CJUE (9e ch.), 18 novembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9979
CJUE (9e ch.), 18 novembre 2022 : affaire n° C-138/22
Publication : Site Curia
Extraits : 1/ « 23. En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle-ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure. 24. Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire. ».
2/ « 25. Par la question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si, en présence de deux bases juridiques de droit national permettant de prononcer la nullité des contrats, elle est tenue d’accorder une prééminence à l’une d’entre elles. […]
27. Ainsi, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, la Cour n’est compétente pour se prononcer ni sur l’interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit de l’Union. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 10 janvier 2022, Anatecor, C‑400/21, non publiée, EU:C:2022:30, point 13 et jurisprudence citée). 28. En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, par sa question, la juridiction de renvoi ne vise pas à obtenir l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, mais cherche uniquement à faire trancher un conflit normatif qui oppose, selon cette juridiction, deux règles de droit national. Or, en application de la jurisprudence rappelée au point précédent de la présente ordonnance, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur une telle question.
29. Certes, il incombe à la Cour, en présence de questions formulées de manière impropre ou dépassant le cadre des fonctions qui sont dévolues à la Cour par l’article 267 TFUE, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, ordonnance du 10 janvier 2022, Anatecor, C‑400/21, non publiée, EU:C:2022:30, point 15 et jurisprudence citée). 30. Toutefois, étant donné que la demande de décision préjudicielle porte sur le choix de la base juridique, en droit national, de la nullité des contrats, force est de constater que la décision de renvoi ne contient pas d’éléments permettant de considérer que la solution du litige au principal nécessite l’interprétation d’une règle du droit de l’Union. »
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
NEUVIÈME CHAMBRE
ORDONNANCE DU 18 NOVEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑138/22, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie centre-ville, Pologne), par décision du 18 janvier 2022, parvenue à la Cour le 25 février 2022, dans la procédure
TD, SD
contre
mBank SA
LA COUR (neuvième chambre),
composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend la présente
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Ordonnance :
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), ainsi que des principes d’efficacité et d’équivalence.
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TD et SD à mBank S.A., une banque, au sujet de la restitution de sommes payées sur le fondement de clauses abusives d’un contrat de prêt hypothécaire.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est ainsi libellé :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
4. L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit polonais
5. L’article 58, paragraphes 1 et 3, de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964, no 16), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil »), énonce :
« 1. Un acte juridique contraire à la loi ou visant à contourner la loi est nul et non avenu, à moins qu’une disposition pertinente n’en dispose autrement, notamment qu’elle prévoie que les dispositions invalides de l’acte juridique soient remplacées par les dispositions pertinentes de la loi.
[...]
3. Si une partie seulement de l’acte juridique est frappée de nullité, les autres parties de l’acte restent en vigueur, à moins qu’il ne ressorte des circonstances que l’acte n’aurait pas été exécuté en l’absence des dispositions frappées de nullité. »
6. L’article 3851, paragraphe 1, de ce code prévoit :
« Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas le consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant manifestement atteinte à ses intérêts (clauses illicites). La présente disposition n’affecte pas les clauses qui définissent les prestations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7. Le 27 septembre 2006, TD et SD ont conclu avec mBank un contrat de prêt hypothécaire d’une durée de 360 mois et d’un montant de 160 ;000 zlotys polonais (environ 33 ;923 euros), indexé sur la valeur du franc suisse et avec un taux d’intérêt variable (ci-après le « contrat de prêt »).
8. Aux termes des conditions générales acceptées par TD et SD, le montant du prêt était versé en zlotys polonais selon le taux de change indiqué par mBank, applicable et en vigueur le jour et à l’heure du prélèvement de chaque tranche du crédit. Le taux d’intérêt pouvait changer en cas de modification du taux de référence pour la devise déterminée et de modification des paramètres fiscaux sur le marché monétaire ou des capitaux du pays (ou des États membres de l’Union européenne) dont la devise constitue la base de l’indexation. Conformément aux clauses du contrat de prêt, les mensualités étaient payées en zlotys polonais, selon le taux de change indiqué par mBank en vigueur le jour de l’échéance de chaque paiement d’un montant découlant dudit contrat de prêt (ci-après les « clauses de conversion »). Le remboursement anticipé de l’ensemble du crédit ou des échéances, y compris un remboursement supérieur au montant de l’échéance, pouvait s’effectuer selon le taux de change du jour de l’échéance et de l’heure du paiement.
9. TD et SD ont conclu trois avenants au contrat de prêt, en 2007, en 2010 et en 2013, respectivement. Par ce dernier avenant, TD et SD ont été autorisées à rembourser le prêt en francs suisses.
10. Le prêt a été versé à TD et à SD en quatre tranches, à savoir les 6 octobre 2006, 27 novembre 2006, 23 avril 2007 et 24 juillet 2007. Jusqu’au 10 février 2013, TD et SD ont remboursé le prêt en zlotys polonais et, à partir du 10 mars 2013, en francs suisses.
11. Le 20 avril 2020, TD et SD ont demandé à mBank la suppression de certaines clauses qu’elles considéraient abusives et fait valoir que le contrat de prêt était, en tout état de cause, contraire à la loi et, par conséquent, nul.
12. Le 25 mai 2020, mBank a rejeté ladite demande en estimant que le contrat de prêt était légal et qu’il ne contenait pas de clauses abusives.
13. TD et SD ont introduit, le 29 juin 2020, un recours auprès de la juridiction de renvoi par lequel elles soutiennent, d’une part, que les clauses de conversion ainsi que la clause relative au taux de change variable figurant dans leur contrat de prêt sont abusives, et, d’autre part, que le contrat est contraire à la loi et, de ce fait, nul.
14. Le 10 août 2020, TD et SD ont déclaré, par écrit, avoir compris et accepté les conséquences de l’annulation du contrat de prêt dans son intégralité. Le 27 octobre 2020, elles ont été personnellement informées de ces conséquences lors d’une audience devant la juridiction de renvoi et elles ont maintenu leur déclaration écrite.
15. La juridiction de renvoi souligne que, selon une jurisprudence nationale dominante, les clauses de conversion sont illicites en vertu de l’article 3851, paragraphe 1, du code civil. La présence de telles clauses rendant l’exécution du contrat impossible, elle entraînerait la nullité de celui-ci dans son intégralité.
16. La juridiction de renvoi précise que les juridictions nationales considèrent que les contrats contenant des clauses prévoyant des taux d’intérêt variables, jugées abusives, sont frappés de nullité. En revanche, il existerait des divergences entre ces juridictions quant à la question de savoir si une telle nullité est absolue, comme le prévoit l’article 58, paragraphes 1 et 3, du code civil, ou si elle résulte de la suppression de cette clause abusive, conformément à l’article 3851, paragraphe 1, de ce code.
17. La juridiction de renvoi souligne que, dans les deux cas de figure, la nullité de l’intégralité du contrat concerné opère ex tunc, mais ses effets diffèrent selon qu’elle est prononcée sur le fondement de l’article 58, paragraphes 1 et 3, du code civil, ou de l’article 3851, paragraphe 1, de ce code.
18. Selon cette juridiction, une partie importante des juridictions nationales considère, conformément à la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), qu’une clause contractuelle contraire à des dispositions impératives au sens de l’article 58, paragraphe 1, du code civil ne peut pas être considérée comme illicite sur le fondement de l’article 3851, paragraphe 1, dudit code.
19. Cette juridiction s’interroge sur la compatibilité de cette jurisprudence avec la directive 93/13, compte tenu, d’une part, du droit des consommateurs de ne pas se prévaloir de la directive 93/13 et, d’autre part, des délais de prescription moins favorables, tant pour les consommateurs que pour les professionnels, s’agissant des actions fondées sur l’article 58, paragraphe 1, du code civil.
20. À cet égard, la juridiction de renvoi considère que les dispositions de la directive 93/13 ne s’opposent pas à ce que la nullité absolue d’un contrat soit prononcée en vertu de l’article 58, paragraphe 1, du code civil, excluant ainsi l’application de l’article 3851, paragraphe 1, dudit code.
21. Cependant, cette juridiction estime nécessaire d’interroger la Cour afin de vérifier cette appréciation et de déterminer si le choix de la base juridique de la nullité peut être laissé au consommateur.
22. Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie centre-ville, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 [...] et les principes d’effectivité et d’équivalence doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsqu’il existe à la fois des motifs d’annulation d’un contrat en raison de la présence de clauses contractuelles illicites (article 3851, paragraphe 1, du code civil) et des motifs d’annulation d’un contrat en raison de la présence de dispositions contraires à la loi (article 58, paragraphes 1 et 3, du code civil), la juridiction nationale doit toujours déclarer la nullité absolue du contrat, de sorte que les dispositions de la directive 93/13 [...] ne s’appliquent pas à ce contrat, ou [faut-il] laisser au consommateur le soin de décider si un contrat peut être considéré comme frappé de nullité absolue [ ?] »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur la compétence de la Cour :
23. En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque celle-ci est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
24. Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
25. Par la question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si, en présence de deux bases juridiques de droit national permettant de prononcer la nullité des contrats, elle est tenue d’accorder une prééminence à l’une d’entre elles.
26. À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que, aux termes d’une jurisprudence constante, si les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, il n’en demeure pas moins que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation de ce droit qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (voir, en ce sens, ordonnance du 7 avril 2022, J.P., C‑521/20, non publiée, EU:C:2022:293, point 17 et jurisprudence citée).
27. Ainsi, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, la Cour n’est compétente pour se prononcer ni sur l’interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit de l’Union. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 10 janvier 2022, Anatecor, C‑400/21, non publiée, EU:C:2022:30, point 13 et jurisprudence citée).
28. En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, par sa question, la juridiction de renvoi ne vise pas à obtenir l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, mais cherche uniquement à faire trancher un conflit normatif qui oppose, selon cette juridiction, deux règles de droit national. Or, en application de la jurisprudence rappelée au point précédent de la présente ordonnance, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur une telle question.
29. Certes, il incombe à la Cour, en présence de questions formulées de manière impropre ou dépassant le cadre des fonctions qui sont dévolues à la Cour par l’article 267 TFUE, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, ordonnance du 10 janvier 2022, Anatecor, C‑400/21, non publiée, EU:C:2022:30, point 15 et jurisprudence citée).
30. Toutefois, étant donné que la demande de décision préjudicielle porte sur le choix de la base juridique, en droit national, de la nullité des contrats, force est de constater que la décision de renvoi ne contient pas d’éléments permettant de considérer que la solution du litige au principal nécessite l’interprétation d’une règle du droit de l’Union.
31. Par conséquent, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie centre-ville).
Sur les dépens :
32. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :
La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question préjudicielle posée par le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (tribunal d’arrondissement de Varsovie centre-ville, Pologne), par décision du 18 janvier 2022.
Signatures
* Langue de procédure : le polonais.
Langue faisant foi : polonais
- 5806 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (5) - Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 - Décret n° 2009-302 du 18 mars 2009
- 5985 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Ordre logique des sanctions - Présentation générale