CA TOULOUSE (2e ch.), 4 janvier 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10067
CA TOULOUSE (2e ch.), 4 janvier 2023 : RG n° 21/05042 ; arrêt n° 14
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles se prescrivent par 5 ans à compter du jour ou le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer. En matière contractuelle, la prescription commence à courir à compter de la date de la conclusion du contrat de prêt si l'emprunteur est en mesure de déceler par lui-même, à la seule lecture de l'acte, le vice qu'il invoque et à défaut, à la date à laquelle le vice lui a été révélé. En présence de plusieurs moyens tendant à la même fin, en l'espèce, le constat de ce que la clause est nulle ou doit être réputée non écrite, le point de départ de la prescription s'apprécie grief par grief.
Le premier juge a relevé par des motifs pertinents que la cour fait siens que la formule de calcul de l'indemnité due en cas de remboursement anticipé intègre le taux d'intérêt de l'obligation assimilable du trésor (OAT) qui varie quotidiennement, si bien que la SCI ne pouvait pas connaître le montant qui lui serait réclamé en cas de remboursement anticipé. Il convient d'ajouter que la SCI qui n'était pas un professionnel de la finance, n'était pas en mesure de percevoir l'incidence de l'évolution de ce taux, qui est devenu négatif en 2014, ce qui a augmenté de façon sensible le coût de l'indemnité de remboursement anticipé, qui est devenue supérieure au cumul des sommes que l'emprunteur aurait réglé si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme. La SCI qui soutient avoir été trompée sur les modalités de calcul de cette indemnité et invoque l'absence de cause de la clause de calcul, n'a donc eu connaissance de la tromperie et du défaut de cause allégués qu'à la date ou la banque lui a communiqué le montant de l'indemnité qu'elle devrait payer dans l'hypothèse d'un remboursement anticipé, soit le 19 mars 2020. Introduite par acte du 1er décembre 2020, l'action formée au visa des articles 1108, 1109, 1131 n'est donc pas tardive.
Enfin, par arrêt du 10 juin 2021 ( C 776/19 à C 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription (Civ. 1re, 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-18.673). Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, n'est pas soumise à la prescription quinquennale. L'action formée à cette fin par la SCI JM3L n'est donc pas non plus prescrite. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 4 JANVIER 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/05042. Arrêt n° 14. N° Portalis DBVI-V-B7F-OQ4Y. Décision déférée du 18 novembre 2021 - Juge de la mise en état de TOULOUSE – R.G. n° 20/04774.
APPELANTE :
SA CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE MIDI-PYRÉNÉES
[Adresse 1], [Localité 3], Représentée par Maître Xavier RIBAUTE, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE :
SCI JM3L
[Adresse 2], [Localité 3], Représentée par Maître Adrien LEPROUX de la SAS LGMA, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant, P. DELMOTTE, conseiller, I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller, qui a fait le rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : V. SALMERON, présidente, P. DELMOTTE, conseiller, I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseiller
Greffier, lors des débats : C. OULIE
MINISTÈRE PUBLIC : Représenté lors des débats par M. JARDIN, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties - signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE greffier de chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Exposé du litige :
Suivant contrat de prêt du 21 mars 2012, la SCI JM3L a souscrit auprès de la Caisse d’Épargne de Midi-Pyrénées un crédit PCM équipement à taux fixe d'un montant de 300.000 € remboursable en 180 mensualités, afin de financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'un nouveau local professionnel.
Dans le courant du mois de mars 2020, la SCI JM3L a demandé à la Caisse d'Épargne une évaluation du montant de l'indemnité de remboursement anticipé.
Par courrier du 19 mars 2020, la Caisse d’Épargne a informé l'emprunteur des sommes qu'elle devrait si le remboursement anticipé était effectué le 10 avril 2020.
Par l'intermédiaire de son avocat et par courrier du 7 avril 2020, la SCI JM3L a contesté les modalités de calcul de l'indemnité de remboursement anticipé.
Le 10 septembre 2020, la SCI JM3L a procédé au remboursement anticipé et versé au titre d'indemnité de remboursement anticipé la somme de 24.667,91 € sollicitée par la banque.
Par exploit du 1er décembre 2020, la SCI JM3L a assigné la Caisse d’Épargne devant le Tribunal Judiciaire de Toulouse et sollicité
- la nullité de la clause calcul de l'indemnité de remboursement anticipé,
- la condamnation de la Caisse d’Épargne à payer la somme de 19.632,60 € correspondant à la différence entre d'une part l'indemnité contractuelle de remboursement anticipé réglée (24.667,91 €) et l'indemnité légale prévue par le code de la consommation en matière de prêt immobilier de remboursement anticipé de 3 % du capital restant dû (5.035,31 €)
- La condamnation de la Caisse d’Épargne à verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
[*]
Par conclusions d'incident, la Caisse d’Épargne a saisi le juge de la mise en état lui demandant de :
- Déclarer irrecevable la demande indemnitaire fondée sur l'article 442-6 du code de commerce, le Tribunal judiciaire de Toulouse ne pouvant en connaitre en raison de son incompétence
- Déclarer irrecevable la demande de nullité fondée sur les articles 1171 du code civil et L. 212-1 du code de la consommation, fondement juridique inapplicable au contrat de prêt litigieux et dont le demandeur, en sa qualité de professionnel, ne peut réclamer le bénéfice.
- Déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de nullité de la clause de remboursement anticipée.
[*]
Par ordonnance du 18 novembre 2021 le juge de la mise en état, a :
- Débouté la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées à payer à la SCI JM3L la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées aux entiers dépens.
Le juge de la mise en état a constaté que la SCI avait renoncé à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce. Il a considéré que la demande d'irrecevabilité de l'action en nullité sur le fondement des articles 1171 du Code civil et L. 212-1 du code de la consommation, motifs pris de l'inapplication desdites dispositions au présent litige, constituait une demande au fond qui ne pouvait pas être qualifiée de fin de non-recevoir au sens de l'article 122 précité. Enfin, il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la société JM3L.
[*]
Par déclaration en date du 21 décembre 2021, la Caisse d’Épargne a relevé appel de cette ordonnance.
L'instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance du 31 octobre 2022.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions signifiées le 6 avril 2022, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation de la Caisse d'épargne Midi-Pyrenées demandant à la cour au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile et 2224 du code civil de :
- Réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance dont appel
- Déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de nullité de la clause de remboursement anticipée et toutes demandes indemnitaires qui seraient la conséquence de la prétendue irrégularité de ladite clause
- Condamner la SCI JM3L à 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens dont distraction au profit de Xavier Ribaute avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Vu les conclusions notifiées le 17 mai 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation de la société JM3L demandant à la cour au visa des articles 1108, 1109, 1131, 1147, 1304 et 2224 du Code civil dans leurs versions applicables au litige,
De :
- confirmer en toutes ses dispositions l'Ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 18 novembre 2021 ;
Y ajoutant
- Juger recevable la demande de la société JM3L tendant à l'annulation de la clause litigieuse ;
- Débouter la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées à payer à la société JM3L la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile Condamner la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs :
La cour n'est saisie en l'état des dernières conclusions de la Caisse d'épargne que d'une demande tendant au constat de la prescription de l'action de la société emprunteuse.
La SCI, demanderesse à l'action introduite devant le tribunal judiciaire soutient à l'appui de sa demande tendant à la condamnation de la banque que la clause du contrat relative aux modalités de calcul de l'indemnité de remboursement anticipé, doit être réputée non écrite.
Elle fait valoir en premier lieu qu'elle a été trompée sur le montant de l'indemnité qui lui serait réclamée en cas de remboursement anticipé.
Elle estime en second lieu que la clause relative au remboursement anticipé tend à indemniser la perte par le prêteur d'une partie des intérêts contractuellement déterminés, si bien qu'elle n'est plus fondée lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, son montant devient supérieur au cumul des sommes qui auraient été perçues par la banque si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme.
Elle estime en troisième lieu qu'il s'agit d'une clause abusive.
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles se prescrivent par 5 ans à compter du jour ou le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer.
En matière contractuelle, la prescription commence à courir à compter de la date de la conclusion du contrat de prêt si l'emprunteur est en mesure de déceler par lui-même, à la seule lecture de l'acte, le vice qu'il invoque et à défaut, à la date à laquelle le vice lui a été révélé. En présence de plusieurs moyens tendant à la même fin, en l'espèce, le constat de ce que la clause est nulle ou doit être réputée non écrite, le point de départ de la prescription s'apprécie grief par grief.
Le premier juge a relevé par des motifs pertinents que la cour fait siens que la formule de calcul de l'indemnité due en cas de remboursement anticipé intègre le taux d'intérêt de l'obligation assimilable du trésor (OAT) qui varie quotidiennement, si bien que la SCI ne pouvait pas connaître le montant qui lui serait réclamé en cas de remboursement anticipé. Il convient d'ajouter que la SCI qui n'était pas un professionnel de la finance, n'était pas en mesure de percevoir l'incidence de l'évolution de ce taux, qui est devenu négatif en 2014, ce qui a augmenté de façon sensible le coût de l'indemnité de remboursement anticipé, qui est devenue supérieure au cumul des sommes que l'emprunteur aurait réglé si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme.
La SCI qui soutient avoir été trompée sur les modalités de calcul de cette indemnité et invoque l'absence de cause de la clause de calcul, n'a donc eu connaissance de la tromperie et du défaut de cause allégués qu'à la date ou la banque lui a communiqué le montant de l'indemnité qu'elle devrait payer dans l'hypothèse d'un remboursement anticipé, soit le 19 mars 2020.
Introduite par acte du 1er décembre 2020, l'action formée au visa des articles 1108, 1109, 1131 n'est donc pas tardive.
Enfin, par arrêt du 10 juin 2021 ( C 776/19 à C 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription (Civ. 1re, 7 décembre 2022, pourvoi n° 21-18.673).
Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
L'action formée à cette fin par la SCI JM3L n'est donc pas non plus prescrite.
Partie perdante, la Caisse d’Épargne supportera les dépens d'appel et devra indemniser la société intimée des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour se défendre en cause d'appel.
La décision déférée sera confirmée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
Confirme la décision déférée,
y ajoutant,
Condamne la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées aux dépens d'appel,
Condamne la Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Midi-Pyrénées à payer à la SCI JM3L la somme de 1.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier La présidente
- 5705 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Délai pour agir - Prescription
- 5735 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause nulle
- 6619 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Taux d’intérêt et frais