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CA DOUAI (1re ch. sect. 2), 1er décembre 2022

Nature : Décision
Titre : CA DOUAI (1re ch. sect. 2), 1er décembre 2022
Pays : France
Juridiction : Douai (CA), ch. 1 sect. 2
Demande : 21/01313
Date : 1/12/2022
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 2/03/2021
Référence bibliographique : 5836 (domaine, contrat par acte notarié), 6493 (Vefa, délai de livraison)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9983

CA DOUAI (1re ch. sect. 2), 1er décembre 2022 : RG n° 21/01313 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Il est mentionné dans une parties intitulée « conditions d'exécution des travaux » des contrats de vente conclus par la société Bouygues immobilier en qualité de vendeur et Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., Y. et X. en qualité d'acquéreurs : « (…) L'acquéreur s'interdit de s'immiscer dans les opérations de construction à la charge du vendeur et de se prévaloir de sa qualité de propriétaire pour donner des instructions aux architectes et entrepreneurs et aux divers intervenants à l'opération de construction. L'acquéreur devra, de son côté, supporter les inconvénients et sujétions nécessaires pour parvenir à la parfaite et définitive finition du chantier et ne pourra exercer de ce fait, aucun recours contre le vendeur jusqu'à parfait achèvement. (...) »

Selon la société Bouygues immobilier, cette clause interdit aux acquéreurs d'agir en justice à l'encontre du vendeur afin d'obtenir la livraison de l'immeuble et l'indemnisation du préjudice causé par le retard de livraison tant que le bien n'est pas achevé.

Aux termes des dispositions de l'article 1601-1 du code civil : « La vente d'immeubles à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat. Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement. »

Aux termes des dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation : « […] »  Aux termes des dispositions de l'article R. 212-1 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l'article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) 6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations »

Aux termes des dispositions de l'article R. 212-2 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : 1° Prévoir un engagement ferme du consommateur, alors que l'exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté (...) ; 10° Supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges. »

Le vendeur ne conteste pas le fait qu'il soit un professionnel et que les acquéreurs soient des consommateurs. Les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation sont en conséquences applicables.

Contrairement à ce que soutient la société Bouygues Immobilier, la clause litigieuse n'interdit pas à l'acquéreur, qui prétend que le délai de livraison de l'immeuble fixé au contrat est dépassé, d'agir en justice pour obtenir la livraison l'immeuble et l'indemnisation du préjudice causé par le retard subi tant que l'immeuble n'est pas achevé.

Dans l'hypothèse où cette clause devait être interprétée de la sorte, elle constituerait une clause ayant pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice par le consommateur. En effet, cette clause interdit à l'acquéreur d'agir en justice pour contraindre le vendeur à respecter son obligation de livraison de l'immeuble ou à obtenir l'indemnisation de préjudice causé par le retard de livraison tant que l'immeuble n'a pas été achevé et en conséquence tant que le vendeur n'a pas respecté son obligation d'édifier l'immeuble. Contrairement à ce que soutient la société Bouygues immobilier, l'intérêt de l'acquéreur à demander que soit exécutée l'obligation de livraison de l'immeuble tout comme le préjudice subi par l'acquéreur en raison du retard à la livraison de l'immeuble naît dès que le délai de livraison prévu au contrat est dépassé. De plus, à partir du moment où la date de livraison prévue au contrat est dépassée, le retard subi ne peut plus être rattrapé. En outre, l'action des acquéreurs tendant à obtenir la livraison de l'immeuble sous astreinte et à obtenir réparation du préjudice causé pas le retard dans la livraison n'est pas de nature à entraver la construction de l'immeuble. La clause telle interprétée par la société Bouygues immobilier est abusive.

Les demandes de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., Y. et X. seront déclarées recevables. Le jugement sera infirmé de ce chef. »

2/ « Aux termes des dispositions du contrat : constitue une cause légitime de suspension de délai la cessation de paiement, l'admission au régime de sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants (si l'admission au régime de sauvegarde, du redressement ou de la liquidation judiciaire survient dans le délai de réalisation du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même tous ses effets).

Les acquéreurs font valoir que cette clause est abusive en ce qu'elle prévoit que le délai de livraison est suspendu par le placement en liquidation judiciaire du sous-traitant d'une entreprise.

Il convient cependant de constater que cette clause n'a pas pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle ne constitue pas une clause abusive. »

3/ « La société Bouygues immobilier ne pouvait ignorer que le sous-traitant avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire récente. Cependant, rien n'interdit au maître de l'ouvrage d'agréer un sous-traitant ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Le fait de confier des travaux à une société étant ou ayant été placée en redressement judiciaire ne constitue pas, en soi, une faute. L'agrément d'un sous-traitant ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire n'interdit pas au maître d'ouvrage d'invoquer la clause de suspension du délai dans l'hypothèse où ce sous-traitant serait placé en liquidation judiciaire. »

4/ « Les acquéreurs font valoir que les défaillances techniques ne constituent pas des défaillances de l'entreprise au sens de la clause contractuelle. Dans l'hypothèse où la clause devait être interprétée en ce sens, elle constituerait, selon les acquéreurs, une clause abusive.

En l'espèce, la clause relative aux causes légitimes de suspension du délai mentionne deux causes distinctes de suspension : - la cessation de paiement, l'admission au régime de sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitant - la défaillance des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants.

Il en résulte que la défaillance de l'entreprise ne s'analyse pas en une défaillance économique. Elle peut en conséquence résulter du retard des travaux réalisés par l'entreprise, de son abandon du chantier mais également des désordres affectant les travaux réalisés par cette dernière et de la nécessité de pourvoir à leur réparation.

Cette clause n'a pas pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle ne constitue pas une clause abusive. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 1er DÉCEMBRE 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/01313. N° Portalis DBVT-V-B7F-TPSH. Jugement (R.G. n° 20/07059) rendu le 4 février 2021 par le tribunal judiciaire de Lille.

 

APPELANTS :

Madame X. épouse Y.

née le [date] à [Localité 8]

Monsieur Y.

né le [date] à [Localité 26]

demeurant ensemble [Adresse 1], [Localité 12]

Monsieur Z.

né le [date] à [Localité 23]

Madame W.

née le [date] à [Localité 22]

demeurant ensemble [Adresse 2], [Localité 14]

Monsieur V.

né le [date] à [Localité 30]

Madame U.

née le [date] à [Localité 20]

demeurant ensemble [Adresse 3], [Localité 9]

Monsieur T.

né le [date] à [Localité 25]

Madame S.

née le [date] à [Localité 8], demeurant ensemble [Adresse 5], [Localité 13]

Monsieur R.

né le [date] à [Localité 27]

Madame Q.

née le [date] à [Localité 31], demeurant ensemble [Adresse 7], [Localité 8]

Monsieur P

né le [date] à [Localité 29]

Madame O.

née le [date] à [Localité 28], demeurant ensemble [Adresse 4], [Localité 10]

Monsieur N.

né le [date] à [Localité 21]

Madame M.

née le [date] à [Localité 25]

demeurant ensemble [Adresse 15], [Localité 11],

représentés par Maître Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistés de Maître Nicolas Papiachvili, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

 

INTIMÉE :

La SAS Bouygues Immobilier

prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social [Adresse 6], [Localité 16], représentée par Maître Réza-Jean Nassiri, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Maître Jérôme Martin, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Catherine Bolteau-Serre, président de chambre, Sophie Tuffreau, conseiller, Jean-François Le Pouliquen, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anais Millescamps

DÉBATS à l'audience publique du 20 juin 2022 après rapport oral de l'affaire par Sophie Tuffreau. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 20 octobre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Jean-François Le Pouliquen, conseiller en remplacement de Catherine Bolteau-Serre, président, et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 4 février 2021 ;

Vu la déclaration d'appel de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U. reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 2 mars 2021 ;

Vu la déclaration d'appel de M. Y. et Mme X. reçue au greffe de la cour d'appel le 10 mars 2021.

Vu les conclusions de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X. déposées au greffe le 21 février 2022 ;

Vu les conclusions de la société Bouygues immobilier déposées au greffe le 17 mars 2022 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 25 avril 2022 ;

 

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Bouygues Immobilier a entrepris en qualité de maître de l'ouvrage une opération de construction de logements d'habitation dénommée « [Adresse 24] » comprenant 70 maisons individuelles et 22 logements collectifs sur un terrain lui appartenant sis à [Localité 19] [Adresse 17] et destinés à être vendus en état futur d'achèvement.

Le lot gros-œuvre a été confié à la société ATB qui a sous-traité les travaux à la société MCBI. La maîtrise d'œuvre d'exécution a été confiée à la société Octa.

Les 92 logements ont été vendus sous le régime de la VEFA.

Ainsi se sont portés acquéreurs :

R. et Q. : lot n° 1,tranche 1, maison individuelle,

Z. et W. : lot n° 3 tranche 1, maison individuelle,

T. et S., lot n° 4, tranche 1, maison individuelle,

P et O., lot n° 5, tranche 1, maison individuelle,

N. et M., lot n° 7, tranche 1, maison individuelle,

V. et U., lot n° 10, tranche 1, maison individuelle,

Y. et X., appartement A 04 au sein de l'immeuble collectif et une place de parking n° 4.

Les ouvrages devaient être livrés par tranches aux dates prévisionnelles suivantes: tranche 1: 30 juin 2019 et immeuble collectif au 30 septembre 2019. Ils n'ont pas été livrés à ces dates.

Par ordonnance du 23 décembre 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille a ordonné une expertise confiée à M. G., à la demande de la société Bouygues Immobilier et au contradictoire de la société Octa architecture, son assureur la société Mutuelle des architectes français, la société Bureau veritas, son assureur, la société QBE european services LTD, la société ATB, son assureur la Smabtp, la société MCBI prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la société Lloyd's insurance company en qualité d'assureur de la société MCBI et de la société Bureau véritas, la société Nord Littoral ingénierie.

Par acte d'huissier du 20 février 2020, plusieurs acquéreurs dont les sus- mentionnés ont saisi le juge des référés pour obtenir la condamnation de la société Bouygues Immobilier à procéder à la livraison des biens acquis dans les 30 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 400 euros par jour de retard passé ce délai et pour une durée de 5 mois, et à leur payer diverses sommes provisionnelles au titre de leurs préjudices.

Par ordonnance du 31 Juillet 2020, le juge des référés a retenu l'existence d'une contestation sérieuse mais a condamné à titre provisionnel la société Bouygues Immobilier à payer aux acquéreurs certaines sommes en fonction de la tranche concernée.

Il n'a pas été interjeté appel de cette ordonnance.

Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X. ont le 22 octobre 2020, obtenu l'autorisation de faire assigner à jour fixe la société Bouygues immobilier pour l'audience du 3 décembre 2020.

Ils demandaient notamment au tribunal de :

- juger que les lots n° 1, 3, 4, 5, 7, 10 et le lot A04 de l'immeuble collectif ne sont pas livrés,

- dire que ce retard engage la responsabilité contractuelle de la société Bouygues Immobilier et condamner celle-ci à :

- procéder à la livraison des différents lots dans un délai maximum de 90 jours à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 400 euros par jour de retard passé ce délai et pour une durée de 10 mois,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- condamner la société Bouygues Immobilier à leur payer à titre individuel diverses sommes au titre de l'indemnisation du préjudice de retard.

Par jugement du 4 février 2021, le tribunal judiciaire de Lille a :

- déclaré irrecevable l'action engagée par R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X.

- constaté que la demande de restitution des provisions n'a pas été formée en tout état de cause et que cette demande n'a donc pas à être examinée,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- écarté les dispositions relatives à l'exécution provisoire de droit

- laisser les dépens à la charge des demandeurs.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 2 mars 2021, Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., ont interjeté appel de cette décision.

L'affaire a été enrôlée sous le numéro 21-01313.

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Douai le 10 mars 2021, Y. et X. ont formé appel de cette décision.

L'affaire a été enrôlée sous le numéro 21-01472.

Les instances ont été jointes par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 2 septembre 2021.

[*]

Dans leurs conclusions déposées au greffe le 21 février 2022, R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X., ci-après les acquéreurs, demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré leur action irrecevable et, statuant à nouveau, de :

- débouter la société Bouygues immobilier de l'ensemble de ses demandes

- juger que l'appartement n° AO 4 et la place de parking n° 4 appartenant à Monsieur Y. et Madame X. n'ont pas été livrés

- condamner la société Bouygues immobilier à la livraison dans un délai maximum de 90 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 400 euros par jour de retard passé ce délai pour une durée de 10 mois

- se réserver la liquidation de l'astreinte

- condamner la société Bouygues immobilier à payer au titre du préjudice de retard les sommes de :

- 40.599,60 euros à N. et M.

- 25.987,83 euros à Z. et W.

- 13.530,74 euros à V. et U.

- 14.741,96 euros à T. et S.

- 30.283,76 euros à R. et Q.

- 33.976,95 euros à P et O.

- 27.560 euros à Y. et X.

- condamner la société Bouygues immobilier à payer au titre des frais irrépétibles les sommes de :

-   euros à N. et M.

- 3.500 euros à Z. et W.

- 3.500 euros à V. et U.

- 3.500 euros à T. et S.

- 3.500 euros à R. et Q.

- 3.500 euros à P et O.

- 3.500 euros à Y. et X.

-condamner la société Bouygues immobilier aux entiers frais et dépens.

[*]

Dans ses conclusions déposées au greffe le 17 mars 2022, la société Bouygues immobilier demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action engagée par les acquéreurs.

À titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- débouter les acquéreurs de l'ensemble de leurs demandes

- les condamner à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'ils ont perçues en exécution de l'ordonnance de référé du 31 juillet 2020

À titre infiniment subsidiaire,

- limiter les postes de préjudice aux seuls intérêts intercalaires et frais d'assurance de prêts qui ont couru sur les périodes de décalage respectives de livraison de chacun des acquéreurs

-fixer en conséquence le quantum des préjudices allégués aux sommes suivantes :

* 351,72 euros à N. et M.

* 1.997,04 euros à Z. et W.

* 781,80 euros à T. et S.

* 2.712,24 euros à R. et Q.

* 4.100,06 euros à P et O.

- débouter les appelants de leurs demandes au titre des frais irrépétibles et les condamner aux dépens.

[*]

Par note en délibéré reçue le 27 juin 2022, l'avocat de M. Y. et Mme X. a indiqué qu'ils ont été livrés de leur appartement et que ces derniers se désistent exclusivement de leur demande de condamnation de Bouygues bâtiment à une livraison sous astreinte.

Par note en délibéré du 5 juillet 2022, l'avocat de la société Bouygues immobilier a indiqué accepté le désistement sur ce point.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DES MOTIFS :

I) Sur la recevabilité des demandes de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., Y. et X. :

Il est mentionné dans une parties intitulée « conditions d'exécution des travaux » des contrats de vente conclus par la société Bouygues immobilier en qualité de vendeur et Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., Y. et X. en qualité d'acquéreurs :

« (…) L'acquéreur s'interdit de s'immiscer dans les opérations de construction à la charge du vendeur et de se prévaloir de sa qualité de propriétaire pour donner des instructions aux architectes et entrepreneurs et aux divers intervenants à l'opération de construction.

L'acquéreur devra, de son côté, supporter les inconvénients et sujétions nécessaires pour parvenir à la parfaite et définitive finition du chantier et ne pourra exercer de ce fait, aucun recours contre le vendeur jusqu'à parfait achèvement. (...) »

Selon la société Bouygues immobilier, cette clause interdit aux acquéreurs d'agir en justice à l'encontre du vendeur afin d'obtenir la livraison de l'immeuble et l'indemnisation du préjudice causé par le retard de livraison tant que le bien n'est pas achevé.

Aux termes des dispositions de l'article 1601-1 du code civil : « La vente d'immeubles à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat.

Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement. »

Aux termes des dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies. »

Aux termes des dispositions de l'article R. 212-1 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l'article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...)

6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations »

Aux termes des dispositions de l'article R. 212-2 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :

1° Prévoir un engagement ferme du consommateur, alors que l'exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté (...) ;

10° Supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges. »

Le vendeur ne conteste pas le fait qu'il soit un professionnel et que les acquéreurs soient des consommateurs. Les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation sont en conséquences applicables.

Contrairement à ce que soutient la société Bouygues Immobilier, la clause litigieuse n'interdit pas à l'acquéreur, qui prétend que le délai de livraison de l'immeuble fixé au contrat est dépassé, d'agir en justice pour obtenir la livraison l'immeuble et l'indemnisation du préjudice causé par le retard subi tant que l'immeuble n'est pas achevé.

Dans l'hypothèse où cette clause devait être interprétée de la sorte, elle constituerait une clause ayant pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice par le consommateur. En effet, cette clause interdit à l'acquéreur d'agir en justice pour contraindre le vendeur à respecter son obligation de livraison de l'immeuble ou à obtenir l'indemnisation de préjudice causé par le retard de livraison tant que l'immeuble n'a pas été achevé et en conséquence tant que le vendeur n'a pas respecté son obligation d'édifier l'immeuble. Contrairement à ce que soutient la société Bouygues immobilier, l'intérêt de l'acquéreur à demander que soit exécutée l'obligation de livraison de l'immeuble tout comme le préjudice subi par l'acquéreur en raison du retard à la livraison de l'immeuble naît dès que le délai de livraison prévu au contrat est dépassé. De plus, à partir du moment où la date de livraison prévue au contrat est dépassée, le retard subi ne peut plus être rattrapé. En outre, l'action des acquéreurs tendant à obtenir la livraison de l'immeuble sous astreinte et à obtenir réparation du préjudice causé pas le retard dans la livraison n'est pas de nature à entraver la construction de l'immeuble. La clause telle interprétée par la société Bouygues immobilier est abusive.

Les demandes de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., Y. et X. seront déclarées recevables. Le jugement sera infirmé de ce chef.

 

II) Sur le bien-fondé des demandes des acquéreurs :

Il convient de constater le désistement de la demande de M. Y. et Mme X. tendant à obtenir la livraison sous astreinte de l'immeuble.

La cour n'est plus saisie de demandes relatives à la livraison des immeubles, l'ensemble des immeubles ayant été livrés.

Les acquéreurs font valoir que les immeubles ont été livrés avec retard et demandent l'indemnisation du préjudice subi. La société Bouygues immobilier ne conteste pas que les immeubles n'ont pas été livrés à la date fixée aux différents contrats. Elle soutient que les retards subis par les acquéreurs sont justifiés par des causes de suspension du délai figurant aux contrats.

Parmi les acquéreurs, seuls M. Y. et Mme X. ont acquis un appartement dans un ensemble immobilier. Les autres acquéreurs ont acquis des maisons individuelles.

L'immeuble de M. N. et Mme M. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 1er juillet 2021, 732 jours plus tard.

L'immeuble de M. Z. et Mme W. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 22 juillet 2021, 753 jours plus tard.

L'immeuble de M. V. et Mme U. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 6 août 2021, 768 jours plus tard.

L'immeuble de M. T. et Mme S. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 24 juin 2021, 726 jours plus tard.

L'immeuble de M. R. et Mme Q. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 24 juin 2021, 725 jour plus tard.

L'immeuble de M. P et Mme O. devait être livré le 30 juin 2019 et a été livré le 7 juillet 2021, 743 jours plus tard.

L'immeuble de M. Y. et Mme X. devait être livré le 30 septembre 2019 et a été livré 30 mars 2022, 912 jours plus tard.

Les contrats conclus entre les parties mentionnent dans une partie intitulée délai d'exécution des travaux : Le vendeur s'oblige à poursuivre les travaux de telle manière que les ouvrages et éléments définis ci-dessus à l'article « Engagement d'achever les travaux » soient achevés et les biens immobiliers livrés dans les délais stipulés audit article sauf cas de force majeur ou causes légitimes de suspension de délai selon cas limitativement énumérés ci-dessous :

- les intempéries et phénomènes climatiques retenus par le maître d'œuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier,

- les grèves (qu'elles soient générales, particulières au secteur du bâtiment et à ses industries annexes ou à ses fournisseurs ou spéciales aux entreprises travaillant sur le chantier), ou encore la grève du secteur socio professionnel des transports

- la cessation de paiement, l'admission au régime de sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants (si l'admission au régime de sauvegarde, du redressement ou de la liquidation judiciaire survient dans le délai de réalisation du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même tous ses effets)

- la défaillance des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants (la justification pourra être rapportée par le vendeur à l'acquéreur au moyen de la production de la copie de toute lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le maître d'œuvre à l'entrepreneur défaillant.)

- la recherche ou la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une ou plusieurs entreprises défaillantes, notamment en redressement ou en liquidation judiciaire,

- les injonctions administratives ou judiciaires de suspendre totalement ou partiellement le chantier ou d'arrêter les travaux (à moins que lesdites injonctions ne soient fondées sur des fautes imputables au maître d'ouvrage)

- la recherche et/ou la découverte de vestiges archéologiques dans le terrain d'assiette ainsi que toutes prescriptions ordonnées par les services administratifs compétents en matière d'archéologie

- la résiliation d'un marché de travaux due à la faute de l'une des entreprises effectuant les travaux

- la découverte de zones de pollution ou de contaminations des terrains d'assiette de l'opération ou d'anomalies de sous-sol (telles que notamment présence de source ou résurgence d'eau, nature hétérogène du terrain aboutissant à des remblais spéciaux ou des fondations spécifiques ou à des reprises en sous œuvre des immeubles voisins, découverte de site archéologique), et plus généralement tous éléments dans le sous-sol susceptibles de nécessiter des travaux non programmés complémentaires ou nécessitant un délai complémentaire pour leur réalisation autres que celles révélées dans un éventuel rapport d'audit des sols établi préalablement au démarrage du chantier.

- les troubles résultant d'hostilité, attentats, cataclysmes, accidents de chantier, incendie, inondations

- les retards imputables aux compagnies concessionnaires (EDF, GDF, compagnie des eaux, France télécom etc.),

- les retards de travaux imputables à l'aménageur de la ZAC, ou au lotisseur, le cas échéant

- les difficultés d'approvisionnement dont celles qui résulteraient de vols, dégradation ou acte de vandalisme dont le chantier et les entreprises y intervenant seraient victimes, et à la reprise des dommages ainsi causés

- l'incidence de la demande de travaux complémentaires ou modificatifs par l'acquéreur et acceptée par le vendeur

- les retards de paiement de l'acquéreur dans le règlement des appels de fonds concernant tant la partie principale du prix et des intérêts de retard que celle correspondant aux options, aux éventuels travaux complémentaires ou modificatifs que le vendeur aurait accepté de réaliser.

S'il survenait un cas de force majeure ou une cause légitime de suspension de délai de livraison, l'époque prévue pour l'achèvement des travaux serait différée d'un temps égal à celui pour lequel l'événement considéré et ses répercussions aurait mis obstacle à la poursuite des travaux.

Pour l'application des événements, ci-dessus évoqués, les parties d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d'œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus, sauf en ce qui concerne les retards de paiement de l'acquéreur dans le règlement des appels de fonds. »

 

A) Sur les intempéries :

La société Bouygues immobilier allègue de la survenance de 164 jours d'intempéries du mois d'avril 2018 date de démarrage des travaux jusqu'au mois de mai 2021.

Elle s'appuie sur des attestations établies par le maître d'œuvre d'exécution datées du 14 février 2020, 1er décembre 2020 et 17 juin 2021 et des attestations d'intempéries établies par AGATE météo pour la période considérée.

Ce mode de preuve est conforme à l'accord des parties contenus dans les contrats de vente aux termes desquels :

- Constituent des causes légitimes de suspension de délai les intempéries et phénomènes climatiques retenus par le maître d'œuvre et justifiés par les relevés de la station météorologique la plus proche du chantier ;

-Pour l'application des événements, ci-dessus évoqués, les parties d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d'œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus.

Les attestations établies par le maître d'œuvre d'exécution ne peuvent être écartées au motif qu'elle constituerait une preuve que le maître d'ouvrage se constituerait à lui-même dès lors que ce mode de preuve a expressément été convenu entre les parties.

Contrairement à ce que soulèvent les acquéreurs, le maître d'œuvre n'a pas retenu de dimanches comme jour d'intempéries. Les attestations de AGATE météo listent l'ensemble des jours d'intempéries pendant la période considérée. Le maître d'œuvre ne les a pas tous retenus et n'a notamment pas retenu les dimanches.

Les jours pouvant être qualifiés de jours d'intempéries ne sont pas définis par le contrat liant les parties ce dernier renvoyant à l'appréciation du maître d'œuvre et aux relevés de la station météorologique. Il convient de constater que les attestations d'AGATE météo indiquent qu'une journée est classée en intempéries si : pluie supérieure à 10 mm et/ou rafales supérieures à 60 km/h (grues à tour) et/ou températures inférieures à 0. Ces critères apparaissent pertinents pour qualifier une intempérie.

Les pages du site internet « météo net » produites aux débats par les acquéreurs pour les journées des 28 avril 2018, 11 octobre 2018, 19 mars 2019 et 14 octobre 2019 ne sont pas suffisants à remettre en cause les attestations AGATE météo produites aux débats par la société Bouygues immobilier.

Il convient en conséquence de constater l'existence d'intempéries justifiant de l'interruption des travaux pendant une durée de 164 jours du mois d'avril 2018 au mois de mai 2021.

La société Bouygues immobilier ne justifie pas de la survenance des jours d'intempéries postérieurement au mois de mai 2021.

La société Bouygues immobilier fait valoir qu'un coup de vent violent est survenu le 10 mars 2019 et a emporté le mur pignon de 4 pavillons dont celui des consorts N./M. (MM05) et P/O. (MM3). Selon la société Bouygues immobilier cet événement a fait l'objet d'une déclaration de sinistre auprès de l'assureur TRC : lequel a mis en place une expertise amiable d'assurance et a pris une position de garantie selon courrier du 28 octobre 2019.

La chute des pignons des logements est attestée par le maître d'œuvre d'exécution dans une attestation du 21 mars 2019. L'attestation de AGATE météo fait état d'une intempérie pour rafale le 10 mars 2019. La société Bouygues immobilier produit un courrier de la société Allianz indiquant avoir accepté sa garantie par courrier du 23 juillet 2019 et communicant une copie de rapport d'expertise définitif de l'expert d'assurance du 7 octobre 2019 et une copie du rapport de vérification de l'économiste de la construction du 2 octobre 2019. Ces rapports ne sont pas produits.

Le sinistre survenu le 10 mars 2019 est en conséquence établi. Cependant, le délai nécessaire à la reprise des désordres causés par une intempérie ou un phénomène météorologique ne fait pas partie des causes légitimes de suspension des délais prévu au contrat. Le délai n'est suspendu que pendant la durée des intempéries et des phénomènes météorologiques en ce qu'ils empêchent la poursuite des travaux. De plus, la société Bouygues immobilier ne justifie pas du délai nécessaire à la reprise des désordres causés par le coup de vent. Elle invoque le délai nécessaire pour obtenir l'indemnisation du coût des travaux de reprise par sa compagnie d'assurance. Or l'indemnisation du coût des travaux de reprise par la compagnie d'assurance ne constituait pas un préalable indispensable à la poursuite des travaux par la société Bouygues immobilier qui pouvait réaliser immédiatement les travaux de reprise.

 

B) Sur la liquidation judiciaire du sous-traitant et la désignation de l'entreprise de remplacement :

Aux termes des dispositions du contrat : constitue une cause légitime de suspension de délai la cessation de paiement, l'admission au régime de sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants (si l'admission au régime de sauvegarde, du redressement ou de la liquidation judiciaire survient dans le délai de réalisation du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même tous ses effets).

Les acquéreurs font valoir que cette clause est abusive en ce qu'elle prévoit que le délai de livraison est suspendu par le placement en liquidation judiciaire du sous-traitant d'une entreprise.

Il convient cependant de constater que cette clause n'a pas pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle ne constitue pas une clause abusive.

En l'espèce, la société MCBI, sous-traitante de la société ATB, titulaire du lot gros œuvre a été placée en liquidation judiciaire le 23 avril 2019.

Les acquéreurs font valoir que le vendeur a commis une faute en agréant ce sous-traitant alors que la société MCBI avait été placée en redressement judiciaire le 17 octobre 2016 et avait fait l'objet d'un plan de redressement judiciaire par jugement du 02 octobre 2017. De plus, ils font valoir que l'un des associés de la société MCBI, M. XX a été condamné à 12 mois d'emprisonnement et 5.000 euros d'amende pour fraude à la TVA par jugement du tribunal correctionnel de Valenciennes du 26 avril 2018.

La société MCBI a été agréée par la société Bouygues immobilier le 18 avril 2018. A cette date, la procédure de redressement judiciaire avait été clôturée par ordonnance du président du tribunal de commerce du 12 avril 2018.

La société Bouygues immobilier ne pouvait ignorer que le sous-traitant avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire récente. Cependant, rien n'interdit au maître de l'ouvrage d'agréer un sous-traitant ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Le fait de confier des travaux à une société étant ou ayant été placée en redressement judiciaire ne constitue pas, en soi, une faute. L'agrément d'un sous-traitant ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire n'interdit pas au maître d'ouvrage d'invoquer la clause de suspension du délai dans l'hypothèse où ce sous-traitant serait placé en liquidation judiciaire.

La production de l'article de la voix du Nord mentionnant la condamnation de M. XX pour fraude ne permet pas d'établir que la personne condamnée est l'associé de la société MCBI. En effet, il est possible qu'il s'agisse d'un homonyme. De plus, cette condamnation est intervenue postérieurement à l'agrément. En outre, il n'est pas établi que la société Bouygues immobilier avait connaissance que M. XX était associé de la société MCBI, la société étant représentée par son gérant M. NN.

Il convient en conséquence de constater que le placement en liquidation judiciaire de la société MCBI constitue une cause légitime de suspension des délais d'achèvement.

La société Bouygues immobilier fait valoir que le délai d'achèvement a été suspendu jusqu'à ce qu'elle ait désigné la société Miroux en remplacement de la société ATB le 31 juillet 2020. Selon elle, le délai séparant la date du 23 avril 2019 et le 31 juillet 2020 s'explique par le fait que la société Miroux a été désignée à l'issue des opérations d'expertise de M. G. et de la période de confinement. Ces questions seront observées infra.

 

C) Sur les défaillances :

La société Bouygues immobilier fait valoir que le retard dans la réalisation des travaux confiés à la société ATB constaté par l'architecte par courrier du 22 janvier 2019 ainsi que les désordres affectant les travaux confiés à la société ATB constituent des causes légitimes de suspension des délais.

Aux termes du contrat de vente constitue une cause légitime de suspension des délais la défaillance des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants (la justification pourra être rapportée par le vendeur à l'acquéreur au moyen de la production de la copie de toute lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le maître d'œuvre à l'entrepreneur défaillant.)

Les acquéreurs ne contestent pas que la défaillance peut résider dans le retard d'une entreprise dans la réalisation des travaux. Cependant, ils font valoir que la défaillance de la société ATB n'est pas justifiée selon les formes prévues au contrat, la copie du courrier adressé par l'architecte à l'entreprise ATB le 22 janvier 2019 faisant état d'un retard de 4 mois n'étant pas accompagnée d'une copie de l'accusé de réception.

En l'espèce, en l'absence de production du courrier recommandé adressé à la société ATB le 22 janvier 2019, la preuve de la défaillance de la société ATB n'est pas établie selon les formes prévues aux contrats. L'attestation de l'architecte n'est pas suffisante, cette attestation n'étant pas accompagnée du justificatif prévu au contrat. De plus, la société Bouygues immobilier ne justifie ni du planning accepté par la société ATB ni de l'état d'avancement du chantier au 22 janvier 2019. L'annexe au compte rendu de chantier du 24 janvier 2019, qui n'est pas lui-même produit, faisant état de retard d'une durée de 93 jours étant insuffisant à l'établir. Les courriers recommandés adressés par la société Bouygues immobilier elle-même ne permettent pas d'établir la défaillance de la société ATB.

La preuve du retard de la société ATB au 22 janvier 2019 n'est en conséquence pas établie.

Les acquéreurs font valoir que les défaillances techniques ne constituent pas des défaillances de l'entreprise au sens de la clause contractuelle. Dans l'hypothèse où la clause devait être interprétée en ce sens, elle constituerait, selon les acquéreurs, une clause abusive.

En l'espèce, la clause relative aux causes légitimes de suspension du délai mentionne deux causes distinctes de suspension :

- la cessation de paiement, l'admission au régime de sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitant

- la défaillance des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux ou encore de leurs fournisseurs ou des sous-traitants.

Il en résulte que la défaillance de l'entreprise ne s'analyse pas en une défaillance économique. Elle peut en conséquence résulter du retard des travaux réalisés par l'entreprise, de son abandon du chantier mais également des désordres affectant les travaux réalisés par cette dernière et de la nécessité de pourvoir à leur réparation.

Cette clause n'a pas pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle ne constitue pas une clause abusive.

La société Bouygues immobilier produit un certificat du maître d'œuvre daté du 18 janvier 2019 attestant que les travaux de gros œuvre du bâtiment collectif ont été stoppés le 16 janvier 2019 en attente de la réalisation d'une étude d'expertise par un BET structure extérieur et de ses résultats.

Il n'est pas produit de certificat du maître d'œuvre attestant de désordres affectant les travaux de construction des maisons individuelles.

Il n'est pas produit d'autre courrier adressé par le maître d'œuvre à la société ATB que le courrier daté du 22 janvier 2019 dont il a été indiqué précédemment qu'il n'était pas accompagné de la copie de l'avis de réception. De plus, ce courrier daté du 22 janvier 2019 ne fait pas état de désordres affectant les travaux confiés à la société ATB. Les courriers adressés directement par la société Bouygues immobilier à la société ATB ne constituent pas un courrier adressé par le maître d'œuvre à l'entreprise.

En conséquence, la société Bouygues immobilier ne prouve pas la défaillance de l'entreprise selon les formes prévues au contrat.

La société Bouygues immobilier produit pour établir la preuve des défaillances techniques affectant les travaux confiés à la société ATP des rapports établis par la société ACR et 3 notes aux parties de l'expert judiciaire.

Cependant, il convient de constater que les parties ont entendu limiter les modes de preuve des causes légitimes de suspension du délai en indiquant : « Pour l'application des événements, ci-dessus évoqués, les parties d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d'œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus, sauf en ce qui concerne les retards de paiement de l'acquéreur dans le règlement des appels de fonds. »

En conséquence, il convient de constater que la preuve de la défaillance technique n'est pas apportée.

 

D) Sur l'état d'urgence sanitaire lié à la Covid-19 :

La société Bouygues immobilier fait valoir que « l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, complété par l'arrêté du 15 mars 2020 et la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19, constituent indéniablement des « injonctions administratives de suspendre partiellement ou totalement le chantier ou d'arrêter les travaux ».

En l'espèce, la société Bouygues immobilier ne caractérise pas en quoi les dispositions de l'arrêté du 14 mars 2020 et la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19 constituent des injonctions administratives de suspendre partiellement ou totalement le chantier ou d'arrêter les travaux. Les restrictions d'aller et venir, n'ont en l'occurrence pas été fixée par la loi du 23 mars 2020 mais par le décret du même jour.

Les dispositions interdisant les déplacements de personnes hors de leur domicile prévoyaient notamment une exception s'agissant des trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés. Les personnes chargées des travaux de construction pouvaient en conséquence se déplacer. De plus, la société Bouygues immobilier n'allègue pas et n'établit pas le fait que les travaux devant être réalisés rendaient impossible le respect des gestes barrières ou le regroupement de personnes.

La cause légitime de suspension des délais n'est pas établie.

La société Bouygues immobilier fait valoir que les difficultés d'approvisionnement liées à la crise sanitaire ont entraîné un délai supplémentaire de 5 semaines. Les difficultés d'approvisionnement font parties des causes légitimes de suspension des délais prévus au contrat.

La société Bouygues immobilier produit un courrier du maître d'ouvrage d'exécution du 17 juin 2021 écrivant notamment : depuis ces dernière semaines, les entreprises nous ont toutes fait part de difficultés sérieuses d'approvisionnement de matériaux, matériels et équipements. Les délais s'allongent de 8 à 12 semaines minimum pour les garde-corps, l'ascenseur, les livraisons d'huisseries de portes, les ruptures de stock de matériaux de plâtrerie, de chaudières, etc. Selon les retours des fabricants que nous avons, la situation risque encore de s'aggraver sur l'année prochaine compte tenu de la demande excessive. »

Il peut en conséquence être retenu une cause légitime de retard de livraison de 5 semaines comme invoqué par la société Bouygues immobilier.

 

E) Sur le retard des concessionnaires :

Le retard des concessionnaires allégué par la société Bouygues immobilier n'est justifié par aucune pièce.

 

F) Sur le remplacement des entreprises de peinture, de parquet et de carrelage :

Dans son courrier daté du 17 juin 2021, la société Octa indique avoir du remplacer les entreprises de peinture, de parquet et de carrelage, qui s'étaient montrées défaillantes. Cependant, il n'est pas produit de lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressé aux entreprises défaillantes par le maître d'oeuvre.

La cause légitime de suspension du délai n'est pas établie.

 

G) Sur la computation des délais :

Il convient de retenir pour l'ensemble des immeubles une suspension des délais de 164 jours au titre des intempéries et de 35 jours au titre des difficultés d'approvisionnement.

S'agissant de la liquidation judiciaire de la société MCBI le 24 avril 2019, il convient de constater que ni les études réalisées par la société ACR ni l'expertise judiciaire ne sont des répercussions du placement en liquidation judiciaire de la société MCBI mais des désordres affectant les ouvrages allégués par la société Bouygues immobilier. Il convient à cet égard de constater que s'agissant de la construction des maisons individuelles, les études réalisées par la société Rinxent BTP entre le 27 janvier 2020 et le 20 février 2020 ont permis de constater que malgré l'absence de bande noyée au droit des trémies dans certains logements réalisés par la société MCBI, dont trois sont concernés par la présente affaire, les compétences acquises par le béton sont bonnes et n'empêchent pas la poursuite des travaux. De plus, dès le 19 juillet 2019, la société ACR a indiqué qu'il était nécessaire de procéder à la démolition totale du bâtiment collectif jusqu'au niveau supérieur des fondations. Il résulte du courrier adressé le 09 octobre 2019 à M. et Mme Y. que la société Bouygues immobilier avait pris la décision dès le 24 juillet 2019 de démolir le bâtiment collectif et de le reconstruire.

La suspension entre le 24 avril 2019 et le 31 juillet 2020 pour procéder au remplacement du sous-traitant de la société ATB est manifestement excessive. La cour estime que le délai raisonnable est de 90 jours.

La durée totale des causes de suspension légitime du délai de livraison est de 289 jours.

 

H) Sur l'indemnisation du préjudice de retard :

1) M. N. et Mme M.

L'immeuble de M. N. et Mme M. a été livré avec 443 jours de retard.

Le retard de livraison a causé à M. N. et Mme M. un préjudice résidant dans la nécessité de continuer à payer un loyer alors qu'ils n'auraient pas eu à le faire s'ils avaient pu aménager dans l'immeuble. Le fait qu'ils auraient du payer le montant des échéances de prêt est indifférent à cet égard. En effet, le remboursement du montant du capital prêté par les acquéreurs est identique quelque soit la date à laquelle les acquéreurs le rembourse. De telle sorte qu'ils subissent effectivement un surcoût en devant payer un loyer.

La société Bouygues immobilier fait justement valoir que les acquéreurs auraient du s'acquitter de charges s'ils avaient habité l'immeuble vendu. En conséquence, ils seront déboutés de leur demande en paiement relative aux provisions sur charge.

M. N. et Mme M. justifient du montant du loyer par la production de leur contrat de location. Le préjudice de loyer subi par M. N. et Mme M. est de 10.941,36 euros.

M. N. et Mme M. justifient du montant des intérêts intercalaires payés par la production d'un historique des opérations du 2 mai 2019 au 05 juillet 2019. Le numéro de contrat figurant sur le relevé est identique à celui figurant sur l'acte de vente. Les intérêts intercalaires mensuels à la date du 05 juillet 2019, postérieurs à la date de livraison prévue au contrat correspondent nécessairement au montant du prêt débloqué à cette date.

Le préjudice subi par M. N. et Mme M. au titre des intérêts intercalaires est de 2.802,71 euros.

Ils subissent également un préjudice résidant dans le règlement des cotisations d'assurance de prêt durant cette période. Le préjudice subi est de 2.391,02 euros

M. N. et Mme M. demandent l'indemnisation du préjudice causé par le fait que leur enfant est scolarisé à [Localité 18] à une distance de 25 km de leur résidence. Le fait que les acquéreurs scolariseraient leur enfant à [Localité 18] alors qu'ils n'avaient pas encore la disposition du logement n'était pas prévisible pour le vendeur au moment de la conclusion du contrat.

M. N. et Mme M. seront déboutés de la demande à ce titre.

Le retard très important de la livraison de l'immeuble par la société Bouygues immobilier a causé à M. N. et Mme M. un préjudice moral qui sera indemnisé par le paiement de la somme de 1.000 euros.

Il convient en conséquence de condamner la société Bouygue immobilier à payer à M. N. et Mme M. la somme de 10.135,09 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers.

 

2) M. Z. et Mme W.

L'immeuble de M. Z. et Mme W. a été livré avec 464 jours de retard.

M. Z. et Mme W. ont subi un préjudice résidant dans la nécessité de payer un loyer alors qu'ils n'auraient pas eu à le faire s'ils avaient pu emménager dans l'immeuble. Ils justifient du montant de leur loyer par la production du contrat de bail.

Le préjudice subi au titre du loyer pendant la période considérée est de 13.456 euros.

M. Z. et Mme W. seront déboutés de leur demande au titre des charges.

M. Z. et Mme W. justifient des intérêts intercalaires payés et des cotisations d'assurance par la production de relevés de compte bancaire du 18 juin 2019 au 5 décembre 2019. Les intérêts intercalaires mensuel à la date du 05 juillet 2019, postérieurs à la date de livraison prévues au contrat correspondent nécessairement au montant du prêt débloqué à cette date.

Le préjudice subi au titre des intérêts intercalaires est de 3.931,62 euros. Le préjudice subi au titre des cotisations d'assurance est de 1.216,30 euros.

M. Z. et Mme W. demandent l'indemnisation du préjudice causé par le fait que leur logement est situé à 15 km du travail de M. Z. alors que l'immeuble qu'ils ont acheté est situé à 9 km.

La différence de distance entre le logement de M. Z. et Mme W. et l'immeuble acheté par ces derniers du lieu de travail de M. Z. et Mme W. était imprévisible pour le vendeur au moment de la signature du contrat.

M. Z. et Mme W. seront déboutés de leur demande à ce titre.

Il convient en conséquence de condamner la société Bouygues immobilier à payer à M. Z. et Mme W. la somme de 11.603,92 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers.

 

3) M. V. et Mme U.

L'immeuble de M. V. et Mme U. a été livré avec 479 jours de retard.

Le retard de livraison a causé à M. N. et Mme M. un préjudice résidant dans la nécessité de continuer à payer un loyer alors qu'ils n'auraient pas eu à le faire s'ils avaient pu aménager dans l'immeuble.

Ils justifient du montant du loyer par la production d'avis d'échéance du mois de juin 2019 au mois de juillet 2019.

Le montant de la perte de loyer est de 11.190,40 euros.

La société Bouygues immobilier sera condamnée à payer à M. V. et Mme U. la somme de 4.190,40 euros après déduction de la provision perçue par ces derniers.

 

4) M. T. et Mme S.

L'immeuble de M. T. et Mme S. a été livré avec 437 jours de retard.

Le retard de livraison a causé à M. N. et Mme M. un préjudice résidant dans la nécessité de continuer à payer un loyer alors qu'ils n'auraient pas eu à le faire s'ils avaient pu aménager dans l'immeuble.

Ils justifient du montant du loyer par la production de leur bail.

Le préjudice subi au titre des loyers est de 8.011,66 euros.

M. T. et Mme S. justifient du montant des intérêts intercalaires et des cotisations d'assurance payée au titre de l'année 2019 par une attestation du crédit agricole Nord de France.

Le préjudice subi au titre des intérêts intercalaires est de 1.316,27 euros. Le préjudice subi au titre des cotisations d'assurance est de 555,77 euros.

Les frais de dossier liés au déblocage des fonds sont liés au déblocage du prêt et sont sans lien avec le retard de livraison. M. T. et Mme S. seront déboutés de leurs demandes à ce titre.

La société Bouygues immobilier sera condamnée à payer à M. T. et Mme S. la somme de 2 883,70 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers.

 

5) M. R. et Mme Q.

L'immeuble de M. R. et Mme Q. a été livré avec 436 jours de retard.

M. R. et Mme Q. ont subi un préjudice résidant dans la nécessité de payer un loyer alors qu'ils n'auraient pas eu à le faire s'ils avaient pu emménager dans l'immeuble. Ils justifient du montant du loyer par la production du contrat de bail et de deux quittances de loyer.

Le préjudice subi au titre du loyer est de 11.844,67 euros.

M. R. et Mme Q. seront déboutés de leur demande au titre des charges.

M. R. et Mme Q. justifient du montant des intérêts intercalaires et des cotisations d'assurance par la production des tableaux d'amortissement de prêt.

Le préjudice subi au titre des intérêts intercalaires est de 503,78 euros. Le préjudice subi au titre des cotisations d'assurance est de 1.367,30 euros.

M. R. et Mme Q. demandent l'indemnisation du préjudice causé par le fait que leur enfant est scolarisé à [Localité 18] à une distance de 25 km de leur résidence. Le fait que les acquéreurs scolariseraient leur enfant à [Localité 18] alors qu'ils n'avaient pas encore la disposition du logement n'était pas prévisible pour le vendeur au moment de la conclusion du contrat.

Ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

La société Bouygues immobilier sera condamnée à payer à M. R. et Mme Q. la somme de 6.715,75 euros après déduction de la somme de 7.000 euros perçue par ces derniers.

 

6) M. P et Mme O.

L'immeuble de M. P et Mme O. a été livré avec 454 jours de retard.

M. P et Mme O. ont commencé à payer les échéances de prêt à compter du 5 septembre 2019. Le paiement des échéances de prêt rembourse mensuellement une partie du capital. En conséquence, la durée du remboursement du prêt souscrit par M. P et Mme O. n'a pas été allongé par le retard de livraison.

M. P et Mme O. seront déboutés de leur demande au titre des intérêts intercalaires et des cotisations d'assurance.

M. P et Mme O. demande l'indemnisation du préjudice causé par la perte de loyer subi pendant la période de retard. La société Bouygues immobilier ne conteste pas que le loyer peut être évalué à la somme de 869,11 euros par mois. Il doit être tenu compte du fait que le logement ne trouvera pas nécessairement immédiatement un locataire et du délai de carence entre le départ éventuel d'un locataire et l'arrivée d'un nouveau locataire. M. P et Mme O. prétendent que le logement a été donné en location dans les cinq jours de sa mise en location sans en apporter la preuve.

M. P et Mme O. ont perdu une chance de percevoir des loyers pendant le retard de livraison. Le préjudice subi sera évalué à la somme de 9.206,77 euros.

Aux termes des dispositions de l'article 199 novovicies C du code général des impôts : « L'achèvement du logement doit intervenir dans les trente mois qui suivent la date de la signature de l'acte authentique d'acquisition, dans le cas d'un logement acquis en l'état futur d'achèvement, ou la date de l'obtention du permis de construire, dans le cas d'un logement que le contribuable fait construire. »

Les acquéreurs font valoir avoir perdu le bénéfice de l'application de la réduction d'impôt dans la mesure ou l'immeuble a été achevé plus de trente mois à compter de la signature de l'acte d'acquisition du 1er juin 2018.

Il résulte de la note publiée au BOFIP le 02 mars 2022 que « Conformément aux dispositions du C du I de l'article 199 novovicies du code général des impôts (CGI), le bénéfice du dispositif « Pinel » est conditionné à des délais d'achèvement des logements ou des travaux, qui diffèrent selon la nature de l'investissement réalisé et la date de réalisation de l'investissement. Pour les logements acquis en l'état futur d'achèvement, l'achèvement du logement doit intervenir dans les trente mois qui suivent la date de la signature de l'acte authentique d'achat.

Pour tenir compte des différents ralentissements liés notamment aux difficultés d'approvisionnement de matériaux et à la mise en place des mesures de protection sanitaire sur les chantiers, il est admis de proroger le délai légal de trente mois, en sus du délai de 104 jours résultant de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, d'une période forfaitaire de 261 jours complémentaires, afin de neutraliser au total et au titre de la crise sanitaire et de ses conséquences, une période de douze mois qui a débuté le 12 mars 2020 pour s'achever le 11 mars 2021.

En conséquence, le délai légal de trente mois qui n'a pas expiré avant le 12 mars 2020 est prorogé d'une période totale de douze mois (365 jours).

De même, dans les cas où le délai de trente mois aurait dû commencer à courir pendant la période neutralisée (soit entre le 12 mars 2020 et le 11 mars 2021 inclus), son point de départ sera reporté au 12 mars 2021.

Cette mesure de tempérament conduisant in fine à la neutralisation de la période du 12 mars 2020 au 11 mars 2021 inclus dans le décompte du délai légal d'achèvement pour le bénéfice de la réduction d'impôt pour les logements acquis en l'état futur d'achèvement s'applique, dans les mêmes conditions, pour l'ensemble des délais d'achèvement des logements ou des travaux prévus au C du I de l'article 199 novovicies du CGI et ce, quelle que soit la nature de l'investissement réalisé. »

En l'espèce le délai de 30 mois courant à compter du 1er juin 2018 n'était pas achevé au 12 mars 2020. M. P et Mme O. bénéficient en conséquence de la prorogation du délai légal de 30 mois d'une durée de 365 jours soit un délai total de 1265 jours. Ce délai n'était pas achevé au 07 juillet 2021, date de l'achèvement de l'immeuble.

Il en résulte que M. P et Mme O. n'ont pas perdu le bénéfice de la réduction d'impôt. Ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

La société Bouygues immobilier sera condamnée à payer à M. P et Mme O. la somme de 2 206,77 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers.

 

7) M. Y. et Mme X.

L'immeuble de M. Y. et Mme X. a été livré avec 623 jours de retard.

M. Y. et Mme X. font valoir que l'immeuble devait être donné en location à leur fils sans en apporter la preuve. M. Y. ne peut établir, lui-même, une attestation en justice pour établir la preuve d'un fait.

M. Y. et Mme X. ont néanmoins perdu une chance de donner l'immeuble en location. Il n'est pas contesté que le montant du loyer peut être évalué à la somme de 520 euros. Il doit être tenu compte du fait que le logement ne trouvera pas nécessairement immédiatement un locataire et du délai de carence entre le départ éventuel d'un locataire et l'arrivée d'un nouveau locataire.

Le préjudice subi sera évalué à la somme 10.798 euros.

M. Y. font valoir avoir clôturer leur PEL pour procéder à l'acquisition de l'immeuble. Ils soutiennent avoir perdu les intérêts produits par ce PEL. La clôture du PEL était nécessaire à l'investissement réalisé par M. Y. et Mme X. Ils ont été indemnisés de la perte de chance de percevoir un loyer qui était le bénéfice attendu de l'investissement. Ils seront en conséquence déboutés de leur demande tendant à condamner la société Bougygues immobilier au paiement des intérêts perdus du PEL.

M. Y. et Mme X. font valoir avoir perdu le bénéfice de la réduction d'impôt à laquelle ils pouvaient prétendre.

En l'espèce, le bien a été livré 1391 jours après la signature du contrat de vente. Il en résulte que M. Y. et Mme X. ont dépassé le délai de 30 mois fixé par la loi majoré du délai de 365 jours mentionné supra.

La société Bouygues immobilier produit un courrier de Maître Laurent Lancrey-Javal adressé à la société Bouygues immobilier le 24 février 2021 ayant pour objet : Programme « [Adresse 24] »/bâtiment collectif aux termes duquel celui-ci indique : « Par réponse en date du 05 février 2021, le service juridique de la fiscalité de la sous-direction du contentieux des impôts des particuliers à la direction de la législation fiscale (Bureau JF-1A) a répondu à ma demande de rescrit en date du 20 octobre 2020.

L'administration a retenu que le délai d'achèvement des logements de 30 mois à compter de la date de signature de l'acte authentique d'acquisition nécessaire pour bénéficier de la réduction « Pinel » était dans le cas particulier du programme « [Adresse 24] » sis [Adresse 17] à [Localité 19] prorogé de 493 jours, pour les acquéreurs personnes physiques ayant signé l'acte d'acquisition en état future d'achèvement à compter du mois d'avril 2018. »

Bien que le courrier de réponse de l'administration fiscale ne soit pas produit aux débats, le courrier de Maître Laurent-Javal permet d'établir la position de l'administration fiscale. De plus, M. Y. et Mme X. n'établissent pas avoir eux-mêmes interrogé l'administration fiscale sur cette question.

Le délai de 30 mois majoré de 443 jours à compter de la signature du 08 juin 2018 n'était pas achevé lors de la livraison de l'immeuble le 30 mars 2022.

Il en résulte que M. Y. et Mme X. n'ont pas perdu le bénéfice de la réduction d'impôt. Ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

Le retard de livraison de l'immeuble a causé à M. Y. et Mme X. un préjudice moral qui sera indemnisé par le paiement de la somme de 1.000 euros.

La société Bouygues immobilier sera condamnée à payer à M. Y. et Mme X. la somme de 1 798 euros après déduction de la provision de 10.000 euros reçue par ces derniers.

 

III) Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement sera infirmé de chef.

Succombant à l'appel, la société Bouygues immobilier sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel à :

- M. N. et Mme M. la somme de 2.000 euros

- M. Z. et Mme W. la somme de 2.000 euros

- M. V. et Mme U. la somme de 2.000 euros

- M. T. et Mme S. la somme de 2.000 euros

- M. R. et Mme Q. la somme de 2.000 euros

- M. P et Mme O. la somme de 2.000 euros

- M. Y. et Mme X. la somme de 2.000 euros

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

- INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;

-statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

- CONSTATE que M. Y. et Mme X. se désistent de leur demande de livraison de l'immeuble sous astreinte ;

- DÉCLARE recevables les demandes de Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X. ;

- CONDAMNE la société Bouygues immobilier à payer au titre de l'indemnisation du préjudice causé par le retard de livraison à :

- M. N. et Mme M. la somme de 10.135,09 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers

- M. Z. et Mme W. la somme de 11.603,92 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers

- M. V. et Mme U. la somme 4.190,40 euros après déduction de la provision perçue par ces derniers

- M. T. et Mme S. la somme de 2.883,70 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers

- M. R. et Mme Q. la somme de 6.715,75 euros après déduction de la somme de 7.000 euros perçue par ces derniers

- M. P et Mme O. la somme de 2.206,77 euros après déduction de la provision de 7.000 euros perçue par ces derniers

- M. Y. et Mme X. la somme de 1.798 euros après déduction de la provision de 10.000 euros reçue par ces derniers ;

- DÉBOUTE Mmes et MM. R. et Q., Z. et W., T. et S., P et O., N. et M., V. et U., et Y. et X. du surplus de leurs demandes indemnitaires ;

- DÉBOUTE la société Bouygues immobilier de sa demande tendant à condamner les appelants à rembourser à la société Bouygues immobilier les sommes qu'ils ont reçues en exécution de l'ordonnance de référé du 31 juillet 2020 ;

- CONDAMNE la société Bouygues immobilier à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel à :

- M. N. et Mme M. la somme de 2.000 euros

- M. Z. et Mme W. la somme de 2.000 euros

- M. V. et Mme U. la somme de 2.000 euros

- M. T. et Mme S. la somme de 2.000 euros

- M. R. et Mme Q. la somme de 2.000 euros

- M. P et Mme O. la somme de 2.000 euros

- M. Y. et Mme X. la somme de 2.000 euros

- DÉBOUTE la société Bouygues immobilier de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la société Bouygues immobilier aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier,                                        Pour le président,

Anaïs Millescamps.                          Jean-François Le Pouliquen.