CA COLMAR (2e ch. A), 12 janvier 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 10651
CA COLMAR (2e ch. civ.), 12 janvier 2024 : RG n° 21/03548 ; arrêt n° 19/2024
Publication : Judilibre
Extrait : « De même, une clause d'exclusion n'est pas limitée, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
Or, en l'espèce, comme le souligne la société Axa France IARD, le risque garanti n'est pas l'épidémie mais les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une des causes visées au contrat. Le fait que la garantie soit exclue en cas de fermeture administrative collective consécutive à une épidémie ne vide pas la garantie de sa substance puisqu'elle subsiste pour les pertes d'exploitation consécutives à l'un des autres causes visées, et en cas de fermeture administrative individuelle.
Contrairement à ce que soutient la société AAS, l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 9 février 2023 n'est pas en contrariété avec cette analyse et avec les arrêts de principe rendus par cette même chambre le 1er décembre 2022, dans la mesure où, dans cette espèce, le litige ne concernait pas l'extension de garantie « fermeture administrative » et la clause d'exclusion litigieuse, mais la garantie des pertes d'exploitation consécutives à un événement garanti, la portée de la clause d'exclusion devant être appréciée, dans le cas visé par l'arrêt du 9 février 2023, au regard de la garantie à laquelle elle se rapporte, et dans le second, au regard de l'extension de garantie.
Enfin, la validité des clauses d'exclusion de garantie dans les contrats d'assurance étant régie par un texte spécial qui exige qu'elles ne vident pas la garantie de sa substance, ce qui implique qu'elle ne soit pas dérisoire, ne peut être cumulativement examinée au regard des dispositions des articles 1169 et 1170 du code civil.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en tant qu'il a déclaré non écrite la clause d'exclusion litigieuse. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 12 JANVIER 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 2 A 21/03548. Arrêt n° 19/2024. N° Portalis DBVW-V-B7F-HUVE.Décision déférée à la cour : 3 août 2021 par le tribunal judiciaire à compétence de SAVERNE.
APPELANTE et intimée sur incident :
La SA AXA
prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social [Adresse 1], représentée par Maître Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA, avocat à la cour., avocat plaidant : Maître ORMEN, avocat à Paris.
INTIMÉE et appelante sur incident :
La SARL AAS
prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social [Adresse 2], représentée par Maître Anne CROVISIER de la SELARL ARTHUS, avocat à la cour.
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 15 septembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de : Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre, Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseiller, Madame Nathalie HERY, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN
ARRÊT : contradictoire, - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile. - signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL AAS est locataire gérante d'un fonds de commerce de station-service et petite restauration exploité sur l'aire d'autoroute A4 de [Localité 3], et emploie 12 salariés.
Pour les besoins de son exploitation, elle a souscrit un contrat multirisques de l'entreprise auprès de la société Axa France IARD à effet au 1er janvier 2016.
Faisant valoir que son activité avait été lourdement affectée par la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, la société AAS, dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 25 mai 2021, a fait citer son assureur devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Saverne le 2 juin 2021, selon la procédure à jour fixe, aux fins d'obtenir le bénéfice de la garantie perte d'exploitation en cas de fermeture administrative.
La société Axa France IARD a opposé une clause d'exclusion de garantie concernant les fermetures dites « collectives ».
Par jugement du 3 août 2021, le tribunal judiciaire de Saverne, chambre commerciale, a :
- déclaré inopposable à la société AAS la clause contractuelle d'exclusion de garantie figurant aux conditions particulières de la police souscrite le 1er janvier 2016 ;
- dit en conséquence que la société Axa France IARD doit garantir la société AAS des pertes d'exploitation subies à la suite des périodes de fermeture administrative imposées par l'épidémie de Covid-19 ;
- condamné la société Axa France IARD à payer à la société AAS une somme provisionnelle de 60.000 euros à valoir sur le chiffrage définitif de ses pertes d'exploitation pour les périodes considérées, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
- avant dire droit, a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. Y. J., expert-comptable, aux fins d'évaluation de la perte de marge brute de la société AAS pendant les périodes de fermeture administrative du 17 mars au 10 mai 2020 et du 29 octobre au 31 décembre 2020 ;
- débouté la société AAS de sa demande de provision ad litem et de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- réservé les droits et dépens.
Le tribunal a tout d'abord constaté que les conditions particulières du contrat prévoyaient une garantie spécifique étendue aux pertes d'exploitation faisant suite à une décision de fermeture administrative prise par une autorité administrative compétente en conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie, d'une intoxication.
Le tribunal a ensuite considéré que la clause d'exclusion de garantie ainsi libellée : 'sont exclues de cette garantie les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique.', était imprécise, de portée illimitée et qu'elle vidait l'obligation garantie de sa substance, de sorte qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences de l'article L. 113-1 du code des assurances et devait être réputée non écrite en application de l'article 1170 du code civil.
Le tribunal a en effet retenu que la clause d'exclusion ne pouvait être dissociée de la clause de garantie puisqu'elle se référait à une « cause identique », et que dès lors que la seconde renvoyait, s'agissant des causes de fermeture, à la notion d'épidémie laquelle ne faisait l'objet d'aucune définition contractuelle, ce terme devait être entendu dans son sens commun c'est à dire la propagation d'une maladie contagieuse à une population, soit à un grand nombre de personnes, et ne pouvait par conséquent être restreint à un seul établissement.
La société Axa France IARD a interjeté appel de ce jugement, le 12 août 2023 en toutes ses dispositions.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 juillet 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 juillet 2023, la société Axa France IARD demande à la cour de :
A titre liminaire,
- juger tant irrecevable que mal-fondée toute demande de la société AAS fondée sur l'article L. 112-4 du code des assurances ;
- juger tant irrecevable que mal-fondée toute demande de la société AAS au titre d'un manquement d'Axa à son obligation d'information et de conseil ;
En conséquence :
- débouter la société AAS de ses demandes formulées au titre de l'article L. 112-4 du code des assurances et du devoir d'information et de conseil.
A titre principal
- infirmer le jugement du 3 août 2021 du tribunal judiciaire de Saverne sauf en ce qu'il a débouté la SARL AAS de sa demande de condamnation pour résistance abusive et de sa demande de provision ad litem ;
Statuant à nouveau,
- juger que [...]
En conséquence :
- débouter la SARL AAS de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre d'Axa France IARD ;
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal judiciaire de Saverne ;
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement du 3 août 2021 en ce qu'il a condamné Axa France IARD à verser la somme de 60.000 euros à la SARL AAS à titre de provision ;
- confirmer le jugement du 3 août 2021 en ce qu'il a débouté la SARL AAS de sa demande de provision ad litem de 10.000 euros ;
- compléter la mission de l'expert désigné par le tribunal judiciaire de Saverne comme suit :
' donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;
En tout état de cause,
- débouter la SARL AAS de toutes demandes, fins, appel incident ou conclusions contraires au présent dispositif ;
- condamner la SARL AAS à payer à Axa France IARD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
A titre liminaire, l'appelante fait valoir qu'à hauteur de cour la société AAS d'une part prétend que la clause d'exclusion litigieuse ne serait pas conforme aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances, d'autre part invoque un manquement de la société Axa France IARD à son devoir d'information et de conseil sans cependant tirer les conséquences juridiques de ses prétentions dans le dispositif de ses conclusions.
Elle considère que ces prétentions sont irrecevables, en application des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile, comme nouvelles en appel et ne respectant pas le principe de concentration des demandes en appel, les arrêts de la Cour de cassation du 1er décembre 2022 ne constituant pas un fait nouveau au sens de ces textes. Elle souligne que les sanctions édictées par l'article L. 112-4 du code des assurances et par l'article L. 113-1 du même code ne sont pas les mêmes, puisqu'il s'agit dans un cas de l'inopposabilité de la clause à l'assuré, et dans l'autre de la nullité de la clause, de sorte que ces prétentions ne tendent pas aux mêmes fins.
Au fond, elle soutient que ces prétentions sont mal fondées puisque :
- la clause d'exclusion respecte le formalisme exigé par l'article L. 112-4 du code des assurances étant rédigée en lettres capitales ;
- elle n'a pas manqué à son devoir de délivrer, au moment de la conclusion du contrat, une information objective sur le prix et les garanties du contrat tel que défini à l'article L. 112-2 du code des assurances, qui se traduit par la remise d'un projet de contrat ce qui a été fait, soulignant que seul l'intermédiaire d'assurance, et non pas l'assureur, est débiteur d'une obligation de conseil ;
- la signature par l'assuré, avant le sinistre, des conditions particulières contenant la clause d'exclusion suffit à démontrer qu'il en a eu connaissance ;
- le préjudice qui consisterait en la perte d'une chance de souscrire une garantie plus favorable est inexistant, l'intimée ne démontrant pas qu'elle aurait été en mesure de pouvoir souscrire un contrat plus adapté à la crise de Covid-19.
L'appelante observe ensuite que le litige diffère de ceux ayant opposé des restaurateurs à la société Axa France IARD en raison de l'activité très spécifique de la société AAS qui exploite une aire de station-service, dès lors que seule son activité de restauration a été affectée par les mesures d'interdiction de recevoir du public au titre de la lutte contre la propagation du virus de la Covid-19. Elle soutient que si l'activité de vente de carburant a été affectée c'est en raison de l'interdiction de déplacement imposée à la population et non d'une fermeture administrative garantie par le contrat.
S'agissant de l'activité de restauration elle fait valoir, en substance, qu'elle est fondée à se prévaloir de la clause d'exclusion de garantie dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie dont la validité a été admise par quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022 par la Cour de cassation ayant considéré que la clause était formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances.
Elle souligne que, conformément à cette jurisprudence, le sens du terme « épidémie » est indifférent à la compréhension de la clause, puisque le risque assuré n'est pas « l'épidémie », mais la fermeture administrative « individuelle » de l'établissement, et l'exclusion est limitée en ce qu'elle ne rend pas la garantie souscrite par l'assurée « dérisoire » ou « illusoire » au sens des articles 1131 ancien, devenu 1169 du code civil, et ne prive pas de sa substance l'obligation essentielle de la société Axa France IARD, au sens de l'article 1170 du même code, à savoir garantir les pertes d'exploitation consécutives à des fermetures administratives individuelles pour l'une des autres causes visées, mais aussi pour cause d'épidémie susceptible de toucher l'établissement, telles la légionellose, la listériose, la grippe aviaire... En outre, elle considère que le postulat selon lequel une épidémie ne pourrait toucher un seul établissement est scientifiquement erroné, et relève que, même en cas de maladie contagieuse sur un territoire, la fermeture peut parfaitement ne concerner qu'un seul établissement afin d'endiguer la propagation de la maladie.
L'appelante soutient ensuite que la clause est claire et non sujette à interprétation, l'absence de définition du terme 'épidémie' étant sans incidence, puisque le seul critère d'application de la clause d'exclusion est le périmètre de la fermeture administrative individuelle ou collective, la proposition par la société Axa France IARD d'un avenant à l'effet de supprimer la garantie perte d'exploitation suite à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ou de maladie infectieuse ne pouvant être interprétée comme découlant d'une ambiguïté de la clause dont elle ne remet pas en cause la validité.
Elle réfute l'argumentation de l'intimée selon laquelle la clause ne pourrait jouer dans la mesure où, à la date du 14 mars 2020, date de l'arrêté ministériel pris par le ministre des solidarités et de la santé, aucun autre établissement ne faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, la clause litigieuse n'exigeant nullement une antériorité de la fermeture d'un autre établissement, mais seulement que soit constatée une simultanéité de fermetures pour une cause identique à la date de l'arrêté.
La société Axa France IARD souligne qu'à la date de souscription du contrat d'assurance, la société AAS n'a pu se méprendre sur la portée de la clause d'exclusion puisqu'en sa qualité de professionnelle de la restauration soumise à des règles d'hygiène strictes, elle avait nécessairement connaissance d'un risque de fermeture pouvant être généré en cas d'intoxication ou d'épidémie d'origine alimentaire, risque constituant la cause du contrat, et donc la cause de son engagement.
L'appelante soutient ensuite que la clause ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment de l'assuré au sens de l'article 1171 du code civil puisque le risque de fermeture individuelle du fait d'une toxi-infection alimentaire est loin d'être négligeable, et plus probable que celui de fermeture collective, et que la commune intention des parties était de couvrir ce risque qui est inhérent à l'activité de l'assurée, et non pas de couvrir un risque anormal et spécial résultant de mesures de fermeture gouvernementales généralisées qui ne relève pas d'une garantie individuelle privée.
Enfin, l'extension de garantie est bien pourvue d'un aléa.
Subsidiairement, elle discute le montant de la provision allouée rappelant que la garantie couvre seulement la perte de marge brute, que seule l'activité de restauration a été affectée par les mesures restrictives liées à la crise sanitaire, et qu'il doit être tenu compte des économies réalisées, des aides obtenues, ainsi que de l'incidence de facteurs externes non garantis - contexte épidémique et confinement général de la population -.
La société Axa France IARD conteste enfin avoir fait preuve de résistance abusive.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 juin 2023, la société AAS conclut au rejet de l'appel principal, à la confirmation du jugement sauf à former appel incident sur le quantum de la provision et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement de ces chefs et statuant à nouveau, de :
- condamner la société Axa France IARD au paiement d'une somme de 144.506 euros, à titre de provision, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du 'jugement' à intervenir, tant au titre de la garantie contractuelle, que subsidiairement, au titre du devoir d'information et de conseil dû par la société Axa France IARD,
- se réserver la faculté de liquider l'astreinte,
- condamner la société Axa France IARD au paiement d'une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- mettre les frais d'expertise à sa charge, à défaut la condamner au paiement d'une provision ad litem de 10.000 euros, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de même montant, en sus des entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient tout d'abord que la société Axa France IARD ne peut se prévaloir de la clause d'exclusion litigieuse puisque les circonstances particulières de réalisation du risque prévues par cette clause ne sont pas réunies. Elle considère en effet, qu'une lecture stricte de la clause d'exclusion impose de considérer que la garantie est exclue en cas de pluralité de décisions de fermetures administratives individuelles ayant une cause identique, et non en cas de décision collective atteignant l'ensemble des établissements de restauration sur le territoire national, or à la date du 14 mars 2020, aucun autre établissement ne faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré.
Elle conteste ensuite la validité de la clause en raison en premier lieu de son absence de caractère apparent, la clause étant écrite en caractères de même taille que les autres clauses, et n'étant ni soulignée, ni encadrée, ni en couleur ou en caractères gras, le seul fait qu'elle soit en lettres majuscules étant insuffisant, d'autres clauses l'étant aussi.
Elle soutient à cet égard qu'il s'agit d'un moyen nouveau, recevable en appel, invoqué à l'appui de sa demande de confirmation du jugement qui a déclaré la clause d'exclusion inopposable, et non d'une prétention nouvelle, et que ni l'article 564, ni l'article 910-4 du code de procédure civile ne peuvent être invoqués.
En deuxième lieu, elle invoque l'absence de caractère formel et limité de la clause d'exclusion et soutient qu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'elle renvoie au terme 'épidémie' qui n'est pas défini dans le contrat, et qui dans les dictionnaires et le vocabulaire médical correspond à la propagation d'une maladie contagieuse à un grand nombre de personnes, ce qui peut induire la fermeture de plusieurs établissements dans une même région. Elle considère qu'exclure la garantie lorsqu'au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité est concerné, conduit à vider la garantie de son sens, et rend la clause imprécise et sujette à interprétation, et ce d'autant plus qu'il existe un débat scientifique sur la notion d'épidémie comme le reconnaît d'ailleurs la société Axa France IARD.
En troisième lieu, la société AAS se prévaut du droit commun des contrats et invoque :
- une absence de cause et une violation de l'article 1170 du code civil, applicable au litige du fait du renouvellement du contrat par tacite reconduction, en ce que la clause litigieuse contredit l'obligation essentielle de garantie du risque d'épidémie,
- une absence de contrepartie et une violation de l'article 1169 du code civil, en ce que la clause d'exclusion qui prive l'assuré de sa garantie dès lors qu'un autre établissement « quelle que soit sa nature et son activité » fait également l'objet sur le même département d'une décision de fermeture administrative pour une même épidémie, rend la garantie dérisoire, voire illusoire, alors qu'en souscrivant le contrat elle entendait être assurée en cas de fermeture administrative de son établissement pour cause d'épidémie et être garantie contre les pertes d'exploitation causées par cette fermeture.
L'intimée soutient que consciente des difficultés, la société Axa France IARD a soumis à ses assurés un avenant dans lequel elle a apporté une définition à la notion d'« épidémie », reconnaissant ainsi implicitement que ce terme n'était jusque-là pas suffisamment précis, et opère désormais une distinction entre d'une part la survenance d'une maladie contagieuse qui peut être limitée à un établissement, et d'autre part l'apparition d'une épidémie se caractérisant par un nombre anormalement élevé de cas.
Elle critique la jurisprudence de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation sur laquelle s'appuie l'appelante s'agissant du caractère formel de la clause qui ne tient pas compte du fait qu'afin de déterminer si la clause est mobilisable ou non, il faut s'interroger sur la cause ayant motivé la décision de fermeture administrative, à savoir l'épidémie, la maladie contagieuse ou encore l'intoxication, qui sont un des éléments constitutifs de l'exclusion de garantie, ces termes devant être définis par l'assureur.
De même, sur le caractère limité de la clause, la Cour de cassation a considéré que, même si la garantie pour cause d'épidémie se trouve fortement réduite, voire inexistante, la garantie subsistait pour les autres causes prévues dans la clause, et que cela suffisait à rendre la clause limitée, admettant donc implicitement qu'en cas d'épidémie la clause d'exclusion rendait l'application de la garantie impossible ; or la fermeture administrative n'est pas une garantie mais un événement garanti. Elle soutient que le contrat ayant vocation à s'appliquer pour chaque événement autonome, il importe peu qu'une garantie subsiste en cas de fermeture administrative pour d'autres causes, dès lors que la garantie ne peut être mise en œuvre en cas d'épidémie, et se réfère à cet égard à un autre arrêt récent de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 février 2023 qu'elle estime en contrariété avec cette jurisprudence, ainsi qu'aux critiques doctrinales.
A titre subsidiaire, elle invoque un manquement de la société Axa France IARD à son devoir d'information et de conseil et considère que cette demande est recevable, car la demande présentée sur ce fondement tend à obtenir réparation d'un même préjudice, l'indemnisation de ses pertes d'exploitation. Elle estime comme précédemment que les articles 564 et 910-4 du code de procédure civile n'ont pas vocation à s'appliquer, s'agissant d'un moyen nouveau, et qu'en tout état de cause les arrêts du 1er décembre 2022 constituent un élément nouveau.
Elle soutient que l'obligation d'information et de conseil porte notamment sur l'adéquation des garanties proposées aux besoins de l'assuré et à sa situation personnelle, et ne se limite pas à la remise du projet de contrat ou d'une notice d'information, et se prévaut des dispositions de l'article L.521-4 du code des assurances. Elle estime qu'en n'attirant pas l'attention de son assuré sur l'existence et le contenu de la clause d'exclusion, et en n'explicitant ni le contenu ni la portée de celle-ci, la société Axa France IARD a manqué à son devoir d'information et de conseil.
Au soutien de son appel incident, elle soutient que les conséquences de l'épidémie de Covid-19 doivent être exclues des facteurs externes pour le calcul de la marge brute et de la perte d'exploitation, qu'il n'y a pas non plus lieu de tenir compte des aides versées par le Fonds de solidarité, assimilables à une subvention d'exploitation, qui sont dépourvues de caractère indemnitaire, et souligne que sa perte de marge brute a été évaluée à 144.506 euros par son expert-comptable. Elle estime enfin que la société Axa France IARD a fait preuve de résistance abusive et qu'il est justifié de mettre à sa charge une provision ad litem pour couvrir les frais d'expertise.
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Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est tenue de statuer que sur les prétentions figurant au dispositif des dernières écritures des parties et n'a pas à statuer sur des demandes tendant à voir « dire et juger » ou « constater » qui correspondent seulement à la reprise de moyens développés dans les motifs des conclusions.
Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles :
La société Axa France IARD demande à la cour de juger irrecevable toute demande de la société AAS fondée sur l'article L. 112-4 du code des assurances et au titre d'un manquement d'Axa à son obligation d'information et de conseil, comme étant nouvelles à hauteur d'appel.
Il convient toutefois de constater que la société AAS ne saisit la cour d'aucune prétention fondée sur l'article L. 112-4 du code des assurances mais se prévaut d'un moyen nouveau, recevable en appel conformément à l'article 563 du code de procédure civile, au soutien de sa demande de confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la clause d'exclusion de garantie inopposable. Aucune irrecevabilité n'est donc encourue à ce titre.
De même, la demande subsidiaire de la société AAS qui tend à la condamnation de la société Axa France IARD au paiement d'une somme de 144.506 euros, à titre de provision, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du 'jugement' à intervenir, au titre du devoir d'information et de conseil dû par cette dernière, qui a le même objet que sa demande de première instance reprise à titre principal, à savoir obtenir le paiement d'une certaine somme correspondant à sa perte d'exploitation, n'est pas nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile, puisqu'elle tend aux mêmes fins. Cette demande est donc recevable en application de l'article 565 du code de procédure civile.
Sur la clause d'exclusion de garantie :
La société AAS a souscrit auprès de la société Axa France IARD un contrat d'assurance multirisque professionnel pour son activité d'exploitation d'une station-service autoroutière et de restauration, et notamment l'extension de garantie figurant au paragraphe XVI Annexe 4 intitulé « fermeture administrative » des conditions particulières « Périls dénommés avec volet tous dommages sauf » ayant pour objet d'étendre la garantie aux « Pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux condition suivantes sont réunies :
- La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente et extérieure à l'assuré.
- La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication. »
La société Axa France IARD oppose une clause d'exclusion de garantie ainsi libellée : « Sont exclues de cette garantie les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique. »
La société AAS soutient tout d'abord que les conditions d'application de cette clause ne sont pas remplies dès lors qu'au jour de l'arrêté ministériel du 14 mars 2020 imposant la fermeture aucun autre établissement ne faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative sur le même territoire départemental, soutenant que la clause d'exclusion ne peut jouer qu'en cas de pluralité de décisions de fermetures administratives individuelles ayant une cause identique, et non en cas de décision collective atteignant l'ensemble des établissements de restauration sur le territoire national.
Cette analyse ne peut être retenue dans la mesure où elle conduit à ajouter à la clause d'exclusion une condition d'antériorité d'une autre mesure de fermeture administrative que celle-ci ne prévoit pas.
L'intimée invoque ensuite l'article L. 112-4 du code des assurances qui dispose en son dernier alinéa que « les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ».
Ce moyen est inopérant dès lors que la clause litigieuse qui est rédigée en lettres capitales et en caractères gras, ce qui n'est pas le cas des autres clauses de l'annexe 4, répond aux exigences de ce texte.
La société AAS soutient ensuite, faisant sienne l'appréciation du premier juge, que la clause d'exclusion litigieuse ne répond pas aux exigences de l'article L. 113-1 du code des assurances en ce que d'une part elle n'est pas formelle puisqu'elle renvoie aux causes précisées dans la clause de définition de garantie qui fait référence à une « épidémie », terme ne faisant l'objet d'aucune définition contractuelle et étant sujet à interprétation, et d'autre part elle n'est pas limitée.
Il ne peut être déduit de la proposition d'avenant de la société Axa France IARD du 16 novembre 2020 une reconnaissance implicite du caractère ambigu de la clause.
Une clause d'exclusion est considérée comme n'étant pas formelle, au sens de l'article L.113-1 du code des assurances, lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
À cet égard, la société Axa France IARD oppose à juste titre que la clause d'exclusion est claire et non sujette à interprétation, la circonstance particulière de réalisation du risque susceptible de priver l'assuré du bénéfice de la garantie n'étant pas l'épidémie, mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement ferait également l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique, la garantie n'ayant ainsi vocation à s'appliquer qu'en cas de fermeture administrative individuelle pour une des causes énumérées au contrat, et non en cas de fermeture collective, de sorte que l'absence de définition de la notion d'épidémie et son éventuelle ambiguïté sont sans incidence sur la compréhension par l'assuré des cas dans lesquels l'exclusion s'applique quand bien même la clause renvoie-t-elle à « une cause identique ».
De même, une clause d'exclusion n'est pas limitée, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
Or, en l'espèce, comme le souligne la société Axa France IARD, le risque garanti n'est pas l'épidémie mais les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une des causes visées au contrat. Le fait que la garantie soit exclue en cas de fermeture administrative collective consécutive à une épidémie ne vide pas la garantie de sa substance puisqu'elle subsiste pour les pertes d'exploitation consécutives à l'un des autres causes visées, et en cas de fermeture administrative individuelle.
Contrairement à ce que soutient la société AAS, l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 9 février 2023 n'est pas en contrariété avec cette analyse et avec les arrêts de principe rendus par cette même chambre le 1er décembre 2022, dans la mesure où, dans cette espèce, le litige ne concernait pas l'extension de garantie « fermeture administrative » et la clause d'exclusion litigieuse, mais la garantie des pertes d'exploitation consécutives à un événement garanti, la portée de la clause d'exclusion devant être appréciée, dans le cas visé par l'arrêt du 9 février 2023, au regard de la garantie à laquelle elle se rapporte, et dans le second, au regard de l'extension de garantie.
Enfin, la validité des clauses d'exclusion de garantie dans les contrats d'assurance étant régie par un texte spécial qui exige qu'elles ne vident pas la garantie de sa substance, ce qui implique qu'elle ne soit pas dérisoire, ne peut être cumulativement examinée au regard des dispositions des articles 1169 et 1170 du code civil.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en tant qu'il a déclaré non écrite la clause d'exclusion litigieuse.
La fermeture dont a fait l'objet l'établissement de restauration exploité par la société AAS sur l'aire d'autoroute de [Localité 3] étant consécutive à une fermeture collective concernant l'ensemble des commerces non indispensables à la vie de la Nation, et notamment l'ensemble des établissements de restauration sur le territoire départemental et même national, les conditions de mise en œuvre de ladite clause d'exclusion sont donc réunies. Le jugement entrepris doit donc être infirmé en tant qu'il a considéré que la société Axa France IARD devait sa garantie, la société AAS étant déboutée de sa demande à ce titre.
Sur le manquement de la société Axa France IARD à son obligation d'information et de conseil :
L'article L.521-4 du code des assurances dont se prévaut la société AAS, qui concerne le distributeur d'assurance n'est pas applicable à l'assureur qui n'est pas tenu d'un devoir de conseil mais d'un devoir d'information conformément à l'article L. 112-2 du code des assurances. Ce texte impose à l'assureur de fournir à l'assuré une fiche d'information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat, et de lui remettre un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat décrivant précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré.
La remise de ces documents n'étant pas contestée par la société AAS, aucun manquement de la société Axa France IARD à son devoir d'information n'est donc caractérisé, et la demande de la société AAS doit également être rejetée sur ce fondement, étant au surplus observé qu'un éventuel manquement de l'assureur à son devoir d'information ne pourrait ouvrir droit qu'au paiement de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance d'avoir pu contracter une garantie plus adaptée.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en tant qu'il a accueilli la demande de provision de la société AAS et en tant qu'il a ordonné une mesure d'expertise, les demandes de la société AAS étant rejetées.
Sur les autres demandes :
Les demandes principales de la société AAS étant rejetées, le jugement sera confirmé en tant qu'il a rejeté ses demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive et non pas « procédure abusive », et de provision ad litem.
Il sera en revanche infirmé en ce qu'il a réservé les dépens.
La société AAS, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En considération des circonstances du litige et de la situation économique respective des parties, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Axa France IARD les frais exclus des dépens qu'elles a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la société Axa France IARD tendant à voir juger irrecevable toute demande de la société AAS fondée sur l'article L. 112-4 du code des assurances ;
DECLARE recevable la demande de la société AAS au titre d'un manquement de la société Axa France IARD à son obligation d'information et de conseil ;
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Saverne en date du 3 août 2021, sauf en ce qu'il a débouté la société AAS de ses demandes de provision ad litem et de dommages et intérêts pour « procédure » abusive ;
Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au jugement,
DIT que la clause d'exclusion de garantie est opposable à la société AAS ;
DÉBOUTE la SARL AAS de ses demandes de provision et d'expertise ;
DÉBOUTE la SARL AAS et la SA Axa France IARD de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL AAS aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, La présidente,