CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 11 mai 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9627
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 11 mai 2022 : RG n° 21/08876
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Invoquant la non-restitution de recettes-carburants, la société BP a notifié par acte d'huissier du 15 juin 2006 à la société Carbudis la résiliation du contrat de gérance signé le 17 avril 2001 à ses torts exclusifs pour graves manquements à ses obligations.
Par arrêt du 11 octobre 2017, la Cour a jugé dans son dispositif que la société EFR, venant aux droits de la société BP, a rompu à tort le contrat.
La Cour de cassation dans son arrêt du 7 mai 2019, a rejeté le moyen faisant grief à l'arrêt de dire que la société EFR a rompu le contrat à tort, aux motifs notamment
- « d'une part qu'après avoir relevé que la société EG Retail prétend que la résiliation du contrat est justifiée par la rétention par la société Carbudis de sommes provenant de la vente de carburant, laquelle constitue un motif prévu par la clause résolution dont elle se prévaut, l'arrêt retient que cette rétention est motivée par le déficit structurel d'exploitation de la station-service, qui lui est imputable; qu'ayant fait ressortir que la mandante avait mise en œuvre, de mauvaise foi, la clause résolutoire, la cour d'appel a retenu à juste titre que cette résiliation était irrégulière ;
- d'autre part qu'ayant relevé que la mandante, qui avait résilié le contrat de manière injustifiée, était seule responsable de la rupture des relations contractuelles, la cour d'appela pu retenir que la société EG retail ne pouvait réclamer l'indemnité pour occupation illicite de la station-service par la société Carbudis. »
Autrement dit, il a été définitivement jugé que la société EFR, aux droits de laquelle vient la société EG Retail, a rompu à tort le contrat. L'arrêt du 11 octobre 2017 n'a été censuré seulement en ce qu'il a débouté le liquidateur de la société Carbudis de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat. »
2/ « Cependant, dès lors que la société EG Retail a résilié le contrat de manière injustifiée, elle est responsable de la rupture des relations contractuelles et ne peut réclamer une indemnité pour occupation illicite de la station-service par la société Carbudis. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 11 MAI 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/08876 (20 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CDUP7. Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation prononcé le 7 mai 2019 (n° 353 F-D) emportant cassation partielle d'un arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS (pôle 5 - chambre 4) le 20 novembre 2013, RG n° 11/22195, sur appel d'un jugement rendu le 02 Décembre 2011 par le tribunal de commerce de PARIS (RG n° 2006048586)
DEMANDERESSES À LA SAISINE :
Madame X.
Domiciliée [adresse], [...], Prise en la personne de Maître Christophe B. ès-qualités de liquidateur judiciaire de la « SARL CARBUDIS », Ayant son siège social [...], [...], Représentées par Maître Nicolas P., avocat au barreau de PARIS, toque : C1408
DÉFENDERESSE À LA SAISINE :
SASU EG RETAIL (FRANCE)
Ayant son siège social [...], [...], SIRET N°: XXX, Prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Caroline H.-S. de la SCP N. - H., avocat au barreau de PARIS, toque : L0046, Ayant pour avocat plaidant Maître Lin N. de D., avocat au barreau de PARIS, toque : P0075
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère, chargée du rapport et Mme Camille LIGNIÈRES, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente, Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère, Mme Camille LIGNIERES, Conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Meggy RIBEIRO
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signée par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente, et par Mme Sylvie MOLLÉ, Greffière, présente lors du prononcé par mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Par contrat du 17 avril 2001, la société BP France (la société BP) a donné un fonds de commerce de station-service en location-gérance à la société Carbudis, dont Madame X. était la gérante.
Le contrat stipulait que l'activité de vente de carburants s'exerçait sous le régime du mandat et que la société Carbudis devait déposer quotidiennement les recettes en provenant sur un compte bancaire sur lequel la société BP émettait un ordre de prélèvement automatique magnétique, la société Carbudis étant rémunérée pour cette activité par une commission mensuelle composée d'une partie fixe et d'une partie variable en fonction du litrage de carburant vendu.
En janvier 2006, un différend est né entre les parties concernant la restitution des recettes carburants encaissées par la société Carbudis pour le compte de la société BP.
La société Carbudis n'ayant pas restitué les recettes de carburant, la société BP, après l'avoir vainement mise en demeure d'y procéder en se prévalant de la clause résolutoire prévue au contrat, a résilié celui-ci par lettre du 15 juin 2006 avec obligation de restitution de la station-service le 21 juin 2006. La société Carbudis s'étant maintenue dans les lieux, la société BP a obtenu, en référé, son expulsion.
Invoquant des conditions d'exploitation ne lui permettant pas de dégager des résultats positifs, la société Carbudis a assigné la société BP en paiement de diverses sommes au titre des pertes du mandat, de la prime de fin de contrat et en réparation de son préjudice pour rupture abusive de celui-ci.
La société BP a assigné la société Carbudis et Mme X. en sa qualité de caution, en restitution des recettes de carburant encaissées pour son compte et déposé plainte avec constitution de partie civile pour abus de confiance et recel d'abus de confiance à l'encontre de Mme X.
Par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 17 juillet 2007, la société Carbudis a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, Maître B. qui a succédé à Maître R. en qualité de liquidateur judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance.
Par un jugement du 30 mars 2009, le conseil de prud'hommes de Nanterre a dit que Mme X. était liée par un contrat de travail avec la société BP.
Par arrêt du 7 juin 2017, la cour d'appel de Versailles a relaxé Mme X. sur le plan pénal, mais, sur le plan civil, a jugé qu'elle avait commis une faute au préjudice de la société BP en ne lui restituant pas le montant des recettes de carburant et l'a condamnée à son paiement.
Par jugement du 2 décembre 2011, le tribunal de commerce de Paris a :
- Joint les causes,
- Pris acte de l'intervention volontaire de Maître B. ès qualités de liquidateur de la SARL Carbudis au lieu et place de Maître R., ès qualités,
- Débouté la SARL Carbudis de l'ensemble de ses demandes,
- Fixé la créance de la SAS Delek France venant aux droits et obligations de la SA BP France au passif de la SARL Carbudis à la somme de 47.153,86 euros, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du 6 juin 2006, au titre des ventes de carburant et à celle de 38.112,25 euros au titre de l'indemnité d'occupation,
- Condamné solidairement et à hauteur de 22.867,37 euros Madame X., en sa qualité de caution des créances fixées au passif de la SARL Carbudis,
- Condamné la SARL Carbudis à payer à la SAS Delek France venant aux droits et obligations de la SA BP France à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la SAS Delek France venant aux droits et obligations de la SA BP France du surplus de ses demandes,
- Ordonné l'exécution provisoire sur la seule condamnation en paiement,
- Condamné la SARL Carbudis aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,49 euros TTC dont 17,07 euros de TVA,
Mme X. et Maître Christophe B. ont interjeté appel de cette décision
Par arrêt du 20 novembre 2013, RG n° 11/22195, la cour d'appel de Paris a :
- Infirmé le jugement sauf en ses dispositions ayant pris acte de l'intervention volontaire de Maître B., ès qualités de liquidateur de la société Carbudis aux lieu et place de Maître R. Avocat, ès qualités, et ayant condamné solidairement à hauteur de 22.867,37 € Mme X., en sa qualité de caution des créances fixées au passif de la SARL Carbudis ;
et statuant de nouveau dans cette limite :
- Dit que la société Carbudis n'a pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ;
- Dit que la société BP France n'a pas violé les dispositions de l'article 3 du préambule du Protocole relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station- service de société pétrolière, dit AIP ;
- Fixé la créance de la société BP France, aux droits de laquelle vient la société Delek France, au passif de la société Carbudis à la somme de 62.398,86 € au titre des ventes de carburants non restituées, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement ;
Avant dire droit sur les pertes du mandat ainsi que sur les comptes entre les parties, ordonné une expertise,
- Sursis à statuer, jusqu'au dépôt du rapport d'expertise judiciaire, sur les demandes relatives à la rupture du contrat de location-gérance par la société BP, au versement de la prime de fin de contrat prévue à l'article 5.3 de l'AIP, à la reprise des stocks prévue par l'article 4.1 de l'AIP, au versement d'indemnités au titre de l'occupation de la station- service, au paiement de sommes au titre du compte chèque, du compte divers et du compte lubrifiant, à la caution, à l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réservé les dépens.
[*]
Par arrêt du 11 octobre 2017 (RG n°11/22195), la cour d'appel de Paris a :
- Infirmé le jugement entrepris, sauf en ses dispositions ayant pris acte de l'intervention volontaire de Maître B., ès qualités de liquidateur de la société Carbudis au lieu et place de Maître R. avocat, ès-qualités,
et statuant à nouveau cette limite :
- Dit que la société Carbudis n'a pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil,
- Dit que la société BP France n'a pas violé les dispositions de l'article 3 du préambule du protocole relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station- service de société pétrolière, dit AIP,
- Fixé la créance de la société EFR, venant aux droits de la société Delek France, au passif de la procédure collective de la société Carbudis à la somme de 62.398,86 euros au titre des ventes de carburants non-restituées, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement,
- Dit que l'activité de vente d'essence de la société Carbudis était structurellement déficitaire,
- Dit qu'aucune faute de gestion de la société Carbudis n'est établie, qui s'opposerait à ce que cette société obtienne un dédommagement pour le déficit de l'activité de vente d'essence,
En conséquence,
- Condamné la société EFR à payer à Maître B., ès-qualités de liquidateur de la société Carbudis, la somme de 174.699 €, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 23 juin 2006, lesdits intérêts capitalisés,
- Condamné la société EFR à verser à Maître B., ès-qualités de liquidateur de la société Carbudis, la somme de 24.614,37 euros au titre de la prime de fin de contrat,
- Ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties,
- Dit que la société EFR a rompu le contrat à tort,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- Condamné la société EFR à supporter les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- Condamné la société EFR à payer à Mme X. la somme de 5.000 euros et à Maître B., ès-qualités de liquidateur de la société Carbudis, la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[*]
Statuant sur le pourvoi n° C 17-29.004 formé par la société EG Retail France (anciennement dénommée EFR France et auparavant DELEK France), venant aux droits de la société BP France (ci-après société EG Retail ), et sur le pourvoi n° Q 18-10.090 formé par Madame X. et Maître Christophe B., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cardibus, la Cour de cassation joint ces pourvois qui attaquent le même arrêt et a prononcé le 7 mai 2019 la cassation partielle de l'arrêt du 11 octobre 2017 RG n°11/22193 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'aucune faute de gestion de la société Carbudis n'est établie qui s'opposerait à ce qu'elle obtienne un dédommagement pour le déficit de l'activité de vente d'essence, condamne la société EFR France, devenue la société EG Retail France, à payer à M. B., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis, les sommes de 174.699 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2006, capitalisés, et de 24.614,37 euros au titre de la prime de fin de contrat, ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties, rejette le surplus des demandes, et statue sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens, l'arrêt RG n° 11/22193 rendu le 11 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
[*]
Par déclaration reçue au greffe le 5 mai 2021, la Cour a été saisie par Maître B. ès-qualités, la société Carbudis et Mme X.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 janvier 2022, Maître B. ès-qualités et Mme X., demandent à la Cour de :
Vu les articles 1131, 1999 et 2000 du Code Civil,
Vu l'article L. 330-3 et L. 442-6 du Code de Commerce,
Vu les articles L. 622-21 et suivants du Code du commerce
Vu l'article 3 du préambule des AIP,
Vu l'arrêt mixte définitif du 20 novembre 2013 de la Cour d'Appel de Paris,
Vu le jugement de départage rendu par le Conseil des Prud'hommes de Nanterre le 30 mars 2009,
Vu l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Versailles le 27 octobre 2021 ordonnant la compensation entre les créances salariales de Mme X. et la dette carburant de la SARL CARBUDIS,
Vu la règle « non bis in idem »,
Il est demandé à la Cour d'infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau de :
À titre principal,
- Juger que EG RETAIL France, venant aux droits de BP, n'a pas permis à la SARL
CARBUDIS de renoncer à l'article 2000 du Code Civil en connaissance de cause,
- Juger que EG RETAIL France, venant aux droits de BP, ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d'une obligation essentielle contenue à l'article 3 du préambule des AIP, qu'elle a de surcroît délibérément violé,
- Juger que la société EG RETAIL France, venant aux droits de BP, doit rembourser à la SARL CARBUDIS les pertes du mandat de la station qui ont pour origine un fait dont elle a conservé la maîtrise,
- Juger que la SARL CARBUDIS n'a commis aucune imprudence de gestion pour les périodes pour lesquelles elle réclame le remboursement des pertes du mandat,
- Juger que la société BP a rompu le contrat à tort.
- Juger le cautionnement revendiqué par EG RETAIL France, venant aux droits de BP, nul et à tout le moins sans cause.
En conséquence,
A titre principal :
- Condamner la société EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser à Maître B., ès- qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 274 526,00 € au titre des pertes du mandat,
- Ordonner le remboursement par EG RETAIL France, venant aux droits de BP, de la caution bancaire de 15.245 euros qu'elle s'est fait remettre par le crédit agricole,
- Condamner EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser à Maître B., ès-qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 152.977 € à titre de dommages et intérêts en raison de la rupture abusive des relations contractuelles,
- Condamner EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser à Maître B., ès -qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 24.614,37 euros HT au titre de la prime de fin de contrat instituée par les AIP,
- Débouter EG RETAIL France, venant aux droits de BP, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire et si par impossible la Cour devait juger que la SARL CARBUDIS n'a pas droit au remboursement des pertes pour l'exercice clôturé le 30 mai 2006 pour lequel des fautes
sont alléguées, il est demandé à la Cour de condamner la société EG RETAIL France SAS à verser à Maître B., ès qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 229.964 euros HT au titre du remboursement des pertes issues cumulées pour les exercices allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2005.
À titre très subsidiaire,
- Ordonner une contre-expertise.
À titre très subsidiaire,
- Dire et juger que seule la méthode n°2 utilisée par Expert doit être retenue.
En conséquence,
- Condamner la société EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser Maître B. ès-qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 121.391 euros au titre des pertes du mandat,
En tout état de cause,
- Dire et juger qu'aucune compensation de la dette carburant avec les créances de Maître B. ès-qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS ne saurait intervenir,
- Débouter EG RETAIL France, venant aux droits de BP, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner à la société EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser à Maître B., ès qualités de liquidateur de la SARL CARBUDIS, la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; ainsi qu'aux entiers dépens,
- Condamner à la société EG RETAIL France, venant aux droits de BP, à verser à Mme X. la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code Civil à compter de la demande,
[*]
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 26 janvier 2022, la société EG Retail France, venant aux droits et obligations de BP France, demande à la Cour de :
Juger la société EG RETAIL(France) SAS recevable et bien fondée en ses présentes écritures, fins et conclusions,
Sur les demandes de la SARL CARBUDIS déjà tranchées et ayant autorité de la chose jugée
Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2017,
- Juger tant irrecevables que mal fondées toutes demandes de Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS ainsi que de Madame X. tendant à remettre en cause la validité du contrat de gérance au titre d'une prétendue violation de la loi Doubin ou de tout vice du consentement,
- Juger irrecevables et mal fondées les demandes de la Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS ainsi que Madame X. tendant à remettre en cause la créance de EG Retail (France) SAS au titre de la restitution des recettes carburant d'un montant de 62.398, 86 euros,
En conséquence,
Juger que la fixation de la créance d'EG Retail (France) SAS au passif de la SARL CARBUDIS, à la somme de 62.398, 86 euros, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du 11 octobre 2017, au titre des ventes de carburants non restituées est définitive.
Sur la demande de remboursement des prétendues pertes au titre du mandat
Vu le contrat de location-gérance en date du 17 avril 2001,
Vu les Accords Interprofessionnels,
Vu l'article 1134 du Code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
Vu les articles 1999 et 2000 du code civil,
* A Titre Principal
- Juger que les dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ont un caractère supplétif et que la SARL CARBUPERIPH y a valablement renoncé,
- Juger que Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. :
o n'établissent pas que les conditions dont le mandant aurait conservé la maîtrise seraient la cause exclusive des pertes dont la SARL CARBUDIS ès qualités de mandant demande l'indemnisation;
o n'opposent aucune étude des prix à la pompe au soutien de ses demandes d'indemnisation ;
o n'affirment ni ne démontrent encore moins avoir été victime d'une quelconque discrimination par rapport à d'autres membres du réseau quant à la fixation du prix ;
- Juger que Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. ne sont fondés à soutenir que ses pertes trouvent leur cause dans une faute qu'aurait commise EG Retail (France) SAS dans la fixation du prix des carburants.
En conséquence,
Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 2 décembre 2011 en ce qu'il a débouté la Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. de l'ensemble de leurs demandes visant les pertes prétendument causées par EG Retail (France) SAS.
* A Titre Subsidiaire
- Juger qu'en refusant de restituer les recettes carburant, en omettant de comptabiliser régulièrement et fidèlement des opérations de ventes de marchandises, et en procédant à des débits et virements injustifiés en comptabilité, la SARL CARBUDIS a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation au titre notamment des dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ;
- Juger que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation ;
- Juger qu'en tout état de cause, la comptabilité de la SARL CARBUDIS n'est pas cohérente et n'apporte pas la preuve certaine des prétendues pertes cumulées au titre du mandat ;
En conséquence,
Débouter Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. de l'ensemble de leurs demandes d'indemnisation des pertes subies par elle au titre de l'exécution du mandat ainsi que le paiement de la prime de fin de contrat.
*A Titre infiniment Subsidiaire
Vu le rapport de l'Expert judiciaire,
- Juger que les méthodes n° 1 et n°2 proposées par l'Expert judiciaire ne peuvent être retenues en ce qu'elles ont pour effet de gonfler artificiellement l'activité de vente de carburant dans l'exploitation de la station-service et constituent une violation des règles commerciales et comptables,
- Juger que seule la méthode n° 3 attachée aux marges telle que corrigée par EG Retail (France) SAS est susceptible d'être retenue,
En conséquence,
Limiter les pertes au titre du mandat aux montants corrigés par EG Retail (France) SAS,
Débouter Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS de sa demande de condamnation à l'encontre de EG RETAIL (France) SAS, à titre principal, au paiement de la somme de 274.526 euros au titre du cumul des pertes du mandat, et à titre subsidiaire, au paiement de la somme de 229.964 euros HT au titre des pertes cumulées du mandat pour les exercices allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2005, à titre très subsidiaire, de sa demande d'expertise et à titre très très subsidiaire, au paiement de la somme de 121.391 euros à l'encontre de la société EG RETAIL (France) SAS au profit de Maître Christophe B. ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS au titre des pertes du mandat.
Sur la demande d'indemnisation au titre de la rupture du contrat de location gérance et de la fin des relations contractuelles
Vu le contrat de location-gérance en date du17 avril 2001,
Vu les Accords Interprofessionnels,
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
- Juger que la non-restitution par la SARL CARBUDIS des recettes carburant dues au titre du mandat, l'omission de comptabiliser des opérations de ventes de marchandises, et le fait de procéder à des débits et virements injustifiés en comptabilité sont constitutifs de fautes de gestion qui justifient la rupture du contrat et la fin des relations contractuelles ;
- Juger que ces fautes de gestion font obstacle à toute indemnisation,
En conséquence,
Débouter Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS ainsi Madame X. de l'ensemble de leurs demandes d'indemnisation au titre de la rupture du contrat et de la fin des relations contractuelles,
A titre subsidiaire :
- Juger qu'un préavis d'une durée de 3 mois auquel s'ajoute une prime de fin de contrat tels que fixés pas les usages professionnels (dit AIP) sont suffisants ;
- Juger que les comptes sociaux 2005 de CARBUDIS font apparaître un résultat d'exploitation de toutes les activités confondues négatif (197.599 - 214.869 = -17.270), (511.287 - 518.520 = -7.234),
- Juger que la prime de fin de contrat prévue par les Accords Interprofessionnels participe à l'appréciation d'un préavis raisonnable,
- Juger qu'eu égard au résultat d'exploitation négatif de toutes les activités confondues, CARBUDIS est mal fondée à revendiquer une indemnisation au titre du préavis.
En conséquence, l'en débouter.
Sur les demandes de EG Retail France :
Vu le contrat de location-gérance en date du 17 avril 2001,
Vu les articles L. 110-1 et L. 110-3 du Code de Commerce,
- Juger que la SARL CARBUDIS a occupé la station-service sans droit ni titre pendant 25 jours et qu'elle est, conformément aux stipulations de l'article 16 du contrat de location gérance, redevable envers EG Retail France d'une indemnité journalière contractuelle d'occupation ;
- Juger que Madame X. est caution de la SARL CARBUDIS et qu'il s'est engagé par un acte de commerce à honorer les dettes du débiteur principal, dans la limite de 22.867 euros ;
En conséquence,
- Fixer la créance d'EG Retail France au passif de la SARL CARBUDIS, aux sommes de 2.315,91 €, 578,11 € et 876,33 €, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de l'assignation,
- Fixer la créance d'EG Retail France au passif de la SARL CARBUDIS, au titre de son occupation sans droit ni titre de la station-service sis [...], à la somme de 38.112,25 euros, outre la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de l'assignation,
- Débouter Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS ainsi que Madame X. de leur demande de remboursement de la caution espèce de 15.245 euros,
- En déduire le montant de la caution espèce de 15.245 euros,
- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 2 décembre 2011 en ce qu'il a condamné solidairement et à hauteur de 22.867,37 euros Madame X. au titre des créances fixées au passif de la SARL CARBUDIS.
Sur la prime de fin de contrat :
Vu le contrat de location-gérance en date du 17 avril 2001,
Vu les Accords Interprofessionnels,
- Juger que la non-restitution par la SARL CARBUDIS des recettes carburant dues au titre du mandat, l'omission de comptabiliser des opérations de ventes de marchandises, et le fait de procéder à des débits et virements injustifiés en comptabilité sont constitutifs de fautes de gestion dans l'exécution du mandat faisant échec au versement de la prime de fin de contrat ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 2 décembre 2011 en ce qu'il a débouté la SARL CARBUDIS de sa demande de paiement de la somme de 24.614, 37 euros au titre de la prime de fin de contrat.
En tout état de cause :
- Débouter Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. de l'intégralité de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et des dépens,
- Condamner solidairement Maître Christophe B. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CARBUDIS et Madame X. au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont les frais d'expertise.
* * *
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande pour la société Carbudis de remboursement des pertes au titre du mandat :
Sur la renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil et le principe de l'indemnisation des pertes du mandat :
A titre principal, Maître B. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis et Mme X. demandent à la Cour de juger que la société EG Retail n'a pas permis à la société Carbudis de renoncer aux articles 1999 et 2000 du code civil en connaissance de cause. En revanche, la société EG Retail demande à la Cour de juger que les dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ont un caractère supplétif et que la SARL Carbudis y a valablement renoncé.
Sur ce,
La cour a déjà jugé dans son arrêt du 20 novembre 2013 (RG n° 11/22193) rendu dans la présente cause que « les stipulations du contrat excluant l'application des articles 1999 et 2000 du Code civil, qui ne reproduisent pas le texte des articles et n'attirent pas l'attention de l'exploitant sur l'importance de ces stipulations, qui opèrent une amputation substantielle de ses droits, ne sont pas suffisamment claires pour qu'il soit établi que la société Carbudis ait accepté en toute connaissance de cause de renoncer à se prévaloir des dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ». Dans son arrêt du 11 octobre 2017 (RG n° 11/22193) la Cour a adopté les motifs de son précédent arrêt du 20 novembre 2013 pour dire que la société Carbudis n'a pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil. Devant la Cour de cassation la société EG-Retail a contesté l'arrêt d'appel sur ce point au motif qu'il se borne à se renvoyer aux dispositions d'une précédente décision. Ce moyen a été rejeté par la Cour de cassation qui n'a pas cassé le chef de dispositif de l'arrêt du 11 octobre 2017 en ce qu'il a dit que « la société Carbudis n'a pas valablement renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil ».
Par conséquent, la société Carbudis n'a pas renoncé valablement à se prévaloir des dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil et elle est en droit de demander l'indemnisation des pertes du mandat qui ne résultaient pas d'une imprudence de sa part.
Sur l'indemnisation des pertes du mandat et la faute de gestion :
Au visa de l'article 2000 du code civil, la Cour de cassation a censuré l'arrêt du 11 octobre 2017 en ce qu'il a dit que la société Carbudis n'a pas commis de faute de gestion excluant l'indemnisation par la mandante des pertes résultant du déficit de l'activité de vente de carburant, au motif que la cour d'appel avait constaté qu'il résultait de l'arrêt du 7 juin 2017 que Mme X. avait concomitamment réalisé des paiements injustifiés, notamment au bénéfice de son fils, lesquels avaient contribué à rendre l'actif de la société Carbudis insuffisant, quand bien même l'activité de vente de carburant avait été structurellement déficitaire.
Maître B. en sa qualité de liquidateur de la société Carbudis soutient qu'il ressort de l'arrêt de la Cour de cassation que le principe du remboursement des pertes de gestion est acquis et il est soutenu que la société Carbudis n'a pas commis d'imprudence qui lui interdirait de prétendre au remboursement des pertes du mandat dont elle n'avait pas la maîtrise pour la période allant du 17 avril 2001 au 31 mai 2006.
Il fait notamment valoir que hormis la boutique qui servait principalement à l'encaissement des ventes de carburant, la station-service ne disposait pas d'activité de diversification et que la vente des essences était exclusivement encadrée par BP et représentait jusqu'à 98 % des recettes de la station. Il précise que BP maîtrisait par le contrat, l'exclusivité et les prix des produits, les modalités d'approvisionnement les horaires d'ouverture, les moyens de paiement et les modalités de reversement des recettes. Il relève que les méthodes proposées par l'expert de répartition des charges ne sont pas applicables et que les charges principales de la société Carbudis dont elle n'a pas la maîtrise sont relatives à l'activité de vente d'essence et que le montant des commissions ne permet pas de les couvrir concourant ainsi au déficit structurel de l'activité.
En outre, il est fait valoir que si la Cour devait néanmoins juger que la société Carbudis ne rapporterait pas la preuve négative qu'elle n'a pas commis d'imprudence, il est rappelé que les reproches formulés par BP ne visent que les derniers jours ou exercice de la société Carbudis et ne peuvent donc pas avoir d'incidence sur les pertes exposées sur les années précédentes.
Ainsi, il sollicite la condamnation de la société EG Retail à lui verser ès-qualités la somme de 274.526 euros HT au titre des pertes du mandat se décomposant après ventilation des différentes activités de la station-service de la manière suivante :
- 51.487 euros pour l'exercice du 17 avril 2001 au 31 mai 2002,
- 44.038 euros pour l'exercice du 1er juin 2002 au 31 mai 2003,
- 62.780 euros pour l'exercice du 1er juin 2003 au 31 mai 2004,
- 71.659 euros pour l'exercice du 1er juin 2004 au 31 mai 2005,
- 44.562 euros pour l'exercice du 1erjuin 2005 au 31 mai 2006
A titre subsidiaire, il est demandé la somme de 229.964 euros HT au titre du remboursement des pertes issues cumulées pour les exercices du 17 avril 2001 au 31 mai 2005, ou la somme de 121.391 euros en application de la méthode n° 2 de l'expert.
La société EG Retail fait en premier lieu valoir que les « pertes mandats » revendiquées par la société Carbudis ne sont pas établies, notamment en comparant sur la même période les résultats nets comptables. Elle rappelle que les parties au contrat ont entendu soumettre leurs relations à un contrat unique, en sorte que les activités réalisées dans le cadre du fonds de commerce doivent s'apprécier dans leur ensemble, sans qu'il soit possible de procéder à un découpage analytique de la gestion selon les activités exercées.
Ensuite, la société EG Retail prétend que la société Carbudis a commis des fautes de gestion qui feraient obstacle à toute indemnisation au titre des dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil: en omettant de comptabiliser régulièrement et fidèlement des opérations de ventes de marchandises, en procédant à une immobilisation de 15.350 euros sans motif, à des virements injustifiés et à des transferts de liquidités injustifiés à hauteur de 44.000 euros.
Sur ce,
L'article 2000 du code civil dispose que le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.
La Cour relève d'abord qu'il appartient à la société Carbudis, en sa qualité de mandataire, de rendre compte de sa gestion à la société EG Retail et que le principe du remboursement des pertes du mandant à la société Carbudis n'est pas acquis dès lors qu'il appartient à la Cour de renvoi de vérifier que celle-ci n'a pas commis de faute de gestion s'opposant à une indemnisation du déficit de l'activité de vente de carburant sous mandat.
Il ressort des documents comptables tels que repris au rapport d'expertise (pages 22 et 23) l'évolution suivante des paramètres d'exploitation de la société Carbudis :
en milliers € | 2001/2002 (14 mois) | 2002/2003 | 2003/2004 | 2004/2005 | 2005/2006 |
ventes de marchandises | 51,9 | 53,7 | 63,8 | 65,0 | 72,9 |
activité carburants | 146,2 | 129,8 | 130,3 | 131,3 | 130,1 |
chiffre d'affaires | 196,1 | 183,5 | 194,4 | 194,3 | 202,9 |
charges d'exploitation | 200,5 | 180,5 | 193,1 | 214,9 | 234,9 |
résultat d'exploitation | -3,5 | 5,7 | 2,1 | -17,3 | -25,9 |
Comme le relève l'expert, l'analyse des comptes conduit à relever que l'activité de distribution de carburant était stable au cours de la période, que l'activité boutique était en progression en volume mais supportant une chute du taux de marge sur les derniers exercices, que les charges d'exploitation ont significativement augmenté sur les deux derniers exercices (notamment charges externes et de personnel) et plus généralement un niveau d'activité de l'entreprise insuffisant pour dégager des bénéfices couvrant ses charges.
En outre, l'expert a soulevé deux principales anomalies de gestion de la station-service.
En premier lieu, sur la période étudiée de 2001 à 2006, après l'analyse des « back-office » des ventes de la boutique (rapports mensuels sur lesquels sont indiqués : le volume des ventes, le nombre de transmissions correspondant au nombre de client ayant procédé à un paiement, le montant des ventes, les retours et le nombre d'annulations), l'expert a constaté (notamment pages 26,45) que le nombre de ventes ne correspond pas au nombre de transaction, le nombre de transactions étant plus élevé que le nombre de ventes ce qui laisse entendre qu'un certain nombre de ventes n'a pas été enregistré. S'il est certain que ces anomalies ne concernent pas la vente de carburant, il ressort du rapport d'expertise que celles-ci avaient une incidence pour le retraitement des données lors de la répartition des recettes et charges entre les deux activités.
En second lieu, comme le relève la société EG Retail, la société Carbudis a effectué des virements injustifiés à hauteur de 61.166,11 euros entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2007, ainsi que des transferts de liquidités au profit du fils de Mme X. à hauteur de 40.000 euros et 4.400 euros (le 22 juin 2006) et ces débits injustifiés ont été relevés par l'expert judiciaire (pages 50 et 51 du rapport) qui a constaté qu'ils ont été à l'origine de l'appauvrissement de la société.
La Cour observe en outre que les investigations menées sur le volet correctionnel de l'affaire ayant opposé les parties devant la cour d'appel de Versailles démontraient que Mme X., gérante de la société Carbudis, avait effectué un virement de 40.000 euros du compte de la société vers le compte de son fils le 22 juin 2006, ainsi qu'un retrait de 4.400 euros le 23 juin 2006 et procédé à l'émission de 7 chèques de la SARL Carbudis entre le 15 juin et le 19 juin 2006 pour un montant total de 16.766,11 euros (Pièce n° 53 EG Retail, cour d'appel de Versailles, arrêt du 7 juin 2017 RG n° 15/04084). Mme X. n'a pas été en mesure de justifier l'ensemble des sommes prélevées sur le compte de la SARL Carbudis. Si elle a tenté d'expliquer ces débits par sa peur de voir celles-ci saisies par la société mandante et son souhait de désintéresser les créanciers de la société, elle est toutefois dans l'incapacité de justifier de la destination effective de certaines sommes. Il ressort également de l'arrêt précité que les sommes litigieuses, de par leur montant total, ne pouvaient concerner que des fonds provenant uniquement des activités annexes (vente de la boutique), que certains fonds provenaient ainsi de la vente de carburant, activité sous mandat.
Il ressort de l'ensemble de ces constatations, que les anomalies de gestion de la société Carbudis sur la période de 2001 à 2006 empêchent d'établir avec suffisamment de fiabilité non seulement que celle-ci a essuyé des pertes dans l'exercice de son mandat de vente de carburant, mais également que des imprudences ne sont pas sans lien avec le déficit de son activité.
Dès lors, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une contre-expertise, il convient de débouter Maître B. en sa qualité de liquidateur de la société Carbudis de ses demandes d'indemnisation au titre des pertes de mandat tant à titre principal que subsidiaires. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de la prime de fin de contrat :
Maître B. ès-qualités réclame une prime de fin de contrat en application de l'article 5.3 des Accords interprofessionnels, soit la somme de 24.614,37 euros HT.
L'article 5.3 des Accords interprofessionnels prévoit qu'une prime de fin de contrat est due à l'exploitant à la fin de chaque contrat sous réserve que le contrat ait duré au moins 3 ans et que les obligations du contrat aient été respectées. Cette prime a été calculée par l'expert (pages 48 à 59 de son rapport) pour la somme de 24.614,37 euros. Toutefois, il a été jugé que la société Carbudis n'a pas fidèlement rendu compte de sa gestion en raison, particulièrement, des virements injustifiés précédemment relevés. Ce défaut de justification constitue une faute de gestion entachant le respect des obligations contractuelles. Or, le règlement de la prime de fin de contrat prévue à l'article 5.3 des Accords interprofessionnels n'est dû que sous réserve du respect des obligations contractuelles. La Cour en déduit que les fautes de gestion relevées sont de nature à caractériser une violation d'une obligation contractuelle et entraînent l'exclusion du règlement d'une telle prime.
Maître B. ès-qualités sera débouté de sa demande à ce titre et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les demandes pour la société Carbudis au titre de la rupture du contrat :
Invoquant la non-restitution de recettes-carburants, la société BP a notifié par acte d'huissier du 15 juin 2006 à la société Carbudis la résiliation du contrat de gérance signé le 17 avril 2001 à ses torts exclusifs pour graves manquements à ses obligations.
Par arrêt du 11 octobre 2017, la Cour a jugé dans son dispositif que la société EFR, venant aux droits de la société BP, a rompu à tort le contrat.
La Cour de cassation dans son arrêt du 7 mai 2019, a rejeté le moyen faisant grief à l'arrêt de dire que la société EFR a rompu le contrat à tort, aux motifs notamment
- « d'une part qu'après avoir relevé que la société EG Retail prétend que la résiliation du contrat est justifiée par la rétention par la société Carbudis de sommes provenant de la vente de carburant, laquelle constitue un motif prévu par la clause résolution dont elle se prévaut, l'arrêt retient que cette rétention est motivée par le déficit structurel d'exploitation de la station-service, qui lui est imputable; qu'ayant fait ressortir que la mandante avait mise en œuvre, de mauvaise foi, la clause résolutoire, la cour d'appel a retenu à juste titre que cette résiliation était irrégulière ;
- d'autre part qu'ayant relevé que la mandante, qui avait résilié le contrat de manière injustifiée, était seule responsable de la rupture des relations contractuelles, la cour d'appela pu retenir que la société EG retail ne pouvait réclamer l'indemnité pour occupation illicite de la station-service par la société Carbudis. »
Autrement dit, il a été définitivement jugé que la société EFR, aux droits de laquelle vient la société EG Retail, a rompu à tort le contrat. L'arrêt du 11 octobre 2017 n'a été censuré seulement en ce qu'il a débouté le liquidateur de la société Carbudis de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat.
Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive de la relation contractuelle :
Au titre de l'indemnisation de la rupture fautive, le liquidateur de la société Carbudis évalue le préjudice comme en matière de rupture brutale de relation commerciale, à une année de marge brute qui aurait été réalisée durant le délai de préavis et qui aurait dû lui être accordé et qu'il estime à une année compte tenu de la dépendance économique entre les deux sociétés. En référence au bilan de 2005, le préjudice est estimé à 152.977 euros (CA - coût d'achat des marchandises + variation du stock)
La société EG Retail soutient que le défaut de restitution des recettes de carburant constitue une inexécution suffisamment grave du contrat pour justifier sa rupture sans préavis. Elle soutient par ailleurs que la rupture n'est pas brutale dans la mesure où les décalages dans la restitution des recettes remontent à janvier 2006 et qu'un premier préavis avait été transmis à la date du 14 juin 2006. Elle fait valoir qu'en tout état de cause, Carbudis ne peut réclamer un préavis supérieur à 3 mois conformément au contrat et usage AIP.
Sur ce,
Le contrat de gérance avait été conclu pour une durée indéterminée. Il ressort de l'ensemble des pièces comptables et du rapport d'expertise que l'activité de la station-service était structurellement déficitaire. En outre, le liquidateur de la société Carbudis ne peut sérieusement réclamer au titre de l'indemnisation de la rupture fautive du contrat la somme de 152.977 euros calculée à partir du chiffre d'affaires net (comprenant la production vendue de biens et services) duquel il n'est déduit que les achats de marchandises de la boutique sur le bilan 2005.
La Cour estime que le préjudice peut être évalué à partir de la moyenne annuelle des commissions carburants (environ 20.100 €) perçue sur la période 2001/2006 et de la marge activité boutique (environ 20.135 €) sur la même période (en référence au tableau page 23 du rapport d'expertise). Compte tenu de l'activité déficitaire significative sur les derniers exercices mettant en doute la pérennité de l'entreprise, la Cour retiendra un préjudice de manque à gagner résultant de la résiliation fautive pour la société Carbudis équivalente à deux années de commission et marge sur activité boutique, soit la somme de 80.470 euros.
Dès lors, la société EG Retail sera condamnée à verser à Maître B. ès-qualités la somme de 80.470 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat de gérance, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision outre capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les sommes réclamées par la société EG Retail au titre des recettes carburant non-restituées :
La société EG Retail, réclame un solde de 67.684,24 euros correspondant aux montants des ventes de carburants, après déduction des commissions dues au titre de ces ventes encaissées pour le compte de BP et indûment conservées par la société Carbudis. Elle précise que la société Maître B. ès-qualités conteste cette somme et demande au mandant d'apporter la preuve qu'il n'aurait finalement pas encaissé les recettes carburants, mais qu'elle n'est pas en mesure d'apporter la preuve d'un fait négatif. Elle ajoute que par arrêts des 20 novembre 2013 et 11 octobre 2017, la créance a été fixée à la somme de 62.398,86 euros et que cette fixation de créance a autorité de la chose jugée.
Maître B. ès-qualités conteste cette somme et soutient qu'en violation de l'article 5.2 des AIP, aucun apurement de compte n'a été réalisé et que BP se contente d'invoquer une créance fondée sur la seule obligation de restitution des recettes sans tenir compte de l'ensemble des obligations nées du même contrat.
Sur ce,
Par arrêt du 11 octobre 2017, la Cour a fixé la créance de EFR (venant aux droits de la société Delek France) au titre des ventes de carburants encaissées et non restituées à la somme de 62.398,86 euros augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement. La cassation partielle par arrêt du 7 mai 2019 ne s'étend pas au principe de cette créance ni à sa fixation à la somme de 62.398,86 euros augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement. Il en résulte que la créance de la société EG Retail, venant aux droits de EFR, a définitivement été fixée à la somme de 62.398,86 euros augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jugement.
En outre l'arrêt du 11 octobre 2017 n'ayant pas été infirmé sur le montant de cette créance, il n'a pas non plus été infirmé sur le refus de déduire de cette créance, comme l'a fait le tribunal, le montant de la caution bancaire du Crédit agricole de 15.245 euros. Aussi, Maître B. ès-qualités est irrecevable en cette demande.
Sur les autres créances :
La société EG Retail soutient qu'il ressort des comptes que la société Carbudis n'a pas non plus réglé les sommes de 2.315,91 euros (compte chèque), 578,11 euros (compte divers) et 876,33 euros (lubrifiant), ce que Maître B. ès-qualités conteste.
Pour l'ensemble de ces sommes, la Cour constate qu'aucun apurement des comptes n'a été réalisé entre les parties et que la société EG Retail ne démontre pas l'existence de ces créances, autrement que par une simple référence à l'expertise et sa propre situation de compte.
Sur l'indemnité pour occupation illicite réclamée par la société EG Retail :
La société EG Retail demande à la Cour, dans la mesure où les fautes de gestion opposées à la SARL Carbudis sont établies, de juger que le refus de restitution de la station-service le 21 juin 2006 par Carbudis constituait une occupation illicite et a causé une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de 259.206,50 euros. En application du contrat de location-gérance, il est réclamé la somme de 38.112,25 euros (1.524,49 x 25) au titre de l'indemnité d'occupation outre la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Cependant, dès lors que la société EG Retail a résilié le contrat de manière injustifiée, elle est responsable de la rupture des relations contractuelles et ne peut réclamer une indemnité pour occupation illicite de la station-service par la société Carbudis.
La société EG Retail sera déboutée de ses demandes de ce chef et le jugement infirmé sur ce point.
Sur la demande à l'égard de Mme X. en sa qualité de caution :
La société EG Retail réclame la condamnation de Mme X. au paiement d'une somme de 22.867,37 euros en exécution d'un engagement de caution des dettes de la société Carbudis.
Les appelants prétendent que l'engagement de Mme X. n'est pas valable dans la mesure où celui-ci serait disproportionné et sans cause.
Toutefois, la société EG Retail étant en définitive débitrice à l'égard de la procédure collective de la société Carbudis, l'engagement de Mme X. est sans objet. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
La société EG Retail, succombant principalement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, en ceux compris les frais d'expertise, ainsi qu'à payer à Mme X. la somme de 5.000 euros et à Maître B. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Vu l'arrêt de la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation du 7 mai 2019, pourvois n° 17-29.004 et 18-10.090,
Statuant dans la limite de sa saisine, la Cour
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a :
- débouté la société Carbudis de sa demande au titre de la rupture fautive du contrat,
- condamné la société la Carbudis à payer à la société Delek France venant aux droits et obligations de la société BP France la somme de 38 112,25 euros au titre de l'indemnité d'occupation,
- condamné Mme X. en sa qualité de caution,
Statuant de nouveau de ces chefs infirmés et Y ajoutant,
DÉCLARE irrecevable Maître B. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis en sa demande d'ordonner le remboursement par EG Retail France, venant aux droits de BP, de la caution bancaire de 15 245 euros,
CONDAMNE la société EG Retail France à payer à Maître B. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis la somme de 80.470 euros au titre de la rupture fautive du contrat de gérance, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision outre capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
DÉBOUTE la société EG Retail France de sa demande d'indemnité d'occupation et de ses demandes à l'égard de Mme X. en sa qualité de caution,
CONDAMNE la société EG Retail France aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise,
CONDAMNE la société EG Retail France à payer à Mme X. la somme de 5.000 euros et à Maître B. en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Carbudis la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
S. MOLLÉ M-L DALLERY