CA RENNES (1re ch.), 7 février 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10097
CA RENNES (1re ch.), 7 février 2023 : RG n° 22/04780 ; arrêt n° 42/2023
Publication : Judilibre
Extrait : « En droit, la capitalisation annuelle des intérêts dans le prêt viager hypothécaire a été rendu possible par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 applicable à compter du 6 août 2008. Elle n'était pas autorisée jusqu'à cette date.
En l'espèce, à la date de l'offre de prêt du 15 juillet 2008 « il est rappelé que les documents précontractuels ne sont pas produits » cette capitalisation n'était donc pas autorisée de sorte que dans l'acte authentique de prêt établi par devant notaire le 10 septembre 2008, qui devait refléter fidèlement les termes de l'offre de prêt, aucune clause d'anatocisme ne pouvait être insérée, quand bien même la date dudit acte authentique était postérieure à la date d'entrée en vigueur du nouveau régime du prêt viager hypothécaire avec anatocisme issu de la loi du 4 août 2008.
En application de l'article 444 du code de procédure civile, le président peut ordonner la réouverture des débats et il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés.
Compte tenu du caractère d'ordre public du régime du prêt viager hypothécaire, notamment invoqué par Mme X. (p. 12 de ses dernières écritures), il convient, à ce stade, d'ordonner d'office que les parties, et spécialement le Crédit Foncier de France, s'expliquent sur : - le caractère d'ordre public du régime du prêt viager hypothécaire et ses conséquences, notamment sous l'empire du régime antérieur à la loi du 4 août 2008, - le caractère éventuellement abusif de la clause d'anatocisme, - la sanction d'une clause abusive et la prescriptibilité de celle-ci. A cette fin, il convient d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats selon les modalités précisées au dispositif du présent arrêt. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 7 FÉVRIER 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/04780. Arrêt n° 42/2023. N° Portalis DBVL-V-B7G-S7XK.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Présidente : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER : Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 17 octobre 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial.
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 7 février 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 13 décembre 2022 à l'issue des débats.
APPELANTE :
La SA CRÉDIT FONCIER DE FRANCE
immatriculée sous le n° XXX agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège, [Adresse 5], [Adresse 5], Représentée par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
Madame C. X. épouse Y.
née le [Date naissance 6] à [Localité 8], [Adresse 10], [Adresse 10], Représentée par Maître Pierre GENDRONNEAU de la SCP ESTUAIRE AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Madame I. X. épouse Z.
née le [Date naissance 2] à [Localité 8], [Adresse 3], [Adresse 3], Représentée par Maître Carole ROBARD de la SELARL POLYTHETIS, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Aux termes d'un acte reçu le 10 septembre 2008 par maître W., notaire associé de la SCP A. – B. - W. – C., notaires associés, titulaire d'un office notarial à [Localité 9], le Crédit Foncier de France a consenti à Mme O. X. un prêt viager hypothécaire d'un montant de 64.000 €.
Mme O. X. est décédée le [Date décès 4] 2017, laissant pour héritières ses deux filles, Mmes C. X. épouse Y. et I. X. épouse Z.
Le Crédit Foncier de France n'ayant pas été réglé de sa créance a délivré à chacune d'elle le 6 juin 2019 un commandement de payer valant saisie immobilière publié le 30 juillet 2019 au service de la publicité foncière de [Localité 9], volume 2019 S n° XX et YY, portant sur un immeuble hypothéqué, situé commune de [Localité 9] situé [Adresse 10], cadastré section [Cadastre 1], d'une contenance de 5 ares 96 centiares, formant le lot n° 8 du lotissement des A., comprenant une maison d'habitation et un jardin, occupés par Mme C. X..
Par actes d'huissier signifiés à personne et en étude les 24 et 26 septembre 2019, le Crédit Foncier de France a fait assigner Mmes X.-Y. et X.-Z. en vente forcée de l'immeuble à l'audience d'orientation du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire du 5 décembre 2019 laquelle, après plusieurs reports, s'est tenue le 7 avril 2022.
Par jugement du 7 juillet 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a :
- débouté Mme X. de ses demandes tendant à la production par le Crédit Foncier de France des documents précontractuels et de la délibération du conseil d'administration précisant les modalités de remboursement des prêts,
- dit prescrite l'action en nullité des stipulations contractuelles et en déchéance du droit aux intérêts contractuels,
- dit nuls les commandements de payer valant saisie immobilière délivrés à Mme X. et Mme Z. le 6 juin 2019, comme comportant un décompte du capital et des intérêts minoré de 38 % par rapport à la réclamation finale considérablement aggravée, faisant ainsi grief aux débitrices,
- débouté le Crédit Foncier de France de ses demandes tendant à la poursuite de la procédure de saisie immobilière,
- dit que les dépens seront à la charge du Crédit Foncier de France,
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision.
Le Crédit Foncier de France a interjeté appel par déclaration du 27 juillet 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Le Crédit Foncier de France expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 4 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Il demande à la cour de :
- juger son appel recevable et fondé,
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- dit nuls les commandements de payer valant saisie immobilière du 6 juin 2019,
- débouté le Crédit Foncier de France de ses demandes tendant à la poursuite de la procédure de saisie immobilière et l'a condamné à supporter les dépens de l'instance,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté Mme X. de ses demandes tendant à la production par le Crédit Foncier de France de France des documents précontractuels et de la délibération du conseil d'administration précisant les modalités de remboursement des prêts,
- dit prescrite l'action en nullité des stipulations contractuelles du taux d'intérêts et en déchéance du droit aux intérêts contractuels,
- débouter Mme X. et Mme Z. de l'intégralité de leurs demandes autres ou contraires,
- juger le droit d'usage et d'habitation dont se prévaut Mme C. X. inopposable au Crédit Foncier de France ainsi qu'à l'éventuel adjudicataire ou acquéreur dans le cadre d'une vente amiable sur autorisation judiciaire ou de gré à gré,
- juger n'y avoir lieu à prononcer la nullité des commandements aux fins de saisie immobilière délivrés à Mmes X. et Z. le 6 juin 2019,
- fixer la créance du Crédit Foncier de France à la somme de 135.196.15 € en principal, frais et intérêts arrêtés au 15 février 2021 et autres accessoires, outre les intérêts de retard au taux légal sur 131.298.91 € du 16 février 2021 au jour du règlement définitif,
- dire et juger que les intérêts continueront à courir jusqu'à la distribution du prix de vente à intervenir,
- ordonner la vente forcée du bien situé commune de [Adresse 10], cadastré section [Cadastre 1], pour une contenance de 5 ares 96 centiares, formant le lot n° 8 du lotissement des A.,
- renvoyer le dossier devant le juge de l'exécution pour qu'il fixe la date d'audience d'adjudication,
- arrêter les modalités de la vente qui seront fixées conformément aux dispositions figurant dans le cahier des conditions de vente,
- fixer les modalités de visite de l'immeuble saisi, en autorisant maître G., huissier de justice à [Localité 7], ou tel autre huissier qu'il plaira à la cour de désigner, lequel pourra se faire assister, au cas de besoin, de deux témoins, d'un serrurier et de la force publique,
- condamner Mme X. et Mme Z., in solidum, à lui verser une indemnité de 4.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme X. et Mme Z. in solidum, aux entiers dépens d'incident, de première instance et d'appel,
- juger que les dépens générés par la saisie immobilière seront employés en frais privilégiés.
[*]
Mme Z. expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 19 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- fixer la créance du Crédit Foncier de France à la somme de 113.289,10 € outre intérêts à compter du 17 septembre 2017 au taux légal applicable aux particuliers,
- ordonner la vente forcée du bien,
- juger le droit d'usage et d'habitation dont se prévaut Mme X. inopposable aux tiers,
- condamner le Crédit Foncier et à défaut Mme X. à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter le Crédit Foncier de France de toutes autres demandes, fins et conclusions,
- condamner le Crédit Foncier et à défaut Mme X. aux entiers dépens.
[*]
Mme X. expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de :
- débouter le Crédit Foncier de France de son action et de ses demandes,
- confirmer le jugement du 7 juillet 2022 en ce qu'il a dit nuls les commandements de payer valant saisie immobilières et a débouté le Crédit Foncier de France de France de ses demandes tendant à la poursuite de la procédure de saisie immobilière,
- à titre subsidiaire :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à la production par le Crédit Foncier de France de France de la délibération du conseil d'administration précisant les modalités de remboursement des prêts hypothécaire viager par lui commercialisé,
- réformer le jugement en ce qu'il a dit prescrite l'action en nullité des stipulations contractuelles,
- constater que le Crédit Foncier de France refuse de communiquer la délibération du Conseil d'administration fixant les conditions de remboursement du crédit hypothécaire viager et ce en application de l'article 53 du décret du 30 juillet 1852 et débouter le Crédit Foncier de sa demande en fixation de la créance au-delà du capital prêté,
- constater que la stipulation d'intérêt contenu dans l'offre préalable de crédit est abusive et nulle en ce qu'elle prévoit une capitalisation des intérêts que l'article L. 314-1 du code de la consommation en vigueur ne permettait pas,
- constater que la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt est erronée et à titre subsidiaire désigner tel expert aux fins de donner son avis sur le caractère erroné des taux effectif global mentionnés dans l'offre de prêt,
- prononcer la nullité de la stipulation de taux et à titre subsidiaire la déchéance du droit aux intérêts du Crédit Foncier de France,
- dire et juger que Mmes Z. et X. ne sont tenues qu'au seul paiement de la somme de 64.000 € en remboursement du capital prêté,
- à titre infiniment subsidiaire,
- constater que le commandement de payer limitait le montant de la créance à la somme de 97.387,20 € et dire non-fondée la demande présentée par le Crédit Foncier de France pour un montant supérieur,
- juger que le cahier des conditions de vente devra faire mention du droit d'usage et d'habitation dont bénéficie Mme C. X. sur l'immeuble objet de la procédure,
- l'autoriser à faire procéder à la vente amiable de l'immeuble au prix plancher de 150.000 € et renvoyer l'affaire devant le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire afin qu'il soit constaté la vente amiable de l'immeuble,
- condamner en cause d'appel le Crédit Foncier de France de France au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE L'ARRÊT :
À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de « constater », « dire » ou « dire et juger » qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.
1) Sur l'action en nullité de la clause d'anatocisme :
Mme X. demande l'annulation de la clause d'anatocisme qui n'était pas autorisée par l'article L. 314-1 du code de la consommation en vigueur au moment de l'édition de l'offre le 15 juillet 2008, la modification législative autorisant cet anatocisme étant en effet intervenue le 6 août 2008 par l'effet de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 prévoyant expressément la possibilité de capitaliser annuellement les intérêts dans les contrats souscrits à compter du 6 août 2002. Elle soutient encore que, s'agissant de dispositions d'ordre publique, il convient de considérer qu'une telle clause est abusive et non soumise à prescription.
Le Crédit Foncier de France estime que la mention d'une capitalisation des intérêts était décelable à la seule lecture de l'offre de prêt, de sorte que Mme O. X. était en mesure, dès la réception de l'offre, de vérifier par elle-même le caractère prétendument illicite de cette mention et aurait dû agir avant le 15 juillet 2013, ce qu'elle n'a pas fait, l'action étant prescrite. Il ajoute que l'anatocisme par année entière est inhérent au prêt viager hypothécaire comme l'indique l'article L. 314-1 du code de la consommation applicable au jour de l'acte authentique
Mme Z. ne conclut pas sur ce point.
Le jugement a retenu que l'article L. 314-1 du code de la consommation en vigueur à la date de l'édition de l'offre du 15 juillet 2008 ne permettait pas l'insertion d'une capitalisation des intérêts que la loi sur la protection des consommateurs n'autorisait pas mais que la mention d'une capitalisation des intérêts était décelable à la seule lecture de l'offre de prêt de sorte que Mme O. X. était en mesure, dès la réception de l'offre, de vérifier par elle-même le caractère prétendument illicite de cette mention et aurait dû agir avant le 15 juillet 2013, ce qu'elle n'a pas fait.
En droit, la capitalisation annuelle des intérêts dans le prêt viager hypothécaire a été rendu possible par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 applicable à compter du 6 août 2008. Elle n'était pas autorisée jusqu'à cette date.
En l'espèce, à la date de l'offre de prêt du 15 juillet 2008 « il est rappelé que les documents précontractuels ne sont pas produits » cette capitalisation n'était donc pas autorisée de sorte que dans l'acte authentique de prêt établi par devant notaire le 10 septembre 2008, qui devait refléter fidèlement les termes de l'offre de prêt, aucune clause d'anatocisme ne pouvait être insérée, quand bien même la date dudit acte authentique était postérieure à la date d'entrée en vigueur du nouveau régime du prêt viager hypothécaire avec anatocisme issu de la loi du 4 août 2008.
En application de l'article 444 du code de procédure civile, le président peut ordonner la réouverture des débats et il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés.
Compte tenu du caractère d'ordre public du régime du prêt viager hypothécaire, notamment invoqué par Mme X. (p. 12 de ses dernières écritures), il convient, à ce stade, d'ordonner d'office que les parties, et spécialement le Crédit Foncier de France, s'expliquent sur :
- le caractère d'ordre public du régime du prêt viager hypothécaire et ses conséquences, notamment sous l'empire du régime antérieur à la loi du 4 août 2008,
- le caractère éventuellement abusif de la clause d'anatocisme,
- la sanction d'une clause abusive et la prescriptibilité de celle-ci.
A cette fin, il convient d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats selon les modalités précisées au dispositif du présent arrêt.
2) Sur le sort des demandes :
Il sera réservé.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant avant dire droit,
Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats,
Renvoie l'affaire à l'audience du LUNDI 20 MARS 2023 à 14 heures,
Dit que les parties devront présenter leurs observations sur :
- le caractère d'ordre public du régime du prêt viager hypothécaire et ses conséquences, notamment sous l'empire du régime antérieur à la loi du 4 août 2008,
- le caractère éventuellement abusif de la clause d'anatocisme,
- la sanction d'une clause abusive et la prescriptibilité de celle-ci,
Dit que le Crédit Foncier de France devra déposer ses observations au plus tard le 28 février 2023,
Dit que Mme X. et Mme Z. devront déposer leurs observations au plus tard le 13 mars 2023,
Sursoit à statuer sur les demandes,
Réserve les dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE