CA NANCY (2e ch. civ.), 2 juin 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9660
CA NANCY (2e ch. civ.), 2 juin 2022 : RG n° 21/01629
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Le premier juge a justement indiqué que si les clauses de paiement en espèces étrangères sont sanctionnées d'une nullité d'ordre public excluant toute confirmation, en revanche, les clauses d'indexation sur une monnaie étrangère, servant d'unités de compte, qui respectent les conditions de la réglementation des indexations, telles qu'elles résultent de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, à savoir l'existence d'une « relation directe » entre la monnaie choisie et « l'objet de la convention » ou « l'activité de l'une des parties », sont valables.
Il en résulte que l'activité de banquier de l'une des parties au contrat, s'agissant de faire « commerce d'argent » permet valablement à une banque française d'indexer une obligation résultant d'un prêt sur une monnaie étrangère, même dans une opération purement interne.
En l'espèce, la clause de remboursement du prêt est mentionnée comme suit : « 79 échéances de la contre-valeur en CHF (Francs suisses) de la somme de 15.283,80 euros, soit à titre indicatif 25 099,06 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007, et une échéance de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.284,10 euros, soit à titre indicatif 25.099,55 CHF selon le cours de l'eurodevis à la date du 20 avril 2007 ».
Aussi, le premier juge en a justement déduit que la clause prévue au contrat de prêt litigieux ne prévoit pas de paiement en espèces étrangères, mais une indexation sur une monnaie étrangère servant d'unités de compte, en ajoutant que la relation directe du taux de change avec l'activité de la banque, est suffisamment caractérisée.
Dans ces conditions, il en résulte que la clause de remboursement en monnaie étrangère figurant au prêt est licite. Dès lors le jugement déféré sera confirmé sur ce point. »
2/ « Par ailleurs, la SCI Mirebeau fait état de ce que l'emprunt en devises étrangères, à savoir le franc suisse, entraîne pour l'emprunteur un risque caractérisé d'endettement créé par la variation importante et brutale des parités entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, justifiant le prononcé de nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère et partant du contrat de prêt, à défaut de caractère clair et compréhensible de la variation du taux appliqué au contrat.
L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur antérieurement à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, énonce en son alinéa 1er que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », ajoutant en son alinéa 6 que « les clauses abusives sont réputées non écrites ». L'alinéa 7 dudit article dispose que « l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Or, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d'« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, couvre une clause contractuelle insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat. Aussi, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, il y a lieu de constater que le contrat de prêt est libellé en francs suisses selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007 et que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances trimestrielles payées en euros selon un taux d'intérêt révisable lié à l'évolution du taux de change de l'euro en franc suisse à trois mois.
En outre, il ressort de la notice signée par le représentant de la SCI Mirebeau le 25 avril 2007, que si le taux d'intérêt peut paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, il existe un risque de change selon que la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'Euro, ce qui a une incidence sur le coût de ce type de crédit au moment du paiement des intérêts et du remboursement du capital.
Aussi, il en résulte que la clause d'indexation sur une monnaie étrangère servant d'unités de compte représente une prestation essentielle caractérisant le prêt en devise, et que son contenu est au surplus clair et compréhensible.
Dans ces conditions, la SCI Mirebeau ne peut utilement se prévaloir de la nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère pour défaut de clarté et de caractère compréhensible de la variation du taux appliqué au contrat, et partant de la nullité du contrat de prêt. »
3/ « Le premier juge a justement indiqué que s'agissant d'une personne morale, le caractère averti de l'emprunteur doit s'apprécier en la personne de son représentant légal à la date de conclusion de l'acte.
Au préalable, selon les dispositions combinées des articles L. 312-2 et L. 312-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 applicable au litige, ne relèvent pas des règles propres au crédit immobilier à la consommation, les prêts destinés à financer l'activité professionnelle, fût-elle accessoire, d'une personne physique qui, à titre habituel, procure des immeubles ou fractions d'immeubles en propriété ou en jouissance. En effet, si l'investissement immobilier locatif d'un particulier peut relever du régime propre au crédit immobilier à la consommation, encore faut-il qu'il ne corresponde à l'exercice d'aucune activité professionnelle, laquelle est couramment définie comme celle « qu'une personne exerce de manière habituelle en vue d'en tirer un revenu lui permettant de vivre ». Or, l'actuel article liminaire du code de la consommation définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel. »
En l'espèce, la SCI Mirebeau procure en vertu de son objet social « la location de terrains et d'autres biens immobiliers ». Or, la CRCAM ne justifie pas que la SCI ou ses représentants soient inscrits au RCS en qualité de loueurs professionnels, ni qu'ils aient auparavant procédé à des opérations similaires. En effet, la preuve n'est pas rapportée que le prêt immobilier de même nature accordé à M. X. le 25 mai 2005, objet de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 4 mars 2021, concernait des immeubles destinés à la location. Au surplus, il y a lieu de constater que M. X. ne tirait pas de la location des immeubles acquis par la SCI un revenu lui permettant de vivre, dans la mesure où il était enseignant, ce qui lui procurait un salaire dont bénéficiait également Mme T., cogérante de la SCI.
Aussi, il en résulte que le crédit litigieux n'était pas destiné à financer l'activité professionnelle de la SCI Mirebeau, caractérisée par l'acquisition de logements en vue de leur location, ce qui n'est pas exclusif de la qualité de consommateur.
En outre, la souscription par M. X. le 25 mai 2005 d'un autre prêt immobilier soumis à la variation du cours de change suisse par rapport à l'euro ayant des conséquences sur le montant des échéances à payer, ne saurait induire l'acquisition par celui-ci, en sa qualité de représentant de la SCI Mirebeau, d'une connaissance certaine du fonctionnement de ce type de prêt. En effet, il y a lieu de constater qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 4 mars 2021 ayant eu à statuer sur ce prêt antérieur, que la déchéance du terme a été prononcée à la même date que le prêt litigieux, et que la saisine d'une juridiction a précédé de deux mois celle afférente au présent litige.
Dans ces conditions, la SCI Mirebeau revêt la qualité d'emprunteur non averti. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 2 JUIN 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/01629. N° Portalis DBVR-V-B7F-EZQX. Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de Nancy, R.G. n° 16/02557, en date du 10 mai 2021.
APPELANTE :
SCI MIREBEAU
sise [adresse] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de NANCY sous le numéro XXX, présentée par Maître Violaine LAGARRIGUE de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant Maître Patrice VOILQUE substitué par Me avocats au barreau de Nancy
INTIMÉE :
LA CAISSE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE
sise [adresse] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés DE METZ sous le numéro XXX, Représentée par Maître Michèle SCHAEFER, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 28 avril 2022, en audience publique devant la Cour composée de : Monsieur Francis MARTIN Président de chambre, Madame Fabienne GIRARDOT, Conseillère, qui a fait le rapport, Madame Catherine BUCHSER- MARTIN, conseillère, qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL ; A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 2 Juin 2022, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 02 Juin 2022, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de chambre et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par actes notariés des 14 et 16 mai 2007, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (ci-après la CRCAM de Lorraine) a consenti à la SCI Mirebeau un prêt appelé « opération devise MLT » portant sur la contre-valeur en francs suisse (CHF) de la somme de 905.000 euros, soit la somme de 1.486.191,07 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007, remboursable en 240 mensualités correspondant à 79 échéances trimestrielles de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.283,80 euros (soit à titre indicatif 25.099,06 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007), suivies d'une échéance de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.284, 10 euros (soit à titre indicatif 25.099,55 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007), au taux d'intérêt annuel initial révisable de 3,1450 %, ayant pour objet l'acquisition de quatre biens immobiliers auprès de M. X., également co-gérant et associé de la SCI Mirebeau.
Par actes sous seing privés du 25 avril 2007, M. X. et Mme Y. épouse X., associés de la SCI Mirebeau, se sont portés caution solidaire des engagements de cette dernière au titre du prêt « opération en devise MLT » dans la limite de 1.176.500 euros pour une durée de 264 mois, et la SCI Mirebeau, prise en la personne de son représentant, a signé une notice d'information portant sur les prêts en devise indiquant que « l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêts, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français (...) ce taux peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, par rapport aux taux des prêts en euros (...), mais attention, ce taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit ».
Par lettre en date du 13 février 2012, la CRCAM de Lorraine a adressé à M. X.. trois propositions de modification du contrat afin d'atténuer ou supprimer le risque de change compte-tenu de l'évolution des cours.
Par courrier du 16 mars 2012, la CRCAM de Lorraine a pris acte du souhait de M. X. de ne pas modifier son contrat de prêt.
Par courriers des 29 octobre 2012, 23 mai 2013, 7 novembre 2013, 24 juillet 2014, 13 et 28 janvier 2015, 22 juillet 2015, 22 janvier 2016 et 18 juillet 2016, la CRCAM de Lorraine a informé M. X. de la variation du cours de change du franc suisse par rapport à l'euro pouvant présenter un risque de change et avoir des conséquences sur le montant des échéances à payer.
Par courriers des 22 février 2013 et 4 mars 2013, la CRCAM de Lorraine a mis la SCI Mirebeau en demeure de payer le montant de l'échéance impayée du 12 février 2013 à hauteur de 12 867,29 euros dans les plus brefs délais sous peine de devoir procéder au recouvrement forcé des sommes dues.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 22 avril 2014 adressés à la SCI Mireveau ainsi qu'à M. X. et Mme Y. épouse X., la CRCAM de Lorraine a prononcé la déchéance du terme du prêt à défaut de régularisation des impayés suivant courrier du 24 février 2014, et les a mis en demeure de lui payer la somme provisoire de 960.542,69 euros.
Les 20 février 2015 et 5 août 2015, la CRCAM de Lorraine a fait délivrer à la SCI Mirebeau quatre commandements de payer valant saisie immobilière des quatre biens financés à hauteur de 903.706,69 euros (soit 1.057 336,83 CHF) au cours indicatif de 1,17 (un euro étant égal 1,17 CHF) au 18 novembre 2014, et hors échéances impayées (64.004,73 euros).
* * *
Par acte d'huissier en date du 23 juin 2016, la SCI Mirebeau a fait assigner la CRCAM de Lorraine devant le tribunal judiciaire de Nancy afin de voir annuler le prêt consenti le 16 mai 2007 pour dol et pour nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère, et de voir déclarer nulle la stipulation d'intérêts conventionnels pour irrégularité du TEG au regard des dispositions de l'article L. 313-1 du code de la consommation, et voir condamner la CRCAM de Lorraine à réparer le préjudice subi à hauteur de 905.000 euros pour manquement à son obligation d'information et de mise en garde.
La SCI Mirebeau a soutenu que le prêteur avait appliqué un taux d'intérêt variable au prêt litigieux alors que l'acte notarié prévoyait un taux fixe.
La CRCAM de Lorraine a conclu à l'irrecevabilité des demandes de la SCI Mirebeau pour cause de prescription, et subsidiairement à leur rejet.
Par jugement en date du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- déclaré la demande en nullité du contrat de prêt pour cause de dol irrecevable pour cause de prescription,
- déclaré la demande en nullité de la clause d'intérêts conventionnels irrecevable pour cause de prescription, « d'une clause de remboursement en monnaie étrangère » (sic),
- débouté la CRCAM de Lorraine de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription, s'agissant de l'action en responsabilité engagée par la SCI Mirebeau,
- débouté la SCI Mirebeau de sa demande visant à voir engager la responsabilité civile de la CRCAM de Lorraine pour manquement à ses devoirs d'information et de mise en garde,
- condamné la SCI Mirebeau aux dépens,
- condamné la SCI Mirebeau à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le premier juge a constaté qu'à la date de conclusion du contrat de prêt, le caractère variable du taux d'intérêt suite à l'évolution du taux de change CHF/Euro était décelable à la seule lecture de l'acte notarié du 16 mai 2007, à l'instar de la mention selon laquelle le TEG est mentionné comme étant calculé « sur la base du taux d'intérêt annuel initial considéré fictivement comme fixe ». Il a ajouté que la clause prévue au contrat de prêt litigieux ne prévoyait pas de paiement en espèces étrangères, mais une indexation sur une monnaie étrangère servant d'unité de compte, de sorte que la relation directe du taux de change dont dépendait la révision du taux d'intérêt initialement stipulé avec l'activité de la banque était suffisamment caractérisée.
Il a jugé que la CRCAM de Lorraine ne justifiait pas de la qualité d'emprunteur averti de ses gérants, M. X. et Mme [N] X., indiquant sur le fond que la SCI Mirebeau, qui ne justifiait pas d'un risque d'endettement excessif, avait été informée à la date du contrat de prêt du risque découlant de la détermination d'un taux d'intérêt différent à chaque période trimestrielle et des caractéristiques essentielles du prêt comportant des variations du taux de change selon le cours de l'eurodevise et du taux d'intérêt, et par suite de leur incidence sur les modalités de remboursement du crédit.
* * *
Par déclaration reçue au greffe le 28 juin 2021, la SCI Mirebeau a interjeté appel du jugement du 10 mai 2021 tendant à son annulation, sinon son infirmation en tous ses chefs critiqués.
Dans ses dernières conclusions transmises le 28 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI Mirebeau, appelante, demande à la cour :
- de dire et juger son appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
- d'infirmer le jugement rendu le 10 mai 2021 en ce qu'il :
* a déclaré la demande en nullité du contrat de prêt consenti le 16 mai 2007 pour cause de dol irrecevable pour cause de prescription,
* a déclaré la demande en nullité de la clause d'intérêts conventionnels irrecevable pour cause de prescription,
* l'a déboutée de sa demande en nullité du contrat de prêt consenti le 16 mai 2007 fondée sur le caractère illicite d'une clause de remboursement en monnaie étrangère,
* l'a déboutée de sa demande visant à voir engager la responsabilité civile de la CRCAM de Lorraine pour manquement à ses devoirs d'information et de mise en garde,
* l'a condamnée à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux dépens,
* l'a déboutée de sa demande de voir condamner la CRCAM de Lorraine à lui payer la somme de 905.000 euros en réparation de son préjudice,
* l'a déboutée de sa demande de nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels,
* l'a déboutée de sa demande de voir condamner la CRCAM de Lorraine à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau, sur le fondement des dispositions des articles 2224 du code civil, 1116 et 1147 anciens du code civil, dans leur version applicable à l'espèce, et des articles L.313-1 et suivants du code de la consommation,
- de débouter la CRCAM de Lorraine de sa demande tendant à voir déclarer irrecevables comme étant prescrites ses demandes, au contraire, de dire et juger ses demandes recevables et bien fondées,
En conséquence,
- de déclarer nul et de nul effet le prêt consenti par la CRCAM de Lorraine le 16 mai 2007,
- de déclarer nulle la stipulation d'intérêts conventionnels,
- de condamner la CRCAM de Lorraine à lui payer la somme de 1.064.926,18 euros en réparation de son préjudice,
- de condamner la CRCAM de Lorraine à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la SCI Mirebeau fait valoir en substance :
- que le point de départ de la prescription de l'action en nullité du prêt pour dol et de la clause d'intérêts conventionnels est la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d'exercer son action ; que le tableau d'amortissement, sur la base duquel ont été délivrés les commandements aux fins de saisie immobilière en 2015, a révélé l'application d'un taux variable contraire au prêt consenti par la CRCAM de Lorraine, puisque l'acte notarié mentionne au contraire un taux fixe et des mensualités d'un montant différent ;
- que de même, elle n'a pu prendre conscience du fait que la banque n'avait pas respecté son devoir d'information et de mise en garde que lorsqu'elle a eu connaissance du tableau d'amortissement litigieux révélant le dol ; que la CRCAM de Lorraine n'a expressément mentionné les risques liés à l'évolution du taux de change entre l'euro et le franc suisse que par lettre du 13 février 2012 ;
- que son consentement a été vicié par des manœuvres frauduleuses, et le prêt sera annulé en application de l'article 1116 du code civil ; qu'elle est victime d'un dol puisque, sous couvert d'un prêt à taux fixe avec des échéances déterminées, la CRCAM de Lorraine a prélevé des échéances qui ne correspondent nullement au consentement exprimé par l'emprunteur ;
- qu'une telle variation d'échéances démontre à l'évidence que le TEG n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 313-1 du code de la consommation ; qu'il y a soit tromperie sur le taux de crédit et dès lors nullité du contrat de prêt, soit absence de prise en compte d'éléments à intégrer au calcul du TEG et notamment, les variations du taux de change, ce qui conduit à la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels ;
- que dans les contrats internes, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle et de nullité absolue car portant atteinte au cours légal de la monnaie ; que l'emprunt en devises étrangères, à savoir le franc suisse, entraîne pour l'emprunteur un risque caractérisé d'endettement créé par la variation importante et brutale des parités entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, justifiant le prononcé de la nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère et partant du contrat de prêt, à défaut de caractère clair et compréhensible de la variation du taux appliqué au contrat ;
- que ces biens ont été acquis dans le cadre d'une SCI aux fins de se constituer un patrimoine immobilier à titre personnel, et non avec des vues spéculatives, pour la préparation de la retraite des associés de la SCI ; que M. X., co-associé de la SCI, était professeur, et Mme Y. divorcée X., autre co-associée de la SCI, était sans emploi à la date de souscription de l'emprunt ; qu'ils ne pouvaient faire face au paiement d'échéances de 15.000 euros ; que si la CRCAM de Lorraine l'avait informée du risque qu'elle encourait en contractant un prêt en devises étrangères, cette dernière n'aurait manifestement pas souscrit l'offre de prêt ; qu'elle n'a pas été valablement informée sur le risque de variation du taux de change, son influence sur la durée totale du prêt et la charge totale du remboursement ; que la perte de chance de ne pas contracter doit, au regard du risque avéré, être évaluée à 100 %.
[*]
Dans ses dernières conclusions transmises le 6 octobre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CRCAM de Lorraine, intimée, demande à la cour :
- de déclarer la SCI Mirebeau irrecevable et mal fondée en son appel, et de l'en débouter,
- de confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions en ce que l'ensemble des demandes formulées par la SCI Mirebeau ont été rejetées,
- de constater la prescription des demandes formées par cette dernière,
- de rejeter la demande de condamnation au paiement de la somme de 1.064.926,18 euros,
- de condamner la SCI Mirebeau à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la SCI Mirebeau en tous les frais et dépens.
Au soutien de ses demandes, la CRCAM de Lorraine fait valoir en substance :
- que l'action en nullité du prêt pour dol ou en nullité de la stipulation d'intérêts est prescrite, compte tenu du point de départ du délai de prescription à la date de l'acte ; que la SCI
Mirebeau doit être considérée comme un emprunteur professionnel ; que M. X. a déjà bénéficié d'un prêt en CHF ; qu'une notice d'information jointe au contrat de prêt, faisant mention d'un prêt habitat en devises, a valablement porté à la connaissance de la SCI Mirebeau les particularités du prêt en devises quant au risque de change ; qu'elle a par suite été régulièrement informée de la nature du prêt lors de la reconduction du prêt aux nouvelles conditions en 2013, 2014 et 2016 ; que le tableau d'amortissement indicatif (par l'indication de la lettre ' V ') ainsi que la copie du contrat de prêt mentionnent un prêt au taux d'intérêt variable, soit celui du taux du CHF à trois mois ;
- que le point de départ du délai de prescription de son obligation précontractuelle de mise en garde est la date de réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime si elle n'en a pas eu connaissance, soit à compter de la souscription du contrat de prêt ; que M. X. avait une parfaite connaissance du mode de fonctionnement du prêt dès 2005, étant précisé que les remboursements s'effectuent en CHF par acquisition de devises tous les trimestres pour faire face aux échéances ; que dans le cadre du risque éventuel de surendettement, elle n'était pas tenue antérieurement à la Recommandation de l'ACP du 6 avril 2012 à une obligation d'information sur le risque de change, ni sur le risque de taux en raison de l'existence d'un taux variable.
* * *
La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 janvier 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la prescription de l'action en nullité du contrat de prêt pour dol :
Selon les dispositions combinées des articles 1304 et 1116 du code civil, dans leur version applicable à la date des actes notariés, le délai de prescription de cinq ans court à compter du jour où le dol est découvert.
Aussi, le premier juge a justement indiqué que le point de départ de la prescription fondée sur l'article 1116 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, se situe à la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou si tel n'est pas le cas, à la date de la révélation de celle-ci au contractant qui s'en prévaut, et que c'est au demandeur en nullité de rapporter la preuve de la date à laquelle il a eu connaissance des faits et à laquelle doit être reporté le point de départ de la prescription, fixé par principe au jour de la naissance ou de l'exigibilité du droit, soit au jour de l'acte.
En l'espèce, la SCI Mirebeau soutient que son consentement a été vicié par l'application au prêt litigieux d'un taux d'intérêt variable alors que le prêt notarié prévoyait un taux fixe, et que la tromperie a été découverte lors de la délivrance des commandements valant saisie immobilière les 20 février et 5 août 2015 comportant des tableaux d'amortissement mentionnant un taux variable.
Or, le premier juge a constaté à juste titre que le moyen manque en fait, reprenant les dispositions de l'acte notarié des 14 et 16 mai 2007 qui mentionnent que le taux d'intérêt annuel « révisable » est de 3,1450 % et que le taux d'intérêt du prêt sera « celui du CHF à trois mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds augmenté de la marge », soit 2,2450 % au 19 avril 2007 et 0,9000 points de marge.
Plus précisément, il est indiqué que le montant de l'échéance constante définitive sera déterminée sur la base du CHF à trois mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds, de sorte que l'acte notarié mentionne que le montant indicatif des échéances est calculé sur la base du taux d'intérêt initial, et par référence à une contre-valeur en CHF indiquée à titre indicatif selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007.
En effet, l'acte notarié explique le fonctionnement du prêt selon lequel les devises sont empruntées pour les périodes telles que fixées par les parties (en l'espèce trimestrielles), et qu'à l'issue de chaque période, un nouvel emprunt est réalisé et un nouveau taux est établi, jusqu'au terme du contrat.
Aussi, l'acte notarié précise que les intérêts sont calculés en devises sur le montant en devise emprunté et sur la base de la période retenue.
Dans ces conditions, le premier juge en a justement déduit qu'à la date de conclusion du contrat de prêt, le caractère variable du taux d'intérêt, pouvant intervenir à l'issue de chaque période trimestrielle du fait de l'évolution du taux de change CHF/Euro, était décelable à la lecture de l'acte, de sorte que la SCI Mirebeau ne rapportait pas la preuve du report du point de départ de la prescription quinquennale à une date postérieure à celle du prêt du 16 mai 2007 et que l'action en nullité du contrat pour dol était irrecevable comme prescrite à la date de l'assignation du 23 juin 2016.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la prescription de l'action en nullité de la clause d'intérêts conventionnels :
Selon les dispositions combinées des articles 1304 et 1907 du code civil, ainsi que de l'article L. 313-2 du code de la consommation, dans leur version applicable à la date des actes notariés, le délai de prescription de cinq ans court à compter du jour où l'emprunteur a connu l'erreur affectant le TEG, ou au jour où il aurait dû connaître cette erreur, étant précisé que concernant un emprunteur ayant la qualité de professionnel, ce délai court à compter du contrat de prêt.
En l'espèce, la SCI Mirebeau soutient que la découverte de l'application d'un taux variable en violation des dispositions prévues au contrat a pour conséquence le caractère erroné du TEG mentionné au contrat.
Or, le premier juge a constaté que ce moyen manquait en fait dans la mesure où le TEG est mentionné comme étant calculé « sur la base du taux d'intérêt annuel initial considéré fictivement comme fixe ».
Aussi, la seule lecture de l'acte de prêt permettait à la SCI Mirebeau de constater que le TEG était déterminé « fictivement » à la date du contrat compte-tenu du caractère variable du taux d'intérêt pouvant intervenir à l'issue de chaque période trimestrielle précédemment évoquée.
Dans ces conditions, le premier juge en a justement déduit qu'à la date de conclusion du contrat de prêt, le caractère « fictif » du calcul du TEG était décelable à la lecture de l'acte, de sorte que la SCI Mirebeau ne rapportait pas la preuve du report du point de départ de la prescription quinquennale à une date postérieure à celle du prêt du 16 mai 2007 et que l'action en nullité de la clause d'intérêts conventionnels était irrecevable comme prescrite à la date de l'assignation du 23 juin 2016.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère et sur la nullité subséquente du contrat de prêt :
Le premier juge a justement indiqué que si les clauses de paiement en espèces étrangères sont sanctionnées d'une nullité d'ordre public excluant toute confirmation, en revanche, les clauses d'indexation sur une monnaie étrangère, servant d'unités de compte, qui respectent les conditions de la réglementation des indexations, telles qu'elles résultent de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, à savoir l'existence d'une « relation directe » entre la monnaie choisie et « l'objet de la convention » ou « l'activité de l'une des parties », sont valables.
Il en résulte que l'activité de banquier de l'une des parties au contrat, s'agissant de faire « commerce d'argent » permet valablement à une banque française d'indexer une obligation résultant d'un prêt sur une monnaie étrangère, même dans une opération purement interne.
En l'espèce, la clause de remboursement du prêt est mentionnée comme suit : « 79 échéances de la contre-valeur en CHF (Francs suisses) de la somme de 15.283,80 euros, soit à titre indicatif 25 099,06 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007, et une échéance de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.284,10 euros, soit à titre indicatif 25.099,55 CHF selon le cours de l'eurodevis à la date du 20 avril 2007 ».
Aussi, le premier juge en a justement déduit que la clause prévue au contrat de prêt litigieux ne prévoit pas de paiement en espèces étrangères, mais une indexation sur une monnaie étrangère servant d'unités de compte, en ajoutant que la relation directe du taux de change avec l'activité de la banque, est suffisamment caractérisée.
Dans ces conditions, il en résulte que la clause de remboursement en monnaie étrangère figurant au prêt est licite.
Dès lors le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Par ailleurs, la SCI Mirebeau fait état de ce que l'emprunt en devises étrangères, à savoir le franc suisse, entraîne pour l'emprunteur un risque caractérisé d'endettement créé par la variation importante et brutale des parités entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, justifiant le prononcé de nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère et partant du contrat de prêt, à défaut de caractère clair et compréhensible de la variation du taux appliqué au contrat.
L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur antérieurement à l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, énonce en son alinéa 1er que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », ajoutant en son alinéa 6 que « les clauses abusives sont réputées non écrites ».
L'alinéa 7 dudit article dispose que « l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Or, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d'« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, couvre une clause contractuelle insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat.
Aussi, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, il y a lieu de constater que le contrat de prêt est libellé en francs suisses selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007 et que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances trimestrielles payées en euros selon un taux d'intérêt révisable lié à l'évolution du taux de change de l'euro en franc suisse à trois mois.
En outre, il ressort de la notice signée par le représentant de la SCI Mirebeau le 25 avril 2007, que si le taux d'intérêt peut paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, il existe un risque de change selon que la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'Euro, ce qui a une incidence sur le coût de ce type de crédit au moment du paiement des intérêts et du remboursement du capital.
Aussi, il en résulte que la clause d'indexation sur une monnaie étrangère servant d'unités de compte représente une prestation essentielle caractérisant le prêt en devise, et que son contenu est au surplus clair et compréhensible.
Dans ces conditions, la SCI Mirebeau ne peut utilement se prévaloir de la nullité de la clause de remboursement en monnaie étrangère pour défaut de clarté et de caractère compréhensible de la variation du taux appliqué au contrat, et partant de la nullité du contrat de prêt.
Sur le manquement du prêteur à son obligation d'information et de mise en garde :
- Sur la prescription :
Selon l'article 2224 du code civil, l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.
En l'espèce, il ressort du courrier du 22 avril 2014 prononçant la déchéance du terme que la SCI Mirebeau restait redevable à cette date d'échéances impayées à hauteur de 20 800,33 euros, de sorte qu'au regard du tableau d'amortissement indicatif versé aux débats, l'impayé non régularisé correspond à l'échéance trimestrielle courante du 10 février 2014.
Aussi, il en résulte que l'action en responsabilité du prêteur pour manquement à son obligation d'information et de mise en garde est recevable.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
- Sur la qualité de professionnel et d'emprunteur averti de la SCI Mirebeau :
La banque dispensatrice de crédit est tenue, lors de l'octroi d'un prêt à un emprunteur non averti, d'une obligation de mise en garde à raison des capacités financières de ce dernier et des risques d'endettement excessif né de l'octroi du prêt, dont relève plus spécifiquement l'obligation d'information sur les risques de variation du taux de change et du taux d'intérêt.
En l'espèce, la CRCAM de Lorraine se prévaut de la qualité d'emprunteur averti de la SCI Mirebeau dans la mesure où son représentant légal, M. C. X., a contracté ce même type de prêt en 2005, et qu'il est le vendeur des biens financés à la SCI.
Le premier juge a justement indiqué que s'agissant d'une personne morale, le caractère averti de l'emprunteur doit s'apprécier en la personne de son représentant légal à la date de conclusion de l'acte.
Au préalable, selon les dispositions combinées des articles L. 312-2 et L. 312-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 applicable au litige, ne relèvent pas des règles propres au crédit immobilier à la consommation, les prêts destinés à financer l'activité professionnelle, fût-elle accessoire, d'une personne physique qui, à titre habituel, procure des immeubles ou fractions d'immeubles en propriété ou en jouissance.
En effet, si l'investissement immobilier locatif d'un particulier peut relever du régime propre au crédit immobilier à la consommation, encore faut-il qu'il ne corresponde à l'exercice d'aucune activité professionnelle, laquelle est couramment définie comme celle « qu'une personne exerce de manière habituelle en vue d'en tirer un revenu lui permettant de vivre ».
Or, l'actuel article liminaire du code de la consommation définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel. »
En l'espèce, la SCI Mirebeau procure en vertu de son objet social « la location de terrains et d'autres biens immobiliers ».
Or, la CRCAM ne justifie pas que la SCI ou ses représentants soient inscrits au RCS en qualité de loueurs professionnels, ni qu'ils aient auparavant procédé à des opérations similaires.
En effet, la preuve n'est pas rapportée que le prêt immobilier de même nature accordé à M. X. le 25 mai 2005, objet de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 4 mars 2021, concernait des immeubles destinés à la location.
Au surplus, il y a lieu de constater que M. X. ne tirait pas de la location des immeubles acquis par la SCI un revenu lui permettant de vivre, dans la mesure où il était enseignant, ce qui lui procurait un salaire dont bénéficiait également Mme T., cogérante de la SCI.
Aussi, il en résulte que le crédit litigieux n'était pas destiné à financer l'activité professionnelle de la SCI Mirebeau, caractérisée par l'acquisition de logements en vue de leur location, ce qui n'est pas exclusif de la qualité de consommateur.
En outre, la souscription par M. X. le 25 mai 2005 d'un autre prêt immobilier soumis à la variation du cours de change suisse par rapport à l'euro ayant des conséquences sur le montant des échéances à payer, ne saurait induire l'acquisition par celui-ci, en sa qualité de représentant de la SCI Mirebeau, d'une connaissance certaine du fonctionnement de ce type de prêt.
En effet, il y a lieu de constater qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 4 mars 2021 ayant eu à statuer sur ce prêt antérieur, que la déchéance du terme a été prononcée à la même date que le prêt litigieux, et que la saisine d'une juridiction a précédé de deux mois celle afférente au présent litige.
Dans ces conditions, la SCI Mirebeau revêt la qualité d'emprunteur non averti.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
- Sur le devoir d'information
La banque dispensatrice de crédit devait informer l'emprunteur sur les caractéristiques du prêt qu'elle lui proposait de souscrire afin de lui permettre de s'engager en toute connaissance de cause.
Selon les dispositions de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lorsque la banque consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.
Il est donc nécessaire de rechercher si la banque a fourni à la SCI Mirebeau des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle elle percevait ses revenus par rapport à la monnaie de compte.
En l'espèce, il ressort du contrat de prêt désigné sous l'appellation « opération devise MLT » qu'il porte sur la contre-valeur en francs suisse (CHF) de la somme de 905.000 euros, soit la somme de 1.486.191,07 CHF selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007, et qu'il est remboursable sur une durée de 240 mois en 80 échéances trimestrielles.
Le contrat précise que la contre-valeur en Franc suisse des échéances est calculée par référence au cours de l'Eurodevise à la date du 20 avril 2007, soit à hauteur de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.283,80 euros pour les 79 premières échéances trimestrielles, suivies d'une échéance de la contre-valeur en CHF de la somme de 15.284,10 euros.
Il est indiqué en outre que les intérêts du crédit sont calculés selon un taux révisable correspondant à celui du taux CHF à trois mois en vigueur au jour de la mise à disposition des fonds augmenté de la marge, étant précisé que le taux CHF est de 2,2450 % au 19 avril 2007, ceci déterminant un taux d'intérêt annuel de 3,1450 % l'an, et un taux effectif global de 3,3316 % l'an, étant précisé que « le TEG est calculé sur la base du taux d'intérêt annuel initial considéré fictivement comme fixe ».
Aussi, le contrat de prêt mentionne expressément l'absence de fixation d'un taux d'intérêt pour la durée du contrat, tel que rappelé plus avant.
De même, les frais de prise de garantie correspondent à la contre-valeur en Franc suisse de la somme de 12.550 euros, et les frais de dossier sont évalués à la contre-valeur en Franc suisse de la somme de 2 500 euros, selon le cours de l'eurodevise à la date du 20 avril 2007.
Dans ces conditions, il convient de considérer que M. X.., ès qualités, a été informé à la date du contrat de prêt de ses caractéristiques et plus précisément d'un taux d'intérêt révisable correspondant à celui du taux CHF à trois mois, ayant ainsi un impact sur le montant de chaque échéance trimestrielle.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que M. X.., ès qualités, a signé le 25 avril 2007 une notice d'information intitulée « prêts en devises », indiquant que « l'emprunteur de devises bénéficie d'un taux d'intérêts, fixé pour une période définie, qui n'est pas lié au marché financier français (...) ce taux peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie, par rapport aux taux des prêts en euros (...), mais attention, ce taux n'est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d'intérêts et du remboursement en capital, la devise a monté ou baissé sur le marché des changes par rapport à l'euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l'emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit ».
Cette notice ajoute « qu'il est important pour l'emprunteur de garder ces éléments à l'esprit pendant toute la durée du prêt », et qu'il est invité « à contacter son agence habituelle s'il devait estimer qu'une couverture de risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune », s'agissant d'un « moyen d'éliminer totalement ou partiellement le risque de change », « dans la mesure où la réglementation des changes en vigueur l'autorise ».
Or, force est de constater que par lettre en date du 13 février 2012, la CRCAM de Lorraine a adressé à M. X. trois propositions de modification du contrat afin d'atténuer ou supprimer le risque de change compte tenu de l'évolution des cours, et que celui-ci n'a pas sollicité la modification du contrat de prêt qui lui était proposée.
Par suite, le prêteur a informé M. X. de la variation du cours de change suisse par rapport à l'euro pouvant présenter un risque de change et pouvant avoir des conséquences sur le montant des échéances à payer par courriers adressés de 2012 à 2016 inclus.
Aussi, il en résulte que M. X. a reçu une information précise sur l'impact de la variation du taux de change du franc suisse en euro sur le montant de l'échéance de remboursement trimestrielle du prêt.
Dans ces conditions, M. X. a été informé des caractéristiques essentielles du prêt liées aux variations du taux de change selon le cours de l'Eurodevise et du taux d'intérêt à trois mois, ayant une incidence sur les modalités de remboursement du crédit aussi bien au regard du montant du capital restant dû que du montant des échéances.
- Sur l'obligation de mise en garde
En outre, il appartient à l'emprunteur qui invoque un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, à raison des capacités financières de ce dernier et des risques d'endettement excessif né de l'octroi du prêt, d'apporter la preuve que le prêt n'était pas adapté à sa situation financière et créait, de ce fait, un tel risque d'endettement excessif.
En l'espèce, la SCI Mirebeau ne justifie pas de sa situation financière à la date du prêt.
Ainsi, la preuve du risque d'endettement excessif de la SCI Mirebau résultant de la souscription du prêt n'est pas rapportée.
Dans ces conditions, M. X. ne peut utilement se prévaloir d'un manquement de la CRCAM de Lorraine à son obligation de mise en garde.
Dès lors, le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement contesté sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La SCI Mirebeau qui succombe à hauteur de cour sera condamnée à payer la CRCAM de Lorraine la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE la SCI Mirebeau de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI Mirebeau à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 1.000 € (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI Mirebeau aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en seize pages.