CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 5 avril 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9545
CA GRENOBLE (1re ch. civ.), 5 avril 2022 : RG n° 20/01795
Publication : Jurica
Extrait : « Il n'est pas contesté que l'appréciation de la loi applicable doit se faire par référence à la Convention de Rome du 19 juin 1980, le règlement CE n° 593/2008 qui l'a remplacée (Rome I) n'étant pas applicable au Royaume Uni.
La Convention de Rome pose en son article 3 le principe de la liberté de choix par les parties de la loi régissant le contrat. L'article 6 du contrat conclu entre les parties prévoit sa soumission au droit écossais.
En l'état de ces dispositions, le premier juge ne pouvait écarter l'application du droit choisi par les parties au motif que la société Edusport Academy a fait le choix de présenter une requête en injonction de payer devant la juridiction française, alors qu'en saisissant la juridiction du lieu où demeure M. X., elle n'a fait qu'appliquer les règles processuelles de la loi du for sans pour autant renoncer sur le fond à la loi choisie par les parties.
S'agissant des moyens retenus par le premier juge et de l'argumentation développée par M. X. sur les clauses abusives, il convient de relever :
- que le contrat portant sur une fourniture de services en Ecosse (soit dans un autre pays que celui dans lequel M. X. a sa résidence habituelle), les dispositions impératives du code de la consommation français n'ont pas vocation à s'appliquer au litige, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article 5 de la Convention de Rome,
- que la société Edusport Academy n'invoque pas au soutien de sa demande les dispositions de l'article 2.5 du contrat selon lequel le joueur s'engage à respecter les lois du pays où le programme est réalisé,
- qu'une telle clause n'est en toute hypothèse pas de nature à créer au détriment de M. X. un déséquilibre significatif s'agissant des lois d'un pays démocratique appartenant ou ayant appartenu à l'Union européenne,
- que l'article 5 du contrat en vertu duquel (1) en cas de résiliation de la convention pour inexécution de ses obligations par le joueur l'intégralité du prix restera due et aucune restitution financière ne pourra être demandée et (2) une indemnité de résiliation de 3.000 euros sera due, n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment du joueur.
En effet ces dispositions ne sont applicables qu'en cas d'inexécution de ses obligations par le joueur et le contrat ne prévoit aucune renonciation de celui-ci à solliciter la restitution des sommes versées ou l'indemnisation de son préjudice en cas de résiliation fautive du contrat par la société Edusport Academy.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a dit le litige soumis à la loi française et jugé non écrite la clause contenue à l'article 5 du contrat. »
2/ «
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 5 AVRIL 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/01795. N° Portalis DBVM-V-B7E-KOLZ. Appel d'une décision (R.G. n° 11-19-248) rendue par le Tribunal judiciaire de VIENNE, en date du 22 mai 2020, suivant déclaration d'appel du 19 juin 2020.
APPELANTE :
LA SOCIÉTÉ EDUSPORT ACADEMY LTD
société de droit écossais sise [adresse], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, [...], [...], représentée par Maître Delphine D. de la SELARL G. D. A., avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉ :
M. X.
né le [date], de nationalité française, [...], [...], représenté par Maître Philippe C. de la SELARL C. AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ : Mme Hélène COMBES, Président de chambre, Mme Joëlle BLATRY, Conseiller, M. Laurent GRAVA, Conseiller.
DÉBATS : A l'audience publique du 7 mars 2022 Madame COMBES Président de chambre chargé du rapport en présence de Madame BLATRY, Conseiller assistées de Mme Anne BUREL, Greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Edusport Academy est une académie privée située en Ecosse qui dispense des formations sportives en internat.
Les 20 mai et 2 juin 2017, M. X. alors mineur et ses parents ont conclu avec la société Edusport Academy un contrat portant sur un programme de formation sportive (football) et scolaire d'une durée de 9 mois moyennant des frais de scolarité de £ 16.000 comprenant notamment le coût des formations sportives et académiques, l'hébergement et la participation à la nourriture à hauteur d'un budget de £ 1.200.
Il a été mis fin au contrat le 11 janvier 2018 en raison de vols de cartes de paiement commis par M. X. au préjudice d'autres étudiants.
La société Edusport Academy lui a réclamé le paiement de la somme de 4.103,57 euros au titre du solde des frais d'inscription et de l'indemnité de rupture du contrat et a obtenu le 7 décembre 2018 une ordonnance portant injonction de payer cette somme, ordonnance à laquelle M. X. a fait opposition le 14 janvier 2019.
Par jugement du 22 mai 2020, le tribunal judiciaire de Vienne a condamné M. X. à payer à la société Edusport Academy la somme de 300 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture, a ramené la clause pénale à un euro et a condamné la société Edusport Academy à rembourser à M. X. les sommes de 8.977,27 euros au titre des frais d'inscription, de 306,88 euros au titre du trop-perçu et de 135,91 euros au titre de la caution.
[*]
La société Edusport Academy a relevé appel le 19 juin 2020.
Dans ses dernières conclusions du 13 janvier 2021, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- de dire que c'est le droit écossais qui s'applique au litige, exclusion faite de toutes les dispositions impératives du droit français de la consommation,
- de condamner M. X. à lui payer les sommes suivantes : £ 141,18 restant due sur le contrat, 3.000 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture du contrat, 300 euros à titre de dommages intérêts, 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,
- de débouter M. X. de toutes ses demandes.
Elle forme des demandes subsidiaires de dommages intérêts pour le cas où la cour jugerait que les dispositions de l'article 5 du contrat sont réputées non écrites.
Elle fait grief au jugement d'avoir fait une mauvaise appréciation du droit applicable au contrat et de l'avoir pénalisée à raison des fautes - pénales - commises par M. X.
Elle fait valoir au soutien de son appel que la loi écossaise est applicable au contrat en vertu de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui pose le principe de la liberté de choix et de l'article 6 du contrat conclu entre les parties.
Elle développe l'argumentation suivante :
- si elle a saisi une juridiction française c'est en raison des règles processuelles (domicile du défendeur) et non des règles de fond, de sorte que la saisine du tribunal judiciaire de Vienne est inopérante pour déterminer la loi applicable au litige,
- les dispositions impératives du droit français de la consommation n'ont pas vocation à s'appliquer à ce litige dès lors que le contrat a pour objet la prestation de services fournie exclusivement en Ecosse.
Sur le fond, elle fait valoir successivement :
- que le contrat a été résilié aux torts de M. X. en raison des fautes graves qu'il avait commises,
- que le contrat prévoit qu'aucune restitution financière ne pourra être demandée. Elle conteste l'existence d'un trop payé par M. X. qui reste lui devoir la somme de £ 141.18,
- que la conservation des frais de scolarité est légitime et ne crée aucun déséquilibre, que les dispositions du code de la consommation ne sont de toute façon pas applicables ; que la clause ne s'applique qu'en cas de résiliation pour faute,
- que la place de M. X. ne peut être réattribuée à un tiers en cours de formation,
- que le contrat prévoit qu'une indemnité de 3.000 euros sera due à l'académie en cas de résiliation anticipée aux torts de l'étudiant et que cette somme est amplement justifiée compte tenu des circonstances dans lesquelles M. X. a commis les vols.
[*]
Dans ses dernières conclusions du 25 janvier 2021, M. X. conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.
Il sollicite subsidiairement un délai de paiement de 24 mois et réclame 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il reconnaît avoir volé plusieurs cartes de paiement dans les chambres d'étudiants qui suivaient le programme de formation et fait valoir en réplique l'argumentation suivante :
- les dispositions du code de la consommation sont applicables, le consommateur ne pouvant être privé de la protection assurée par un Etat membre en matière de clause abusive,
- compte tenu de la date de conversion des sommes versées, il y a bien un trop versé,
- la clause qui érige en obligation contractuelle le respect de la loi écossaise dont la violation constitue un motif de résiliation crée un déséquilibre au détriment du consommateur,
- de même crée un déséquilibre la clause selon laquelle l'intégralité du prix restera acquise en cas de résiliation du contrat pour inexécution ou la clause prévoyant une indemnité de 3.000 euros.
Il fait valoir que la suppression des clauses abusives réputées non écrites, a pour conséquence la restitution de la somme correspondant à la formation non assurée.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
Il sera rappelé à titre liminaire que les circonstances qui ont conduit à la résiliation du contrat conclu entre M. X. et la société Edusport Academy ne sont pas contestées, M. X. ayant reconnu qu'avec la complicité d'un camarade et au moyen d'un passe, il avait dérobé dans les chambres de plusieurs étudiants sept cartes de paiement leur permettant de s'approvisionner et qu'il les avait utilisées pour faire l'acquisition d'un Iphone et d'un casque.
1 - Sur la loi applicable :
La société Edusport Academy invoque l'application du droit écossais en vertu des dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et de l'article 6 du contrat conclu avec M. X.
M. X. réplique que les clauses figurant aux articles 2.5 et 5 du contrat sont abusives et par conséquent présumées non écrites au regard de l'article R. 212-1 du code de la consommation.
Le premier juge a considéré que la loi applicable au présent litige était la loi française en raison d'une part du choix fait par la société Edusport Academy de présenter une requête en injonction de payer devant la juridiction française et en raison d'autre part de la législation concernant les clauses abusives.
Il n'est pas contesté que l'appréciation de la loi applicable doit se faire par référence à la Convention de Rome du 19 juin 1980, le règlement CE n° 593/2008 qui l'a remplacée (Rome I) n'étant pas applicable au Royaume Uni.
La Convention de Rome pose en son article 3 le principe de la liberté de choix par les parties de la loi régissant le contrat.
L'article 6 du contrat conclu entre les parties prévoit sa soumission au droit écossais.
En l'état de ces dispositions, le premier juge ne pouvait écarter l'application du droit choisi par les parties au motif que la société Edusport Academy a fait le choix de présenter une requête en injonction de payer devant la juridiction française, alors qu'en saisissant la juridiction du lieu où demeure M. X., elle n'a fait qu'appliquer les règles processuelles de la loi du for sans pour autant renoncer sur le fond à la loi choisie par les parties.
S'agissant des moyens retenus par le premier juge et de l'argumentation développée par M. X. sur les clauses abusives, il convient de relever :
- que le contrat portant sur une fourniture de services en Ecosse (soit dans un autre pays que celui dans lequel M. X. a sa résidence habituelle), les dispositions impératives du code de la consommation français n'ont pas vocation à s'appliquer au litige, ainsi qu'il résulte des dispositions de l'article 5 de la Convention de Rome,
- que la société Edusport Academy n'invoque pas au soutien de sa demande les dispositions de l'article 2.5 du contrat selon lequel le joueur s'engage à respecter les lois du pays où le programme est réalisé,
- qu'une telle clause n'est en toute hypothèse pas de nature à créer au détriment de M. X. un déséquilibre significatif s'agissant des lois d'un pays démocratique appartenant ou ayant appartenu à l'Union européenne,
- que l'article 5 du contrat en vertu duquel (1) en cas de résiliation de la convention pour inexécution de ses obligations par le joueur l'intégralité du prix restera due et aucune restitution financière ne pourra être demandée et (2) une indemnité de résiliation de 3.000 euros sera due, n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment du joueur.
En effet ces dispositions ne sont applicables qu'en cas d'inexécution de ses obligations par le joueur et le contrat ne prévoit aucune renonciation de celui-ci à solliciter la restitution des sommes versées ou l'indemnisation de son préjudice en cas de résiliation fautive du contrat par la société Edusport Academy.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a dit le litige soumis à la loi française et jugé non écrite la clause contenue à l'article 5 du contrat.
2 - Sur les demandes de la société Edusport Academy :
Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, les circonstances qui ont conduit à la rupture du contrat ne sont pas contestées.
Outre l'infraction commise, M. X. a gravement manqué à ses obligations contractuelles au regard des engagements pris quant à un comportement exemplaire.
Il sera rappelé que dans les supports de communication qu'elle diffuse, la société Edusport Academy exige des joueurs qu'elle sélectionne « un état d'esprit irréprochable » et met en avant « les qualités humaines avant les qualités sportives » (pièce 1).
Sur les frais de scolarité :
L'article 5 du contrat prévoit qu'en cas de résiliation de la convention pour inexécution, l'intégralité du prix restera due et aucune restitution financière ne pourra être demandée.
La société Edusport Academy qui justifie de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de réattribuer la place du joueur exclu en cours de formation, est fondée à conserver l'intégralité des sommes perçues au titre des frais de scolarité.
La société Edusport Academy sollicite en sus le paiement de la somme de £ 141.18 qu'elle estime due sur le solde des frais de scolarité.
Le premier juge a établi la liste - au demeurant non contestée - des différents virements effectués en euros par M. X. à destination du compte de la société Edusport Academy entre le mois de juillet 2017 et le mois de janvier 2018.
Il a exactement fait la conversion en livres sterling au jour de chaque virement pour en conclure au versement de la somme totale de £ 16.270,69.
Il en a justement déduit un trop perçu de £ 270,69 (306,88 euros) par la société Edusport Academy.
C'est en effet à tort que la société Edusport Academy argumente en invoquant les sommes qu'elle a effectivement encaissées après déduction des frais bancaires, alors qu'excluant l'application de la loi française, elle ne peut revendiquer à son bénéfice les dispositions de l'article 1342-7 du code civil.
Sur l'indemnité de résiliation :
La rupture du contrat étant intervenue aux torts de M. X., la société Edusport Academy est bien fondée à solliciter le paiement de l'indemnité prévue au contrat.
Compte tenu des circonstances qui auraient pu recevoir une qualification pénale dans lesquelles la rupture est intervenue, le montant de 3.000 euros n'implique aucune surestimation du préjudice de la société Edusport Academy qui a subi non seulement une atteinte à son image et aux valeurs qu'elle défend, mais qui a dû de surcroît remplacer les cartes de paiement utilisées frauduleusement et subir les tracas d'une enquête de police.
Ce n'est pas sans mauvaise foi que M. X. lui fait le reproche d'avoir conservé l'intégralité des équipements qu'il avait acquis avec le produit de ses vols.
Il sera fait droit à la demande de la société Edusport Academy au titre de l'indemnité de 3.000 euros, cette somme incluant le préjudice moral qu'elle invoque qu'il n'y a pas lieu de réparer séparément.
En raison d'un trop perçu de 306,88 euros sur les frais de scolarité, il convient après compensation de condamner M. X. à payer à la société Edusport Academy la somme de 2.693,12 euros outre intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018, date de la signification de l'ordonnance portant injonction de payer.
Il sera alloué à la société Edusport Academy la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, contradictoirement
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau, dit que le litige est soumis au droit écossais.
Dit que la société Edusport Academy est fondée à conserver l'intégralité des sommes versées au titre des frais de scolarité.
Dit que M. X. peut prétendre à la restitution de la somme de 306,88 euros au titre du trop perçu sur les frais de scolarité.
Dit que la société Edusport Academy peut prétendre au paiement par M. X. de l'indemnité de résiliation de 3.000 euros prévue à l'article 5 du contrat des 20 mai et 2 juin 2017.
Après compensation, condamne M. X. à payer à la société Edusport Academy la somme de 2.693,12 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne M. X. à payer à la société Edusport Academy la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT