour a déclaré irrecevable la requête en déféré déposée le 2 janvier 2020 par Mme X.
Le pourvoi de Mme X. à l'encontre de cet arrêt est toujours pendant devant la Cour de cassation.
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L'ordonnance de clôture de l'instruction devant la cour d'appel a été rendue le 23 novembre 2021 par le conseiller de la mise en état.
L'affaire a été plaidée le 4 janvier 2022 en formation de conseiller rapporteur.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la nullité de l'ordonnance d'injonction de payer :
L'article 1405 du code de procédure civile dispose que le recouvrement d'une créance peut être demandé suivant la procédure d'injonction de payer lorsque notamment la créance a une cause contractuelle ou résulte d'une obligation de caractère statutaire et s'élève à un montant déterminé.
L'article 1412 ajoute que le débiteur peut s'opposer à l'ordonnance portant injonction de payer.
La procédure d'injonction de payer n'est pas contraire au principe de la contradiction de l'article 16 du code de procédure civile, dès lors que le débiteur a toute faculté de faire opposition à l'ordonnance pour que son affaire soit contradictoirement débattue devant la juridiction compétente.
Il n'y a donc pas lieu de prononcer la nullité de l'ordonnance du 9 novembre 2017 à laquelle le jugement du tribunal du 1er février 2019 s'est de toute façon substitué, en application de l'article 1420 du même code.
Sur le dol :
Il résulte de l'article 1137 du code civil que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
En l'espèce, Mme X. ne produit aucun élément de nature à démontrer les mensonges qu'elle allègue, les attestations ou les messages produits concernant d'autres personnes de la même profession.
Le dol est donc écarté.
Sur l'existence d'un droit de rétractation :
Il n'est pas contesté par les parties que le contrat de location a été signé à la suite d'un démarchage à domicile de Mme X. par un commercial de la société Citycare.
Aux termes de l'article L. 221-18 du code de la consommation, le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu hors établissement.
Ces dispositions sont destinées à faire respecter la loyauté en matière de démarchage à domicile, lieu où le consentement du consommateur privé de tout repère est facilement surpris.
Les articles L. 221-1 à L. 221-3 du code de la consommation prévoient que les dispositions relatives à l'obligation d'informations précontractuelles, aux contrats conclus hors établissement et au droit de rétractation sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels « dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq ».
Le dispositif de protection est ainsi étendu au bénéfice de professionnels dont la vulnérabilité est assimilée à celle de consommateurs, sous certaines conditions.
En l'espèce, le contrat de location d'un DAE n'entre pas dans le champ de l'activité principale de Mme X., infirmière libérale, l'activité principale de celle-ci étant une activité de soins au domicile de ses patients - et non de secourisme.
L'utilisation d'un DAE relève plus d'un geste de secours, réalisable par un professionnel ou par un non-professionnel, que d'un soin. Il s'agit d'un dispositif médical de secours utilisable par toute personne quel que soit son âge.
La mention manuscrite portée par Mme X. dans la case intitulée « acceptation de la location » démontre qu'elle « agissait en qualité d'IDEL au SIRET n° XXX », mais non que le bien pris en location relevait du champ de son activité principale.
Par ailleurs, il n'est pas prétendu que Mme X. employait un ou plusieurs salariés.
Dès lors, la cour ne peut que constater qu'en ne réglant aucun loyer et en adressant à la société Locam le 23 mai 2017 un courrier de résiliation, puis le 9 juin 2017 un colissimo contenant le matériel, Mme X. a exercé discrétionnairement et valablement son droit de rétractation qui n'était pas enfermé dans le délai de quatorze jours, puisqu'elle n'en avait pas été informée.
L'exercice par l'acquéreur de son droit de rétractation entraîne l'anéantissement du contrat.
En conséquence, la société Locam est déboutée de sa demande en paiement, ce qui emporte l'infirmation du jugement sur ce point.
Il est ordonné à Mme X. de restituer le matériel (DAE, box et mallette) à la société Locam.
Sur la demande de dommages-intérêts
La faute dont se plaint Mme X. est imputable pour l'essentiel aux agissements du commercial de la société Citycare dont la matérialité n'est pas démontrée.
Quant au refus de la société Locam de reconnaître que Mme X. bénéficiait d'un droit de rétractation, il ne pouvait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de cette société, dès lors que le contrat ne comprenait pas de bordereau de rétractation et qu'il y avait application de notion cadres du droit de la consommation susceptibles d'interprétations divergentes.
En conséquence, la demande de dommages-intérêts est rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré, en ce qu'il a déclaré l'opposition recevable, dit que le jugement se substituait à l'ordonnance du 9 novembre 2017, dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer et ordonné à Mme X. de restituer le matériel à la société Locam ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la nullité du contrat de location du 26 avril 2017 ;
Rejette les autres demandes des parties ;
Condamne la société Locam aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à Mme X. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière Le président
- 5889 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Contrats conclus hors établissement ou à distance (après la loi du 17 mars 2014 - art. L. 221-3 C. consom.)
- 5956 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Autres contrats