CASS. CIV. 1re, 1er mars 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10089
CASS. CIV. 1re, 1er mars 2023 : pourvoi n° 21-20260 ; arrêt n° 143
Publication : Legifrance
Extraits : 1/ « 4. Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif. »
2/ « Vu l'article 2224 du code civil : 7. Il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 1er MARS 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : F 21-20.260. Arrêt n° 143 F-B.
DEMANDEUR à la cassation : Monsieur X. – Madame Y. épouse X.
DÉFENDEUR à la cassation : Société Crédit agricole Next Bank
M. CHAUVIN, président.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°/ M. X., 2°/ Mme Y., épouse X., domiciliés tous deux [Adresse 2], ont formé le pourvoi n° F 21-20.260 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige les opposant à la société Crédit agricole Next Bank, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme X., de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Crédit agricole Next Bank, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Faits et procédure :
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 27 mai 2021), en mars 2008 et juillet 2009, le Crédit agricole financement, banque suisse, aux droits duquel vient la société Crédit agricole Next Bank (la banque), a consenti à M. et Mme X. (les emprunteurs), résidents français percevant des revenus en francs suisses, deux prêts immobiliers libellés et remboursables en francs suisses.
2. Le 10 juillet 2017, les emprunteurs ont assigné la banque en invoquant le caractère abusif de certaines clauses et un manquement au devoir de mise en garde.
Examen des moyens :
Sur le premier moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes tendant à voir déclarer abusives et réputées non écrites les clauses des contrats de prêt relatives au montant des prêts et aux modalités de paiement des échéances, alors :
« 1°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'en se bornant, pour dire que les clauses litigieuses, à savoir celles relatives aux montants des prêts et aux modalités de remboursement des échéances, qui constituaient l'objet principal de ces contrats, étaient parfaitement claires, à considérer qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, sans vérifier si les contrats exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référaient les clauses concernées, de sorte que les emprunteurs pouvaient prévoir, sur la base de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour eux, et ce par référence à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation ;
2°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que les clauses litigieuses étaient parfaitement claires, dès lors qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, quand les intéressés auraient dû être informés de la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt avait été contracté et être en mesure d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières, s'ils venaient à ne plus percevoir des revenus en francs suisses, ce qui avait été le cas à la suite de la perte de leur emploi en 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
4. Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Enoncé du moyen :
6. Les emprunteurs reprochent à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, alors « que l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime ; que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifeste dès la souscription du prêt, sauf à ce que l'emprunteur ait pu légitimement ignorer le dommage lors de cette souscription ; qu'en considérant, pour déclarer prescrite les demandes des emprunteurs fondées sur le manquement de la société Crédit agricole financement, devenue la société Crédit agricole Next Bank, à son devoir de mise en garde, qu'il ne pouvait être retenu que la banque était débitrice d'un nouveau devoir de mise en garde au titre de la suppression, par la Banque centrale suisse, du taux plancher intervenue le 15 janvier 2015, soit plus de sept et huit ans après la conclusion des prêts litigieux, ni que la banque aurait dû anticiper cette suppression lors de la souscription du contrat de crédit, et que, de la même manière, le fait pour l'emprunteur de perdre son emploi en Suisse n'était pas de nature à générer un nouveau devoir de mise en garde à la charge du prêteur, quand il appartenait à l'organisme prêteur de mettre en garde les emprunteurs sur d'éventuels changements de politique de la Banque centrale suisse sur le taux plancher, ainsi que sur les conséquences de l'éventualité, également, d'un changement dans leur situation en cas d'absence de revenus en francs suisses, de sorte que ces événements étaient de nature à retarder le point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Réponse de la Cour :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l'article 2224 du code civil :
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
7. Il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
8. Pour déclarer prescrite la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que les contrats de prêt litigieux ont été souscrits les 13 mars 2008 et 15 juillet 2009 et que les emprunteurs ont recherché la responsabilité de la banque par assignation du 10 juillet 2017, soit plus de cinq années plus tard.
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité formée par M. et Mme X. à l'encontre de la société Crédit agricole Next Bank pour manquement au devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Crédit agricole Next Bank aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit agricole Next Bank et la condamne à payer à M. et Mme X. la somme de 3.000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyens produits par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Les époux X. font grief à l'arrêt attaqué de les AVOIR déboutés de leurs demandes tendant à voir déclarer les clauses de leurs contrats de prêt, relatives au montant des prêts et aux modalités de paiement des échéances, comme abusives et à les voir réputer non écrites ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'en se bornant, pour dire que les clauses litigieuses, à savoir celles relatives aux montants des prêts et aux modalités de remboursement des échéances, qui constituaient l'objet principal de ces contrats, étaient parfaitement claires, à considérer qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, sans vérifier si les contrats exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se référaient les clauses concernées, de sorte que les emprunteurs pouvaient prévoir, sur la base de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlaient pour eux, et ce par référence à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation ;
2°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le juge doit rechercher si la clause définissant l'objet principal du contrat est rédigée de façon claire et compréhensible et permet au non-professionnel ou consommateur d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières qui en découlent pour lui ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que les clauses litigieuses étaient parfaitement claires, dès lors qu'elles concernaient des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise par des emprunteurs qui, de surcroît, percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats, de sorte qu'il n'existait aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, lesquels avaient fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France, de recourir à un prêt en devises, remboursable en devises, quand les intéressés auraient dû être informés de la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt avait été contracté et être en mesure d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières, s'ils venaient à ne plus percevoir des revenus en francs suisses, ce qui avait été le cas à la suite de la perte de leur emploi en 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1 du code de la consommation.
SECOND MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Les époux X. font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes fondées sur le manquement de la société Crédit Agricole Financement, devenue la société Crédit Agricole Next Bank, à son devoir de mise en garde ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
ALORS QUE l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime ; que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifeste dès la souscription du prêt, sauf à ce que l'emprunteur ait pu légitimement ignorer le dommage lors de cette souscription ; qu'en considérant, pour déclarer prescrite les demandes des époux X. fondées sur le manquement de la société Crédit Agricole Financement, devenue la société Crédit Agricole Next Bank, à son devoir de mise en garde, qu'il ne pouvait être retenu que la banque était débitrice d'un nouveau devoir de mise en garde au titre de la suppression, par la Banque Centrale Suisse, du taux plancher intervenue le 15 janvier 2015, soit plus de sept et huit ans après la conclusion des prêts litigieux, ni que la banque aurait dû anticiper cette suppression lors de la souscription du contrat de crédit, et que, de la même manière, le fait pour l'emprunteur de perdre son emploi en Suisse n'était pas de nature à générer un nouveau devoir de mise en garde à la charge du prêteur, quand il appartenait à l'organisme prêteur de mettre en garde les emprunteurs sur d'éventuels changements de politique de la Banque Centrale Suisse sur le taux plancher, ainsi que sur les conséquences de l'éventualité, également, d'un changement dans leur situation en cas d'absence de revenus en francs suisses, de sorte que ces événements étaient de nature à retarder le point de départ de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil.