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CA MONTPELLIER (4e ch. civ.), 14 mars 2024

Nature : Décision
Titre : CA MONTPELLIER (4e ch. civ.), 14 mars 2024
Pays : France
Juridiction : Montpellier (CA), 4e ch. civ.
Demande : 21/04778
Date : 14/03/2024
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 23/07/2021
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CERCLAB - DOCUMENT N° 10802

CA MONTPELLIER (4e ch. civ.), 14 mars 2024 : RG n° 21/04778

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Le contrat de prêt immobilier liant les parties conclu le 3 octobre 2005 contient une clause intitulée « autorisation de prélèvement et compensation » stipulant que :

« Tous les versements auront lieu au siège du prêteur ou à l'une de ses agences. Les emprunteurs autorisant le prêteur à débiter son compte de façon permanente du montant des sommes exigibles. Ils l'autorisent à compenser de plein droit et sans son intervention toutes les sommes qui sont échues en capital et intérêts sur le présent prêt, ainsi que toutes indemnités, avec les sommes que celui-ci pourrait éventuellement leur devoir à un titre quelconque et notamment des frais relatifs à la formalisation de la garantie.»

Cependant, outre que les sommes créditées sur le compte-chèque de M. X. et prélevées par la banque ne constituaient pas des sommes que celle-ci pourrait lui devoir s'agissant de fonds provenant d'un héritage, la compensation conventionnelle de plein droit ne peut être invoquée, cette clause autorisant la banque à débiter le compte de l'emprunteur de « façon permanente, du montant des sommes exigibles » ne pouvant être interprétée que comme ayant pour objet d'autoriser la banque à prélever les échéances du prêt sur le compte-chèque de l'emprunteur ouvert en ses livres ainsi qu'il est d'usage, tout autre interprétation se heurtant à la prohibition des clauses abusives dès lors qu'en autorisant le professionnel à débiter d'office à son profit le compte-chèques d'une somme au titre d'une créance supposément exigible en son principe et son montant, sans qu'il ait à rechercher au préalable un titre exécutoire, et en s'exonérant ainsi des règles propres à la procédure de saisie-attribution, il serait créé au détriment de l'emprunteur un déséquilibre significatif obligé d'entreprendre une action en justice pour voir juger le prélèvement infondé, prélèvement susceptible de le placer dans une situation délicate à l'égard de ses autres créanciers. »

 

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 MARS 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/04778. N° Portalis DBVK-V-B7F-PDDB. Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 juin 2021, Tribunal judiciaire de Narbonne - RG n° 11-18-990.

 

APPELANTE :

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc

société coopérative à capital variable, régie par les articles L. 512-20 à L. 512-54 du Code Monétaire et Financier, et par l'ancien livre V du Code Rural, inscrite au registre du commerce et des sociétés de MONTPELLIER sous le n° XXX, dont le siège social est [Adresse 4], agissant par son représentant légal en exercice, es qualité, domicilié en cette qualité audit siège, venant ensuite d'opérations de fusion, droits et obligations de LA CAISSE REGIONALE de CREDIT AGRICOLEMUTUEL du MIDI, société coopérative à capital et personnel variables, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de MONTPELLIER sous le n° YYY, régie par les articles L.5l2-20 et suivants du Code Monétaire et Financier, ayant son siège social à [Adresse 4], représentée par son Directeur Général en exercice, domicilié es qualité audit siège social, [Adresse 4], [Localité 2], Représentée par Maître Antoine BENET de la SCP GOUIRY/MARY/CALVET/BENET, avocat au barreau de NARBONNE, avocat postulant et plaidant

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

né le [Date naissance 1] à [Localité 5], de nationalité Française, [Adresse 3] (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/XXX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER), Représenté par Maître Pierre CHARPY substituant Maître Bruno BLANQUER de la SCP BLANQUER/CROIZIER/CHARPY, avocat au barreau de NARBONNE, avocat postulant et plaidant

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JANVIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de : M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, M. Philippe BRUEY, Conseiller, Mme Marie-José FRANCO, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT

ARRÊT : - contradictoire ; - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; - signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La Sa Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (ci-après Crédit agricole ou « la banque ») auprès de laquelle M. X. est titulaire d’un compte, lui a consenti le 3 octobre 2005 un prêt immobilier d'un montant de 51.000 euros

M. X. a déposé un premier dossier de surendettement devant la commission de surendettement de l'Aude le 27 juin 2014 qui a donné lieu à l'élaboration d'un plan conventionnel, approuvé le 6 janvier 2015.

Il a déposé un deuxième dossier de surendettement le 3 avril 2017 en déclarant une dette de 27 955 euros à l'égard du Crédit agricole qui a donné lieu à l'élaboration d'un projet de plan n'ayant pas abouti faute d'accord des parties.

Une troisième procédure de surendettement a été ouverte le 23 janvier 2018 déclarée recevable le 12 avril 2018 dans le cadre de laquelle M. X. a déclaré une dette de 27 955 euros à l'égard du Crédit agricole

Le 16 avril 2018, le compte de M. X. a été crédité de la somme de 40.182,61 euros correspondant à un héritage.

La banque a débité cette somme à son profit le même jour.

Le 8 juin 2018, M. X. a sollicité la restitution de la somme de 2.690,15 euros au motif qu'aucun intérêt ou pénalité de retard ne pouvait être comptabilisé par la banque postérieurement à la décision de recevabilité du dossier de surendettement et que seule la somme de 27 955 euros pouvait être encaissée.

Par courrier du 14 juin 2018, la banque ayant refusé cette restitution au motif que dans le cadre de la dernière procédure de surendettement elle avait déclaré une créance d'un montant de 30 112,21, M. X. l'a faite assigner devant le tribunal judiciaire de Narbonne par acte du 21 décembre 2018.

Par jugement contradictoire en date du 21 juin 2021, le tribunal judiciaire de Narbonne a :

- constaté que l'assignation du 21 décembre 2018 est nulle mais que celle du 22 mai 2019 saisit utilement le tribunal ;

- dit n'y avoir lieu à soulever l'incompétence du juge des contentieux de la protection qui n'est pas saisi ;

- rejeté la demande tendant à voir constater la caducité de l'assignation du 22 mai 2019 par défaut d'enrôlement ;

- condamné la banque à payer à M. X. la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- après compensation, condamné la banque à payer à M. X. :

* les intérêts au taux légal sur la somme de 30 645,15 euros à compter du 16 avril 2018 jusqu'au 21 juin 2021 ;

* la somme de 2 690,15 euros correspondant aux frais supplémentaires et intérêts indûment prélevés.

- condamné la banque à payer à M. X. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La banque a relevé appel de ce jugement le 23 juillet 2021.

 

PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises par voie électronique le 24 avril 2023, la Sa Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc demande en substance à la cour de réformer le jugement sauf en ce qu'il a constaté que l'assignation du 21 décembre 2018 est nulle et :

A titre principal,

- Juger que l'assignation du 22 mai 2019 n'a pas « saisi utilement le tribunal », et est caduque.

- Déclarer donc irrecevables les demandes formées par M.X. dans son assignation du 22 mai 2019,

- A défaut, débouter M. X. de ses demandes formées dans son acte du 22 mai 2019

A titre subsidiaire,

- Débouter M. X. de toutes ses demandes dirigées à son encontre,

A titre très subsidiaire, débouter M. X. de sa demande de dommages et intérêts et de celle relative aux intérêts au taux légal sur la somme de 30 645,15 euros.

Dans tous les cas, condamner M. X. à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à tous les dépens.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 24 novembre 2021, M. X. demande en substance à la cour de débouter la banque de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner la banque à payer à M. X. la somme de 3.000 euros conformément à l'article 37 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et à l'article 700 2° du code de procédure civil .

Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 décembre 2023.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La cour ne pourra que confirmer la décision du premier juge ayant rejeté le moyen tiré par la banque de la caducité de l'assignation du 22 mai 2019 au visa des dispositions de l'article 839 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à l'espèce, aux termes desquelles le juge est saisi, à la diligence des parties, par la remise au greffe d'une copie de l'assignation au plus tard huit jours au moins avant la date de l'audience après avoir constaté que l'assignation du 22 mai 2019 avait été remise au greffe le 28 mai 2019 ainsi qu'en atteste le tampon dateur apposé sur l'acte par la juridiction, la banque invoquant en outre à tort au soutien de son raisonnement les dispositions de l'article 726 du code de procédure civile aux termes desquelles le greffe tient un répertoire général des affaires dont la juridiction est saisie et que ce répertoire indique la date de la saisine, dispositions dont il ressort nécessairement que la saisine de la juridiction est antérieure à l'inscription de l'affaire au répertoire général.

Au fond, la Sa Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc fait grief au premier juge d'avoir considéré comme fautif le prélèvement effectué sur le compte de dépôt ouvert en ses livres au nom de son client la somme dont elle s'estimait créancière au titre du prêt immobilier au regard des dispositions de l'article L. 133-6 du code monétaire et financier dont il résulte que toute opération de prélèvement bancaire nécessite l'autorisation du titulaire du compte et d'avoir en outre écarté la clause figurant au contrat de prêt intitulée « Autorisation de prélèvement et compensation ».

Invoquant les dispositions de la procédure de surendettement ouverte le 10 août 2017, elle soutient être bien titulaire d'une créance d'un montant de 30.645,15 euros à l'égard de M. X. de sorte que le prélèvement de cette somme sur le compte de son débiteur le 16 avril 2018 était justifié.

L'article 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à l'espèce dispose que dans les contrats conclus entre les professionnels et non-professionnels et consommateur, sont abusives les clauses qui ont pour objet de créer au détriment du non-professionnel ou du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le contrat de prêt immobilier liant les parties conclu le 3 octobre 2005 contient une clause intitulée « autorisation de prélèvement et compensation » stipulant que :

« Tous les versements auront lieu au siège du prêteur ou à l'une de ses agences. Les emprunteurs autorisant le prêteur à débiter son compte de façon permanente du montant des sommes exigibles. Ils l'autorisent à compenser de plein droit et sans son intervention toutes les sommes qui sont échues en capital et intérêts sur le présent prêt, ainsi que toutes indemnités, avec les sommes que celui-ci pourrait éventuellement leur devoir à un titre quelconque et notamment des frais relatifs à la formalisation de la garantie.»

Cependant, outre que les sommes créditées sur le compte-chèque de M. X. et prélevées par la banque ne constituaient pas des sommes que celle-ci pourrait lui devoir s'agissant de fonds provenant d'un héritage, la compensation conventionnelle de plein droit ne peut être invoquée, cette clause autorisant la banque à débiter le compte de l'emprunteur de « façon permanente, du montant des sommes exigibles » ne pouvant être interprétée que comme ayant pour objet d'autoriser la banque à prélever les échéances du prêt sur le compte-chèque de l'emprunteur ouvert en ses livres ainsi qu'il est d'usage, tout autre interprétation se heurtant à la prohibition des clauses abusives dès lors qu'en autorisant le professionnel à débiter d'office à son profit le compte-chèques d'une somme au titre d'une créance supposément exigible en son principe et son montant, sans qu'il ait à rechercher au préalable un titre exécutoire, et en s'exonérant ainsi des règles propres à la procédure de saisie-attribution, il serait créé au détriment de l'emprunteur un déséquilibre significatif obligé d'entreprendre une action en justice pour voir juger le prélèvement infondé, prélèvement susceptible de le placer dans une situation délicate à l'égard de ses autres créanciers.

La banque ne peut par ailleurs efficacement soutenir que le prélèvement litigieux aurait été effectué à bon droit au motif que dans le cadre de l'une des procédures de surendettement ouverte en faveur de M. X., il a été décidé que ce dernier demanderait au notaire dès la liquidation de la succession dont il était bénéficiaire de verser directement à la banque les sommes lui revenant dès lors d'une part que de manière évidente ces dispositions ne constituaient pas une autorisation de prélèvement, et que d'autre part, ce plan conventionnel de redressement fixait la créance de la banque à hauteur de 27.955,37 euros et non de 30.645,15 euros.

Pour ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans l'analyse de la portée du surplus des décisions successives de la commission de surendettement sur l'exigibilité de la créance de la banque, la cour confirmera les dispositions du jugement déféré ayant jugé mal-fondé le prélèvement litigieux opéré par la banque et, conformément à la demande de M. X. se reconnaissant débiteur de la somme de 27.955 euros, condamné la banque à lui payer la somme de 2690,15 euros après compensation des créances respectives outre au paiement des intérêts produits par la somme indûment prélevée depuis le 16 avril 2018 jusqu'au 21 juin 2021.

La banque conclut également à l'infirmation du jugement déféré du chef de sa condamnation à payer à l'intimé la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts faisant valoir que M.X. a renoncé au bénéfice de sa demande issue de la troisième procédure de surendettement déclarée recevable le 12 avril 2018 et ne démontre dès lors pas l'existence d'une perte de chance de bénéficier des dispositions de cette procédure en lien avec le prélèvement litigieux.

La cour considère toutefois à l'instar du premier juge qu'en opérant quatre jours après la décision de recevabilité de sa demande le prélèvement litigieux, et de surcroît pour un montant supérieur à celui retenu par la commission, la banque a commis une faute ayant causé à son client un préjudice en ce qu'elle l'a privé de la possibilité de bénéficier d'un possible rééchelonnement de ses dettes, son « désistement » n'ayant été réalisé que postérieurement au prélèvement fautif. Cette disposition du jugement déféré sera en conséquence également confirmée.

Succombant en son appel, la Sa Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc sera condamnée aux dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Condamne la Sa Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens d'appel.

La condamne à payer à M. X. la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

LE GREFFIER                                           LE PRÉSIDENT