CA PARIS (pôle 5 ch. 3), 28 septembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9850
CA PARIS (pôle 5 ch. 3), 28 septembre 2022 : RG n° 22/07614
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article 42 du code de procédure civile désigne comme juridiction territorialement compétente celle dans le ressort de laquelle demeure le défendeur, sauf disposition contraire. L'article 48 du même code reconnaît la validité de clauses qui, entre commerçants, dérogent à cette règle de façon apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
En l'espèce, la société Centre Alimentation Vallier ne conteste pas que l'article 17 du contrat de franchise désigne le tribunal de commerce de Créteil. D'ailleurs le contrat d'approvisionnement lié comporte une clause identique en son article 9. La validité de ces clauses n'est pas discutée. Cette compétence du tribunal de commerce de Créteil pourrait cependant céder devant la règle de compétence définie à l'article L. 442-4 III du code de commerce selon lequel « les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ».
Dans son acte introductif d'instance du 9 décembre 2021, et par ses conclusions responsives n° 2 déposées à l'audience du 31 mars 2022, la société Centre Alimentation Vallier demande au fond la condamnation de la société JD Market à lui payer des redevances de location gérance, la restitution du fonds de commerce sous astreinte, et le cas échéant son expulsion, sa condamnation à effectuer les formalités de transfert de son siège social. Aucune de ces prétentions n'est relative à l'application des articles précités du code de commerce en matière de pratiques restrictives de concurrence. Le succès de ces prétentions ne dépend pas de l'application de ces textes.
Il n'est pas prétendu qu'un moyen de défense tiré de l'application de ces textes aurait été opposé à la demande par la société JD Market. Ainsi la position de la société JD Market dans le cadre de la procédure ne justifie pas la nécessité de faire application de ces textes.
La position qu'avait exprimé son conseil avant l'introduction de la procédure au cours de discussions préalables, ne l'oblige pas à invoquer ces textes comme moyen de défense.
Le tribunal de Créteil est donc compétent pour statuer sur le litige, qu'un simple renvoi aurait permis de saisir rapidement après que l'exception d'incompétence a été soulevée dès le début de la procédure, sans l'affecter d'aucun retard significatif. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 3
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07614 (4 pages). N° Portalis 35L7-V-B7G-CFU6E. Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 avril 2022 - Tribunal de Commerce de PARIS.
APPELANTE :
SAS JD MARKET
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro XXX prise en la personne de ses représentants légaux, [Adresse 1], [Localité 2], Représentée par Maître Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334, Assistée de Maître Maroun ABINADER, du cabinet FAITH AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque E2359
INTIMÉE :
SAS CENTRE ALIMENTATION VALLIER
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro YYY prise en la personne de ses représentants légaux, [Adresse 1], [Localité 2], Représentée par Maître Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151, Assistée de Maître Pauline GERMAIN, du cabinet LEXCASE, avocate au barreau de Paris, toque J026, substituant Maître Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de Lyon
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 6 septembre 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Gilles BALAY, Président de chambre, en application des articles 907 et 805 du code de procédure civile, devant la Cour composée de : M. Gilles BALAY, Président de chambre, M. Douglas BERTHE, Conseiller, Mme Emmanuelle LEBEE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Damien GOVINDARETTY
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Gilles BALAY, Président de chambre et par Anaïs DECEBAL,Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Par acte du 8 janvier 2020 la société JD Market a conclu un contrat de location gérance d'un fonds de commerce d'alimentation générale à [Localité 2] avec la société Centre Alimentation Vallier. Par acte du même jour la société JD Market a conclu un contrat d'approvisionnement avec la société Sedifrais et un contrat de franchise avec la société Distribution Franprix.
La société JD Market s'est plainte de fausses informations précontractuelles, et a cherché à négocier des aménagements au contrat auprès du groupe Franprix, et n'a pas pu honorer les échéances des redevances, ce qui a conduit à la résiliation du contrat de location-gérance et à la saisine du tribunal de commerce de Paris à la requête de la société Centre Alimentation Vallier.
La société JD Market a opposé une exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Créteil auquel les différents contrats attribuent compétence par une clause attributive.
Les sociétés Franprix et Sedifrais ont été assignées à comparaître devant le tribunal de Créteil.
Par jugement du 22 avril 2022, le tribunal de commerce de Paris a jugé que la société JD Market était irrecevable en son exception d'incompétence, au motif qu'elle invoquerait ce moyen de procédure de manière déloyale pour retarder la solution du litige, et par application du principe de l'estoppel.
Par déclaration au greffe du 1er mai 2022, la société JD Market a interjeté appel et elle a été autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du 2 mai 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu l'assignation à jour fixe signifiée le 20 juin 2022 et les conclusions annexées à cet acte, par lesquelles la société JD Market demande à la Cour de réformer le jugement entrepris et de déclarer le tribunal de commerce de Créteil seul compétent en renvoyant les parties devant ladite juridiction. Elle demande la condamnation de la société Centre Alimentation Vallier a lui payer la somme de 1.000 € pour frais irrépétibles d'instance et aux dépens avec distraction au profit de son avocat.
Vu les conclusions notifiées le 10 août 2022 par lesquelles la société Centre Alimentation Vallier demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société JD Market de ses prétentions et de la condamner à lui payer la somme de 7.000 € pour frais irrepetibles d'instance ainsi qu'aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures sus visées pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties.
La société Centre Alimentation Vallier soutient que le tribunal de commerce de Paris est compétent, nonobstant la clause contractuelle attribuant compétence au tribunal de commerce de Créteil, en ce qu'elle a demandé au tribunal de constater que le contrat de location gérance ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce, de sorte que cette prétention relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Paris pour l'apprécier. Et elle approuve le tribunal de commerce d'avoir, sans même statuer sur la compétence, jugé irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société JD Market, qui avait elle-même invoqué le moyen tiré du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties par l'intermédiaire de son conseil dans une correspondance antérieure à l'introduction de la procédure, dans le but de s'opposer à la résiliation unilatérale du contrat.
La société JD Market soutient que son exception est recevable, en ce que le principe de l'Estoppel ne peut pas être invoqué en se référant à une position exprimée hors procédure, avant même l'introduction de l'instance, et alors qu'elle n'a jamais changé de position. Elle prétend que l'exception d'incompétence est en outre fondée en raison de la clause attributive de compétence et au motif que la Cour, comme le tribunal, ne peut pas prendre en considération un moyen de défense tiré de l'existence d'un déséquilibre significatif alors qu'elle n'a pas invoqué ce moyen en procédure.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence :
Le moyen d'irrecevabilité tiré de l'application du principe de l'estoppel selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, n'est pas fondé en l'espèce dès lors que la position de la société défenderesse qui lui est opposée pour démontrer sa contradiction, n'a pas été exprimée dans un acte de procédure, mais dans un courrier de son conseil établi avant toute procédure dans le cadre d'une discussion amiable sur le litige.
L'exception d'incompétence est recevable.
Sur la compétence :
L'article 42 du code de procédure civile désigne comme juridiction territorialement compétente celle dans le ressort de laquelle demeure le défendeur, sauf disposition contraire. L'article 48 du même code reconnaît la validité de clauses qui, entre commerçants, dérogent à cette règle de façon apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
En l'espèce, la société Centre Alimentation Vallier ne conteste pas que l'article 17 du contrat de franchise désigne le tribunal de commerce de Créteil. D'ailleurs le contrat d'approvisionnement lié comporte une clause identique en son article 9. La validité de ces clauses n'est pas discutée.
Cette compétence du tribunal de commerce de Créteil pourrait cependant céder devant la règle de compétence définie à l'article L. 442-4 III du code de commerce selon lequel « les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ».
Dans son acte introductif d'instance du 9 décembre 2021, et par ses conclusions responsives n° 2 déposées à l'audience du 31 mars 2022, la société Centre Alimentation Vallier demande au fond la condamnation de la société JD Market à lui payer des redevances de location gérance, la restitution du fonds de commerce sous astreinte, et le cas échéant son expulsion, sa condamnation à effectuer les formalités de transfert de son siège social.
Aucune de ces prétentions n'est relative à l'application des articles précités du code de commerce en matière de pratiques restrictives de concurrence.
Le succès de ces prétentions ne dépend pas de l'application de ces textes.
Il n'est pas prétendu qu'un moyen de défense tiré de l'application de ces textes aurait été opposé à la demande par la société JD Market.
Ainsi la position de la société JD Market dans le cadre de la procédure ne justifie pas la nécessité de faire application de ces textes.
La position qu'avait exprimé son conseil avant l'introduction de la procédure au cours de discussions préalables, ne l'oblige pas à invoquer ces textes comme moyen de défense.
Le tribunal de Créteil est donc compétent pour statuer sur le litige, qu'un simple renvoi aurait permis de saisir rapidement après que l'exception d'incompétence a été soulevée dès le début de la procédure, sans l'affecter d'aucun retard significatif.
Sur les dépens et frais irrépétibles :
La société Centre Alimentation Vallier qui succombe devra supporter les dépens de l'instance d'appel.
En équité, par application de l'article 700 du code de procédure civile, elle devra indemniser la société JD Market de ses frais irrepetibles en lui payant la somme de 1.000 €.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 avril 2022,
Le réforme en toutes ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE recevable l'exception d'incompétence,
Y faisant droit,
DIT que le tribunal de commerce de Créteil est compétent pour statuer sur le présent litige,
ORDONNE le renvoi des parties à comparaître devant ladite juridiction, et la transmission du dossier par le greffe,
CONDAMNE la société Centre Alimentation Vallier à payer à la société JD Market la somme de 1.000 € en indemnisation de ses frais irrepetibles,
La condamne aux dépens et autorise maître Jacques Bellichach à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir de provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT